Partie 2
Aux alentours de Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
Haruni but un peu de thé en ignorant les gâteaux sur la table, comme à son habitude. Seiryū poussa l'assiette vers lui.
« Mangez, fit-il.
– Ça ira, » répondit Haruni.
Le Firal soupira sans insister.
« Tout à l'heure, commença-t'il, vous avez énoncé diverses choses que je souhaite, mais votre conclusion n'est pas la bonne. Vous croyez vraiment que je ferais tout ça uniquement pour vous espionner ?
– Oui, répondit Haruni sans la moindre hésitation. En gagnant ma confiance, vous obtiendrez plus facilement des informations sur moi afin de les transmettre à votre père. C'est logique.
– Ça fait un moment déjà que je ne dis plus rien à mon père à votre sujet, révéla Seiryū, le visage grave. Je ne lui ai jamais parlé de la façon dont vous avez repoussé un centaine d'hommes le soir de l'attaque surprise dans la plaine de Mara.
– Normal, je vous ai fait jurer sur les Dieux de ne jamais en parler.
– D'en parler, répéta le Firal avec un faible sourire. Si j'avais voulu, j'aurais pu l'écrire sans rompre ce serment. »
Haruni jura mentalement : il n'y avait absolument pas pensé à l'époque ! Bien sûr, il était fiévreux à cause de sa plaie infectée, mais il aurait dû y penser ensuite. Il n'avait pas d'excuse !
« Alors vous n'avez jamais dit… écrit à votre père que le bâtard savait utiliser la magie ? »
Seiryū fronça les sourcils devant cette appellation injurieuse, mais il ne releva pas. Il y avait plus important.
« Non, jamais. J'ai gardé votre secret. »
Le Second Prince l'observa, songeur. Cette nouvelle information entrait en contradiction avec ce qu'il savait du Firal. Pourquoi garder un renseignement aussi capital ? Si les conseillers apprenaient que Haruni savait se servir de la magie comme le maudit clan Hikari, ils exigeraient son exil immédiat et l'Empereur ne pourrait que se soumettre. D'un autre côté, est-ce que Seiryū n'avait pas gardé le secret pour mieux s'en servir plus tard ? Ou bien pour gagner sa confiance comme il essayait de le faire en ce moment même, afin d'apprendre des secrets encore plus importants ? C'était plus plausible.
Seiryū pouvait presque deviner les pensées de l'adolescent et il sentait que ce dernier allait trouver une mauvaise raison à ses actions, comme toujours. Alors il fit clairement :
« Haruni, je ne suis pas… plus ton ennemi. Est-ce que tu veux bien me laisser une chance de te prouver mes bonnes intentions ? »
Le registre amical indiquait une demande d'amitié, mais le Second Prince la rejeta sans même réfléchir :
« Vos bonnes intentions sont évidentes, » fit-il en agitant la chaîne à sa cheville.
Seiryū se mordit les lèvres.
« Je regrette la façon dont ça s'est produit, mais je ne regrette pas le fait que nous parlions de nouveau.
– Comme si ça allait changer quelque chose. »
Comme le Firal plissait le front, Haruni précisa :
« Vous dites que vous n'avez pas encore décidé de mon sort, mais nous savons tous les deux que vous ne pouvez pas me laisser partir bien gentiment. Ce serait préjudiciable à votre père. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Guère enchanté par ce rappel à la dure réalité, Seiryū déglutit.
« Mon père a agi pour moi, j'assumerai toute la responsabilité s'il le faut.
– Il refusera de vous laisser endosser la responsabilité, fit Haruni en secouant la tête. Aucun père digne de ce nom n'accepterait une telle chose. »
Si le Second Prince avait tendance à être aveugle sur les sentiments de ses pairs, il avait en revanche toujours paru comprendre ceux d'un père — sauf le sien.
« Je saurai me faire entendre, » assura le Firal.
Haruni le fixa un moment avant de se désintéresser de la question.
« En tout cas, j'ignore ce que vous espérez de la situation actuelle, mais ne vous attendez pas à grand-chose. »
Seiryū soupira et eut envie de rétorquer : “Comme toujours avec vous.” Cependant, il savait que les choses seraient différentes cette fois : il avait bien l'intention d'obtenir tout ce qu'il pourrait de sorte à n'avoir aucun regret.
« Pourquoi tu n'as jamais voulu me laisser une chance ? » demanda-t'il en reprenant le ton amical.
Haruni ignora de nouveau cette demande implicite.
« Je vous ai déjà donné mes raisons…
– Mais même, ce ne sont que des soupçons, pas des certitudes. Tu crois que je veux uniquement te nuire et te soutirer des informations secrètes, mais tu n'en es pas certain.
– Quasiment certain.
– Et pour cette part d'incertitude, aussi minuscule soit-elle, tu ne veux pas tenter le coup ?
– Qu'est-ce que ça m'apporterait ? »
Seiryū inspira et se lança :
« Je suis loyal, fidèle et dévoué. Je sais me battre et je m'y connais en stratégie militaire. Mon clan est très influent à la Cour.
– Mais encore ?
– Pendant la campagne de Dekita, si je t'avais soutenu devant le général Bakkushō, il aurait fini par t'écouter et les choses se seraient passées très différemment. »
Haruni n'en était pas si sûr. Les Dieux lui avaient dit que la blessure à son bras était inévitable et Ils S'y connaissaient pour ce genre de choses.
Il préféra souligner :
« Mais vous ne m'avez pas soutenu.
– Pas cette fois-là, reconnut Seiryū, mais je le ferai la prochaine fois.
– Quelle prochaine fois ? » railla Haruni.
Le jeune homme fronça les sourcils.
« Tu ne peux pas tout faire seul, le sermonna-t'il. Il te faut des alliés à la Cour, mais tu ne t'es jamais soucié de te faire des amis.
– J'ai des amis et des alliés, se hérissa le Second Prince.
– Pas assez et pas assez haut placés à la Cour, rétorqua le Firal.
– Je préfère n'avoir que quelques vrais amis plutôt que beaucoup de faux !
– Je veux être un vrai ami, soupira Seiryū. Je veux t'aider dans tes entreprises car je crois sincèrement que tu n'agis que pour le bien de l'Empire et que tes actes peuvent changer notre monde en mieux ! »
Haruni guetta la moindre ironie dans ses paroles, mais n'en trouva aucune. Le pire, c'était que ça ressemblait énormément à ce que Mitsuhide lui avait dit autrefois !
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« Vous avez beau dire, je ne changerai pas d'avis.
– Mais enfin, pourquoi ?! » s'écria Seiryū en perdant sa contenance.
Haruni le fixa un moment, puis finit par révéler :
« Tous vos arguments sont très logiques mais le fond du problème, c'est que je ne vous apprécie pas. »
Le Firal déglutit. Il ne s'était pas attendu à un argument sur les sentiments car Haruni raisonnait d'ordinaire avec la logique, pas le cœur. Le Second Prince n'était donc pas si prévisible que ça et il savait désarçonner ses adversaires.
« Y… Y a-t'il quelque chose dans mon caractère qui te déplaît ? demanda-t'il avec hésitation.
– On ne s'entend pas, c'est évident.
– Hum, les querelles ne te font pas reculer d'habitude, pourtant. »
Haruni n'évitait jamais les confrontations, que ce soit avec sa famille ou son entourage. C'était une de ses manières de s'exprimer.
« Il y a des moments où les querelles peuvent être fatales. »
Seiryū secoua la tête, constatant que la conversation lui avait échappé. C'était lui qui était pourtant censé contrôler et diriger, mais le Second Prince, bien que prisonnier, était parvenu à lui prendre ce rôle des mains. Ça ne faisait qu'illustrer une fois encore sa volonté inébranlable et sa force de caractère. Cependant, Seiryū n'était pas complètement mécontent des paroles échangées. Bien sûr, certains mots faisaient plus mal que d'autres, mais c'était leur premier échange à cœur ouvert. S'ils avaient parlé ainsi plus tôt…
« Je ne demande qu'une chance, insista-t'il. Je ne te demande pas tout de suite de me confier ta vie ! »
Haruni finit par en avoir plus qu'assez de son insistance et eut un mouvement d'humeur. Il passa au registre familier sans même y penser.
« Il y a plein de gens dans le monde qui sont prêts à devenir tes amis, bon sang ! Alors pourquoi tu continues à me harceler quand je t'ai déjà dit non plusieurs fois ?! C'est précisément ce genre d'attitude qui m'incite à la méfiance !
– Je… Comment ça ?
– Tu n'as pas pour habitude de te taillader les veines dès que quelqu'un refuse d'être ton ami, non ? »
Seiryū flancha et pressa son bras gauche contre lui, comme honteux.
« Je ne comprends pas pourquoi tu insistes autant ! continua Haruni, bien énervé. Du coup, je me dis que ça cache forcément quelque chose ! »
Le Firal baissa les yeux. Le moment de l'ultime humiliation était venu, car il ne se faisait aucune illusion sur la manière dont allait réagir le Second Prince. Pourtant, ça devait être dit pour n'avoir aucun regret.
« Ça cache ce que cache toute demande d'amitié, avoua-t'il dans un souffle.
– Quoi, être amis ?
– Très drôle, » marmonna le Firal, pas du tout amusé.
Un coup d'œil vers Haruni lui révéla cependant que l'adolescent était vraiment perplexe.
« Tu es sérieux ? se mit-il à douter. Tu ne sais pas ce que veux dire une demande d'amitié ?
– C'est pour être ami, répondit Haruni. C'est bien pour ça que ça porte ce nom ! »
Il n'y avait aucune ironie dans ses paroles, il était on ne peut plus sérieux. Le Firal prit un air étonné : à quarante-trois ans, le Second Prince aurait dû être instruit sur ce genre de choses normalement.
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Dans le doute, Seiryū fit clairement :
« Une demande d'amitié entre jeunes gens est toujours le prélude à une cour. »
Haruni ne cacha pas sa surprise :
« Une cour ? Impossible !
– C'est pourtant vrai, affirma Seiryū en se massant les tempes.
– Mais alors, comment font les gens pour être seulement amis ?
– Ils font une demande d'amitié. »
La confusion de l'adolescent était presque comique.
« Comment on fait la différence ?
– Quand vient la demande de cour.
– Donc toutes les demandes d'amitié peuvent potentiellement donner suite à une demande de cour ?
– Oui. Ton père ne t'a jamais parlé de ça ? »
Haruni se renfrogna. Il se souvenait d'un début de conversation sur le sujet, mais il avait rapidement dissuadé l'Empereur de poursuivre tant il était sûr qu'il n'aurait jamais à faire face à ce genre de situation.
« On ne peut vraiment pas faire la différence avant ? insista-t'il. C'est absurde !
– Hé bien, on peut toujours deviner la nature des sentiments de l'autre, tâter le terrain, sentir ce genre de choses. »
Vu la tête de Haruni, c'était comme si Seiryū parlait la langue des Vites… Ah non, Haruni la comprenait.
« Nous nous égarons, reprit le Firal en secouant la tête. Le fait est que si j'ai autant insisté pour devenir ton ami et me rapprocher de toi, c'est parce que… je suis amoureux de toi, Haruni. »
Il faillit ne pas arriver au bout de sa confession, tant sa gorge se serrait et son cœur s'affolait. Le pire était qu'il s'attendait d'un moment à l'autre à ce que Haruni se moque de lui et rejette ses sentiments de manière cinglante et cruelle. Mais l'espoir, oh, le maigre espoir que peut-être, peut-être il puisse réaliser qu'il s'était montré injuste envers Seiryū et qu'il accepte de lui laisser une chance… Cet espoir était le pire car il était encore plus fin qu'un cheveu et pourtant si tenace.
Le Second Prince garda le silence et au bout d'un long moment d'angoisse, Seiryū aurait carrément préféré qu'il se mette à rire plutôt que de se taire.
« Allez, songea-t'il, moque-toi de moi, humilie-moi, piétine mes sentiments, mais dis quelque chose à la fin ! Mets fin à mon supplice ! »
Il serra les poings sur ses genoux, son corps tremblant.
« Je ne comprends pas votre raisonnement, fit soudain Haruni. D'un, je n'ai pas l'âge d'être courtisé.
– D'où la demande d'amitié en attendant, expliqua Seiryū.
– De deux, si déjà je n'ai pas accepté votre demande d'amitié, vous devez bien vous douter de “la nature de mes sentiments”. »
Haruni avait toujours aimé reprendre les mots des autres pour argumenter Seiryū le fixa droit dans les yeux.
« Tu n'as jamais été amoureux, n'est-ce pas ?
– Non, c'est vrai, mais je ne vois pas le rapport.
– Quand je parle d'amour, je ne veux pas dire la simple attirance, la vague affection ou l'amitié profonde. Je veux parler de l'Amour, le seul, le vrai et l'unique. »
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Haruni secoua la tête en souriant. Seiryū se raidit : ce n'était pas encore une moquerie, mais ça n'allait pas tarder.
« Vous êtes jeune et à un âge où les sentiments sont confus…
– Je suis plus âgé que toi, le coupa-t'il avec agacement, et j'ai plus d'expérience en matière de sentiments ! Tu es le deuxième dont je tombe amoureux et entre-temps, j'ai eu six cours dont une qui a duré sept ans. Alors j'ai des points de comparaison et il n'y a aucune confusion possible dans mes sentiments ! »
D'ordinaire, c'était préjudiciable d'énumérer ses nombreuses conquêtes passées, cependant Seiryū avait besoin de faire comprendre à l'adolescent qu'il s'y connaissait.
« Le deuxième ? releva Haruni. Qu'est-il arrivé avec le premier ?
– Il… il est mort, » avoua Seiryū, la gorge serrée.
Le Second Prince soupira.
« Je n'ai pas votre expérience, mais je connais mes sentiments. Je ne suis pas du tout amoureux de vous, même pas un peu. »
Le Firal déglutit. Même s'il s'était attendu à ces mots — et à pire encore ! — ça faisait tout de même mal. Cependant, il ne pouvait pas renoncer !
« Tu connais sûrement tes sentiments, mais tu ne me connais pas, argua-t'il. Tout comme je ne te connaissais pas avant. Alors tu ne peux pas affirmer que tu ne m'aimes pas sans me connaître d'abord. »
Les yeux dorés le fixèrent un moment avant qu'un rire ne s'échappe des lèvres de Haruni. Seiryū se figea : voilà les moqueries.
« Franchement, à quoi rime toute cette discussion ? Vous n'avez pas l'impression d'oublier un point capital ? »
Il agita la chaîne à sa cheville.
« Je suis votre prisonnier et au final, vous allez très certainement me tuer, quoi que vous en disiez maintenant. Alors à quoi bon tout ça ? Vos sentiments, mes sentiments, quelle importance ? »
Seiryū inspira brusquement et dévoila une partie de ses projets :
« Selon ta réponse, je déciderai de ton sort. »
Haruni fut plus qu'incrédule.
« Vraiment ? Vous voulez dire que si j'accepte votre demande d'amitié, vous me laisserez partir bien gentiment ?
– Pas la demande d'amitié, précisa le Firal, ma demande de cour.
– Mais je n'ai pas l'âge.
– Tu veux toujours qu'on te traite en adulte, non ? La cour ne sera pas officielle au départ. »
Le Second Prince n'appréciait clairement pas ce subterfuge.
« Et votre père ? fit-il. Il devra répondre de ses actes. »
Seiryū lui lança un regard déterminé.
« Je remets son sort entre tes mains.
– Comment osez-vous ? s'emporta alors l'adolescent. Votre père a fait tout ça pour vous, il a trahi son serment envers le défunt prince Kodōtaro et vous, vous l'abandonnez ?! »
Le Firal pâlit mais resta résolu.
« Comme l'a dit mon père : si je dois choisir entre mon prince et ma famille, mon choix est déjà fait. Sauf que c'est toi que je choisis. »
Il lui avait fallu du temps pour accepter cette douloureuse évidence, mais il ne reviendrait pas en arrière. Haruni, lui, était interloqué et indigné, à tel point qu'il ne savait pas que répliquer.
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Seiryū soupira et fit :
« Il se fait tard, Haruni. Il vaut mieux que nous reprenions cette conversation demain. »
Il appela les servants qui reculèrent la table basse et installèrent une couche près du Second Prince, dont les mouvements étaient entravés. Ce dernier tiqua en voyant les deux oreillers et il lança un regard interrogateur au Firal qui ne l'avait pas quitté des yeux.
« Je reste avec toi, confirma-t'il.
– Vous n'avez pas peur que je vous étrangle pendant votre sommeil ? lança l'adolescent d'un ton provocateur.
– Premièrement, ça ne t'aiderait pas à t'échapper et les gardes te tueraient aussitôt. Deuxièmement, tu vas boire ceci. »
Il désigna un bol qu'un des servants avait ramené. Haruni le fixa comme s'il s'agissait de poison.
« C'est un somnifère, expliqua Seiryū. C'est pour être sûr que tu dormes jusqu'au matin.
– Tiens donc, ça me rappelle quelque chose ! » railla le Second Prince.
Seiryū acquiesça, rempli de regrets : durant la campagne de Dekita, il avait usé d'un somnifère sur Haruni à son insu afin que le médecin puisse soigner sa blessure au bras. Les conséquences avaient été dramatiques et l'étaient encore.
« Cette fois, je te le dis franchement. »
L'adolescent renifla de dédain.
« Prends-le sans faire d'histoires, s'il te plaît.
– Sinon quoi ? »
Le Firal ne put s'empêcher de sourire devant la force d'esprit de Haruni. Même prisonnier, même acculé, il ne s'avouait pas vaincu. Dommage que cet entêtement s'étendait à tous les domaines.
« Si tu acceptes de prendre le somnifère, fit-il d'un ton doux, j'irai dormir à côté. »
Haruni lui rit au nez.
« Vous avez raison, je ne vous connais pas, lança-t'il. Je ne savais pas que vous étiez du genre à molester un enfant pendant son sommeil ! »
Les insinuations firent rougir Seiryū de honte, mais aussi parce que les images que cela fit apparaître dans son esprit semblaient assez tentantes.
« Tu as fait ton choix, » fit-il en tâchant de garder une voix calme.
Il fit signe aux servants. Il fallut quatre d'entre eux pour maintenir Haruni au sol car il se débattait avec violence. Un cinquième lui maintint la tête droite et la bouche ouverte pour qu'un dernier lui verse la boisson soporifique dedans. Haruni résista encore en tentant de recracher le liquide, mais le servant lui referma la bouche et couvrit son nez jusqu'à ce qu'il n'ait plus d'autre choix que d'avaler ou de s'étouffer.
Ils recommencèrent jusqu'à ce que le bol soit vide. Même alors, ils ne lâchèrent pas Haruni pour l'empêcher de se faire vomir. Le somnifère avait été fortement dosé, mais pas de façon trop dangereuse : les sursauts de l'adolescent perdirent rapidement de leur force et il cligna plusieurs fois des yeux, luttant contre le sommeil. Il trouva tout de même l'énergie d'injurier copieusement Seiryū, usant d'un vocabulaire très coloré et créatif. Ce dernier endura tout ça un peu à l'écart, ses yeux n'ayant pas quitté Haruni un seul instant. La rougeur avait quitté son visage qui était à présent blême et rigide. Lorsque le sommeil finit par emporter le Second Prince, Seiryū respira de nouveau.
« Laissez-nous, ordonna-t'il aux servants.
– Jeune maître, protesta Hatō, nous devons encore préparer son Altesse pour dormir et…
– Je m'en occupe, » déclara le Firal en serrant les dents.
Les servants échangèrent des regards perturbés. Peut-être pensaient-ils encore aux accusations du Second Prince ?
« Laissez-nous ! » répéta Seiryū en haussant le ton.
Ils obéirent enfin, apeurés.
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Lorsque les portes se refermèrent, Seiryū lâcha un lourd soupir. Il s'approcha lentement de l'adolescent endormit et s'assit à côté. Le visage de Haruni était détendu et il avait l'air nettement plus jeune. Non, en fait, il faisait simplement son âge. Quand il était éveillé, son air perpétuellement sérieux le faisait paraître plus âgé. Quelques mèches noires recouvraient le front et les joues suite à la lutte. Seiryū les repoussa doucement, sa main s'attardant sur la joue plus que nécessaire. Son regard dévia ensuite vers les lèvres légèrement entrouvertes et sa gorge devint sèche tout à coup. Malgré la longue conversation avec Haruni, il n'avait pas oublié leur baiser, ses caresses, le corps de Haruni si chaud contre le sien, qui ne s'était pas débattu tant que ça. Obligé de réprimer son désir, Seiryū avait tremblé, craignant de céder à ses pulsions. Et quand sa main avait effleuré l'aine de l'adolescent... Il avait eu bien du mal à s'arrêter. Seiryū secoua la tête, le souffle court. Il désirait Haruni, ce n'était pas un secret pour lui et peu lui importait la jeunesse du Second Prince : il arrivait très facilement à visualiser l'homme qu'il allait devenir, physiquement et mentalement, et il serait… magnifique.
« Haruni, murmura-t'il, tu es tellement beau. »
Jamais il ne pourrait lui dire ça en face, car Haruni avait tendance à se sentir insulté au moindre compliment sur son physique, étrangement.
Le pouce de Seiryū effleura la lèvre inférieure de l'adolescent et il se sentit attiré. Pourtant, ce serait mal de profiter ainsi de son inconscience.
« Pff, se dit-il, Haruni m'a déjà accusé devant les servants de vouloir le molester durant son sommeil. Je suis sûr qu'ils y croient et qu'ils s'imaginent des choses en ce moment. Alors ma réputation n'a plus rien à perdre. En plus… père m'a bien conseillé de n'avoir aucun regret. »
Il passa les bras sous le jeune homme pour le redresser contre lui, s'immobilisant un moment lorsque le corps se pressa contre le sien sous l'élan. Seiryū caressa ses épaules, puis les cheveux soyeux noués en une natte un peu défaite. Il pressa son visage dans la chevelure sombre, respirant son merveilleux parfum capiteux.
Au bout d'un long moment, il recula un peu, posa une main sur la joue de l'adolescent et se pencha pour l'embrasser de nouveau. Cette fois, rien ne l'empêcha d'explorer à loisir la bouche du Second Prince et il s'exécuta en frémissant de bonheur. Il réalisa cependant que l'absence de réaction de l'autre rendait l'acte moins plaisant et il recula un peu. Il saisit la main de Haruni et la pressa contre sa propre joue, puis la fit glisser pour en embrasser la paume.
« Mon amour, » fit-il en souriant, quoique tristement.
Encore une chose qu'il ne pourrait jamais dire à voix haute. Ou en tout cas, ce serait très mal accueilli.
Avec des gestes doux et prudents, Seiryū défit la ceinture de l'adolescent et lui retira le haut de sa tunique en l'allongeant. Il s'attela ensuite à son pantalon, mais l'entra ne lui permettait pas de le retirer. Seiryū fixa avec attention le visage du Second Prince : il était impossible qu'il fasse semblant de dormir. Entre la forte dose de somnifères et les actions de Seiryū à l'instant, il pouvait être sûr que ce sommeil n'était pas simulé. Alors il se leva et se rendit dans un coin de la pièce, là où se trouvaient son sac et ses affaires. Il sortit la clef des fers de son sac. Il revint vers Haruni, défit l'entrave et retira rapidement le pantalon. Il nota des meurtrissures à la cheville, signe que Haruni s'était débattu, et son regard s'assombrit. Il leva le pied délicatement et déposa un doux baiser sur la zone meurtrie. Il regrettait sincèrement ces circonstances mais pour autant, il restait déterminé à aller jusqu'au bout. Il reprit le pot d'onguent utilisé un peu plus tôt dans la soirée et en appliqua sur la cheville avant de replacer le fer. Par ce geste, il ne put s'empêcher d'éprouver de la possessivité.
« Tu es à moi, Haruni, que tu le veuilles ou non ! » déclara-t'il vivement en fixant son visage.
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Ses mains remontèrent le long des jambes fines mais musclées pour se poser autour de la taille. Il se pencha sur Haruni et déposa des baisers dans le creux de son cou. Il se redressa au bout d'un moment et reprit la clef des fers pour la remettre dans son sac. Il retira ensuite sa propre tunique, son pantalon et ses bottes, ne gardant qu'une fine tunique de nuit. Il eut un léger rire en repensant à ce qu'il avait promis à Haruni :
« Si tu acceptes de prendre le somnifère, j'irai dormir à côté. »
Aurait-il vraiment été capable de tenir parole ? Peut-être, mais il était bien content de ne pas avoir à se poser la question. Un peu timidement, il s'allongea à côté du Second Prince et tira la couverture sur eux. Il souffla la lanterne à la tête du lit et la pièce fut plongée dans la pénombre. Seiryū tendit la main pour caresser la joue de l'adolescent tourné vers lui.
« Nous faisons tout à l'envers, commenta-t'il avec amusement. Je devais d'abord faire ma demande d'amitié et passer deux ans et demi à gagner ta confiance et ton respect. Ensuite, il y aurait eu la demande de cour, tout de suite le jour de ton anniversaire. Après cinq ans à te courtiser, le soir de ta majorité, seulement là nous aurions dormi ensemble. Ah oui, et quelque part entre temps, j'aurais dû te jurer allégeance. »
Il approcha son front de celui de Haruni et malgré le sourire qui ornait ses lèvres, une larme coula le long de sa joue.
« J'aurais dû me douter que rien ne se passerait comme prévu avec toi, pas vrai ? Tu n'en fais toujours qu'à ta tête sans te soucier des autres. »
Ses bras s'enroulèrent autour de la taille de l'adolescent et il serra le corps chaud contre lui. Il posa le menton sur le crâne de son bien-aimé et murmura :
« Peu importe. C'est notre première nuit ensemble et ça me suffit. »
Il repoussa tout autre pensée et profita simplement de la chaleur du corps contre le sien.
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