Le Prince Solitaire 7 18

Chapitre Dix-huit : Si pendant un an…


Kurojū, troisième mois de l’année 2458


L’exécution de Hidona eut lieu deux jours plus tard. Sa famille s’était présentée au palais, y compris le vieux seigneur Kawaru et les deux enfants de Mitōkoro. Tous avaient coupé leurs longs cheveux et portaient des tenues simples en guise de pénitence. Ils se prosternèrent et implorèrent le pardon de l’Empereur, non pas pour Hidona mais pour leur clan. En effet, il n’était pas rare qu’un clan tout entier soit puni pour la transgression d’un de leur membre. Dans les temps anciens, beaucoup de clans avaient ainsi été exterminés pour un seul crime commis. Cela n’allait pas être le cas aujourd’hui, mais le seigneur Kawaru demanda quand même à être exécuté avec sa fille car clairement, il ne l’avait pas bien éduquée. En voyant les trois générations en supplique, les conseillers poussèrent des soupirs et même ceux qui soupçonnaient un plus grand complot se sentirent émus. Le seigneur Bimara aida Mitōkoro à se relever et ce dernier s’excusa en larmes.


Pendant ce temps, la principale intéressée attendait à genoux dans la cour en riant doucement. Elle avait complètement perdu l’esprit et les tortures durant son interrogatoire n’avaient pas aidé. Ses servants au contraire imploraient qu’on épargne leurs vies car ils n’avaient fait qu’obéir à leur maîtresse. En voyant le seigneur Mitōkoro, leurs lamentations redoublèrent.

« Silence ! leur fit-il d’un ton cinglant. Vous déshonorez vos ancêtres et notre clan ! »

Ainsi rabroués, les servants se mirent à pleurer en silence. Un officiel lut les charges à leur encontre et des soldats se chargèrent des exécutions. Les têtes tombèrent à terre dans un silence de mort. Ce fut la conclusion d’une bien triste affaire. Cependant, même si les coupables avaient reçu leur juste châtiment, les familles des victimes continueraient de pleurer leurs défunts. Il faudrait très longtemps pour que ce chagrin s’atténue.


~*~


Au repas du soir, Kenryū trouva son fils abattu et crut que c’était à cause de l’exécution.

« Il y a beaucoup de choses horribles en ce monde, fit-il. Même le plus brave des hommes aurait été perturbé par cette affaire.

Mmm, » répondit distraitement le jeune homme.

Le général haussa un sourcil. Ce n’était donc pas ça qui le tourmentait ?

« Seiryū, tout va bien ? » demanda-t’il directement.

Cela sortit son fils de sa réflexion.

« Ah, je réfléchissais… Je me demandais… »

Kenryū attendit patiemment. Le jeune homme finit par se lancer :

« Qu’est-ce que je peux apporter à la personne que je souhaite servir ? »

Ça rendit Kenryū plus que curieux : son fils avait l’air de beaucoup y penser ces derniers temps. Cela signifiait-il qu’il avait enfin quelqu’un en vue ?

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

« Tu peux lui apporter le soutien inconditionnel de notre clan, voyons, répondit-il d’un ton d’évidence.

D’accord, mais qu’en est-il de moi en tant que personne ? »

Le regard émeraude convoyait tout son sérieux. Les paroles de Haruni l’avaient ébranlé et il cherchait des réponses depuis, en vain. Voilà pourquoi il se tournait vers son père.

« Seiryū, tu es un jeune homme brillant, habile au sabre, fort en stratégie…

Si c’est également son cas, ça ne sera pas très utile, marmonna Seiryū.

Tu es aussi charmant, doué en poésie, drôle et loyal… »

Seiryū se voyait mal évoquer ces arguments devant le Second Prince.

« Mais encore ? »

Son père fronça les sourcils.

« Pourquoi tu devrais te justifier ? Ne te pose pas autant de questions, mon fils. Quelle que soit la personne à qui tu prêteras allégeance, il t’acceptera volontiers. »

Non, eut envie de répondre Seiryū, sauf que ça l’aurait obligé à nommer Haruni. Il savait très bien comment réagirait alors son père : très, très mal.


« Ce n’est pas sûr, nuança-t’il. Je préfère me préparer à toutes les éventualités. Il y a bien dû y avoir dans notre histoire des serments d’allégeance compliqués, non ? »

Kenryū réfléchit.

« Compliqués, c’est sûr, reconnut-il. Mais en fin de compte, nos ancêtres ont toujours pu se tenir aux côtés de la personne de leur choix.

Mmm, je me replongerai dans les archives familiales, ça m’aidera peut-être. »

Il doutait cependant d’y trouver de l’aide : jamais il n’y avait eu quelqu’un d’aussi particulier que Haruni !

« Seiryū, si tu envisages quelqu’un, tu peux m’en parler, tu sais. Et s’il y a des difficultés, je peux t’aider et en discuter avec les parents de cette personne. »

Ou directement avec la personne concernée et lui expliquer simplement que son Seiryū était le plus merveilleux des jeunes hommes et qu’il avait intérêt à accepter son allégeance sans discuter, ou bien il aurait tout le clan Inugami contre lui et les siens ! Seiryū devina les pensées de son père et eut un rire embarrassé. Voilà une autre raison pour laquelle il devait régler ça tout seul.

« Merci, père, fit-il avec un sourire reconnaissant. Mais je suis un adulte et je dois agir en tant que tel.

Mmph, il n’y a rien de déshonorant à compter sur son père, même pour un adulte, » grommela le général.

Seiryū eut un léger rire.

« Vous avez raison. Je tiens quand même à régler ça seul.

Puisqu’on parle d’adulte, ta mère veut inviter ta fiancée pour l’automne.

M-ma fiancée ? Elle n’est même pas majeure ! » s’affola Seiryū.

Kenryū rit de la confusion de son fils.

« Bimako a six ans de moins que toi, donc elle est majeure. Tu oublies que tu lui as envoyé un cadeau pour l’occasion. »

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Comme tous les jeunes hommes, Seiryū n’était guère concerné par ces choses. C’était sa mère qui avait choisi le présent.

« Nous ne voulons pas te marier tout de suite, rassure-toi. C’est juste une rencontre amicale. Cela dit, le temps passe. »

Seiryū n’était absolument pas pressé de se marier. Il n’avait pas encore trouvé le grand amour — le second grand amour. Il devait déjà convaincre Haruni d’accepter son allégeance et surtout, il était encore bien trop jeune pour fonder une famille, peu importe à quel point ses parents le souhaitaient. Ça pouvait attendre au moins dix ou vingt ans !

« C’est entendu, » soupira-t’il.

Il n’y réchapperait pas de toute manière. Son père lui tapota l’épaule pour le réconforter.


~*~


Quelques jours après, alors qu’ils se trouvaient à la bibliothèque pour étudier en autonomie, un messager vint prévenir que le Fieur Manoru était réveillé. Comme il n’avait aucune famille au palais, les médecins avaient pensé que le Premier Prince aimerait être informé, au vu de son amitié avec lui. L’Empereur avait également été notifié.

« Manoru est réveillé ? s’écria Tomuki. Je peux aller le voir ?

Le Fieur est encore faible, fit le messager, mais les médecins pensent que de la visite lui ferait du bien.

Je viens tout de suite !

Je t’accompagne, suggéra alors Haruni.

Ah, il ne peut avoir qu’un seul visiteur au vu de son état, » précisa le messager.

Tomuki adressa un sourire à son frère.

« Tu pourras y aller plus tard, il sera content de te voir. »

Tout heureux, il suivit le messager.


Haruni se retrouva ainsi seul avec Seiryū et Kenshirō. Ça expliquait aussi pourquoi il avait proposé d’accompagner son frère. Contraint de rester, il se mit à feuilleter le recueil qu’il venait de prendre. Pendant ce temps, les deux jeunes gens en face de lui discutaient entre eux de la nouvelle.

« Les Dieux soient loués, Tomuki était si inquiet pour lui, fit Kenshirō.

Ils ont vécu un rude moment ensemble, approuva Seiryū en grimaçant.

Mmm, tu penses qu’ils vont enfin se courtiser à présent ? »

Intérieurement, Haruni roula des yeux. Pourquoi était-ce la seule préoccupation de ces gens ?

« Manoru est gravement blessé et sa guérison sera longue, fit Seiryū. Je ne sais pas si c’est le bon moment.

Il paraît qu’il va garder d’horribles cicatrices. Je me demande s’il réapparaîtra à la Cour. »


Le livre de Haruni se referma brusquement, attirant l’attention des deux jeunes hommes.

« Et pourquoi ne se montrerait-il plus à la Cour ? demanda l’adolescent.

Hé bien, s’il est défiguré ou handicapé…

Ça diminuerait sa valeur ? »

Seiryū comprit que le sujet était sensible pour Haruni à cause de ses propres cicatrices. Il donna donc un coup de coude à son amant et fit :

« Bien sûr que non, le courage dont a fait preuve Manoru en protégeant Tomuki reste admirable ! »

Haruni lui lança un regard dubitatif avant de fixer Kenshirō. Ce dernier aurait aimé narguer encore le Second Prince, mais Seiryū lui pressait la main pour lui indiquer se taire. Bien que ça ne lui plaisait pas, le jeune homme concéda.

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Voyant le Second Prince reprendre son livre, Seiryū poussa un soupir discret de soulagement. Il ne voulait pas se retrouver dans une dispute entre son prince et son amant ! Cependant, Kenshirō avait vraiment le don pour aborder les sujets à éviter, comme il le prouva à nouveau.

« Votre Altesse, vous lisez un recueil de contes pour enfants, nota-t’il.

Et alors ? » répliqua le concerné sans lever les yeux du livre.

En fait, il le feuilletait plus qu’il ne le lisait. Arrivé au bout, il en prit un second du même genre dans la pile en face de lui et poursuivit son feuilletage.

« Vous… cherchez quelque chose peut-être ? » s’enquit Kenshirō, curieux.

Ça lui valut un regard scrutateur, puis Haruni se résolut à répondre :

« Je ne sais pas précisément, mais je cherche l’origine de la soi-disant loyauté du chien. »

Seiryū tiqua : devait-il se sentir visé ? Le chien était l’emblème de son clan, justement pour sa loyauté.


D’ailleurs, Kenshirō se tourna vers lui pour la réponse. Seiryū toussota et fit :

« Le conte est répertorié dans les Annales du Grand Maître Ōboue. Je peux vous le raconter, si vous voulez. »

Haruni posa son livre et hocha la tête. En voyant qu’il le fixait avec attention, Seiryū se lança avec enthousiasme. Ce conte était peut-être un moyen de le convaincre de sa valeur !

« Il y a fort longtemps, le seigneur Kōshin avait un chien. Ce chien l’accompagnait partout, obéissait à ses ordres et le protégeait. Les gens ne tarissaient pas d’éloges sur cet animal si fidèle. Un jour cependant, le seigneur Kōshin dut partir en guerre. Il ordonna à son chien de l’attendre et le fidèle compagnon resta aux portes de la demeure, regardant son maître qui partait guerroyer. Il resta là pendant des jours, les yeux fixés sur la route. Les servants ne purent le faire rentrer et ils déposaient de la nourriture à ses pieds. Même si un faisan ou un chat se montrait, le chien ne bronchait pas. »


Seiryū inspira avant de reprendre la suite, arrivant au moment le plus poignant :

« Les jours passèrent, puis les semaines. Un messager revint alors du front avec une triste nouvelle : le seigneur Kōshin était mort lors d’un assaut. Toute la demeure se lamenta, tandis que le chien resta à son poste. Ce ne fut que lorsque le corps du seigneur fut ramené que le chien se leva et aboya, comme pour le saluer. Il se tint devant le bûcher de son maître et quand le feu prit, il aboya à nouveau. Quand il ne resta plus que des cendres, le fidèle animal se coucha au milieu du bûcher encore tiède et mourut à son tour. Depuis, les chiens sont reconnus comme étant les plus loyaux des animaux. »

Ému par sa propre histoire, Seiryū se souvint qu’il avait éclaté en sanglots la première fois qu’il l’avait entendue. Il s’était totalement identifié au pauvre chien et avait ressenti sa douleur, entre l’attente interminable puis la perte de son maître. Sa mère l’avait alors consolé en disant que le fidèle animal avait rejoint son maître dans le monde des esprits et qu’ils étaient ensemble pour toujours. Ah, c’était vraiment la plus émouvante des histoires !


« C’est stupide ! » fut le verdict de Haruni.

Seiryū sentit sa mâchoire se décrocher.

« Stupide, stupide, songea-t’il, il trouve que cette formidable histoire est stupide, alors que c’est la base de la philosophie de mon clan ! »

À côté de lui, Kenshirō lui tapota la main, conscient de ses pensées. Son regard convoya le message suivant :

“En même temps, tu t’attendais à quoi de sa part ?”

Le Firal poussa un lourd soupir, son moral en avait pris un coup. Tout en redoutant la réponse, il se risqua néanmoins à demander :

« Pourquoi vous dites ça ? »

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Haruni croisa les bras et énuméra tout ce qui n’allait pas selon lui :

« D’abord, puisque ce chien accompagnait partout le seigneur Kōshin et le protégeait, pourquoi ne l’a-t’il pas emmené au front avec lui ?

Mmm, peut-être pour ne pas le mettre en danger ? » essaya d’argumenter Seiryū.

Haruni l’ignora.

« Ensuite, si le chien était si loyal, n’aurait-il pas dû justement suivre son maître à tout prix ?

Dans ce cas, il aurait désobéi, intervint Kenshirō. Et cette histoire est justement là pour louer son obéissance.

Je croyais que c’était sa loyauté ?

N’est-ce pas pareil ?

Non, on peut être loyal envers quelqu’un mais s’il se montre déraisonnable, il ne faut pas lui obéir aveuglément. »


Ça attira l’attention de Seiryū : ainsi, Haruni ne voulait pas une obéissance absolue, mais préférait quelqu’un qui réfléchissait à ses ordres et n’hésiterait pas à les contredire ?

« Pourtant, se dit-il, il m’a demandé de lui obéir sans discuter. Rah, pourquoi se contredit-il ?! »

Perdu, Seiryū en profita pour demander :

« Qu’auriez-vous fait à la place du seigneur Kōshin ?

J’aurais pris le chien avec moi, bien sûr. »

Évidemment, Haruni n’était pas du genre à laisser les gens en arrière.

« Suivez-moi. »

Son premier ordre reflétait cet état d’esprit. En y repensant, Seiryū eut un doux sourire. Kenshirō le remarqua et se renfrogna. Il savait depuis un moment que Seiryū était intéressé par le Second Prince mais à présent qu’ils étaient de nouveau ensemble, c’était inacceptable ! Il plissa les yeux et se dit qu’ils devraient rapidement en discuter afin de déterminer l’avenir de leur couple.


~*~


Tomuki revint une heure plus tard, clairement déprimé.

« Comment va Manoru ? s’inquiéta Seiryū.

Il est confus, répondit le Premier Prince. Pour lui, l’attaque est toute récente. Il aura besoin de temps pour s’en remettre. »

Ce n’était guère surprenant : contrairement à eux, Manoru n’avait pas repris connaissance tout de suite car les médecins avaient voulu lui éviter la douleur de ses blessures. Alors dans son esprit, le terrible drame était tout frais et il ne l’avais pas assimilé.

« Et pour ses blessures ? s’enquit Kenshirō, ce qui lui valut un regard noir de la part de Haruni.

Les médecins ne peuvent rien dire encore. Il faut voir comment ça guérira. »


Ils prirent tous un air sombre. Bien que Manoru faisait partie des survivants, pouvait-on dire qu’il était chanceux ? Il en garderait des séquelles à vie, non seulement psychologiques mais aussi physiques.

« Garde courage, Tomuki, assura Seiryū. Nous resterons à ses côtés pour le soutenir. »

Le jeune homme acquiesça. Il ressuya les larmes au coin de ses yeux et lui sourit en reconnaissance.

« On ne l’abandonnera pas, » renchérit-il.


~*~


Cette nuit, Seiryū rêva. Il vit l’homme de sa vie contempler les jardins, le dos tourné. Il s’approcha de lui et le serra dans ses bras, se délectant de sa chaleur et de son parfum subtil et délicat. Il posa son menton sur son épaule avec un sourire béat. L’homme eut un léger rire et posa une main sur les bras qui entouraient sa taille.

« Je t’ai déjà raconté l’histoire du seigneur Kōshin et de son chien ? fit Seiryū.

– Au moins mille fois, répondit l’homme avec un sourire amusé.

Et… qu’en penses-tu ? »

Pendant que son bien-aimé réfléchissait,, il en profita pour déposer quelques baisers dans le creux de son cou. L’autre repoussa sa tête en riant.

« C’est une belle histoire… pour les enfants, commenta-t’il finalement. Les adultes voient naturellement les choses autrement.

C’est-à-dire ? » s’étonna Seiryū.

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L’homme pivota dans son étreinte pour lui faire face et lui caresser la joue.

« S’il s’agissait de toi et moi, et que je t’ordonnais de ne pas me suivre, tu le ferais ?

Bien sûr que non ! s’écria-t’il. Je te suivrai coûte que coûte ! Mais c’est parce que je t’aime.

– Et ce chien n’aimait-il pas son seigneur ?

Je ne peux pas vivre sans toi.

– Ce chien non plus.

Je… »

À court d’arguments, Seiryū préféra l’embrasser. Son bien-aimé sourit en l’attirant contre lui. La diversion fut plus qu’efficace.


~*~


Au départ, lorsque Haruni fut de nouveau accepté dans les cours de maître Midarō, Seiryū avait été le premier à s’en réjouir parce qu’ainsi, le talent du Second Prince serait enfin reconnu officiellement. Il y avait cependant une conséquence qu’il n’avait pas envisagée : à cause de ça, les entraînements matinaux de Haruni n’avaient plus de raison d’être… Ça incluait aussi leur session hebdomadaire. Bien sûr, ils s’exerçaient ensemble sous la houlette du maître d’armes et s’affrontaient régulièrement puisque leurs niveaux étaient très bons, mais… c’était en public. Ils ne pouvaient donc plus discuter librement comme avant, ce qui dérangeait surtout Seiryū. Lui qui cherchait l’occasion de convaincre Haruni d’accepter son allégeance se rendit vite compte qu’ils ne passaient plus de temps seuls. D’un autre côté, il n’avait plus à se lever à l’aube toutes les semaines. Cela dit, il avait fini par prendre le pli après plus d’un an de cette routine.


Il hésita à demander à Haruni qu’ils maintiennent ces séances : comment aurait-il pu le justifier ? S’il avouait que c’était pour passer plus de temps en sa compagnie, il savait qu’il se ferait refouler. Il envia de nouveau Gugonjū qui pouvait prétendre à ces duels hors temps d’entraînement. D’ailleurs, le prêtre ne s’en privait pas. Dépité, Seiryū chercha alors dans l’emploi du temps du Second Prince une autre occasion d’être seul avec lui. Les cours et études étaient exclus, car Tomuki et Kenshirō étaient également présents. Seiryū ne se voyait pas se faire inviter pour le thé et encore moins pour une soirée ! Alors tout ce qui lui restait, c’était… la promenade à cheval. Avant, Haruni la faisait pendant que les autres suivaient les cours de maître Midarō. À présent, il l’avait décalée en fin de journée, sauf quand il y avait réunion du Conseil. Seiryū savait que ça ne servirait à rien de demander à Haruni s’il pouvait l’accompagner, aussi agit-il de manière détournée.


Ce fut ainsi que Seiryū se posta au détour d’un chemin forestier, sur sa nouvelle monture qu’il avait baptisée Arashi Orage. (1). Il avait déploré la perte de Senkō, la fidèle jument que l’Empereur lui avait offerte pour sa majorité. Arashi était un bel étalon de trois ans seulement et Seiryū appréciait sa rapidité et son endurance. Le Firal dut attendre un peu et bientôt, il put entendre le Second Prince arriver sur son nouveau cheval, nommé Hoko Lance. (2).

« Votre Altesse, l’accueillit-il d’un sourire, quelle heureuse coïncidence ! »

Haruni immobilisa son cheval et l’observa un moment en silence. Derrière lui, les gardes restaient à distance.

« Ce n’est pas une coïncidence, » répliqua-t’il.

Seiryū se gratta la tête, un peu embarrassé.

« Hé bien, si j’avais demandé à vous accompagner…

J’aurais refusé.

Oui… »

Au moins, Haruni le reconnaissait directement.


Seiryū n’aimait pas avoir recours à ce genre de stratagème, mais l’attitude peu amicale du Second Prince ne lui avait guère laissé le choix ! S’il voulait parvenir à un résultat, il devait s’endurcir et se montrer sans-gêne ! Après tout, il avait dépassé depuis longtemps le stade de l’humiliation avec sa quinzaine de demandes d’amitié rejetées. Heureusement qu’il n’y avait pas eu de témoins… Sauf que là, il y avait cinq gardes derrière eux. Seiryū avait été sceptique au départ en voyant cette nouveauté : Haruni n’aurait jamais toléré autrefois une escorte lors de ses sorties, et pourtant… Bon, ça lui procurait un argument supplémentaire pour faire accepter sa présence !

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Quand Haruni reprit sa route, Seiryū guida Arashi pour lui emboîter le pas. Cela lui valut un regard exaspéré.

« Que voulez-vous ? demanda directement l’adolescent.

Discuter un peu, votre Altesse, répondit-il honnêtement.

On ne se voit pas déjà assez dans la journée ?

C’est vrai, sauf que ce n’est pas en privé. »

Ouch, il aurait mieux fait de se taire. Haruni le dévisagea froidement.

« Qui dit que j’ai envie de vous voir en privé ? »

Seiryū se lamenta intérieurement : il avait l’impression que tous ses efforts de ces derniers mois pour se rapprocher du Second Prince avaient été balayés en un instant. C’était désespérant…

« Il y a des sujets entre nous qui ne concernent ni Tomuki, ni Kenshirō, poursuivit-il malgré tout.

Je ne vois pas lesquels, » s’obstina le Second Prince.

Le Firal soupira discrètement.


« Il y a toujours mon serment d’allégeance, fit-il à mi-voix pour que les gardes n’entendent rien.

C’est déjà réglé, répliqua Haruni sans sourciller.

Non, ça ne l’est pas, » le contredit Seiryū.

Ça lui valut un nouveau regard exaspéré. À force, Seiryū finissait par être immunisé contre !

« Vous m’avez demandé ce que je peux vous apporter.

Et vous n’avez pas su répondre.

Parce que le problème, ce n’est pas ce que je peux vous apporter, mais comment vous en convaincre ! »

Haruni ne dit rien, ce qui laissa Seiryū espérer qu’il avait vu juste.

« Les mots ne vous suffiront pas, alors laissons mes actes parler.

Quels actes ? »


Seiryū inspira, préparant les mots qu’il avait répétés mille fois dans sa tête :

« Je vous propose de mettre ma loyauté à l’essai pendant un an. Nous ferons comme si j’étais à votre service afin que vous constatiez de vous-même ce que ça vous apportera. Au bout d’un an, si vous êtes satisfait, mon allégeance sera officielle.

Et sinon ?

Sinon… je renoncerai à ce serment. »

Honnêtement, Seiryū ne pouvait pas envisager cette hypothèse. Haruni ne pouvait qu’apprécier ses services, ce n’était pas possible autrement !

« Comment décider à la fin si je suis satisfait ou non ? »

C’était une question épineuse.


Heureusement, Seiryū avait convenu d’une réponse :

« Je m’en remettrai entièrement à vous.

Vraiment ? demanda l’adolescent en haussant un sourcil.

Vraiment. Vous prêter allégeance revient à vous donner ma vie, alors je vous fais confiance. En plus, je sais que vous serez honnête, » fit-il avec un doux sourire.

Le Second Prince plissa le front. De temps en temps, le Firal lui prouvait qu’il le connaissait très bien et c’en était inquiétant.

« C’est une pratique courante de faire des essais de loyauté chez vous ? s’enquit-il avec circonspection.

Pas du tout, » répondit Seiryū en soupirant.

Avec Haruni, il devait improviser !

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Le Second Prince plissa le front et parut dubitatif.

« Alors comment vont réagir les autres ?

Depuis quand vous vous souciez des autres ? s’étonna le Firal.

Si vous vous comportez comme si vous étiez à mon service, ils vont croire que vous l’êtes vraiment. Vous cherchez à me piéger ou quoi ?

Non ! protesta sincèrement Seiryū. Je… je n’y avais pas songé. »

Le regard dubitatif de l’adolescent en disait long. Seiryū s’en voulut de sa bourde.

« On pourrait… prévenir tout le monde que ce n’est qu’un essai.

Pas question, » rétorqua Haruni.

L’Empereur leur avait déjà confié plusieurs fois qu’il souhaitait que Seiryū prête allégeance à l’un de ses fils. S’il venait à être au courant, il ferait pression sur Haruni pour qu’il accepte, ce qui était hors de question ! Il fallait donc absolument que ça reste entre eux.


« Pourquoi vous ne renoncez pas tout simplement ? demanda Haruni d’un ton excédé.

Je ne peux pas et je ne veux pas renoncer, répondit le Firal, son visage montrant sa détermination. Vous ne vous rendez pas compte de l’importance du serment d’allégeance pour moi.

Mmph, si c’est si important, pourquoi l’avoir gâché avec le bâtard Hikari ?

Votre Altesse ! protesta-t’il devant cette appellation désormais inacceptable pour lui. Et ce n’est pas du gâchis ! »

Cela ne convainquit pas plus Haruni.

« Vous ne m’avez jamais apprécié, rappela-t’il. Je me souviens encore de votre accueil au palais.

C’est… ça a changé depuis ! J’ai essayé d’être votre ami, mais… »

Toutes ses demandes d’amitié avaient été refusées. Il ne le dit pas, mai son regard trahit son ressentiment à ce sujet.


« C’est là que je ne comprends pas votre logique, continua Haruni. Je n’ai déjà pas accepté votre amitié, alors qu’est-ce qui a bien pu vous faire croire que j’allais accepter votre allégeance ?

Il n’y a pas de logique, j’écoute mon cœur ! » déclara Seiryū d’un ton passionné.

Sans surprise, Haruni fut totalement imperméable à cet argument.

« Vous devez mal l’entendre, » commenta-t’il.

Le Firal se renfrogna.

« Dans tous les cas, je n’abandonnerai pas l’idée de vous prouver ma valeur !

Je ne vous comprends pas, soupira Haruni. À quoi vous vous attendez en me servant ? »

Les yeux du Firal se mirent à briller d’enthousiasme.

« À l’accomplissement de grandes choses ! En voyant ce que vous avez déjà fait, je sais que vous allez poursuivre sur la même voie. Vous allez même… changer l’Empire ! »


Mitsuhide lui avait tenu un discours similaire quelques années plus tôt. Haruni réagit de la même manière :

« Je ne veux rien changer du tout ! Je veux seulement vivre en paix, c’est tout. »

Seiryū lui lança un regard connaisseur.

« Malgré vos souhaits, vous ne pouvez pas échapper au formidable destin qui vous attend. Et je veux en faire partie, je veux me tenir à vos côtés. »

L’adolescent s’assombrit au mot “destin”. Il détestait cette notion, semblable à un piège pour lui. Concernant les aspirations du Firal, il renifla.

« En fait, vous rêvez de gloire et de célébrité.

Ou-oui, » bafouilla Seiryū.

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Pourquoi quand le Second Prince disait ça, il avait l’impression que c’était risible ? Qui ne rêvait pas d’honneur et de gloire ? N’importe quel guerrier désirait laisser son nom dans l’Histoire, ça n’avait rien de ridicule.

« Vous n’êtes qu’un enfant, » fut le verdict implacable du Second Prince.

Seiryū se dit que depuis le temps, il aurait dû être habitué au lynchage verbal de l’adolescent, mais non.

« Vous ne voyez que le côté étincelant en ignorant les parties sombres. Vous feriez mieux de vite perdre vos illusions avant qu’elles ne vous fassent tuer. »

Le Firal n’allait pas renoncer à ses rêves pour si peu.

« Mes illusions ne concernent que moi ! fit-il. Je reste déterminé à vous servir, je ne demande qu’une chance, c’est tout ! »


Le Second Prince poussa un soupir. Il savait que Seiryū allait s’obstiner et l’importuner autant de temps qu’il le faudrait. C’était ainsi qu’il avait obtenu gain de cause pour les entraînements au sabre et pour voir les cicatrices du bras de Haruni. Ses demandes d’amitié ayant été rejetées, il était passé au serment d’allégeance. Ce serait quoi ensuite, des demandes de cour ?! Haruni savait qu’il avait le choix entre une longue guerre d’usure ou bien mettre la situation à son profit. Il suivit sa seconde idée.

« Vous voulez une chance ?

Oui ! s’exclama Seiryū, n’osant y croire.

Alors voilà ce que je vous propose : si pendant un an, j’ai une seule fois besoin de vos services, alors j’accepterai votre serment d’allégeance. Sinon, c’est que vous ne me servez à rien et dans ce cas, vous renoncerez totalement à m’importuner de quelque façon que ce soit ! »


Seiryū tiqua devant les conditions : c’était assez différent de ce qu’il avait proposé et il n’était pas sûr que ça lui plaisait.

« Qu’entendez-vous par “besoin de mes services” ?

Le genre de service qu’un vassal peut rendre. »

Le Firal se demanda si ce genre d’occasion s’était déjà présentée… Maintenant qu’il y songeait, c’était effectivement le cas : à la plaine de Mara, un vassal aurait soutenu son prince devant le général Bakkushō ; devant le Conseil, un vassal aurait approuvé ouvertement le plan de son prince ; et même récemment, un vassal aurait accompagné son prince pour enquêter sur les Abominations, que l’Empereur approuve ou non. Ces occasions étaient passées, mais d’autres pouvaient survenir et cette fois, Seiryū ne les raterait pas, à condition que…

« Dans ce cas, vous ne devez pas me tenir à l’écart, fit-il. S’il se passe quelque chose, si vous prévoyez quoi que ce soit, il faudra me le dire. »

Ben voyons ! Haruni retint un rire moqueur et ses soupçons revinrent en force. Finalement, Seiryū voulait seulement se rapprocher de lui et gagner sa confiance afin de mieux l’espionner.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Il décida alors de le narguer :

« Si je prévois quoi que ce soit ? Comme assassiner mon frère et m’emparer du pouvoir ? »

Seiryū écarquilla les yeux, choqué qu’il parle ainsi. Il se ressaisit rapidement et fit d’un ton calme :

« Vous ne ferez jamais ça, mon prince.

Vous en êtes sûr ? insista-t’il en fronçant les sourcils devant l’appellation.

Je le sais. »

Haruni renifla de doute. Nombreux étaient ceux qui le soupçonnaient de vouloir monter sur le trône en éliminant son frère. Après tout, tel avait été le but des Hikari.

« Mon prince, reprit Seiryū, quoi qu’il arrive, je serai de votre côté !

Quel côté ? répliqua l’adolescent avec hargne. Il n’y a pas de mon côté !

Oui, je veux dire que vous pouvez compter sur moi, toujours. »

Seiryū ne parvint pas plus à le convaincre ainsi. C’était frustrant de ne pas réussir à convoyer ses sentiments, comme s’il y avait un mur entre eux. Il avait fini par changer d’avis sur le Second Prince, alors pourquoi ce dernier ne s’en rendait-il pas encore compte ?

« En tout cas, reprit-il, soyez sincère et ne me tenez pas à l’écart pendant cette année.

Vous acceptez donc mes conditions ? demanda le Second Prince pour en être sûr.

Ai-je le choix ? fit Seiryū avec un pauvre sourire. Je m’en remets complètement à vous. »

Le temps de leur discussion, la promenade était finie. Ils regagnèrent les écuries pour y déposer leurs montures.

« Un an sans avoir besoin de lui, songea Haruni, ça ne devrait pas être trop difficile ! »



Notes du chapitre :
(1) Orage.
(2) Lance.






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