Le Prince Solitaire 7 03

Chapitre Trois : Un ami (1)


Kurojū, septième mois de l'an 2456


Haruni rejoignit son père et son frère qui prenaient le thé dans l'étude de l'Empereur. La discussion porta forcément sur le plan pour Dekita.

« Comment t'est venue une idée pareille ?! » s'ébahit Tomuki.

Haruni nota que la paternité du plan lui revenait tout à coup. Il se renfrogna en songeant à Gugonjū, le responsable de tout ça.

« J'y ai réfléchi avec le Très Saint Amonji et le saint Gugonjū, expliqua-t'il.

Au lieu de te consacrer à ta retraite spirituelle, » releva leur père d'un ton mécontent.

L'adolescent le fixa de ses yeux dorés.

« Je vous l'ai dit la dernière fois, Père : l'un n'empêche pas l'autre.

Alors quels enseignements as-tu tirés de ta retraite spirituelle ?

Vous ne me trouvez pas plus réfléchi et serein ? » s'enquit Haruni très sérieusement.


Tomuki en resta bouche bée, avant d'étouffer un rire. Son frère avait changé, c'était indéniable. Pour autant, il restait encore de nombreux points à améliorer, surtout en ce qui concernait ses compétences sociales.

« Tu as dit que tu comptais te faire des amis, lui rappela-t'il.

Cela ne fait que deux jours que je suis revenu, soupira Haruni.

C'est pourtant facile de se faire des amis ! Rien que ce matin, avec Seiryū, tu aurais pu…

Je préfère choisir mes amis, » le coupa son frère en se rembrunissant à la mention du Firal.

Tomuki soupira, plaignant Seiryū de tout son cœur.


« À ton âge, reprit Tegami, les amitiés se nouent facilement, alors ne cherche pas d'excuses ! »

Haruni plissa le front. Ce n'était pas qu'il se cherchait des excuses, c'était juste que les jeunes de la Cour ne l'intéressaient pas. Malgré ça, il prit sur lui et affirma :

« Très bien, très bien, laissez-moi jusqu'à la fin de l'année pour me faire un ami au palais. »

Tegami et Tomuki eurent la même pensée :

« Un seul ami ? »

Cela dit, peut-être qu'une fois le pas franchi, Haruni s'ouvrirait plus aux autres ? Ils l'espéraient en tout cas.

« Entendu, » accepta Tegami.

La tâche n'était pas aussi simple pour Haruni, néanmoins il ferait tout pour tenir sa promesse.


~*~


De son côté, Seiryū avait bien du mal à convaincre son père de voter en faveur du plan du Second Prince.

« Cette idée ne me plaît pas, répliqua fermement le général aux cheveux d'automne.

Vous étiez pourtant sensible à l'idée de minimiser les pertes civiles, Père, » lui rappela Seiryū.

Ils se trouvaient dans les appartements du général devant une tasse de thé. Kenryū avait voulu prendre le temps de réfléchir calmement aux avantages et inconvénients de ce plan, cependant son fils le harcelait pour qu'il l'accepte.

« Pourquoi tu insistes autant, Seiryū ? lui demanda-t'il directement.

Parce que… »

Le jeune homme prit un air bien embêté : il ne pouvait pas dire que c'était pour rendre service au Second Prince.

« … Cela me semble être la meilleure manière d'en finir avec Tadeoru, » compléta-t'il un peu maladroitement.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Son père le fixa un moment avant de soupirer.

« Ça ne me surprend guère que tu soutiennes ce plan.

Ah ? s'inquiéta Seiryū.

Oui, ce genre de stratégie aurait très bien pu être imaginée par le général Yama. Alors forcément, tu ne peux qu'approuver. »

Le Firal dut reconnaître que son père avait raison : cette originalité et cette brillante stratégie auraient pu tout aussi bien être signées Yama. Se pouvait-il que le Second Prince avait une manière de penser similaire au défunt Vite ?

« Il s'est fâché lorsque le ministre Kimora a critiqué Yama, se souvint-il. Si ça se trouve, Haruni est aussi un admirateur de Yama ! »

Voila qui leur faisait encore quelque chose en commun ! Cependant, l'heure n'était guère aux réjouissances. Seiryū devait convaincre son père à tout prix, autrement il perdrait sa crédibilité auprès du Second Prince — déjà qu'il n'en avait pas beaucoup…


« Alors vous devriez approuver aussi, déclara-t'il franchement. Vous savez que Yama était un excellent stratège.

Sauf que c'est le Bâtard Hikari qui a conçu ce plan. Cela cache forcément quelque chose ! »

Seiryū fronça les sourcils. Il y avait encore un an, il aurait pensé comme son père. Désormais, il savait que Haruni n'avait aucune mauvaise intention, bien au contraire.

« Il n'y a pas réfléchi seul, argua-t'il. Le Très Saint Amonji l'a sûrement conseillé, ainsi que le saint Gugonjū.

Hmm… Le saint Gugonjū a servi sous les ordres du général Yama, voilà qui explique la ressemblance dans la stratégie.

Sûrement ! réalisa aussi Seiryū. C'est bien la preuve que la prêtrise a pris une grande part dans la réalisation de ce plan ! »


Kenryū soupira et réfléchit un moment.

« Si la prêtrise commence à se mêler de stratégie militaire, cela veut dire que ce monde est devenu bien étrange. »

En tant que militaire, il estimait que chacun avait sa fonction. Pour sa part, il ne lui viendrait jamais à l'esprit de se mêler de religion !

« Peu importe qu'il vienne des prêtres, insista son fils. C'est un bon plan. »

Kenryū fixa son aîné, puis finit par acquiescer. Seiryū écarquilla les yeux, retenant un cri de joie : il avait réussi ! Avec ça, Haruni allait forcément comprendre qu'il n'avait que de bonnes intentions.


~*~


Le Conseil restreint se réunit en fin de matinée, car le banquet de la veille en l'honneur du retour du Second Prince et de son anniversaire avait duré longtemps. Seiryū n'avait même pas pu se lever aux aurores pour tenter de parler à Haruni lors de son entraînement. Du coup, il préféra lui laisser la bonne surprise. Le seigneur Hatochi annonça le vote et le résultat fut… trois voix sur les cinq conseillers : Gugonjū, Kenryū et Kimora. Hatochi et Netsuma échangèrent un regard dépité, mais telles étaient les règles du Conseil.

« La stratégie du saint Gugonjū et du Second Prince est adoptée, » annonça Hatochi d'un ton de déception.

Haruni fut surpris qu'un projet qui portait son nom soit ainsi accepté. Il croisa le regard de Gugonjū et comprit que le prêtre avait agi dans ce but. L'adolescent masqua son irritation : que lui importait la reconnaissance, du moment que Dekita était sauvé ?

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Ensuite lorsque le prêtre entra dans les détails du plan, il n'hésita pas à solliciter l'avis de Haruni. Les autres conseillers ne le rabrouèrent pas comme les autres fois en lui reprochant son jeune âge ou son mauvais caractère. Le temps de cette réunion, Haruni eut ainsi l'impression d'être redevenu lui-même et il se détendit visiblement. Tout cela n'échappa pas à Seiryū qui s'en réjouit. Il espérait qu'ainsi, l'adolescent se montrerait plus amical avec lui. À la fin de la réunion, ce fut donc avec le sourire qu'il rejoignit Gugonjū et Haruni qui étaient restés en arrière pour discuter d'une ou deux améliorations suggérées par Kenryū. Le prêtre inclina la tête dans sa direction.

« Firal Seiryū, nous vous sommes reconnaissants pour votre aide.

Ce n'est rien, Saint Gugonjū, » répondit-il.

Ses yeux se posèrent sur Haruni, espérant la même réaction de sa part…

« La voix du ministre Kimora et celle de mon père auraient suffi. »

Seiryū se crispa. Le Second Prince restait fidèle à lui-même.

« Votre Altesse, fit le prêtre d'un ton de reproche.

Saint Gugonjū, » répondit ce dernier en levant les yeux sur lui.

Gugonjū ne put qu'adresser un sourire désolé au Firal.


~*~


Kuji faisait naturellement partie de la délégation de prêtres qui résidaient au palais, bien qu'il n'était que moine. Il était venu pour continuer les soins du Second Prince mais même sans cette raison, il aurait tout fait pour suivre l'adolescent. Cependant, lui qui était déjà considéré comme bizarre chez les prêtres le fut encore plus à la Cour. La première fois qu'il alla chercher le Second Prince à la bibliothèque pour ses soins quotidiens, il eut affaire au groupe d'amis du Premier Prince.

« Je n'ai encore jamais vu un prêtre aussi jeune ! s'étonna Hamoto.

Ah… je ne suis que moine, rectifia humblement Kuji en s'inclinant.

Les moines, ce sont un peu comme les servants des prêtres, non ? » renchérit Kenshirō.


Le moine hésita devant cette remarque saugrenue, mais il aurait été mal vu de contredire un noble.

« Ou-oui, répondit-il en bafouillant un peu.

Alors va attendre avec les autres servants ! »

Ses yeux noisette écarquillés, le moine obéit sans un mot. Les deux jeunes hommes échangèrent des sourires amusés dans son dos.

« Kuji, héla Haruni d'un ton excédé, ce n'est pas la peine. Nous y allons.

Oui, votre Altesse ! »

En voyant le moine arborer une expression empressée quand il suivit l'adolescent, Hamoto et Kenshirō pouffèrent de rire.

« On dirait vraiment un petit chien, » se moqua Kenshirō.


La seconde fois, Kuji se fit interroger en détail sur son sujet favori : le Second Prince.

« Son Altesse possède toute la noblesse et la majesté d'un descendant des Dieux ! s'écria-t'il avec admiration.

Le Premier Prince est lui aussi le descendant des Dieux, rappela Shitaro.

C'est vrai, mais je le connais moins bien que le Second Prince, se rattrapa le moine.

Oui, il paraît que c'est toi qui t'es occupé de lui pendant des années. »

Allez savoir comment Kenshirō avait appris ça.


« J'ai pris soin de son corps pendant son long sommeil, raconta-t'il. Tous les jours, je l'ai nourri, baigné, changé…

Kuji, qu'est-ce que je t'ai dit à ce sujet ? » le coupa le concerné.

Le moine s'interrompit, bouche ouverte, avant de prendre un air penaud.

« Pardonnez-moi, votre Altesse. »

Mais il était déjà trop tard : Hamoto retint un rire incrédule et il n'était pas le seul. L'image de ce fier prince traité comme un bébé était trop amusante. Kenshirō lança un regard de triomphe à Seiryū, dont le visage s'était renfrogné.


La troisième fois…

« Tiens, le petit moine n'est pas là aujourd'hui ? s'enquit Kenshirō d'un ton presque déçu.

Je lui ai dit d'attendre devant le pavillon, expliqua Haruni entre ses dents.

C'est un drôle de personnage, quand même, nota Shitaro.

Il a ses qualités. »

Tomuki, qui avait assisté à tout cela sans rien dire, ne put que constater après le départ de son frère :

« Vous êtes trop bêtes. »

Cela fit rire ses amis.

« Allons, Tomuki, on ne fait que s'amuser un peu ! se justifia Hamoto. C'est rare de voir de nouvelles têtes au palais.

Et sa tête est bien visible, surtout son crâne, pouffa Kenshirō.

Kenshirō, respecte les prêtres, voyons ! » s'indigna Seiryū.

Depuis l'événement dont il avait été témoin à la caserne de Tomako, il ne pouvait plus nier l'existence des Dieux, ainsi que leur puissance.

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Cependant, ses amis n'en étaient pas au même point.

« C'est un moine, pas un prêtre, ergota Kenshirō. Et puis franchement, à quoi ça rime de se raser le crâne pour servir les Dieux ?

Cela dit, intervint Shitaro, cela doit plaire au Second Prince puisqu'il a passé des mois dans un temple.

Quoi, tu crois que lui et Kuji… ? » commença Hamoto d'un ton faussement scandalisé.

Kenshirō poursuivit avec un sourire goguenard :

« Pourquoi pas ? Après tout, Kuji connaît si bien le corps de son Altesse… »

Tomuki et Seiryū s'indignèrent en même temps :

« Ne racontez pas n'importe quoi !

Vous n'avez pas honte d'imaginer des choses pareilles ?! »

Leurs amis éclatèrent bêtement de rire.


~*~


Haruni profitait de la tranquillité d'une promenade à cheval lorsqu'il entendit quelqu'un l'appeler derrière :

« Votre Altesse ! Votre Altesse ! »

Il se retourna et vit un jeune noble le rejoindre sur sa monture. Il le reconnut sans hésiter :

« Fieur Manaru.

Vous vous souvenez de moi ! »

Manaru avait été son premier adversaire au Tournoi Impérial. À l'époque, par nervosité, le jeune garçon avait trébuché dès son attaque d'ouverture. Haruni avait demandé à ce qu'ils reprennent le duel à zéro. Visiblement, le Fieur n'avait pas oublié ce geste, bien qu'ils n'avaient plus vraiment eu l'occasion de discuter ensuite.

« Vous ne devriez pas être à l'entraînement avec les autres ? » s'enquit Haruni.

Comme c'était le seul cours qu'il ne suivait pas, il en avait profité pour sortir avec Yaji.


Manaru se gratta le nez, l'air un peu embarrassé.

« J'ai demandé à un ami de dire à maître Midarō que je ne me sentais pas bien. Ne me dénoncez pas à maître Midarō, s'il vous plaît !

Comme je ne lui parle pas, cela ne risque pas, » répondit sérieusement l'adolescent.

Le Fieur crut à un trait d'humour et eut un léger rire.

« En fait, je souhaitais discuter un peu avec vous, votre Altesse, reconnut-il.

De quoi voulez-vous me parler ?

De tout et de rien, » fit Manaru en faisant avancer sa monture au trot léger.

Ce n'était pas une réponse. Haruni plissa le front avant de suivre l'autre adolescent.


Manaru avait deux ans de moins que lui et il avait fait partie de son groupe d'étude. Son père, le seigneur Tahiru, appartenait au Conseil, alors Manaru avait pu poursuivre ses études à Kurojū même après le départ du Second Prince pour sa retraite spirituelle. Ce fut d'ailleurs le premier sujet qu'aborda le Fieur :

« Il ne reste plus grand monde de notre groupe : Kōchino, Fujiri et Madechi. Vous vous souvenez d'eux ?

Oui. »

Bien qu'il n'avait eu que peu d'interactions avec eux, il se rappelait de leurs noms et leurs visages.

« Nous suivons les cours avec les plus âgés. Vous avez remarqué comme ils étaient bêtes ? Franchement, est-ce qu'on va devenir comme eux en grandissant ?

Pourquoi on deviendrait comme eux ? s'étonna Haruni.

Vous avez raison, approuva vigoureusement l'autre adolescent. Ah, je ne parlais pas de votre frère, bien entendu ! Je ne me permettrais jamais de critiquer le Premier Prince ! »

L'idée n'avait pas effleuré Haruni et il ne dit rien.


Manaru ne s'offusqua pas de ses réponses brèves et il continua la conversation.

« Au fait, j'ai fait de gros progrès au sabre depuis le tournoi. J'aimerais beaucoup me battre à nouveau en duel contre vous, votre Altesse. Qu'en dites-vous ? »

Haruni s'assombrit. Les séquelles de sa blessure au bras étaient toujours aussi vives. Néanmoins, en se souvenant du niveau de Manaru, il se dit que cela ne devrait pas poser de problème.

« À condition que cela se fasse le matin à l'aube, quand il n'y a personne, » accepta-t'il.

Cela lui valut un regard surpris.

« Pourquoi à l'aube ?

Maître Midarō ne me laisse pas approcher du terrain d'entraînement le reste du temps. »

Manaru se souvint du jour où le maître d'armes avait exclu le Second Prince de ses cours.

« Mais vous êtes le Second Prince ! s'écria-t'il. Le palais vous appartient et maître Midarō est à votre service ! »

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Cette fois, ce fut Haruni qui lui lança un regard surpris.

« Je ne vois pas les choses sous cette angle. Maître Midarō est au service de la famille impériale. S'il doit obéir à quelqu'un, ce serait mon père.

Alors demandez à votre père. »

Haruni haussa les épaules.

« Ce n'est pas important. Je préfère m'entraîner seul, de toute façon. »

Manaru n'insista pas plus sur le sujet. Il dit simplement qu'il ne pouvait pas venir au palais à l'aube.

« J'accompagne mon père le matin et nous n'arrivons pas avant l'ouverture des portes.

Tant pis.

Je trouverai un moyen, c'est certain ! » assura soudain l'adolescent.

Haruni se demanda pourquoi l'autre semblait attacher une telle importance à ce duel.

« D'abord le Firal Seiryū, puis lui, se dit-il. Ils ont senti que je suis blessé ou quoi ?! »


La promenade prit fin avec leur retour à Kurojū. En descendant de cheval, Manaru adressa un sourire rayonnant au Second Prince.

« Votre Altesse, vous voulez bien qu'on se promène à nouveau ainsi une seconde fois ?

Vous comptez encore manquer les entraînements ?

Non, répondit-il en rougissant de gêne. Enfin, pas tout le temps. »

Prêt à refuser, Haruni se souvint cependant de ses résolutions pour s'intégrer au palais. Le Fieur Manaru n'avait pas un mauvais fond et il ne semblait pas aussi futile que les amis de Tomuki. Cela ne coûtait rien de passer un peu de temps avec lui.

« Entendu, fit-il.

Ah… Merci beaucoup, votre Altesse ! »

Manaru ne cacha pas sa surprise : le Second Prince semblait distant avec les gens, pourtant il n'était pas si froid que ça.


En revenant des écuries, Haruni croisa un autre visage familier : un petit détachement de soldats s'arrêta pour le saluer et leur chef prit un air réjoui en le voyant.

« Lieutenant Shurō, le salua l'adolescent. Ah non, c'est commandant Shurō maintenant.

Oui, votre Altesse, et je n'ai jamais eu l'occasion de vous remercier pour cette promotion !

C'était amplement mérité, vu que vous avez protégé mon frère jusqu'à Kurojū. »

C'était en effet Shurō qui avait dirigé la poignée de soldats qu'il restait au campement près de la plaine de Mara après le départ brusque de Bakkushō. Après la capture de Haruni, le lieutenant avait escorté le Premier Prince, le protégeant de l'ennemi. À leur retour, le lieutenant avait juste eu droit à des remerciements et une prime.


C'était Haruni qui avait demandé à son père de le nommer commandant juste avant de partir pour Myūjin. Il avait apprécié le calme de cet homme face à une situation inquiétante, ainsi que sa capacité à s'adapter à des situations nouvelles. Sans compter que le lieutenant l'avait également suivi dans ses plans en reconnaissant leur juste valeur.

« Néanmoins, vous êtes le seul à avoir pensé à moi malgré vos autres préoccupations, releva le commandant avec un léger sourire.

Bah, ce n'était rien. »

Shurō s'inclina de nouveau. Malgré les dires de cet adolescent, il lui en serait toujours reconnaissant. De plus, il avait pu remarquer que le Second Prince était très différent de ce que disaient les rumeurs et il attendait avec impatience de voir ce qu'il deviendrait en grandissant. L'avenir promettait d'être intéressant.


~*~


Un matin à l'aube, ce fut Gugonjū qui l'attendait au terrain d'entraînement. Le prêtre maniait sa lance à deux pointes en enchaînant les postures, comme Haruni avait déjà pu voir à Myūjin. Seuls les prêtres utilisaient cette arme et ils en avaient développé le maniement au même niveau que le sabre. Dans ce cas, Gugonjū était à la lance ce que Kenryū était au sabre : un expert redoutable. Haruni le laissa finir son enchaînement. Le prêtre ne parut pas surpris de le voir et s'inclina devant lui après.

« Votre Altesse.

Saint Gugonjū, vous êtes bien matinal. »

Qui plus est, les premières gelées étaient déjà tombées. Le givre recouvrait les jardins et de la buée sortaient des bouches quand ils parlaient. Cela ne dérangeait guère Haruni qui utilisait son pouvoir du feu pour se réchauffer. Quant à Gugonjū, il suivait une discipline rigoureuse et n'hésitait pas à pratiquer dans la neige.


« Même si je réside désormais au palais, expliqua le prêtre avec un sourire, je conserve mes bonnes habitudes. »

Haruni approuva de tout cœur : en hiver, les nobles avaient tendance à dormir plus tard et à paresser au chaud. Même les entraînements au sabre ou à l'arc étaient annulés en cas de neige ou de grand froid. Pas étonnant que les jeunes gens soient aussi indolents !

« Que diriez-vous d'un combat ? proposa Gugonjū, ses yeux verts pétillants.

Je n'ai pas encore suffisamment récupéré, avoua le Second Prince à voix basse et en pressant légèrement son bras gauche.

J'irai doucement, alors.

Quel intérêt ? » répliqua Haruni, le front plissé.

Cela fit rire l'autre homme. Le Second Prince conserverait sa fierté coûte que coûte.

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« C'est plus stimulant de se battre contre un vrai adversaire. »

Haruni le savait très bien. Depuis sa blessure, il s'était toujours entraîné seul afin de ne pas exposer ses faiblesses et la sensation d'un combat lui manquait. Cela vint à bout de ses réticences.

« Entendu, » fit-il.

Gugonjū acquiesça en souriant, puis se mit en position. Haruni dégaina son sabre moyen — le long était bien trop lourd pour son bras gauche — et attaqua le premier. Les coups s'enchaînèrent et Gugonjū y alla doucement, comme promis, tout en plaçant quelques attaques dangereuses. Les doutes d'Haruni finirent pas s'envoler, tout comme sa frustration de ces longs mois de convalescence. Pendant quelques minutes, il oublia sa blessure. En parant un coup de lance, il sentit la vibration remonter tout le long de ses bras… puis son bras gauche se crispa douloureusement. Avec un juron, il lâcha son sabre tandis que la douleur affluait. Gugonjū s'agenouilla devant lui et posa une main sur son épaule tandis que l'autre saisissait son coude. Il pressa ces deux points et Haruni sentit la douleur se calmer. Kuji employait la même méthode, en plus des massages des articulations.


« Merci, » fit Haruni d'un ton las.

Cela faisait plus d'un an déjà et il avait l'impression qu'il ne guérirait jamais. Parfois, il se disait qu'il aurait encore préféré perdre son bras, au moins ce serait réglé !

« Cela prend toujours du temps de guérir, déclara le prêtre en le lâchant. Vous êtes trop exigeant envers vous, votre Altesse.

Oh, vous préféreriez que je sois un de ces jeune qui dort jusqu'à midi et ne s'occupe que de poésie ? railla Haruni.

Il y a un juste milieu à atteindre. »

Haruni ne répondit pas : il connaissait ses limites et savait le niveau d'exigence qu'il devait maintenir. Il était hors de question de le baisser, quelle que soit la situation !

« Sinon, il vous faut de la patience, ajouta le prêtre.

Ce n'est pas mon point fort, » reconnut l'adolescent.

Autrefois, il avait été impatient de grandir. Maintenant, il était pressé de guérir. Il avait vraiment l'impression d'avoir perdu au change avec ce corps !


« Plus d'exercice pour vous aujourd'hui, décréta Gugonjū. L'humidité ne vous fait pas non plus du bien.

On croyait entendre Kuji. Vous avez également des compétences en guérison, saint Gugonjū ?

J'ai étudié de nombreux domaines, fit-il en souriant. On ne sait jamais ce qui peut vous être utile. »

Haruni approuvait totalement, sauf qu'il sélectionnait soigneusement ses domaines d'étude.

« Je vous remercie pour ce combat, fit-il en inclinant la tête. Je vous souhaite une bonne journée.

Ce fut un honneur pour moi, votre Altesse, » répondit Gugonjū en s'inclinant à son tour.

Haruni récupéra son sabre et partit en se disant que Gugonjū s'était vraiment bien adapté à la Cour. En même temps, son esprit retors et sa tendance à titiller les gens le prédisposaient naturellement à s'intégrer ! Le Très Saint Amonji avait parfaitement choisi son représentant et successeur.


~*~


Dans l'après-midi, une pluie de neige fondue empêcha Haruni de sortir à cheval. Il se retrouva coincé à la bibliothèque avec Tomuki et ses amis. Pendant qu'il essayait de se concentrer sur un récit historique, les jeunes gens abordaient des sujets futiles, comme de coutume.

« Citez les trois personnes que vous admirez le plus, lança tout à coup Shitaro. Seiryū, on t'écoute !

Pff, se mit à rire Hamoto. Tu as vraiment besoin de demander ? C'est bien entendu… »

Tomuki et Kenshirō répondirent en chœur avec lui :

« Yama, Yama et Yama ! »

Seiryū eut un léger sourire et ne nia pas.


« Trois personnes différentes ! précisa Shitaro en riant à son tour.

Mmm, dans ce cas… mon père, le maître stratège Hifuze et… Yama.

C'est vraiment ton ordre de préférence ? le taquina Tomuki.

Je pense que vous connaissez tous mon ordre de préférence, » répondit-il avec un léger sourire.

Haruni, qui avait levé les yeux de sa lecture à la mention de Yama, se replongea dans son récit, espérant que l'histoire ne serait pas gâchée par une romance quelconque. Il avait déjà eu cette mauvaise surprise de nombreuses fois, à croire qu'il ne pouvait pas se passer une bataille sans que des gens ne tombent amoureux, qu'ils soient dans le même camp ou non ! En général, il sautait ces passages ou bien abandonnait totalement le récit.

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« Tomuki, à toi ! » fit Seiryū.

Le jeune homme réfléchit, un doigt tapotant son menton.

« Mon père, bien sûr, maître Hidashi le poète et le premier Empereur Jūka ! »

Seul Haruni perçut le contentement des Dieux. Il adressa un regard moqueur aux ombres.

« Haruni, c'est ton tour ! »

L'annonce de Tomuki surprit tout le monde mais très vite, Hamoto et Kenshirō furent intéressés par ce qu'il allait bien pouvoir répondre.

« Allez, votre Altesse, c'est le jeu, » fit Kenshirō avec un sourire mielleux.

Haruni croisa le regard de son frère et comprit que c'était sa façon à lui de l'aider à s'intégrer. Tomuki n'accepterait jamais le fait que Haruni n'appréciait pas ses amis. Selon lui, en insistant, Haruni finirait pas se rendre de leurs qualités ! En tant que grand frère, Tomuki refusait de renoncer.


Haruni réfléchit un peu, surtout qu'il ne pouvait pas mentionner certaines personnes de son ancienne vie.

« Mitsuhide, le général Kenryū et l'Impératrice Kaname. »

Un grand silence se fit pour diverses raisons. Tomuki se désolait qu'il n'ait pas cité leur père. Quant aux autres…

« Vous admirez une femme ?! fit Kenshirō en retenant à peine un rire moqueur.

L'Impératrice, lui rappela Haruni.

J'ai le plus grand respect pour sa Majesté, se reprit aussitôt le jeune homme, mais de là à l'admirer…

Ah, sa Majesté est belle, gracieuse et aimable, renchérit Hamoto. Cependant, c'est une femme. Qu'a-t'elle accompli d'admirable ? »


Haruni se rappela de sa première rencontre avec Kaname : elle avait protégé son fils de toutes ses forces et l'avait porté pendant des jours sans se plaindre. Quand ils avaient manqué de nourriture, elle s'était privée pour Chiharu. Alors même qu'elle venait d'assister au massacre de toute sa famille, elle ne s'était pas effondrée une seule fois. Elle avait même pris le risque de suivre le Vite qui avait blessé son frère. Il y avait eu également la guerre contre les Hikari. Kaname n'avait pas hésité à tenter de fuir le palais tenu par les Hikari pour rejoindre Mitsuhide avec le Premier Prince, afin de lui fournir un otage important. Même si le plan avait en partie échoué, Kaname avait pris le risque de parcourir la moitié de l'Empire à cheval, seule avec Kikuchi, poursuivie par des soldats. Elle n'avait pas eu peur de perdre son titre d'Impératrice afin de protéger les siens. Cette force intérieure ne se déployait que dans des circonstances extrêmes, voilà pourquoi les autres ne la voyaient pas dans leur Impératrice.


« Hé, vous parlez de ma mère ! s'indigna un peu Tomuki.

Désolé, mais… tu irais jusqu'à dire que tu l'admires, toi ? demanda Shitaro.

Hé bien…

Tomuki aimait profondément sa mère, mais cela n'avait rien à voir avec de l'admiration.

« Je lui suis reconnaissant de m'avoir mis au monde et élevé, fit-il simplement.

C'est normal, c'est ce que font les femmes, répondit Kenshirō d'un ton suffisant.

Oh, alors pour vous, cela n'a rien d'admirable de donner la vie ? intervint Haruni. En êtes-vous capable ? »

Kenshirō le fixa d'un air abasourdi.

« Les femmes portent les enfants, c'est la loi de la nature. »

Haruni se désola de ce point commun entre les Vites et eux : les femmes étaient sous-estimées.

« Quoi qu'il en soit, reprit-il, l'Impératrice a d'autres qualités admirables, à part donner la vie.

Si vous le dites, votre Altesse, » fit Kenshirō avec un clin d'œil à ses amis.


Le sujet changea, puis ce fut l'heure d'aller prendre le thé. Haruni préféra rester à sa lecture, mais il ne fut pas seul : Seiryū avait une expression compliquée depuis son intervention. Après plusieurs hésitations, il se décida à approcher l'adolescent. Haruni ne lui jeta qu'un coup d'œil, l'air agacé comme toujours avec lui.

« Votre Altesse, se lança Seiryū, vous avez dit que vous admirez mon père, mais… vous savez que lui ne… qu'il ne vous apprécie pas. »

Pour Kenryū, le Second Prince était le prince Bâtard ou le Bâtard Hikari et il ne pensait que du mal de lui. Seiryū s'était donc senti peiné en entendant l'adolescent placer le général dans les trois personnes qu'il admirait le plus. Il ne voulait pas que Haruni soit déçu par la suite. Le Second Prince se replongea de nouveau dans sa lecture.

« Je sais, et alors ?

Et alors… vous… »

Seiryū plissa le front, ne comprenant pas le désintérêt de l'autre.

« Moi, si j'admirais quelqu'un, je voudrais au moins que cette personne ait une bonne impression de moi !

J'ai dit que j'admirais votre père, pas qu'il me plaisait, » rétorqua l'adolescent avec un sourire ironique.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Le Firal manqua de s'étouffer à cette idée. Haruni avait souvent tendance à sortir des propos scandaleux le plus naturellement du monde.

« De toute façon, reprit l'adolescent, en quoi ça vous concerne ?

Je… je m'inquiétais pour vous… »

Haruni renifla de doute, une réaction que Seiryū prit avec fatalisme.

« Inquiétez-vous plutôt pour votre père : s'il savait que le Bâtard l'admire, il en perdrait l'appétit ! »

Bien que dit sur le ton de la plaisanterie, Seiryū ne trouva pas ça du tout amusant — même si c'était totalement vrai.

« Haruni, tu ne devrais pas parler comme ça de toi, soupira-t'il, le registre amical lui venant spontanément.

Je parle comme je l'entends, Firal Seiryū, » rétorqua l'adolescent en rétrécissant les yeux.

Seiryū s'était attendu au rejet de sa demande d'amitié car ce n'était pas la première fois. Cela ne l'empêcherait pas de continuer à essayer.


~*~


« Dis-moi, si quelqu'un qui t'a fait du tort demandait à être ton ami, tu réagirais comment ? »

L'autre homme posa la théière après avoir rempli leurs tasses. Bien que son visage était toujours impossible à voir, Seiryū pouvait deviner son air pensif.

Un très grand tort, reconnut le Firal en grimaçant.

Et s'il te dit que c'est pour obtenir ton pardon ?

Hé bien… »

C'était une excellente question à laquelle Seiryū ne sut répondre.


Il y réfléchissait encore en se réveillant. D'ordinaire, ses rêves lui procuraient du bien-être mais là, il était soucieux.

« Pourquoi je souhaite devenir son ami ? » se demanda-t'il.

Haruni avait des qualités, sauf que son caractère exécrable les occultait totalement ! L'adolescent n'avait aucune intention d'y remédier et restait sourd aux conseils de son entourage. Il ne s'était pas fait un seul ami en quinze ans de vie au palais et ce n'était pas par manque d'opportunités ! Seiryū lui-même avait fait plusieurs demandes au cours du mois, toutes rejetées sans hésitation.

« Il me fait de la peine ? » hasarda-t'il.

Il secoua aussitôt la tête : Haruni semblait tout sauf malheureux dans son isolement. Il n'y avait pas de peine à avoir.

« Je veux… faire quelque chose pour lui ? »

Cette idée éveilla une douleur bien précise. Seiryū se figea, les yeux écarquillés. Il tenait sa réponse. Malheureusement, ce n'était pas ça qui allait l'aider à se rapprocher du Second Prince.







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