Chapitre Dix : Funeste retour
Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
L'esprit de Kenryū était en ébullition tandis qu'ils se rapprochaient de la zone de chasse prévue, lui et deux cents gardes impériaux. Au beau milieu du conseil trois heures plus tôt, il y avait eu un séisme. Rien de grave en soi, les séismes étaient assez fréquents dans l'Empire. Cependant, Tegami s'était soudain figé avant de s'écrier vivement :
« Les enfants sont en danger ! Qu'on envoie immédiatement des gardes dans la forêt de Saki ! »
Les conseillers avaient pris un air ébahi avant de réaliser que l'Empereur venait de recevoir un message des Dieux. Kenryū avait réagi le plus vite. Après tout, non seulement il y avait son serment de protéger la famille impériale mais en plus, son propre fils était du voyage. Il avait donc réuni deux cents gardes et ils s'étaient mis en route sans perdre de temps et sans même connaître la nature du danger. En d'autres circonstances, le général aurait exigé des détails avant de se risquer. Là, seul comptait le fait de les rejoindre au plus vite. Ils aviseraient une fois sur place.
Une sentinelle lança un signal dans le ciel un peu plus loin. Le cœur battant, Kenryū dirigea ses hommes dans cette direction. Ils parvinrent dans une clairière et tous se figèrent.
« Par les Dieux ! » gronda Kenryū à voix basse.
Ils virent des corps dans un triste état, à moitié dévorés, humain comme animal. Sur ordre du général, une partie des gardes examina les cadavres humains. Les hommes pourtant endurcis furent révulsés.
« Il n'y a aucun survivant, mon général, déclara un garde d'un ton hébété. On dirait qu'une meute de bêtes sauvages s'en sont pris à eux !
– Pas de trace des deux princes ou du Firal Seiryū, fit un autre.
– Alors on continue ! » ordonna Kenryū entre ses dents.
Plus longtemps il espérait, plus il craignait d'être déçu.
Un autre signal jaillit dans le ciel, non loin d'eux. La troupe se précipita. La première chose que vit Kenryū — égoïstement — ce fut son fils gisant dans l'herbe.
« Seiryū ! » s'écria-t'il en sautant de son cheval en train de s'arrêter.
Il souleva le jeune homme et nota les blessures et le sang qui le recouvraient. Il se figea de douleur.
« Il est vivant, général Kenryū, » fit une voix sur le côté.
L'homme se tourna lentement et aperçut le Second Prince assis contre un arbre, couvert de sang lui aussi. Son frère était à côté de lui, inconscient. Les yeux saphir du général s'écarquillèrent aussitôt.
« Le Premier Prince…
– Vivant lui aussi, ainsi que le Fieur Manoru. Mais tous les autres… »
Les yeux dorés s'assombrirent.
Pendant ce temps, les gardes avaient établi un cercle défensif autour de la clairière. Ils s'approchèrent de la fissure avec circonspection, sans se risquer à entrer pour le moment. Vingt d'entre eux se placèrent près des princes, rejoints par un médecin.
« Que s'est-il passé, votre Altesse ? s'enquit Kenryū.
– Nous avons été attaqués par des vampires. »
Un grand silence se fit et tous les regards se posèrent sur l'adolescent. Kenryū le fixa avec une pointe d'incrédulité.
« Des… des Abominations ? Vous êtes sûr ?
– Je les ai vus d'assez près, répondit Haruni avec un sourire amer. Vous n'avez pas vu leurs corps plus haut, près de la falaise ? »
Kenryū fronça les sourcils et jeta un coup d'œil aux gardes qui avaient examiné les cadavres dans la première clairière.
« Nous avons juste fait un examen sommaire, mon général, répondit l'un des gardes. Nous n'avons rien vu de particulier, hormis l'état affreux des corps. »
Cela n'étonna pas Haruni. La majorité des vampires morts durant la première attaque n'avait pas encore goûté au premier sang, donc rien ne les distinguait d'humains ordinaires. De plus, les gardes n'avaient pas dû s'attarder sur les corps décapités.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« Et d'où viendraient ces prétendues Abominations ? demanda le général à Haruni pour le prendre en défaut.
– De cette fissure, répondit-il en la désignant du doigt. Ah, il y en a une autre près de la falaise. C'est le tremblement de terre qui les a provoquées et qui a libéré les vampires… »
Le général prit un air soucieux et ordonna aux gardes d'explorer la fissure et aussi de retourner au premier lieu de l'attaque. Les hommes ne furent guère rassurés : ils ne pouvaient pas savoir comme Haruni que les vampires avaient été éliminés par Hakurō. Même s'ils ne croyaient pas vraiment qu'il y avait eu des vampires, quelque chose avait tué tous ces gens et ce quelque chose pouvait très bien se tapir encore dans les tunnels, prêts à fondre sur eux. Cependant, il ne leur viendrait pas à l'idée de désobéir au général, alors ils se lancèrent dans l'exploration, très vigilants.
En attendant leur retour, le médecin examina Tomuki. Quant à Kenryū, il tapota la joue de son fils pour tenter de le réveiller. Tant qu'il ne l'aurait pas entendu parler, il ne serait pas rassuré. Le Firal finit par plisser le front avant d'ouvrir légèrement les yeux.
« Mmm… P… Père ? » s'écria Seiryū en écarquillant les yeux.
Il saisit le col du général avec frénésie et les mots se précipitèrent :
« Père, il faut vite retrouver… les Abominations… Le Second Prince ! Où est-il ? Et Tomuki !
– Du calme, Seiryū. Je suis là, tout va bien. »
Le soulagement envahit Kenryū : son fils était bien vivant !
« C'était horrible, poursuivit le jeune homme, perdu dans ses souvenirs. Ils sont morts… Hamoto, Shitaro… et tous les autres… Je n'ai rien pu faire pour les protéger. »
Il se mit à pleurer et se pressa contre son père comme un enfant. Kenryū lui caressa les cheveux, le cœur lourd.
« Général, Général Kenryū ! s'écria un des gardes en sortant du tunnel. Vous devez venir voir ça ! »
Réticent à l'idée de quitter son fils, le devoir le força néanmoins à se lever.
Seiryū aperçut alors Haruni et Tomuki, ce dernier toujours inconscient, et il se rua vers eux.
« V… Votre Altesse, vous êtes vivant ! » s'étonna-t'il.
Son dernier souvenir était la disparition du mur d'ombres qui les protégeait et les vampires qui se ruaient vers eux.
« Oui, » répondit brièvement Haruni.
Les sanglots secouèrent le corps du Firal. Il n'était pourtant pas lâche — même lors de leur situation désespérée à Dekita, il avait gardé tous ses esprits — mais face à cette menace surnaturelle, il s'était senti démuni et impuissant.
« Vous nous avez sauvés, murmura-t'il en saisissant les mains de Haruni. C'est grâce à vous que nous sommes encore en vie.
– Je n'ai pas pu sauver tout le monde, » rétorqua Haruni d'un ton amer.
Seiryū secoua la tête, incapable d'en dire plus. La pensée de tous ces morts pèserait longtemps sur son cœur.
Dans le tunnel éclairé par des torches portées par les gardes, Kenryū était blême. Il y avait des dizaines de corps éparpillés un peu partout, dont certains en morceaux. Le pire, c'était que presque tous ces morts avaient les yeux rouges et la bouche pleine de sang et de morceaux de chair. Le doute n'était plus permis, il s'agissait bien d'Abominations.
« Vérifiez qu'ils soient tous bien morts, ordonna-t'il, une main à sa bouche.
– Comment… Comment le savoir, mon général ? » demanda un garde, effaré.
Les vampires étaient en effet déjà morts à la base. Kenryū se remémora les rares histoires soufflées dans sa jeunesse par des amis qui voulaient se faire peur. Il s'approcha d'un des cadavres et le secoua rudement du pied, au grand dam des soldats.
« Je pense qu'ils auraient déjà réagi s'ils étaient encore… un danger, fit-il sombrement. Voyez aussi s'il ne reste pas les dépouilles des nôtres. »
Ils n'avaient pas retrouvé tout le monde, alors les recherches devaient se poursuivre.
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Voyant que les gardes hésitaient, visiblement apeurés, Kenryū prit une torche des mains du plus proche et s'enfonça davantage dans les tunnels. Cela fit réagir les autres hommes qui se précipitèrent à sa suite. Il y avait encore plusieurs cavernes, toutes contenant des cadavres. Kenryū nota qu'ils étaient tous décapités, ce qui lui parut un peu curieux. Une autre fissure fut découverte et ils en sortirent. Ils virent une clairière au pied d'une falaise, le premier endroit où ils avaient découvert des corps. C'était le premier lieu de l'attaque des vampires, à en croire le Second Prince.
« Rassemblez les dépouilles des nôtres, ordonna le général, et qu'une partie des gardes explore encore ces tunnels. Je veux savoir où ils mènent ! Dix hommes viennent avec moi pour ramener les princes au palais.
– À vos ordres, général !
– Mon général, demanda un des gardes, que faisons-nous des corps des… de ces choses ? »
Une lueur froide apparut dans les yeux saphir.
« Entassez-les et brûlez sans attendre ces foutues Abominations ! » cracha-t'il.
Il se dirigea vers la première clairière où l'attendaient son fils et les princes. Tout à coup, il sentit son cœur battre un peu plus vite, en même temps qu'il eut l'impression d'être observé. Il regarda autour de lui, mais ne vit rien.
« Mon général ? s'enquit un des gardes, sur les nerfs après la vue de tous ces corps.
– Ce n'est rien, répondit Kenryū avec un détachement qu'il était loin d'éprouver. Poursuivons. »
Les hommes s'éloignèrent. Caché dans les arbres, un regard rouge fixa le dos de Kenryū avec tristesse.
Lorsque le général regagna la clairière avec ses hommes, Tomuki avait repris connaissance et il sanglotait dans les bras de son frère. Le docteur avait déjà examiné les trois jeunes gens et il s'occupait à présent de Manoru, le cas le plus grave.
« Des Abominations partout, c'était horrible ! J'ai cru que j'allais mourir ! Et Manoru, il… il… il… il s'est sacrifié pour me protéger !
– Chhh, tu es en sécurité à présent. Manoru est encore en vie, lui aussi.
– Mais il est si gravement blessé ! Je l'entends encore hurler quand ils l'ont… quand ils l'ont… »
Haruni lui caressa les cheveux en le berçant comme un enfant. Seiryū était juste à côté, des traces de larmes sur son visage. Ils étaient les seuls survivants de ce carnage impensable. Kenryū s'avança vers eux et le Second Prince leva les yeux vers lui. Le général nota à nouveau qu'il ne manifestait pas le même bouleversement que Seiryū ou Tomuki.
« C'est bien un Hikari, se dit-il avec mépris. Toujours calmes et indifférents, même quand ils tuaient des innocents ! »
Son visage ne laissa rien paraître de ses sentiments, fruit de longues années de pratique avec les Hikari au pouvoir.
Il déclara :
« Vos Altesses, je vous raccompagne à Kurojū. »
Si Tomuki manifesta un soulagement évident, Haruni fronça les sourcils.
« Vous avez exploré les cavernes et les tunnels ? demanda-t'il.
– C'est fait. Toutes les Abominations sont mortes… pour de bon. J'ai ordonné qu'on brûle les corps.
– Et où débouchent les tunnels ?
– Nous sommes arrivés à la clairière où vous avez été attaqués en premier.
– Il doit y avoir une autre sortie. »
Un peu agacé par l'insistance de cet adolescent, le visage de Kenryū se durcit.
« Qui vous dit qu'il y a une autre sortie ?
– Ces corps ne sont pas arrivés là tous seuls. »
Cela fit réfléchir Kenryū. Les rites funéraires imposaient de brûler les corps, alors d'où venaient ces cadavres ?
« J'ai laissé des hommes là-bas pour explorer davantage les tunnels, » fit-il.
Haruni acquiesça.
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Les gardes leur amenèrent des chevaux, ce qui rappela à Seiryū un autre détail.
« Qu'est devenue Senkō ? Est-elle…
– Les seuls chevaux que nous avons retrouvés étaient dévorés, » répondit l'un des gardes.
Le Firal pâlit et se mit à trembler.
« Même nos montures… murmura-t'il faiblement.
– Mieux vaut les chevaux que nous, » répliqua Haruni.
Cela leur rappela les autres morts, ce qui était encore pire. Haruni montra le premier. Un garde présenta une monture à Tomuki, mais ce dernier la refusa.
« Je monte avec mon frère, » déclara-t'il.
Avant que Haruni n'ait pu protester, Tomuki avait déjà pris place derrière lui, encerclant sa taille de ses bras.
« Qu'y a-t'il, Tomuki ? s'enquit Haruni en le sentant trembler.
– Je me sens en sécurité avec toi, » marmonna le Premier Prince.
C'était sûrement parce qu'il ressentait la présence des Dieux à travers lui. Seiryū se mit également en selle. Le dernier survivant, Manoru, serait transporté dans un chariot en raison de son état critique. Pour le moment, le médecin traitait encore ses blessures et son visage trahissait son désarroi. Ils quittèrent la clairière avec un grand soulagement, mais le cœur toujours très lourd.
Personne ne se plaignit de la chevauchée rapide, tant ils souhaitaient rentrer au palais et se réveiller de cet horrible cauchemar. Kenryū envoya un messager en avance pour informer l'Empereur des raisons du massacre, ainsi que de l'identité des quatre survivants. Malgré ça à leur arrivée dans la cour principale, toutes les autres familles étaient présentes, espérant contre toute attente à une erreur… Des cris et des larmes se déclenchèrent quand ils comprirent que leurs enfants ne reviendraient plus. Tomuki sanglota de nouveau derrière Haruni qui serra plus fort les rênes de sa monture. Seiryū se sentit coupable d'être en vie alors que ses amis n'avaient pas eu cette chance. Il baissa la tête. À ses côtés, Kenryū posa une main sur son épaule pour le réconforter.
Afin d'éviter une émeute, les gardes formaient un cordon près de l'entrée du Pavillon Principal. Seuls l'Empereur, l'Impératrice et le Conseil restreint se trouvaient là. Lorsque Tegami vit ses deux fils descendre de cheval, il se précipita vers eux. Contre toute attente, Tomuki retint un cri et se cacha derrière son frère. Cela surprit tout le monde. Tegami s'arrêta net, un air blessé sur le visage.
« Tomuki ? demanda Haruni en tournant la tête vers lui.
– Je… c'est… Je suis sûr d'avoir vu… »
Paniqué, le Premier Prince ne savait pas exprimer ce qu'il ressentait. Haruni lança un regard dubitatif à leur père : les longs cheveux noirs, un adulte… Se pouvait-il que Tomuki avait aperçu Hakurō et en était inconsciemment traumatisé ?
« Regarde ses yeux, lui murmura-t'il. C'est bien Père. »
Avec réticence, Tomuki obéit et en fut aussitôt soulagé : Tegami n'avait pas les yeux rouges des Abominations. Le jeune homme courut se jeter dans les bras de son père qui le serra avec force, ayant déjà oublié son comportement étrange à l'instant. Kaname fit ensuite de même, tandis que Haruni eut droit à une étreinte de son père.
« Vous allez bien tous les deux, les Dieux soient loués ! »
C'était le cas de le dire : sans la protection des Dieux et Leur aide pour faire venir Hakurō, le drame aurait été encore pire.
Bien que les conseillers auraient aimé se réunir aussitôt, l'Empereur s'y opposa formellement : ses fils devaient d'abord se faire examiner par les médecins de la Cour. Kenryū le seconda, voulant que son fils bénéficie également de soins rapides si nécessaire.
« Votre Majesté, qu'allons-nous dire aux familles ? Elles ont le droit de savoir ce qui est arrivé à leurs enfants ! objecta Hatochi.
– Et elles le sauront, rétorqua Tegami, mais l'affaire est grave et nous ne devons pas agir dans la précipitation.
– Les corps vont être ramenés en fin de journée, informa Kenryū. Cependant au vu de leur état, il va falloir préparer les familles avant de les leur montrer. »
Cela fit pâlir les gens présents.
« Ce… C'étaient donc réellement des… Abominations ?
– Je les ai vues de mes propres yeux, assura le général.
– Et vous les… vous les avez… bien éliminées ? »
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Le regard saphir s'assombrit au souvenir de ce qu'il avait vu.
« Elles étaient déjà hors d'état de nuire quand nous sommes arrivés.
– Comment est-ce possible ? »
Les yeux se posèrent sur les trois survivants. Tomuki ne sut que répondre, tout comme Seiryū, alors ce fut Haruni qui se dévoua :
« Les Dieux nous ont protégés. »
Hatochi tiqua un peu, se retenant de dire quelque chose mais n'en pensant pas moins. Déjà dans l'affaire de Tomako, le Second Prince avait mentionné l'intervention des Dieux sans que cela ne convainque personne. Et là, il recommençait. Cela ne pouvait que cacher quelque chose de louche ! Cependant, Hatochi ne pouvait guère accuser le Second Prince de mensonge en présence de l'Empereur, et surtout pas après un tel drame. Il plissa les yeux et fit simplement :
« Oh, je vois. »
Gugonjū intervint à ce moment pour faire :
« Loués soient les Dieux. »
Cela fut repris par les autres personnes présentes, même si certaines y croyaient nettement moins que d'autres.
L'examen de Tomuki ne révéla aucune blessure grave, juste des griffures superficielles. Haruni, lui, refusa que le médecin le voie et fit venir Kuji. L'Empereur accepta à condition qu'il assiste à l'examen. Il semblait soupçonner que son fils tente une fois de plus de cacher une grave blessure, comme après Dekita. Il n'en fut rien : ses plaies étaient plus profondes et nombreuses que celles de son frère, mais il n'y avait rien de grave. Kuji désinfecta soigneusement les griffures par peur d'une transmission de maladie, puis il banda le tout. Pendant ce temps, le regard de Tegami se posa sur le bras gauche de son fils, où les cicatrices étaient à peine visibles de loin, formant un réseau de minces lignes blanches. Il secoua la tête et en profita plutôt pour interroger son fils loin des oreilles indiscrètes. Haruni lui raconta comment ils s'étaient fait attaquer.
« Des Abominations qui ont surgi du sol ? s'étonna l'Empereur.
– Il y a des tunnels et des grottes remplies de cadavres sous terre dans cette zone, expliqua l'adolescent. Ils étaient prêts à se transformer en vampires.
– Mais… mais… les Abominations ne peuvent pas supporter la lumière du jour !
– Pourquoi ? s'étonna Haruni.
– C'est ce qui est dit dans les histoires… celles qu'on se raconte pour se faire peur. »
Haruni haussa les épaules.
« Hé bien, c'est faux. Les vampires peuvent aller de jour comme de nuit. »
Tegami plissa le front devant le ton de certitude de son cadet.
« Comment tu peux savoir ça ? »
Cela lui valut un regard compliqué.
« Juste après l'Invasion et avant de recueillir Yatsu, j'ai été chasseur de vampires dans les Monts de l'Est.
– Ch… chasseur ? Tout seul ?! »
La nouvelle semblait horrifier Tegami.
« Non, s'empressa de la rassurer Haruni, il y a là-bas des Vites qui les combattent. Ils sont bien obligés, les Monts de l'Est sont infestés de vampires.
– Des Vites ?! »
Il ne parvenait pas à croire que ces gens, plutôt dénigrés dans l'Empire de l'Aube, parvenaient à lutter contre les Abominations.
« Et là, tu t'es battu contre ces créatures ? comprit-il avec angoisse. Pourquoi tu n'as pas fui ?
– Nous étions cernés, se défendit l'adolescent. En plus, ma priorité était de permettre à Tomuki de s'enfuir. S'il n'y avait pas eu cette seconde faille, tout se serait bien passé ! »
Tegami en resta sans voix.
« Tu… Ton frère ? Tu étais prêt à mourir pour ton frère ?
– Bien sûr, » répondit Haruni d'un ton d'évidence.
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Cela consterna son père.
« Tu n'avais pas à faire ça ! s'écria-t'il.
– Qui alors ?
– Les gardes impériaux…
– Ils ont fait de leur mieux, mais il ne s'y connaissaient pas assez bien pour lutter contre les vampires.
– Mais…
– Si je m'étais enfui, Tomuki serait mort horriblement, dévoré vivant.
– Arrête… protesta faiblement son père, accablé par cette image.
– Vous croyez que j'aurais pu me le pardonner ? »
Tegami le fixa avec un mélange de tristesse et de crainte.
« Ta vie est importante aussi, fit-il doucement.
– Hé bien, nous sommes tous les deux en vie, alors j'ai fait ce qu'il fallait ! » rétorqua vivement l'adolescent.
L'empereur soupira. Il ne pouvait rien y redire, certes, mais cela lui laissait une mauvaise impression, comme si Haruni estimait que sa vie passait après celle de Tomuki juste parce que ce dernier était l'aîné.
« C'est donc toi qui as tué ces Abominations ? reprit-il.
– Pas toutes, non, juste quelques-unes. »
C'était déjà un exploit, en particulier pour quelqu'un d'aussi jeune.
« Et les autres ?
– Les Dieux… ont envoyé de l'aide.
– Quelle aide ?
– Je ne peux pas vous le dire. »
Cela sidéra Tegami.
« Tu ne veux pas me répondre ? demanda-t'il sans en croire ses oreilles.
– Je ne peux pas vous répondre, rectifia Haruni. N'insistez pas, croyez-moi. »
C'était précisément ce genre de phrase qui lui donnait envie d'insister.
« Je demanderai aux Dieux s'il le faut ! menaça-t'il.
– Faites comme vous voulez, » répondit son fils en haussant les épaules.
Tegami n'allait pas renoncer comme ça. Haruni n'était pas le seul à savoir se montrer obstiné !
De son côté, Seiryū avait fait son propre compte-rendu à son père. Il n'entra pas dans les détails du sauvetage, déjà parce que ça impliquait les Dieux et la magie et qu'il pressentait que Haruni ne voudrait pas que cela se sache, et ensuite parce qu'il ne savait pas exactement comment ils avaient été sauvés. Il avait subitement perdu connaissance au beau milieu de l'action et s'était réveillé une fois les renforts de Kurojū sur les lieux. Kenryū avait noté son manque de précision, mais il ne le pressa pas : il mit ça sur le compte du traumatisme.
« Tu as combattu vaillamment des Abominations, releva-t'il. En tant que guerrier, je suis fier de toi. En tant que père… tu aurais dû fuir, mon fils.
– Et abandonner les deux princes ? »
Kenryū ne sut que dire. Entre le serment fait à son prince et son amour pour sa famille, il aurait été bien en peine de choisir.
« Des Abominations dans notre Empire, fit-il plutôt. C'est à croire que ce bâtard Hikari porte malheur.
– Père ! » s'écria Seiryū, scandalisé et outré.
Kenryū croisa les bras.
« Je te le dis, ce n'est pas normal. Tu n'iras pas me faire croire que comme par hasard, le tremblement de terre a permis à ces créatures de s'attaquer au Premier Prince ! Je soupçonne de la magie derrière tout ça. »
Abasourdi, Seiryū ne put qu'accepter le fait que Haruni avait eu raison : il existait bel et bien des gens capables de l'accuser d'avoir invoqué les Abominations. Dire que son propre père osait proférer ces absurdités… Sa haine des Hikari le rendait sourd à la raison. Un pâle souvenir lui revint soudain, un court instant dans ce chaos — Haruni qui disait :
« Il y a un vampire que je peux invoquer. »
Seiryū fronça les sourcils. Qu'avait-il voulu dire par là ? Que s'était-il passé ensuite ?
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La réminiscence du Firal fut interrompue par un servant qui annonça :
« Le Fieur Kenshirō souhaite prendre des nouvelles du jeune maître.
– Fais-le entrer, » ordonna Kenryū.
Seiryū ressentit de nouveau la douleur d'avoir perdu ses amis Shitaro et Hamoto. Il ne restait que Kenshirō et Tomuki désormais.
« Général Kenryū, fit le jeune homme pâle en saluant le général. Je suis venu dès que j'ai appris la nouvelle. Seiryū, est-ce vrai ? Hamoto et Shitaro sont… »
Le Firal n'eut pas la force de parler alors il hocha la tête, les larmes coulant sur ses joues. Kenshirō porta une main à sa bouche avec un petit cri horrifié, puis il se laissa tomber à ses côtés.
« Je n'y crois pas, murmura-t'il, comment ça a pu arriver ? Il y a encore deux jours, nous étions tous ensemble à rire !
– Ils ont… été braves jusqu'au bout, » fit Seiryū avec difficulté.
Son ami le prit dans ses bras. Kenryū laissa les deux jeunes gens seuls. Il avait une bonne opinion de Kenshirō depuis sa longue cour avec son fils et il avait été déçu de leur séparation. Toutefois, les deux jeunes gens étaient restés en bon termes et Seiryū avait justement besoin d'une présence amicale et réconfortante. Et si ce tragique événement leur permettait de renouer leurs liens amoureux, alors quelque chose de bon serait au moins ressorti de tout ce drame.
Le soir venu, Haruni put enfin rester seul dans ses appartements. Ses parents ne l'avaient pas quitté un seul instant de la journée, alternant puisqu'ils veillaient également sur Tomuki qui était grandement affecté. Du coup, Haruni n'avait guère eu le temps de réfléchir à la suite des événements.
« Comment Vous allez ? » demanda-t'il aux Dieux.
Les ombres s'agitèrent faiblement.
« Épuisés, mais ton frère et toi êtes en vie. C'est ce qui compte le plus. »
Vu que les choses s'étaient bien terminées, Haruni avait décidé de ne pas insister sur le fait que les Dieux l'auraient sauvé lui plutôt que Tomuki. Jamais il ne Leur donnerait cette occasion.
« Vous gardez le contact avec Hakurō ? »
Il put sentir Leur réticence.
« Nous… Nous préférons éviter le contact.
– Pourquoi ? insista-t'il.
– Il est… Il n'est plus des Nôtres.
– Oh ? »
Haruni éprouva une grande colère face à ce manque de gratitude.
« Il a quand même accepté de venir pour nous sauver, Tomuki et moi, rétorqua-t'il, et Vous osez dire qu'il n'est plus des Vôtres ?
– Tu ne comprends pas. Une Abomination…
– J'en étais presque une, moi aussi !
– Ce n'était pas pareil et en plus, tu n'avais rien choisi du tout ! Lui au contraire…
– … a choisi de rester parce qu'il s'inquiétait pour son petit frère. Ensuite, il a recueilli les autres vampires et leur a enseigné la Voie de l'Honneur. Pour finir, il est venu nous sauver. »
Les Dieux ne répondirent pas. Cependant, il était hors de question que Haruni Les laisse tranquilles, pas sur ce point.
« C'est un peu hypocrite de Votre part de rejeter quelqu'un juste parce qu'il n'a pas voulu disparaître. Dois-je Vous rappeler que Vous faites la même chose ? »
Comme prévu, la remarque ne Leur plut guère.
« C'est différent ! Nous ne buvons pas de sang et Nous ne Nous sommes pas emparés d'un corps !
– Hakurō ne boit que du sang animal ou bien de personnes volontaires. Ce n'est pas une bête sauvage ! Pour le corps… Bon, ce n'est pas non plus comme s'il avait tué l'ancien occupant ou chassé son esprit ! Il a juste pris ce qui était disponible !
– Comment peux-tu défendre ces créatures alors que tu viens de perdre des amis à cause d'eux aujourd'hui et que même ton frère a failli mourir ?! »
Haruni plissa les yeux et rétorqua :
« Je sais faire la différence : tous les vampires ne sont pas les mêmes ! »
De nouveau, les Dieux gardèrent le silence. Étrangement frustré, Haruni continua de Les provoquer, en vain. Il finit par soupirer lourdement et finit sa tasse de thé. Il était furieux et cherchait quelqu'un pour défouler sa colère. S'il n'avait pas fait nuit, il serait parti provoquer Gugonjū en duel, voire même Seiryū !
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« Maître, fit Doko en s'approchant prudemment comme l'avaient fait ses servants depuis son retour, son Altesse le Premier Prince est à l'entrée.
– Tomuki ? s'étonna-t'il. Fais-le entrer. »
Le servant s'inclina et quitta la pièce. Il revint avec Tomuki, suivi de Kudō, son servant. Le Premier Prince ne cacha pas son soulagement en voyant son frère.
« Haruni ! » fit-il en s'asseyant directement à côté de lui.
Il avait les yeux rouges et les paupières gonflées, signe de larmes. Haruni sentit sa colère disparaître face à la joie de le voir bien vivant. Le pire avait été évité, quoique de justesse.
« Comment tu vas ? s'enquit-il.
– Je n'arrive pas à dormir. Dès que je ferme les yeux, je vois… ces créatures… et aussi Manoru…
– Les médecins disent qu'il va s'en sortir, » lui assura Haruni.
Il s'était informé de l'état de santé du Fieur.
Les épaules de Tomuki s'affaissèrent pourtant.
« Mais il va garder des cicatrices, d'horribles cicatrices ! Sa jambe droite a été la plus… la plus touchée, il se peut même qu'il ne remarchera plus jamais normalement ! »
Dans la société, il était déjà mal vu d'avoir des cicatrices, alors ne parlons même pas d'un handicap si visible. Haruni trouvait ça complètement stupide.
« Des cicatrices, la belle affaire ! s'emporta-t'il. Ça prouve seulement qu'il a été courageux !
– Tout à fait ! renchérit son frère. Je ne laisserai personne se moquer de lui !
– Moi non plus ! »
Les servants observèrent avec de grands yeux les deux princes qui criaient de plus en plus fort.
Le ton retomba soudain et Tomuki baissa la tête.
« Dire qu'on hésitait à se lancer dans une cour par peur des qu'en dira-t'on… J'ai été vraiment trop bête, je croyais qu'on avait tout le temps devant nous. »
Haruni passa un bras autour de ses épaules pour le consoler en silence. C'était une dure leçon de l'existence que Tomuki devait apprendre par lui-même : la mort pouvait surgir à tout moment pour nous enlever nos proches.
« Une minute, songea-t'il soudain à l'adresse des Dieux, quand Vous m'avez demandé de capturer Manoru, Vous m'avez dit qu'il était important. Ne me dites pas que c'était ça, son rôle ?! Il devait seulement servir de bouclier à Tomuki ? »
Il n'y eut pas de réponse de la part des Dieux. Peut-être qu'Ils étaient vraiment épuisés, mais Haruni n'y croyait pas trop. Il renifla de doute.
Constatant que son frère semblait plus apaisé, il fit :
« Tu arriveras à t'endormir maintenant ? »
Tomuki lui lança un regard effaré, ses yeux azur s'écarquillant.
« Je… je… je peux dormir avec toi ? » demanda-t'il timidement.
Cela faisait bien dix ans qu'ils n'avaient pas dormi ensemble, même s'ils avaient passé des soirées à jouer aux Pierres ou à discuter occasionnellement. Cependant, les circonstances étaient exceptionnelles.
« Bien sûr, accepta Haruni naturellement. Mira, prépare un lit pour mon frère.
– Hum… intervint Tomuki en jouant nerveusement avec ses doigts. On peut dormir dans le même lit ? »
Ils n'étaient plus des enfants, donc ce serait étrange. De nouveau, Haruni comprit que son frère recherchait la présence des Dieux auprès de lui car cela lui apportait un sentiment de sécurité. Il soupira.
« Juste pour cette nuit, » précisa-t'il.
Soulagé, Tomuki acquiesça.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Tandis que les servants préparaient le lit et les aidaient à enfiler une tenue de nuit, Haruni se prépara mentalement aux événements du lendemain. Il allait y avoir de quoi faire.
« Haruni, murmura son frère, allongé à côté de lui.
– Quoi ?
– J'ai oublié de te dire : je suis désolé pour Manaru.
– Ah. »
Le visage juvénile surgit dans son esprit. Manaru, son premier ami à la Cour…
« Si tu as envie de pleurer, n'hésite pas. Il n'y a pas de honte à avoir.
– Pleurer ? répéta l'adolescent avec un sourire ironique. Ce n'est pas ça qui le ramènera à la vie, lui comme les autres !
– Mais… ça pourrait t'aider à te sentir mieux.
– Ce qui m'aidera, ce sera de découvrir la vérité sur ce qui s'est passé.
– Ah… »
Tomuki n'insista plus et s'endormit bien vite en lui faisant face, pendant que Haruni lui caressait la tête comme il l'avait souvent fait avec Yatsu quand ce dernier avait fait un mauvais rêve.
« Je vais trouver qui a voulu créer des vampires, songea-t'il, et je le lui ferai payer très cher ! »
Les ombres s'agitèrent autour de lui, répondant à sa colère.
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