Chapitre Douze : Les Funérailles
Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
C'était le jour des funérailles. Elles auraient lieu dans l'après-midi mais déjà, les servants et officiels s'affairaient pour préparer la grande cour sous les ordres du Ministres des Cérémonies. Seiryū passa à côté à l'aube pour rejoindre le terrain d'entraînement où il espérait retrouver le Second Prince. Il se disait que rien ne ferait manquer à Haruni ses exercices, même un tel événement.
« Cela dit, j'apprécierais aussi de me défouler, » reconnut-il intérieurement.
Le fait de combattre des Abominations et de se sentir en position d'infériorité l'avait fait rager. Il en avait quand même tué deux — ce qui relevait déjà de l'exploit ! — mais il s'en voulait de ne pas en avoir éliminé plus. Ces monstres avaient dévoré ses amis, il aurait aimé le leur faire payer ! Sa main se serra un peu plus sur son sabre et il poursuivit son chemin.
Comme il s'en était douté, Haruni s'entraînait depuis un moment déjà sur le terrain. Seiryū nota de la tension dans ses gestes, comme de la colère refoulée.
« Je ne suis pas le seul, » songea-t'il avec un sourire las.
Il s'approcha en sachant que Haruni avait noté sa présence, bien qu'il n'y réagissait pas. L'adolescent acheva son enchaînement, la sueur coulant sur son front. Il avait conservé une tenue bleu ciel à manches longues malgré l'effort et le cœur de Seiryū se serra en songeant aux hideuses cicatrices que cela dissimulait sûrement, des cicatrices causées par sa faute.
« C'est peut-être la culpabilité qui m'a poussé à lui jurer allégeance, » se dit-il soudain.
Toutefois, peu importait la raison. Il devait d'abord déterminer si Haruni se souvenait ou pas de son serment. Il aviserait ensuite.
« Firal Seiryū, fit soudain l'adolescent en reconnaissant sa présence et en s'approchant de lui.
– Votre Altesse. »
Le “mon prince” ne sortait pas, alors mieux valait s'abstenir de l'utiliser.
« Ce n'est pas notre jour habituel d'entraînement, poursuivit le Second Prince en s'essuyant le visage.
– Je sais. J'ai besoin d'un duel pour penser à autre chose. Vous voulez bien ? »
Haruni le fixa un moment avant d'acquiescer.
« Allons-y. »
Parfois, le Second Prince savait se montrer sociable et compréhensif.
Les deux jeunes gens se saluèrent, puis entamèrent le combat. C'était un duel libre comme l'appréciait Haruni. De toute façon, Seiryū n'avait pas la tête aux choix stratégiques de postures, il préférait la simplicité des attaques-défenses. Après presque deux ans de pratique hebdomadaire, ils étaient familiers avec le style de l'autre et les passes se succédèrent rapidement. Fait rare, Haruni perdit peu à peu son sang froid et commit des erreurs. Seiryū finit par l'emporter en le désarmant. L'adolescent, couvert de sueur, ne fut guère ravi de sa défaite.
« Et merde ! » jura-t'il.
Seiryū tiquait à chaque fois qu'il entendait son langage peu princier. Ce n'était cependant pas son rôle de le corriger sur ce point.
« C'est un bon duel, fit-il apaisé. Vous ne cesserez jamais de m'étonner par vos progrès. »
Le compliment lui valut uniquement un regard noir.
« Mes progrès n'ont servi à rien contre les vampires !
– Vous en avez tué plus que moi, rappela Seiryū.
– Et alors ? » répliqua l'adolescent.
Il ramassa son sabre et expira bruyamment.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Leur entraînement étant fini, Seiryū en profita pour aborder le sujet qui le taraudait :
« À propos de ce qui s'est passé là-bas… commença-t'il.
– Je sais, » répondit laconiquement Haruni.
Seiryū fut interloqué. S'il savait, pourquoi ne s'était-il pas manifesté plus tôt ? Est-ce qu'il attendait que Seiryū fasse le premier pas ? Était-ce un test de sa loyauté ?! Haruni lui lança un regard indéchiffrable, mais dénué d'hostilité. Seiryū se sentit tout à coup nerveux sans trop savoir pourquoi.
« Grâce à votre aide, Tomuki a été sauvé. Je vous en suis reconnaissant, Firal Seiryū, et… ce que vous avez fait efface totalement ce qui s'est passé à Dekita. Je n'en ferai plus jamais mention. »
Complètement pris par surprise, Seiryū ne trouva pas ses mots et resta bouche bée. Ce qui s'était passé à Dekita, et surtout à la caserne de Tomako, lui avait toujours pesé sur la conscience, d'autant plus que Haruni lui en voulait encore. Le fait de l'entendre dire que sa faute était effacée lui procura une joie inestimable. Les larmes lui vinrent aux yeux et il cligna plusieurs fois pour les repousser.
Haruni avait songé à tout cela depuis la veille et il avait profité des effets apaisants de leur duel pour annoncer son intention. Cependant contrairement à ce que pouvait s'imaginer Seiryū, il ne le remerciait pas pour avoir combattu les vampires à ses côtés — ça, c'était normal selon lui. Il le remerciait pour lui avoir donné l'idée d'invoquer Hakurō. Sans ça, ils auraient succombé face aux vampires et tout aurait été perdu. Haruni n'était pas ingrat et il avait donc décidé d'offrir à Seiryū quelque chose d'équivalent en retour. Son pardon inconditionnel pour Dekita s'était imposé d'office dans son esprit. Néanmoins, cela ne changerait pas sa méfiance à l'égard du Firal, puisque cela datait de bien avant cette histoire.
Seiryū finit par retrouver l'usage de la parole, bien qu'encore très ému.
« Je… vous n'avez pas idée de ce que ça représente pour moi ! Merci, merci, votre Altesse !
– Ne me remerciez pas, vous l'avez mérité. »
Emporté par l'élan du moment, le Firal demanda sans réfléchir :
« Vous pourriez me montrer… votre bras ? »
Haruni plissa le front, un brin d'agacement surgissant de nouveau. Le calme n'avait pas duré longtemps avec Seiryū !
« Pourquoi vous voulez le voir ? demanda-t'il un peu sèchement.
– Je veux voir s'il y a des… cicatrices… si elles sont très visibles. J'en fais des cauchemars parfois. Je vous en prie ! Je ne pourrai clore définitivement ce chapitre qu'une fois que j'aurai vu que votre bras va bien ! »
Et après, on disait que c'était lui qui était obstiné ! Haruni roula des yeux et décida de se montrer généreux. Et puis comme ça, Seiryū arrêterait enfin de le harceler à ce propos !
Sans un mot, sous le regard éberlué du Firal, l'adolescent remonta sa manche pour dénouer sa protection d'avant-bras gauche. Les yeux émeraude ne quittèrent pas son bras, le jeune homme retenant inconsciemment son souffle. La terrible blessure qui avait failli coûter à Haruni son bras avait bien guéri, en effet, mais elle avait laissé des cicatrices, quoique pas aussi hideuses que ce qu'avait cru Seiryū. Il s'agissait de fines lignes blanches aux endroits où la peau avait été déchiquetée. Elles formaient un réseau sur tout le bras. Seiryū s'oublia et s'approcha jusqu'à presque toucher la peau. L'ensemble faisait penser à de légères marbrures, presque invisibles de loin. L'image de porcelaine veinée apparut dans l'esprit du Firal, quelque chose de délicat et de raffiné. Comme cela n'avait rien d'horrible, Seiryū poussa un soupir de soulagement. Avec ça, ses cauchemars allaient enfin cesser de le tourmenter.
Haruni rabaissa sa manche, mettant fin à la contemplation du jeune homme qui se redressa, rempli d'une nouvelle détermination.
« C'est de ma faute si vous avez été blessé.
– J'ai dit que c'était effacé, » rappela Haruni.
Malgré ça, Seiryū ne pourrait jamais oublier ce qui s'était passé. Il serra les poings et déclara :
« Je ne laisserai plus jamais cela arriver, mon prince. »
Cette fois, il n'hésita pas sur l'appellation honorifique. Le doute avait disparu de son esprit en cet instant. Par contre, Haruni tiqua et plissa le front.
« Qu'est-ce que vous racontez encore ? marmonna-t'il, son agacement renouvelé.
– Hé bien, vu que je vous ai prêté serment d'allégeance, vous êtes à présent…
– Un serment d'allégeance ? le coupa Haruni. Quand ça ?! »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Seiryū le fixa avec un peu d'hésitation.
« Ah, vous… vous avez oublié aussi ? Cela s'est passé juste avant que nous entrions dans les tunnels pour retrouver Tomuki. Vous avez dit…
– Je sais ce que j'ai dit et ce que vous avez dit. Il n'a pas été une seule fois question d'allégeance. »
Le ton affirmé de l'adolescent faillit faire douter Seiryū.
« Vous m'avez demandé de vous obéir, argua-t'il, et c'est alors que j'ai…
– De m'obéir pour qu'on retrouve Tomuki, c'est tout.
– C'est … c'est tout ? »
Seiryū fronça les sourcils, perplexe. Avait-il mal compris les intentions du Second Prince à ce moment ? Possible. Cependant, même si c'était le cas…
« Vous avez tout de même accepté mon serment, vous m'avez même donné votre Premier Ordre. »
Suivez-moi.
Ça, Seiryū ne pourrait jamais l'oublier tant ces mots avaient résonné avec son âme.
« J'ai accepté votre obéissance le temps qu'on retrouve Tomuki, c'est tout, » répéta l'adolescent.
Le Second Prince essayait-il d'échapper à sa parole ? Seiryū se révolta contre cette idée.
« Ça, vous ne l'avez pas précisé !
– Et vous, vous n'avez jamais employé le mot 'allégeance' ! répliqua Haruni un ton plus haut. Comment vous vouliez que je comprenne ?
– J'ai dit que ma loyauté vous était acquise à jamais, à jamais ! Qu'est-ce qu'il y a de plus à comprendre ?! »
Pour le coup, Seiryū perdit patience à son tour. Comment le Second Prince pouvait-il refuser sa loyauté ? Il y avait des gens prêts à tout pour obtenir l'allégeance du clan Inugami. Se rendait-il compte de l'honneur que Seiryū lui faisait ?!
« Si vous aviez utilisé des termes clairs au lieu de vos tournures poétiques, j'aurais mieux compris !
– Hé bien là, je vous le dis clairement : je vous prête serment d'allégeance !
– Je refuse ! »
Seiryū blêmit. C'était comme avec ses demandes d'amitié : le Second Prince les rejetait sans même y réfléchir, comme si ce n'était pas assez bien à ses yeux.
« Vous ne pouvez pas, répliqua-t'il avec presque du triomphe dans la voix. Vous avez déjà accepté ! »
Contrairement à ses demandes d'amitié, Seiryū avait de quoi argumenter. Cela ne parut pourtant pas troubler l'adolescent qui croisa les bras.
« Ah ! Je suis sûr qu'on peut annuler le serment puisque j'avais mal compris. »
Seiryū tiqua sur le mot 'annuler'. Il avait un très fort sens dans leur culture : quand on voulait annuler une cour ou un serment, cela revenait à nier son existence, en détruire toutes les preuves matérielles et ne plus jamais en faire mention. Bien sûr, Haruni ignorait cette subtilité et employait ce mot plus dans le sens d'invalider.
« Vous n'êtes plus un enfant pour prétendre avoir mal compris, » se défendit le Firal.
Haruni plissa soudain les yeux et Seiryū déglutit, redoutant le pire.
« D'ailleurs, qu'est-ce qui vous a pris de me proposer votre loyauté ? demanda le Second Prince d'un ton soupçonneux. Vous pensiez réellement que j'allais accepter ?
– Vous avez accepté, rappela le Firal avec insistance. Et puis, si je vous l'ai proposé… »
Mmm, on en revenait toujours au même problème : Seiryū était incapable d'expliquer son geste. En plus normalement, il ne devrait pas avoir à fournir d'explications !
« Vous n'en savez rien, comprit Haruni après son silence. Vous aviez même oublié ce serment.
– Hein ? Comment vous le savez ?! s'étonna le Firal.
– … C'est vous qui me l'avez dit. »
Seiryū tenta de se souvenir de ses paroles, mais c'était trop vague. C'était bien le problème quand on s'exprimait avec son cœur, on disait bien trop de choses. Le Second Prince eut un sourire triomphant.
« Je pense qu'il est dans notre intérêt à tous les deux d'oublier cette histoire.
– Que… que voulez-vous dire ?
– Vous avez prononcé ce serment sans réfléchir, dans l'agitation du moment et moi, j'ai accepté sans tout comprendre. Au vu des circonstances, ce serment n'avait rien de sérieux. »
Seiryū inspira vivement : bien sûr que son serment était sérieux ! Haruni ne lui laissa pas le temps de protester :
« La preuve, vous l'aviez oublié.
– Mais j'ai fini par m'en rappeler ! protesta le Firal.
– En avez-vous parlé à votre père ? Non, je me disais bien. »
L'air embarrassé et hésitant du jeune homme lui avait fourni la réponse.
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« Il y a eu… tellement de choses qui sont arrivées, se défendit faiblement Seiryū.
– C'est vrai, approuva Haruni à sa grande surprise. Nous vivons des moments très douloureux. Cela explique pourquoi aucun de nous deux n'avait les idées claires à ce moment-là. »
Seiryū fut incapable de réfuter cela. En réalité, même s'il rassemblait son courage pour avouer ce qu'il avait fait à son père, ce dernier brandirait aussitôt cet argument pour invalider le serment. Il risquait même d'accuser Haruni d'avoir usé de la magie pour embrouiller l'esprit de son fils et lui arracher ce serment d'allégeance.
« Soit, concéda-t'il, mais j'ai les idées claires à présent et je vous fais de nouveau mon serment d'allégeance, mon prince.
– J'ai aussi les idées claires à présent, rétorqua Haruni, et je ne l'accepte pas. »
Le jeune homme le fixa avec de grands yeux.
« Mais enfin, pourquoi ?! s'écria-t'il, désespéré et exaspéré.
– Je n'ai pas besoin de votre allégeance, expliqua Haruni. Ça ne me servirait à rien.
– Vous ne savez même pas tout ce que ça peut vous apporter ! répliqua Seiryū d'un ton vexé.
– Oh ? Dites-le moi alors. Qu'est-ce que vous pouvez m'apporter que je n'ai déjà ? »
Encore une autre question qui prit Seiryū au dépourvu. Que pouvait-il apporter ? Pendant toute son enfance, il avait été élevé dans l'idée qu'offrir son allégeance était le plus grand des honneurs. Jamais on ne lui avait dit que cet honneur pouvait être refusé, aussi avait-il toujours eu l'impression que son serment serait accepté avec enthousiasme, quelle que soit la personne qu'il choisirait. Jamais il ne se serait imaginé devoir convaincre l'autre d'accepter sa loyauté, alors il n'avait aucun argument de prêt.
Haruni haussa un sourcil moqueur devant son silence.
« Hé bien, quelle éloquence, Firal Seiryū !
– Je… »
Le jeune homme serra les poings avec impuissance.
« Puisque vous n'avez rien à me dire pour me convaincre et que je n'ai absolument pas besoin de votre allégeance, faisons comme si rien de s'était passé. »
Seiryū lui jeta un regard implorant, mais ne trouvait toujours pas les mots.
« Cela vous évitera l'embarras de vous expliquer devant votre père. »
C'était un excellent argument. Pourtant, cette idée révoltait Seiryū.
« Mon prince, je… » tenta-t'il de protester.
Les yeux dorés se plissèrent.
« Si vous avez le culot d'insister, siffla Haruni, je me montrerai vraiment désagréable.
– … Parce que vous ne l'êtes pas en ce moment ? marmonna le Firal, retenant un rire incrédule.
– Vous n'avez pas idée. »
Sur ces mots, Haruni quitta le terrain d'entraînement et lâchement, Seiryū ne tenta pas de le retenir. Il était furieux contre le Second Prince, mais aussi contre lui-même. Il se mordit les lèvres et regagna ses quartiers d'un pas rapide. Il n'avait pas dit son dernier mot !
Les funérailles eurent lieu en début d'après-midi. Quarante-trois bûchers furent érigés dans la cour principale. Même si Haruni avait obtenu que les crémations aient lieu ensemble, il y avait trois zones bien délimitées : à l'avant pour les jeunes nobles, en retrait d'un côté pour les soldats et de l'autre pour les servants. Du coup, les familles d'origines différentes ne se côtoyaient pas. Haruni fronça les sourcils en remarquant cette disposition, sans toutefois objecter. Ce n'était pas du tout le moment. Ce fut Gugonjū qui prononça les paroles du rituel, assisté par les autres prêtres. La voix du prêtre supérieur était assez forte pour être entendue jusqu'au fond de la cour. Il énonça le nom de toutes les victimes sans oublier un seul servant ou garde, ce dont Haruni lui fut reconnaissant.
Tomuki était bien pâle et se mit à pleurer sans bruit devant les dépouilles de ses amis. Il songeait également à Manoru qui n'avait pas encore repris connaissance et dont l'état était critique. Les médecins de la Cour le veillaient à tour de rôle nuit et jour. Le Premier Prince ne parvenait pas à réaliser qu'il avait suffi de quelques heures seulement pour perdre autant. Ses mains tremblèrent lorsqu'il coupa une mèche de ses cheveux pour la jeter sur les bûchers en signe de respect. Tout le monde en fit autant. Haruni s'arrêta particulièrement devant le bûcher de Manaru. Les servant avaient bien préparé le corps pour le rendre présentable, même si Haruni garderait en tête l'image du jeune garçon à moitié dévoré.
« Manaru, songea-t'il, le premier ami que je me suis fait à la Cour. C'est à cause de moi que tu as pris part à cette chasse. Pardonne-moi. Je trouverai ceux qui ont fait ça, je t'en fais le serment ! »
Les familles nobles passèrent en dernier avant d'allumer les bûchers au moyen des torches tenues par des officiels.
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Haruni prit soudain la main de son frère et le conduisit à l'arrière de la cour.
« Haruni ?
– Suis-moi, » fit-il simplement.
Certains conseillers les fixèrent avec désapprobation. Haruni emmena son frère vers la zone des soldats où l'offrande des cheveux n'était pas encore achevée. Les soldats écarquillèrent les yeux à leur approche et se prosternèrent, comme les familles hébétées.
« Relevez-vous, » leur fit le Second Prince.
Il se rendit devant les vingt bûchers et coupa une mèche de ses cheveux à chaque fois, sous les regards sidérés. Même Tomuki prit un air ébahi.
« À toi, lui demanda ensuite Haruni.
– Mais que…
– Ces hommes courageux se sont sacrifiés pour nous protéger. Ils méritent tous les honneurs. »
Les paroles de l'adolescent furent entendues et cela engendra un surcroît de respect chez les soldats. Tomuki ne discuta plus et offrit également quelques mèches. Pendant ce temps, Haruni s'adressa au plus haut gradé :
« Nous allons participer au fond de veuvage. Un servant viendra vous porter la somme après la cérémonie.
– Votre Altesse, c'est trop généreux !
– C'est normal. »
Les soldats furent très surpris que le Second Prince soit au courant pour le fond de veuvage : quand un soldat mourait, tous les membres de son unité ainsi que les volontaires se cotisaient pour donner de l'argent à sa famille privée de ressources. Cette organisation était interne et peu de généraux étaient au courant de son existence.
Haruni conduisit ensuite son frère du côté des servants pour réitérer l'offrande des cheveux. Tomuki se rendit alors compte que cette tragédie avait affecté bien d'autres personnes.
« Ils sont tous morts pour nous protéger, murmura-t'il à son frère alors qu'ils regagnaient leur place. Le méritons-nous vraiment ? »
Le Second Prince prit un air compliqué.
« Nos vies ne valent pas plus que les leurs, répondit-il, mais puisqu'ils sont morts pour nous, à nous de faire honneur à leur sacrifice. »
Tomuki acquiesça, sentant cette responsabilité peser sur ses épaules. L'insouciance de sa jeunesse lui semblait si loin tout à coup ! Ils reprirent leur place aux côtés de leurs parents. Tegami hocha la tête dans leur direction, fier de leur initiative. Kaname adressa un doux sourire aux deux jeunes gens.
De son côté, Kenryū avait grommelé en voyant les agissements du Second Prince.
« Il ose profiter de la mort de ces malheureux pour tenter de bien se faire voir ! » avait-il fulminé à voix basse.
À sa droite, Seiryū ne voyait pas du tout les choses de la même manière : son prince avait bon cœur et voulait simplement faire honneur aux morts, quel que soit leur rang. Cependant, les gens avaient plutôt tendance à prêter de mauvaises intentions au Second Prince. C'était notamment le cas des conseillers, en rang au pied des escaliers. Le général Modori toussa et se cacha le nez derrière un carré de soie.
« L'odeur de fumée va rester dans le palais pendant des semaines ! murmura-t'il à son voisin Hatochi. Quelle bonne idée le Second Prince a eue là !
– C'est amusant, répliqua Hatochi sur le même ton, se cachant derrière son éventail. Je ne me rappelle pas vous avoir entendu vous y opposer. »
Modori grommela, pris en tort. Hatochi poursuivit :
« On dirait que le Second Prince a commencé ses manigances politiques. Nous ne devons pas faire l'erreur de le sous-estimer. »
Le général acquiesça, la mine sombre.
« Tu veux quoi ? » fit l'Empereur, le visage blême.
Haruni retint un soupir. Il avait décidé de changer certaines choses dans son comportement suite à sa retraite spirituelle, d'où sa démarche auprès de son père. Néanmoins, ce n'était pas gagné d'avance.
« Je vais enquêter de mon côté sur les vampires, répéta-t'il.
– Il y a déjà une enquête officielle menée par Kenryū, rétorqua Tegami. J'ai toute confiance en lui !
– Le général Kenryū n'a pas mon expérience, que ce soit sur les vampires ou le genre de personnes qui voudraient en créer.
– Et quelle expérience as-tu, toi ? »
Honnêtement, l'adolescent se demandait souvent si son père ne s'était pas hypnotisé pour retirer ses souvenirs le concernant.
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« Je vous l'ai dit, j'étais chasseur de vampires. Et avant ça, en tant que Templier, j'ai souvent enquêté sur des hérétiques. »
Ces deux termes n'existaient pas dans leur langue. Haruni fit pour expliquer :
« Des Abominations en tout genre, du simple dégénéré au…
– Arrête ! le coupa son père. Tu ne devrais même pas connaître ces mots !
– Et pourtant je les connais, et bien plus encore, répliqua l'adolescent en haussant les épaules. Alors autant mettre ces compétences à profit. »
Tegami avait l'air très mécontent.
« Tu as connu ces… horreurs chez les Vites, mais ce genre de choses est très différent chez nous ! »
Haruni leva les yeux au ciel : Vites ou humains, le mal était le même.
« De toute façon, ton frère et toi ne quitterez plus le palais. Ah, je savais que cette partie de chasse était une mauvaise idée ! » s'énerva l'Empereur.
Apparemment, Tegami se sentait coupable d'avoir autorisé la sortie. En tout cas, cela avait ravivé sa paranoïa.
« Vous allez nous garder enfermés toute notre vie ? railla Haruni. Soyez un peu raisonnable.
– Je vous ai laissés sortir et regarde ce qui est arrivé ! Tu vas dire que ce n'était rien ?!
– Se cacher du danger ne sert à rien, il faut au contraire s'y préparer et l'affronter. Et puis, qui vous dit que même ici, nous serons toujours en sécurité ?
– C'est… le palais est quand même moins dangereux !
– Parce qu'on sera protégés des maladies ? insista l'adolescent. De s'étouffer avec de la nourriture ? De se couper avec nos sabres ? De tomber de cheval et de se rompre le cou ? »
Les yeux de Tegami s'écarquillèrent vivement et il cessa de respirer.
« Arrête ! » intervinrent subitement les Dieux, ce qu'Ils ne faisaient jamais quand il se disputait avec son père.
Mais le mal était déjà fait : le frère de Tegami était mort d'une chute de cheval et la douleur de sa perte ne le quitterait jamais. Haruni n'y avait pas pensé en mentionnant ce fait, trop énervé par l'attitude peureuse de son père. Il regretta ses paroles, mais pas son intention.
« Quand arrêterez-vous de vous montrer aussi déraisonnable ? reprit-il.
– Cela suffit ! fit l'Empereur d'un ton furieux. Hors de ma vue ! »
L'adolescent aurait aimé asséner une réplique bien sentie, mais les Dieux le pressèrent de partir. Il renifla : de toute manière, il se passerait simplement de l'autorisation de son père. Il ne savait même pas pourquoi il avait essayé de le convaincre.
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