Lanterne 44

Chapitre 44 : Au sujet de cette “situation sans précédent”


— Au sujet de cette “situation sans précédent”.

Quatre jours auparavant, dans une gare à la frontière entre la Chine et le Népal.

Un jeune homme musclé et splendide se fraya un chemin à travers la foule pour arriver au guichet et demanda :

« Deux billets pour Lhari, sièges durs Des places en bois simple dans un train. C’est moins cher, mais moins confortable. (1). »

Le guichetier tendit paresseusement la main.

« Cartes d’identité — »

Le jeune homme sortit sa carte de son sac et l’homme y jeta un coup d’œil avant de demander :

« Et pour l’autre passager ? »

Le jeune homme resta alors silencieux. Il sortit quelques billets et les fourra dans la main du vendeur.

Il y avait plein de monde autour. Des Tibétains au corp trapu et au visage basané criaient fort, des sacs couverts de boue et de poussière étaient pressés ça et là, et des volailles étaient en train de caqueter à l’extérieur.

Le guichetier accepta le pot de vin sans un mot et lui tendit les deux billets de sièges durs après un moment.


Le jeune homme se fraya de nouveau un chemin pour sortir. Il enjamba les grands et petits sacs jonchant le sol, puis arriva dans la zone d’attente qui était petite et délabrée. Il se dirigea droit vers le fond, jeta au sol le sac qui occupait le siège et s’assit.

À côté de lui, un jeune homme vêtu d’un large sweater à capuche tourna la tête, révélant à moitié son beau visage au teint clair. Il fit avec un sourire moqueur aux lèvres :

« Merci pour tous tes efforts, petit frère. »

Le jeune homme répliqua froidement :

« Remets tes lunettes de soleil, Mahā. »

La capuche du sweater gris de Mahā recouvrait la majeure partie de son visage. On ne voyait qu’une petite partie derrière les lunettes de soleil, ainsi que son cou, dont la peau était aussi pâle qu’une sculpture de glace. Ses longs cheveux étaient retenus en queue de cheval basse et retombaient sur son épaule depuis la capuche. Ils étaient très lisses et d’un noir luisant, comme ceux d’une très belle femme.

Ses doigts fins et gracieux tapotaient l’accoudoir. Il semblait regarder nonchalamment autour mais en fait, ses yeux parcouraient les passants, jaugeant leur gabarit et leur teneur en graisses.


Garuda portait un T-shirt de sport contrefait, un manteau et un pantalon noir, ainsi que des mitaines de cuir noir. Ses cheveux courts étaient un peu hérissés vers le haut. Il arborait un profil figé et silencieux, ainsi que son corps musclé par les longues activités en montagne.

Il souleva son sac sur ses genoux et en vérifia une fois de plus le contenu.

Deux jours plus tôt, il avait retiré à la seule ‘banque’ de la montagne les biens que ses parents avaient déposés pour lui. Cela datait de la dernière fois où ils étaient venus le voir dans l’Himalaya. Ils avaient convenu d’un procédé : le jour où Garuda déciderait de quitter le Tibet, il irait dans un endroit désigné afin de retirer le contenu du coffre laissé par ses parents. Les objets et les informations à l’intérieur l’aideraient à s’intégrer plus rapidement et de manière plus pratique dans la société humaine.

Bien entendu, la société était en perpétuelle évolution, alors ses parents redéposaient de l’argent à une date fixée et pas seulement dans cette petite banque locale, mais dans plus d’une dizaine de banques différentes et de guichets le long du chemin de fer local.

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

Garuda parcourut le contenu de son sac.

Ce que lui avait laissé Zhou Hui devait dater de deux ans : il y avait une clef de voiture — mais c’était inutile car il ne savait pas conduire — une dizaine d’amulettes de protection, chacune censée valoir un prix exorbitant, — mais aucune ne pouvait se vendre au Tibet — et pour finir, un portable déchargé et sans carte SIM. Garuda pouvait presque sentir les mauvaises intentions déborder de son écran.

Au contraire, le contenu du coffre laissé par le Phénix à son fils n’avait pas changé depuis des années. Il y avait quatre-vingt mille yuan Environ dix mille euros. (2) en une liasse bien nette, des pièces d’identité et la carte du chemin de fer tibétain la plus exhaustive qu’il avait pu trouver à l’époque.

Une fois encore, la question que se posait Garuda depuis fort longtemps émergea dans son esprit : pourquoi sa mère était-elle tombée amoureuse de son père à l’époque ? Était-ce vraiment seulement parce qu’il était très beau ?


« Si gros, ah, » soupira Mahā en regardant un garçon obèse qui marchait non loin à côté de ses parents.

Garuda lui jeta aussitôt un regard d’avertissement.

« Ne fais pas de bêtise. »

Les longues jambes croisées de Mahā s’agitèrent. Ça devait lui demander énormément de patience que de rester assis au milieu de tant de nourriture. Il rétorqua froidement :

« Tu n’as pas dit ça quand j’ai dévoré ces hommes sur la montagne l’autre jour.

– Ce n’est pas pareil. C’étaient des braconniers qui chassaient les léopards des neiges.

– Où est la différence ?

– Ils chassent illégalement les léopards, qui sont des animaux rares. Même si tu ne les avais pas mangés, je les aurais…

– Pourquoi on ne peut pas chasser des animaux rares ?

– Parce que si cette espèce venait à s’éteindre — »

Garuda s’étrangla et porta une main à son front avant d’ajouter :

« Pourquoi j’essaie de te parler de ça… »

Mahā était né sans le moindre sens du bien et du mal. Ses idées et opinions étaient très différentes de celles des humains. Garuda, qui était presque devenu humain, avait l’impression de ne pas pouvoir communiquer avec son grand frère.


Le Paon avait eu l’intention de voler la divinité de l’oiseau Peng. Les deux frères s’étaient battus au sommet de la montagne pendant sept jours et sept nuits, sans qu’il n’y ait un seul vainqueur, et les deux adversaires s’étaient presque mutilés. Au final, Garuda n’avait plus eu envie de continuer, alors il en avait discuté avec Mahā. Il descendrait de la montagne pour aller voir leur père et l’attirer au loin. Mahā en profiterait pour trouver leur mère et voir si le Phénix ne pourrait pas sauver la divinité du Roi de Clarté Paon.

Étant donné que Mahā avait perdu sa divinité, il ne faisait pas le poids contre son frère en terme de puissance. Il ne pouvait compter que sur son expérience. Alors s’ils continuaient à se battre, ce serait difficile de prédire qui l’emporterait et qui serait vaincu. Il n’eut donc pas d’autre choix que d’accepter la proposition de Garuda. Ce fut ainsi que pour la première fois depuis des centaines d’années, les deux frères partirent ensemble pour un long voyage.

C’était vraiment un événement marquant dans leur relation fraternelle. Cependant, Garuda devait acheter des affaires, compter l’argent, planifier le voyage, s’occuper de la nourriture et garder constamment un œil sur son grand frère afin de l’empêcher de s’éloigner pour dévorer des gens. Les difficultés rencontrées étaient vraiment bien trop dures pour les raconter.


* * *

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

Il restait encore une demi-heure avant que la vérification des billets ne commence pour monter dans le train. Avec un air d’ennui, Mahā regarda tout autour de lui les Tibétains vêtus de manières différentes, aux visages rouges, qui criaient dans divers langages incompréhensibles et se poussaient les uns les autres. Il demanda subitement :

« Cet endroit est tellement minable, pourquoi tu as voulu rester cultiver ici ?

– J’ai l’habitude, répondit Garuda.

– L’habitude ? »

Le jeune homme resta un moment sans rien dire, jouant avec le portable sans batterie. Il reprit après un certain temps :

« Quand tu as été avaler le Bouddha, je le savais, mais je n’ai rien fait pour t’en empêcher. Après, tu as été puni par les dieux et moi, j’ai été emmené dans les vastes plaines neigeuses du Tibet par le Vénérable Bhaddiya et emprisonné pendant cent ans. Il m’a dit que c’était une punition pour m’endurcir et comprendre le bouddhisme… Je pense à présent que c’était pour me protéger. Après tout, personne ne savait si le châtiment céleste n’allait pas me frapper moi aussi.

– Mais ces cent ans se sont écoulés depuis longtemps, souligna Mahā.

– Je suis quand même resté dans l’Himalaya, me déplaçant sur les glaciers en restant au-dessus de la limite des neiges. Je ne veux pas descendre de la montagne parce que j’ai pris l’habitude d’y vivre. »


Garuda marqua une pause avant d’ajouter :

« De plus, je travaille comme guide et ma vie n’est pas si mal que ça. Bien que je ne sois pas un véritable dieu, j’ai reçu de l’encens des mortels, alors je dois trouver le moyen de rembourser ces mérites. Sauver de temps en temps des alpinistes dans la montagne, c’est une bonne action. »

Mahā se rappela soudain qu’il avait reçu bien plus d’encens que son petit frère. En tant que véritable Roi de Clarté Paon, il devait donc rembourser bien plus de mérites que l’oiseau Peng, mais il n’avait encore rien fait. Quand allait-il rembourser ces mérites ?

« Mère rembourse les mérites très rapidement. Il faut dire que travailler pour le monde des humains, c’est le moyen le plus rapide. En plus, père l’aide à rembourser. D’ici trois à cinq ans, la dette d’encens accumulée depuis ces derniers milliers d’années sera complètement remboursée. »

Garuda se tourna alors vers son grand frère et demanda :

« Et toi, tu comptes faire comment ? »

Mahā en resta stupéfait un moment, puis recouvrit son visage de la capuche.

« — Oublie ça. »

Mais oublier n’était clairement pas une solution.


Tout être céleste ayant reçu de l’encens de la part de ses croyants devait rembourser les mérites dans le monde des humains de manière appropriée. En tant qu’antique oiseau divin, le Phénix n’avait pas de temple à proprement parler pour qu’on lui brûle de l’encens mais après tout, il avait vécu très longtemps. Il avait donc accumulé une assez énorme quantité d’encens et de vénération du monde des humains depuis des dizaines de millions d’années. Travailler pour une institution nationale était le moyen pour lui de rembourser rapidement ces mérites à grande échelle. Au contraire, Garuda était relativement jeune et ce n’était pas un véritable dieu, alors il n’avait en fait pas grand-chose à rembourser. Servir de guide sur le mont Everest, un haut lieu du bouddhisme, pouvait être considéré comme un moyen de cultiver et de rembourser les mérites en même temps.

Le Roi de Clarté Paon était pour sa part l’un des véritable Rois de Clarté et il possédait un très grand nombre de croyants, avec de l’encens qui brûlait en grande quantité. Pour autant, il ne s’était jamais soucié que de dévorer le Bouddha et manger des gens, sans jamais songer à rembourser ses mérites.

S’il ne retrouvait pas sa divinité et que sa dette devenait trop grande, qui savait en quoi il se réincarnerait ensuite ? — S’il devenait un animal domestique comme un cochon ou un chien, ce serait assurément très ironique.

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

« Tu voudrais que je… »

Garuda voulait demander à Mahā s’il souhaitait qu’il l’aide à rembourser ses mérites, puis Mahā lui rendrait la pareille ensuite, mais il s’arrêta subitement de parler.

Il tourna la tête et vit un groupe sortir des portes de la petite gare délabrée.

Ces gens étaient clairement un homme et ses subordonnés. Le chef marchait en tête. C’était un Chinois Han dans la trentaine, très grand, portant un coupe-vent noir et des chaussures en cuir noir. Sa façon de se mouvoir était très inhabituelle, il ressortait comme une grue au milieu des poulets dans cette gare tibétaine bien bruyante.

Chacun des trois subordonnés portait un grand sac à dos, rempli de Dieu sait quoi. Bien que ça semblait très lourd, ces gens se tenaient tous bien droit, comme s’ils avaient été spécialement entraînés.

Les yeux de Garuda se posèrent sur les sacs et il sentit l’odeur de la poudre et des explosifs.

Des armes et des explosifs ?

Quel genre de bandit prenait le train en faisant passer des armes en douce ?


« — Je suis bien trop fainéant pour les rembourser, alors occupons-nous d’abord de récupérer ma divinité, » fit Mahā d’un ton indolent.

Garuda l’ignora pour continuer à fixer ces gens avec vigilance.

Le chef vêtu du coupe-vent noir arriva dans la salle d’attente et s’arrêta à l’entrée. Il parcourut la foule du regard et ne trouva pas de place. Puis son regard croisa par hasard celui de Garuda.

Après un bref instant, Garuda baissa calmement les yeux et continua à triturer le vieux portable.

Le chef le fixa un moment, puis tourna la tête pour regarder Mahā à côté de lui.

Mahā avait été admiré depuis tout petit, alors il avait l’habitude des regards et ne les remarquait même plus. Mais ce chef en coupe-vent noir avait une forte présence. Après quelques secondes, Mahā tourna finalement la tête, dévoilant à moitié son visage, et lui renvoya son regard de manière inexpressive sous ses lunettes de soleil.


Il regarda cet homme de la tête aux pieds, puis se lécha les lèvres.

— Quelle que soit la manière dont on regardait ça, cette action était très séduisante. Une lueur de surprise parcourut subitement les yeux du chef.

Cependant, il ignorait qu’après s’être léché les lèvres, Mahā se tourna vers son petit frère, les yeux remplis de désir ardent, et qu’il murmura doucement trois mots :

« J’ai faim.

– … »

Garuda porta une main à son front et fit faiblement après un long moment :

« Je t’achèterai de quoi manger une fois dans le train, okay ? »


* * *

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

Le train arriva enfin, quoiqu’en retard. Garuda fit la queue pour présenter son billet et monter à bord. Il porta son sac, suivi par Mahā qui avait les mains vides. Il trouva un compartiment dans le couloir bondé, referma la porte derrière eux et poussa enfin un soupir de soulagement.

Malheureusement, il n’eut même pas le temps de respirer après ça.

La porte du compartiment s’ouvrit de nouveau et le chef en coupe-vent noir entra avec élégance, son billet à la main, suivi par un de ses subordonnés qui portait un lourd sac.

« Hé. »

Le chef sembla un peu surpris de les voir, puis il partit d’un rire joyeux.

« — Des Han ? Vous êtes venus faire du tourisme ? Bonjour à vous deux, ah ! »

Il parlait avec un authentique accent du Nord-Est de la Chine, ce qui était très rare dans les régions tibétaines. Cependant, Mahā s’assit autour de la table avec les mains dans les poches, la capuche rabaissée et les yeux fermés. Garuda rangea son sac et s’assit en silence, sans lui adresser un mot du début à la fin. Tous les deux ignoraient complètement l’existence de l’autre homme en coupe-vent noir.


Ce dernier ne fut pas du tout gêné. Il sourit et demanda à son subordonné de ranger son sac. Puis il sortit des œufs au thé noir Des œufs durs cuits dans du thé noir et dont la coquille a été fendue par endroits. Ça fait de jolies marbrures sur le blanc d’œuf quand on l’épluche. (3), des nouilles instantanées, de la saucisse rouge et du chocolat. Il tendit une bouteille d’eau à Mahā en appelant :

« Mademoiselle ? »

Garuda : « … »

Mahā ne pensait même pas que c’était lui qu’on appelait ainsi, alors il n’ouvrit pas les yeux.

L’homme insista :

« Mademoiselle ? Vous voulez de l’eau, mademoiselle ? »

Garuda tendit le bras par-dessus la table pour prendre la bouteille et la jeter gentiment dans les bras du chef.

« Merci, nous n’en avons pas besoin. »

Au moment où il se déplaça, ses jointures saillirent, ses biceps ressortirent et ses yeux étaient calmes, mais acérés. Son regard était comme un vent glacé qui soufflait au visage des gens.


Le chef se figea, puis il récupéra la bouteille et la posa sur la table. Il fit avec un sourire :

« Peu importe, nous sommes tous amis une fois à l’étranger. “Je vous conseille de boire un dernier verre avec moi, vous ne trouverez plus d’ami si cher une fois passé à l’ouest de Yangguan” Extrait d’un poème de Wang Wei, Adieu à Yuan Er en mission à Anxi. L’ouest de Yangguan (ancienne porte de la route de la soie) est très aride et désert. (4) — Ah, cette vaste frontière magnifique ! Est-ce que ça ne donne pas envie de boire de bon cœur ? »

Après ça, il ouvrit la bouteille et prit une grosse gorgée.

Garuda : « … »

Le train siffla, chargé de passagers, et se mit lentement en marche sur les rails du plateau tibétain.

Le quai de la gare disparut lentement derrière eux et le paysage par la fenêtre devint rapidement une vaste plaine à l’herbe ondulante.

« Mon nom est Wu, vous pouvez m’appelez frère Wu ou Vieux Wu. »

Le chef se fit un bol de nouilles instantanées et demanda tout en épluchant un œuf dur :

« Où est-ce que vous allez tous les deux ? Vous vous rendez sur le mont Everest pour tenter l’ascension ? »

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

Garuda continua de jouer avec son vieux portable sans dire un mot, semblant ne pas prêter attention à ce qui se passait autour.

Le chef l’observa un moment, puis il fut frappé par une idée. Il sortit un chargeur de son sac et proposa :

«  Petit frère Une manière amicale de s’adresser à quelqu’un de plus jeune. (5), tu n’aurais pas besoin de ça ? »

Garuda : « … »

« Branche-le sur ton portable, oui, comme ça, puis branche-le à la prise… Il va falloir trois ou quatre heures pour complètement le charger, mais tu pourras ensuite te servir de ton portable… »

Avec enthousiasme, le chef Wu apprit pas à pas à Garuda comment charger son portable. Puis il l’examina de la tête aux pieds, notant les vêtements usés et démodés. Il fit avec un sourire :

« Il y a tellement de choses nouvelles dans le monde, tu pourras les découvrir à ton rythme. Où est-ce que vous allez tous les deux ? À Lhassa ?

– Merci, fit laconiquement Garuda avant de se décider à répondre : Nous allons à Lhari.

– Ooh — Pourquoi vous allez là-bas, pour une correspondance ?

– En.

– Et vous allez où ensuite ? Lhassa ? Xining ? Sichuan ?

– … Au Sichuan.

– Le Sichuan est un endroit génial ! »


Le chef s’anima aussitôt, semblant très enthousiaste et faisant avec émotion :

« Je suis allé à Chengdu quand j’étais petit — Le bassin du Sichuan ! La terre d’abondance ! Le système d’irrigation du Dujiangyan, le temple mémorial de Wuhou ! Dans la vieille rue piétonne de Jinli dans l’après-midi, les gens chaleureux, simples et honnêtes, et les femmes au tempérament de feu ! — Qu’est-ce que vous allez faire au Sichuan ?

– Prendre une correspondance.

– … »

Le chef continua à demander :

« Pour aller où ?

– À Gansu, répondit Garuda avec nonchalance.

– Oooh — Gansu ! Le corridor du Hexi, la Route de la Soie ! »

L’homme en coupe-vent noir s’anima aussitôt de nouveau et leva son gros poing en l’air :

« — La Grande Muraille de la dynastie Ming, la Passe de Jiayuguan ! Les Grottes de Mogao, les statues de divinités volantes ! Mon rêve depuis toujours, c’est de renoncer aux biens matériels et aux choses de ce monde pour arpenter le désert, couvert d’une longue tunique de moine, réciter les sutras et vivre dans l’une des grottes sacrées de Mogao où sont gravés les saints écrits. Je contemplerai l’immensité de l’Histoire et ses tourments, et je suivrai les embruns du long fleuve du temps ! En pleine méditation ! En pleine dialectique ! Ne pas cesser de pratiquer l’introspection et de se purifier ! Atteindre la transcendance et la sublimation de sa conscience ! »


Le chef posa alors son bol de nouilles et fit avec émotion :

« Petit frère, pourquoi on n’irait pas ensemble à Dunhuang pour méditer et prier ?

– Ce n’est pas possible, répondit Garuda, nous allons à Gansu pour prendre un autre train.

– … »

Le chef se décida alors à demander pour la dernière fois :

« … Où vous allez au bout du compte ? »

Garuda se radossa contre la banquette et croisa les bras. Les muscles robustes de ses bras saillirent sous les mitaines.

Il contempla le visage abattu de l’autre homme en face, puis répondit après un moment avec un brin d’intérêt :

« Beijing. »

Il attendit que le chef présente avec enthousiasme la Grande Muraille sous le clair de Lune, la majesté de la Cité Interdite qui dominait la capitale et qu’il en profite pour parler du coût de la vie actuel à Beijing, du prix des transports et du problème de trouver un logement. Contre toute attente, l’homme en coupe-vent noir se contenta de le regarder sans rien dire, avec un air indescriptible.

Après un très long moment, il demanda :

« — Pourquoi vous faites la moitié du tour de la Chine pour vous rendre dans un endroit où le taux de particules fines dépasse les 90 au moins trois cents jours dans l’année ? »

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

* * *


Le train brun siffla à travers la plaine. Dans le couloir longeant le compartiment, un employé poussait le chariot-repas de long en large, criant fort en tibétain.

Garuda regarda l’homme en coupe-vent noir, puis son subordonné, et enfin son regard dériva vers le sac bien rempli qu’ils avaient posé dans un coin du compartiment.

« Où est-ce que vous allez, vous ? » demanda-t’il avec intérêt.

Le subordonné gigota, semblant nerveux, mais le chef soupira et répondit :

« Je vais à Beijing moi aussi — Hé, la vie est si dure, ah ! En tant que patron, je dois subvenir aux besoins de mes subordonnés, gérer mon petit commerce et courir du Nord-Est au Népal pour acheter des biens… »

Garuda commenta d’un ton léger :

« En tant que simple patron, vous êtes très cultivé, non ?

– Pas du tout, pas du tout ! Petit frère, tu es bien trop aimable ! »

L’homme regarda par la fenêtre et son regard prit subitement une teinte triste.

« En fait, je n’avais pas l’intention de devenir un patron au départ. Mon rêve, c’est d’écrire de la poésie et de découvrir des horizons lointains. Le périple d’un voyageur ne connaît pas de frontière… »


Il prit en silence la saucisse rouge et défit l’emballage. Il la pressa dans son bol et découpa plusieurs morceaux avec sa fourchette.

L’instant d’après, Mahā retira subitement ses lunettes de soleil et fixa la saucisse d’un air acéré.

« … »

Un grand silence s’abattit sur le compartiment alors que tout le monde restait sans voix devant le visage éblouissant de cette beauté qui était apparu sans crier gare.

Le patron ouvrit la bouche, mais ne put émettre le moindre son. Le regard de son subordonné se figea aussitôt.

Mahā se tourna tranquillement vers son petit frère pour lui rappeler :

« Tu n’avais pas dit que tu m’achèterais à manger ? »

Garuda se leva et sortit, le visage inexpressif. Il n’avait pas fait deux pas qu’il entendit la voix excitée du patron derrière lui :

« Allez, allez, allez… Mademoiselle, c’est un honneur pour cette humble saucisse d’avoir attiré votre attention. Si vous voulez bien… »


Mahā tendit la main pour prendre la saucisse. Il mit plusieurs morceaux dans sa bouche et les avala sans mâcher, comme s’il mangeait des bonbons. Il plissa les yeux de mécontentement, puis toisa l’homme en face de lui.

Il s’agissait en fait de sa nourriture favorite — Contrairement aux bêtes démoniaques qui préféraient manger des femmes et des enfants, il aimait plus une texture plus robuste et moins de viande tendre. Si en plus, sa proie possédait un peu de pouvoir spirituel, c’était encore plus délicieux.

Et il pouvait voir que cet homme avait effectivement un peu de pouvoir en lui. S’il pouvait utiliser ses flammes et le griller jusqu’à ce qu’il soit légèrement cuit…

« Bonjour, mademoiselle, puis-je vous demander votre nom ? »

Un peu pris au dépourvu devant le regard féroce de Mahā, le patron s’inclina tout de même gracieusement et fit avec adresse et aisance :

« Enchanté, je m’appelle Wu, j’ai trente-trois ans et je tiens un petit commerce dans le Nord-Est. J’ai environ soixante-dix à quatre-vingt employés et la fortune de ma famille s’élève à quelques millions, ce qui n’est pas grand-chose… »

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

Mahā ne l’écoutait pas.

Le grésillement d’un steak dans l’assiette n’avait que peu d’importance pour celui qui allait le dévorer.

Il tendit la main, ses cinq doigts pâles et gracieux, comme un amant réservé, et baissa les yeux vers le torse de l’homme en coupe-vent noir.

Clac ! L’instant d’après, Garuda saisit sa main en plein air.

La voix du patron mourut subitement alors que Mahā et Garuda se regardaient. Les yeux du premier luisaient d’une lueur étrange, tandis que le visage du second était ferme et inébranlable. Garuda fit simplement :

« Non. »

Mahā rétrécit les yeux d’un air menaçant.

Garuda ignora sa provocation et continua à lui retenir le poignet. Il se tourna vers le patron et fit d’une voix grave :

« M. Wu, je ne vous ai pas encore demandé votre prénom.

– Oh, réagit le patron d’un air perplexe. Je m’appelle Wu Bei. Petit frère, qu’est-ce que tu…

– M. Wu Bei, le coupa Garuda, veuillez changer tout de suite de wagon ou bien carrément descendre au prochain arrêt. Ne me demandez pas pourquoi. Si vous ne quittez pas ce train, vous risquez de ne pas pouvoir en descendre vivant. Ce serait très problématique pour moi si ça devait se produire dans un train bondé. »


Wu Bei : « … »

Il cligna des yeux, perdu, et après un moment, il demanda avec hésitation :

« Je peux te demander pourquoi tu… »

BAM !

Le wagon s’ébranla soudain et des cris s’élevèrent d’un peu partout !

Les quatre passagers du compartiment se tournèrent en même temps vers la porte. Ils virent quelqu’un qui courait en hurlant dans le couloir, puis qui se fit abattre dans le dos avec un pan ! Du sang éclaboussa les vitres anciennes et crasseuses. L’instant d’après, des pas lourds se firent entendre à l’autre bout du couloir et quelqu’un rugit quelque chose en tibétain. Plusieurs cris s’élevèrent l’un après l’autre, mais furent réduits au silence par plusieurs coups de feu assourdissants.

« Par là ! Il y a encore des gens là-bas ! »

Les pas se rapprochèrent, puis un lama en tunique orange enfonça la porte du compartiment d’un coup de pied. Il pointa un fusil sur Garuda, Mahā et les deux autres à l’intérieur, puis il cria fort dans sa langue, leur faisant signe de sortir.


Le regard de Wu Bei tomba sur le foulard autour du cou du moine et il inspira brusquement :

« Le drapeau du Lion des Neiges Je n’ai rien trouvé là-dessus, mais je pense qu’il s’agit d’un groupe qui lutte pour l’indépendance du Tibet. Ce drapeau est le drapeau historique du Tibet, mais il a été interdit par la Chine depuis 1959. (6)… »

Il se leva subitement, puis se tourna vers le jeune homme et la jeune femme en face de lui d’un air abattu. Au moment où il allait leur conseiller rapidement de sortir, il fut choqué de voir la jeune femme qui s’était levée et contemplait fixement le lama avec une excitation indescriptible et un air malfaisant sur son splendide visage.

Le jeune homme se tint devant elle et fit d’un ton furieux :

« Arrête, Mahā ! Je vais t’acheter à manger tout de suite ! »


Note de Karura : C’est amusant de voir les deux frères coopérer tant bien que mal… Enfin, c’est surtout Garuda qui doit sans cesse surveiller son grand frère pour qu’il ne dévore personne !



Notes du chapitre :
(1) Des places en bois simple dans un train. C’est moins cher, mais moins confortable.
(2) Environ dix mille euros.
(3) Des œufs durs cuits dans du thé noir et dont la coquille a été fendue par endroits. Ça fait de jolies marbrures sur le blanc d’œuf quand on l’épluche.
(4) Extrait d’un poème de Wang Wei, Adieu à Yuan Er en mission à Anxi. L’ouest de Yangguan (ancienne porte de la route de la soie) est très aride et désert.
(5) Une manière amicale de s’adresser à quelqu’un de plus jeune.
(6) Je n’ai rien trouvé là-dessus, mais je pense qu’il s’agit d’un groupe qui lutte pour l’indépendance du Tibet. Ce drapeau est le drapeau historique du Tibet, mais il a été interdit par la Chine depuis 1959.






Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
La Renaissance du Suprême Immortel 447 et 448
Lanterne 52
La Renaissance du Suprême Immortel 445 et 446

Planning des mises à jour :
Dimanche tous les quinze jours : Lanterne : le reflet d’une fleur de pêcher
La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire