Ils disent tous que j'ai vu un fantôme 27



Grâce aux indications de Mu Huaitong, nous déterrâmes enfin des os avant l'aube. C'était des os humains, pas de doute possible, incluant un fémur et des côtes. Le reste des os était toujours enterré profondément sous la pile d'ordures mais ce que nous avions trouvé suffisait pour qu'une enquête soit ouverte.

Tandis que le ciel s'illuminait peu à peu, Mu Huaitong nous observa depuis la voiture, un pâle sourire aux lèvres.

« Il est temps pour toi de quitter ces lieux, lui fit soudain Ning Tiance.

– Oh oui, renchéris-je en consultant ma montre. Xiao Tong, tu n'as pas dormi de toute la nuit. Rentre chez toi te reposer. Puisque Lu Guangxi n'a rien à voir avec toi, ne t'en mêle pas et laisse-moi le soin d'appeler la police.

– Et vous allez leur dire quoi ? Que vous creusiez parmi les ordures en pleine nuit ? demanda Xiao Tong.

– Hé ben... »

Je lançai un regard vers la pile de déchets dans laquelle j'avais farfouillée. Je ne pouvais vraiment pas trouver une bonne excuse.

« Le professeur Shen est trop honnête et intègre, bien sûr qu'il ne peut pas trouver un prétexte pour tromper les gens, fit Mu Huaitong en souriant, mais ce n'est pas grave. Cela suffit d'avoir retrouvé les os. Laissez Lu Guangxi tenir les os de Yin Yaqiu et ne vous inquiétez pas du reste. Je suis sûre que sa conscience finira par le rattraper et qu'il ira se dénoncer tout seul. »


Je ne comprenais pas tout à fait ce qu'elle disait mais Xiao Ning approuva son idée et plaça les os dans les mains de Lu Guangxi.

Quand ce dernier sentit les côtes froides, il reprit connaissance d'un coup, en sursautant. Il baissa les yeux sur les os dans ses mains et demanda :

« C'est quoi ?

– Les ossements de Yin Yaqiu. »

J'ignorais si c'était vrai ou non mais je décidai de faire confiance à Mu Huaitong.

« Quoi ? »

Il se mit à convulser comme s'il faisait une crise d'épilepsie. De l'écume sortit de sa bouche et ses yeux se révulsèrent.

Je crus que Lu Guangxi était malade. Je l'allongeai au sol rapidement et sortis mon portable pour appeler le 120.

Cela venait à peine de sonner que Lu Guangxi m'arracha le portable des mains pour couper l'appel. Il reprit ensuite un air composé. Les os de côte toujours à la main, il fit :

« Inutile d'appeler les secours. Je veux me dénoncer. »


Il prit son propre portable et composa le 110.

« Bonjour, monsieur l'agent. J'ai commis un crime. J'ai tué ma petite-amie, Yin Yaqiu, il y a trois ans. Je présume que cette conversation est enregistrée. Je vais tout vous raconter maintenant. »

Il lui fallut près de dix minutes pour raconter comment il avait regardé Yin Yaqiu saigner à mort sous ses yeux, comment il avait fait bouillir ses os et les avait jetés avec les ordures. Puis il indiqua au policier où il se trouvait et qu'il souhaitait que l'on vienne à la décharge l'arrêter tout de suite.

Lu Guangxi expliqua aussi qu'il était venu déterrer les os tout seul à cause de sa mauvaise conscience. Xiao Ning et moi ne savions pas ce qu'il était venu déterrer, nous étions seulement là pour l'aider.

Après ça Lu Guangxi s'évanouit de nouveau. J'eus beau lui pincer les joues, il ne se réveilla pas.


« Qu'est-ce que tu as fait au directeur Lu, Xiao Tong ? Tu ne lui as pas injecté le sérum de vérité, non ? C'est illégal. »

Je m'inquiétais au sujet de Mu Huaitong, je craignais qu'elle ne se soit impliquée d'une quelconque façon. Mais quand je regardai derrière moi, Mu Huaitong et la voiture de Ning Tiance avaient disparu.

« Où est passée Xiao Tong ? demandai-je.

– Pendant que tu écoutais attentivement la confession de Lu Guangxi, elle a pris ma voiture pour partir, expliqua Xiao Ning. Elle ne pouvait vraiment plus rester. »

C'était vrai. En moi-même, je voulais éviter que Mu Huaitong soit interrogée par la police. Elle avait vécu presque la même expérience malheureuse que Yin Yaqiu. Ce ne serait pas sain pour elle de se rappeler ces affreux souvenirs.


La police fit vite pour arriver. Ils ramassèrent les os que nous avions déterrés afin d'identifier la victime grâce à l'ADN, puis nous conduisirent tous les trois au commissariat, le directeur Lu toujours inconscient. Le squelette était incomplet. La police aurait bien du mérite pour trouver le reste des os de Yin Yaqiu dans la décharge.


Quand nous arrivâmes au commissariat, la mère de Yin Yaqiu attendait à l'entrée. Elle nous apprit qu'elle venait de rêver que sa fille lui avait dit d'aller au commissariat pour témoigner et l'aider à obtenir justice.

La mère de Yin Yaqiu avoua aux policiers qu'elle avait fait semblant d'être un fantôme pour effrayer le directeur Lu. L'idée lui était aussi venue en rêve. Ces dernières années, elle faisait souvent des cauchemars dans lesquels sa fille était jetée dans une marmite et bouillie. Dans ces rêves Yin Yaqiu pleurait et appelait sa mère, dans une terrible souffrance. Sa mère n'avait pas pu en supporter davantage. Elle s'était installée dans la ville de H et avait alors rêvé que c'était Lu Guangxi qui avait fait bouillir sa fille.

Alors elle avait postulé comme femme de ménage, pris un travail dans notre compagnie et attendu une occasion.


« Vous n'avez pas fait d'études et il n'y a pas d'experts électriciens dans votre famille. Comment avez-vous su bricoler les fils aussi efficacement ? demanda le policier qui l'interrogeait.

– C'est ma fille qui m'a montré, répondit la mère avec un léger sourire de fierté. Elle a fait de brillantes études à l'Institut de Technologie. Après ses études, elle a travaillé dans une grande société. Elle était douée en tout mais elle n'a pas eu une vie facile. C'est moi qui avais tort. Je désirais avidement une dot de nos voisins, les Wang. Je voulais qu'elle revienne se marier plutôt que de rester à la grande ville et chercher du travail. Je voulais l'argent pour mon fils pour qu'il puisse épouser sa fiancée. Mais... je n'aurais jamais cru que cela causerait la mort de ma fille ! »

Tout en parlant, elle se mit à pleurer amèrement dans le commissariat. Elle cria soudain :

« Je suis coupable ! Officiers, vous devez m'arrêter aussi ! »


J'étais si bouleversé que je ne m'étais même pas rendu compte que j'avais enfoncé mes ongles dans mes paumes. Ce fut Xiao Ning à côté de moi qui desserra mes doigts un par un puis entrelaça nos doigts.

Il ne dit pas un mot. Il attendit avec moi que les policiers nous interrogent. Mais rien que sa présence à mes côtés m'apporta de la force.

Comme la mère de Yin Yaqiu était là, la police put comparer son ADN à celui extrait des os et ainsi confirmer l'identité de Yin Yaqiu. Quand Lu Guangxi reprit connaissance, il nia ses aveux avec fermeté. Il dit qu'on lui avait injecté des hallucinogènes et que tout ce qu'il avait dit était entièrement faux.

Cependant la police ne trouva aucun trace de substance hallucinogène dans son sang.

Quand nous eûmes témoigné à notre tour, Ning Tiance et moi pûmes quitter le commissariat. S'il y avait quoi ce que ce soit de nouveau dans l'enquête, les policiers nous convoqueraient de nouveau. En attendant, ils nous demandèrent de rester en ville.

Après avoir quitté le commissariat, épuisé de ma nuit blanche et dégageant une odeur immonde, j'étais si fatigué que je m'endormis sur l'épaule de Xiao Ning à l'arrière du taxi.


À mon réveil, je découvris que Xiao Ning m'avait ramené à son hôtel. Il s'était déjà lavé tandis que j'étais allongé sur le sofa, empestant toujours.

« Désolé, je vais me laver tout de suite ! »

Je respirai l'odeur rance qui émanait de mon corps. C'était insupportable. Je fonçai dans la salle de bain pour me récurer de la tête aux pieds.

Ce ne fut qu'après le bain que je me rendis compte que je n'avais pas de vêtements de rechange.

À ce moment, Xiao Ning me fit de l'autre côté de la porte :

« Je t'ai laissé des vêtements à moi, tu pourras te changer. Les sous-vêtements sont neufs. Ils n'ont jamais servi. »

Je pointai la tête hors de la salle de bain et mis rapidement les vêtements. Xiao Ning faisait une taille de plus que moi. Le slip en particulier était plus large.

En temps normal cela m'aurait un peu excité de porter les vêtements de Xiao Ning mais je n'étais pas d'humeur, là.

Je rejoignis Xiao Ning sur le canapé. Je ne voulais pas surtout pas parler. Je voulais juste du calme.


Mais Xiao Ning engagea la conversation.

« Professeur Shen, à ton avis, comment ça se fait que Mu Huaitong et la mère de Yin Yaqiu étaient au courant pour toutes ces choses cachées ? C'est l'esprit de Yin Yaqiu qui leur en a parlé à travers leurs rêves ? »

J'y réfléchis un moment et fis :

« Le sixième sens est quelque chose d'extraordinaire. J'en ai fait l'expérience, moi aussi. »

Au collège, j'étais interne. Un soir durant l'étude, je m'étais soudain senti irrité sans savoir pourquoi. Je me pris la tête avec mon meilleur ami et me suis battu avec lui. Mon professeur me punit avec une rédaction sur mon mauvais comportement. Je devrais ensuite la lire devant toute la classe, pour me faire passer l'envie de recommencer.

En fait j'avais été moi-même surpris de mon comportement. C'était comme s'il y avait un blocage dans ma poitrine, comme si quelque chose me pesait. Si je ne hurlais pas, j'allais devenir fou.

Je n'écrivis pas cette rédaction en fin de compte parce que mon oncle et ma tante vinrent me prendre à l'internat ce soir-là. Il était plus de minuit. Ils m'emmenèrent à l'hôpital et ma tante m'annonça que mes parents étaient morts dans un accident de voiture qui avait eu lieu justement quand j'avais fait cette crise.

« Je crois qu'il existe une sorte de sixième sens qui nous relie à nos proches. C'est juste que la science ne peut pas encore l'expliquer, fis-je d'un ton morne. En fait, ce n'est pas tant le fait que la science n'a pas d'explication mais plutôt que notre compréhension de l'être humain et de l'univers n'est pas encore assez approfondie. »


Ning Tiance me regarda gentiment et demanda :

« Après une telle expérience, pourquoi tu restes toujours aussi persuadé que les fantômes n'existent pas ? Et si c'étaient l'esprit de tes parents qui étaient venus te faire leurs adieux ?

– Les morts sont morts. On ne peut ni les voir, les entendre ou les toucher. Il est impossible de leur parler à nouveau. Même si c'est difficile pour ceux qui restent, ils doivent compter sur leur propre force pour survivre à ce chagrin. Cela ne sert à rien d'espérer que ceux qui nous ont quittés vont revenir pour nous aider. Les gens ne doivent compter que sur eux-mêmes pour s'en sortir. Ils ne doivent pas s'appuyer sur des choses irréalistes. »

Je me tournai vers Xiao Ning, espérant qu'il pourrait comprendre cette vérité.

« Toutes ces histoires de fantômes, ce sont juste des gens qui refusent d’accepter que leurs proches ne sont plus et qui s'inventent des choses pour se réconforter. Je n'y crois pas. »

Xiao Ning tendit les bras pour me serrer contre lui. Il murmura :

« Je comprends ce que tu veux dire, professeur Shen. Si tu dis qu'ils n'existent pas, alors ils n'existent pas. »

Les événements de la journée avaient été particulièrement douloureux et j'étais éreinté. Même si Xiao Ning me tenait dans ses bras, je n'en conçus aucune idée. Je m'endormis simplement là.


* * *


Quand je rouvris les yeux, il faisait nuit. À cause de mon travail j'étais complètement décalé. J'étais toujours debout vers minuit, d'ordinaire. Ah, si seulement on pouvait m'appeler pour faire cours maintenant.

Quand je me levai pour prendre un verre d'eau, j'entendis Xiao Ning parler à quelqu'un à l'entrée :

« Je veux bien faire une exception et désactiver la protection pour te laisser entrer mais tu dois bien te comporter.

– Allons, avec le professeur Shen présent, de quoi as-tu peur, petit adepte Tianshi ? répliqua une voix familière dans le couloir.

– Xiao Tong ? demandai-je.

– C'est moi, professeur Shen. »

Mu Huaitong me fit un signe de la main de l'autre côté de la porte.


Xiao Ning ouvrit la porte en grand en me voyant. Mu Huaitong entra et s'assit sur le canapé. Elle avait l'air différent aujourd'hui. Elle portait même une robe blanche au lieu de sa rouge habituelle. Elle était toujours aussi belle.

« Professeur Shen, me fit-elle avec un sourire. Je vais m'en aller. Je ne pourrai plus assister à vos cours.

– Pourquoi ? demandai-je même si je me doutais de la raison.

– Je veux m'intégrer dans la société et avoir une vie normale au lieu d'aller en cours avec le professeur Shen au beau milieu de la nuit. »

Le sourire de Mu Huaitong était rempli de soulagement.

« Je ne suis plus consumée par la haine. Les hommes ne sont pas tous des salauds. C'est seulement que... je ne pouvais pas voir les choses clairement avant. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme le professeur Shen.

– Alors me voilà rassuré. »


Bien que les séparations soient toujours tristes, j'étais néanmoins heureux pour Mu Huaitong. C'était bien qu'elle puisse sortir de l'ombre désormais.

« Je pourrai toujours te contacter plus tard.

– Je ne crois pas, malheureusement. Je pars à l'étranger, fit Mu Huaitong. Sauf intervention du destin, nos chemins ne se croiseront plus dans cette vie.

- Les facs à l'étranger sont plus réputées à l'étranger. Tu as fait le bon choix. Ah, donne-moi ton adresse, je voudrais t'envoyer quelque chose. »


C'était un cadeau que je voulais faire à Mu Huaitong depuis un moment, mais je ne l'avais plus vue. C'était sans doute là ma dernière chance.

« Une adresse... Où pourrais-je bien trouver une adresse... ? »

Mu Huaitong réfléchit un moment avant de dire :

« Vous pouvez le donner à la principale Zhang. Elle pourra le brûler En Chine, on brûle des objets pour qu'ils parviennent aux morts, comme une offrande. (1)... me l'envoyer. »

Mais je n'avais pas non plus l'adresse de la principale Zhang...

Ning Tiance intervint :

« Tu peux me le donner. Je connais l'adresse de la principale Zhang. »

Je ressongeai à notre toute première rencontre, l'histoire avec M. Scie. Le professionnel invité par la principale Zhang s'était avéré être Xiao Ning. En effet... Xiao Ning n'aurait pas pu confondre M. Scie avec un fantôme, n'est-ce pas ?


Mu Huaitong nous fit ses adieux après ça. Elle devait préparer ses affaires pour partir à l'étranger et n'avait sans doute pas beaucoup de temps. Je ressentis de la mélancolie un bon moment. Je pris mon portable et passai une commande en ligne en donnant l'adresse de l'hôtel de Xiao Ning pour la livraison.

« Qu'est-ce que tu veux lui envoyer ? demanda Ning Tiance en s'asseyant tout naturellement à côté.

– Deux livres : La Constitution et Le Livre du Code Pénal, répondis-je en soupirant. Je me suis rendu compte que nos élèves ne prennent pas la loi très au sérieux, peut-être à cause de leurs troubles mentaux. Cette fois, Mu Huaitong était au bord de l'infraction. C'est très dangereux ! Je leur ai fait cours sur la vision du monde. Comment peut-on établir une bonne vision du monde si on ne comprend pas bien la loi ? Ce n'est qu'en sachant ce que l'on peut faire et ne pas faire que l'on deviendra quelqu'un d'indépendant et avec de la dignité ! De toute façon j'allais mentionner ces livres dans mon prochain cours, mais puisqu'elle a quitté l'école si brusquement, je vais les lui envoyer pour qu'elle les lise.

– … Elle t'en sera sûrement très reconnaissante.

– Mais cela fait si longtemps que je n'ai pas fait cours. Ça fait presque une semaine. Si ça continue ainsi, ils vont tout oublier de ce que je leur ai appris. »

Alors j'envoyai un message à la principale Zhang :

[Principale Zhang, vous pourriez me dire quand aura lieu le prochain cours ? J'espère pouvoir leur enseigner quelque chose de nouveau le plus tôt possible et éviter que les élèves oublient tout entre-temps. Au fait, notre école fait des examens ? Je peux organiser un petit contrôle ?]



La parole à l'auteur :

Mu Huaitong : Bon sang, je crois que dans ma prochaine vie, je pourrai réciter la Constitution par cœur ! Mon premier mot ne sera pas "Papa" ou "Maman" mais : La Constitution est la loi fondamentale de notre pays. Si tu oses envoyer un livre de loi à ta sœur, je te maudis à rester célibataire pour toujours !

Ce n'est pas que le professeur Shen n'est pas triste mais il surmonte vite sa peine.



Note de Karura : J'imagine la tête des futurs parents de Mu Huaitong quand leur bébé se mettra à parler ! 🤣

Sinon, vous avez remarqué comme Xiao Ning se montre teeeeellement plus affectueux avec le professeur Shen ?

Un contrôle pour les fantômes ? Le professeur Shen a toujours de ces idées !




Notes du chapitre :
(1) En Chine, on brûle des objets pour qu'ils parviennent aux morts, comme une offrande.






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