Le Prince Solitaire Alternative 7.3 partie 3

Partie 3


Aux alentours de Kurojū, deuxième mois de l’année 2458


Haruni eut bien du mal à émerger du sommeil alors que d'habitude, il se réveillait sans problème. Le goût amer du somnifère en bouche le fit grimacer et lui rappela la raison de son endormissement. Il prit peu à peu conscience de son environnement et eut envie de grimacer de nouveau : il y avait un corps contre le sien — Seiryū, à n'en pas douter. Il pouvait sentir des bras autour de sa taille tandis que lui même avait les mains posées sur le torse du jeune homme, leurs jambes entremêlées. Il eut l'intuition que Seiryū était parfaitement réveillé et attendait sa réaction. Il grommela :

« Vous ne craignez vraiment pas que je vous étrangle. »

Un léger rire lui répondit, ce qui lui fit froncer les sourcils. Seiryū semblait de bonne humeur ce matin. Il recula un peu afin de faire face au Second Prince, un sourire aux lèvres. Une de ses mains caressa lentement le dos de Haruni.


« Je te l'ai dit hier, tu n'y gagnerais rien, fit-il en conservant le registre amical en dépit du fait que Haruni n'y répondait pas.

La satisfaction de vous tuer ?

Parce que tu veux me tuer ? » lui renvoya le Firal.

Haruni ne répondit rien. Si c'était pour s'échapper, peut-être mais sinon, il n'avait pas envie de le tuer, malgré la situation. Quelque part, ce n'était pas de la faute de Seiryū s'il attendait de Haruni ce qu'il ne pouvait pas lui donner. Seiryū avait été éduqué dans l'idée qu'il fallait suivre son cœur et que l'amour comptait plus que tout le reste. Haruni, lui, ne s'accrochait à rien ni personne, vu le nombre de fois où il avait dû quitter les lieux et les gens qu'il aimait. Même si ça faisait à présent dix-huit ans qu'il était à Kurojū et qu'il était Haruni, il s'attendait toujours à devoir quitter cette vie pour une raison ou une autre. La stabilité n'avait jamais fait partie de son existence, alors comment aurait-il pu s'attacher durablement à quelqu'un ? Yatsu était l'exception, bien qu'il y avait eu une époque où il s'était préparé à être séparé de lui. Seiryū… ne lui apparaissait pas comme une seconde exception. Qui plus est, il n'avait pas menti en disant qu'il ne l'appréciait pas. Le jeune homme avait le don de l'énerver et de contrecarrer ses plans. À chaque fois qu'ils avaient été contraints de travailler ensemble, ça s'était mal fini. Pour Haruni, c'était le signe qu'il ne fallait pas insister. Mais Seiryū, contrariant pour ne pas changer, pensait tout le contraire. Et à nouveau, une catastrophe se profilait à l'horizon.


Devant l'absence de réponse du Second Prince, Seiryū rit de nouveau et se redressa sur un coude.

« Cela dit, l'idée de mourir de tes mains ne me semble pas si mauvaise. »

Haruni lui jeta un regard incrédule : Seiryū semblait vraiment avoir des tendances suicidaires ! Le Firal se pencha soudain vers lui et l'embrassa. Haruni le repoussa, mais Seiryū lui saisit les mains pour les plaquer au-dessus de sa tête. Il s'allongea complètement sur lui et unit de nouveau leurs lèvres. Le Second Prince garda la bouche obstinément fermée, son ultime défense, alors même que Seiryū lui mordillait les lèvres en guise de demande de permission.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Prenant note du refus, il se rabattit sur le cou. Furieux, Haruni lança :

« Vous n'avez pas assez pris votre pied durant mon sommeil ?! »

L'expression fit tiquer Seiryū. Décidément, le langage de Haruni n'était pas toujours princier. La pauvre Impératrice n'était jamais parvenue à rectifier ça.

« Je ne prends pas mon pied avec quelqu'un d'inconscient, répliqua-t'il en se redressant pour croiser le regard doré. Je tiens aussi à ce que tu y prennes du plaisir.

Du plaisir alors que je ne suis pas consentant ? Vous vous faites des illusions ! »

Le regard émeraude s'assombrit.

« Qu'est-ce que tu m'as laissé à part les illusions ? » murmura-t'il.


Sans attendre la moindre réponse, il se leva et appela les servants. Ces derniers entrèrent avec circonspection et s'occupèrent du lit. Haruni se poussa autant que lui permettait la chaîne, tout en resserrant la tunique de nuit autour de lui. Constatant que les draps n'étaient pas souillés, les servants échangèrent des regards intrigués, mais ne dirent rien. Ce n'était pas leur rôle de toute manière, mais ils n'allaient certainement pas se gêner de faire des commentaires en privé. Ils apportèrent ensuite le petit-déjeuner, ainsi que deux tuniques d'intérieur assorties. Seiryū enfila la première avant de tendre l'autre à Haruni. Ce dernier la prit à contrecœur, ne voulant pas non plus rester en tunique de nuit. Le vêtement était d'un rouge cramoisi et un peu trop grand pour lui. Après l'avoir enfilé, il dut retrousser un peu les manches pour ne pas être gêné, le tout sous le regard amusé du Firal.


Ils mangèrent ensuite frugalement car aucun des deux n'avait grand appétit, chacun pour des raisons différentes. Puis Seiryū se leva et annonça qu'il allait prendre un bain.

« Et moi alors ? » s'enquit le Second Prince.

Seiryū se tourna vers lui, un sourire taquin aux lèvres.

« Tu proposes qu'on prenne le bain ensemble ? Tu ne peux déjà plus te passer de moi, on dirait ! »

Haruni retint un commentaire acerbe. La bonne humeur de son ravisseur était incompréhensible.

« Non, je veux dire, après vous.

Ne t'inquiète pas, tout est prévu, » assura le jeune homme en quittant la pièce.


Ce n'était pas que Haruni tenait énormément à se laver, il voulait surtout une occasion d'être libéré de la chaîne pour tenter de s'enfuir. Mais lorsqu'il vit les servants apporter un baquet d'eau chaude et des serviettes, il comprit qu'il n'aurait pas cette chance. Seiryū avait malheureusement anticipé le problème. Il faudrait attendre une autre opportunité. Les servants voulurent l'aider à se laver, mais il refusa.

« Nous ne devons pas vous laisser seul, votre Altesse, assura l'un d'eux.

Alors restez, mais reculez et tournez-vous, » commanda Haruni, haussant un sourcil ironique devant l'appellation respectueuse.

Ils avaient beau lui donner du “Votre Altesse”, il restait prisonnier. Comme la chaîne n'était pas assez longue pour qu'il s'immerge dans le baquet, il se débarbouilla du mieux qu'il le put. Une fois propre et rhabillé d'une couche inférieure de vêtements, il demanda à un des servants de venir s'occuper de ses cheveux. C'était toujours une plaie de les laver et les démêler, il n'avait guère la patience pour ça.

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Pendant que le servant s'attelait à la tâche, il réfléchit à divers plans d'évasion mais dans tous les cas, il devait d'abord se défaire de cette maudite chaîne. Il regretta un bref moment de ne plus avoir suffisamment la maîtrise du feu pour faire fondre le fer. Il n'y était parvenu qu'une seule fois, lors de l'ultime affrontement contre les Hikari et uniquement parce que l'acceptation de sa mort imminente l'avait plongé dans un état de calme suprême. Mais depuis qu'il occupait ce corps, ses émotions trop violentes interféraient avec son pouvoir. Dans les premiers temps, il avait déclenché des petits feux à chaque fois qu'il s'énervait un peu ! Il avait fini par retrouver un certain contrôle, mais rien de comparable à son apogée. Cela dit, s'il provoquait un incendie dans le pavillon, ils seraient bien obligés de le détacher pour l'évacuer. Il eut un sourire satisfait et rangea cette possibilité dans un coin de son esprit avant d'en chercher d'autres. Il préférait toujours avoir plusieurs plans d'avance au cas où quelque chose tournerait mal — et d'après son expérience, il y avait toujours quelque chose qui tournait mal.


Après le soin des cheveux, il vit qu'on lui avait apporté une nouvelle tenue et il fronça les sourcils.

« Je ne porterai pas ça, déclara-t'il.

Ce sont les ordres du jeune maître, fit le servant d'un ton qui se voulait conciliant.

Je ne reçois pas d'ordre de lui. Enlevez-moi ça ! » répliqua-t'il.

Les servants échangèrent des regards embêtés. Pour eux, les ordres de Seiryū l'emportaient, mais ils préféraient régler le problème de façon pacifique.

« Votre Altesse, je vous en prie, soyez raisonnable… »

Haruni ne lui répondit même pas et croisa les bras, déterminé à résister jusqu'au bout.

« Ne nous obligez pas à faire appel aux soldats pour vous maintenir. »

C'était bien le cadet des soucis du Second Prince.

« Acceptez, pour le bien du jeune maître… »


Interloqué, Haruni se tourna vers le servant et le vit aux bords des larmes.

« Ton jeune maître me retient ici contre mon gré et a un comportement déplacé envers moi. Tu vois bien comment il parle et se comporte, il a vraiment perdu l'esprit ! »

À sa grande surprise, le servant acquiesça.

« Il souffre de folam, nous le voyons bien. Mais par pitié, n'ajoutez pas à ses souffrances ! »

Tous les servants présents se prosternèrent dans un bel ensemble, le suppliant d'accepter de porter la tenue. Haruni avait tiqué au mot “folam”. Il ne savait pas ce que ça signifiait, mais ça ne présageait rien de bon.


Les suppliques eurent plus d'effet que toute tentative de violence : Haruni capitula et accepta de revêtir la tenue. Le soulagement et la gratitude des servants le mirent mal à l'aise et il leur signifia bien vite de se taire. La présence des soldats fut tout de même nécessaire car pour enfiler le pantalon, il fallait bien détacher le Second Prince. Dans une atmosphère tendue avec cinq soldats qui avaient la main sur le sabre, un servant prit la clef qui se trouvait sur une table basse à l'autre bout de la pièce — et Haruni rétrécit les yeux en voyant ça. Le servant défit l'entrave autour de la cheville et les gardes se tendirent davantage. La scène était presque comique, sauf que personne n'avait envie de rire. Haruni se massa la cheville avec soulagement et nota distraitement la présence de crème apaisante. On avait dû le traiter la veille au soir, quand il était sous l'effet du somnifère.

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Il finit de revêtir la tenue avec l'aide des servants, puis dut de nouveau accepter de se faire enchaîner. Le moment n'était pas opportun pour s'enfuir mais au moins, il savait où se trouvait la clef. Rassurés, les gardes quittèrent la pièce sans un mot, quoiqu'il put sentir leur hostilité à son égard. Il avait l'habitude. Les servants, eux, débordaient toujours de gratitude et le traitèrent avec respect et bienveillance. Il dut endurer une séance de coiffure interminable, mais refusa catégoriquement le maquillage.

« Et là, vous aurez beau me supplier, je ne céderai pas ! » déclara-t'il avec fermeté.

Les servants s'abstinrent donc. Haruni soupira : que voulait dire toute cette mascarade ? Quelles étaient les intentions de Seiryū ? Il devait attendre l'autre jeune homme pour le savoir.


~*~


Seiryū ne tarda pas à revenir et sa réaction en voyant Haruni fut déconcertante : il se figea et pâlit, ses yeux émeraude écarquillés tandis que sa bouche s'ouvrait légèrement sans un bruit. Il resta un moment ainsi et Haruni se sentit contraint de détourner la tête. D'ordinaire, il pouvait soutenir n'importe quel regard, mais ce qu'il voyait dans les yeux du Firal… Sans parvenir à le définir, ça lui donnait un sentiment de honte et de culpabilité. Il n'aimait pas ça du tout. Seiryū rompit enfin le silence en murmurant :

« Haruni, tu es vraiment magnifique… Exactement comme dans mon rêve.

Un rêve ? » releva l'adolescent.

Le Firal ne répondit pas tout de suite et congédia les servants en les félicitant de leur travail.

« Nous n'avons pas réussi à lui faire porter le maquillage, s'excusa Hatō.

Je m'y attendais, rassure-toi, » répondit le jeune homme avec un sourire amusé.


Il avait lui-même changé de tenue pour une riche tunique violet pâle avec des broderies noires. Ses cheveux de la couleur des feuilles d'automne étaient partagés en trois tresses elles-mêmes tressées ensemble. Lui non plus ne portait aucun maquillage, même léger, et seulement quelques ornements dorés.

« Que penses-tu de la tenue que je t'offre ? Ça te plaît ? » demanda-t'il avec presque de l'empressement.

Haruni baissa les yeux sur lui-même et grimaça.

« C'est blanc, » fit-il simplement.

La tenue qu'on lui avait imposée était effectivement blanche avec des motifs argentés. Ce n'était pas des vêtements de cérémonie, car la tunique était mi-longue et le pantalon pas trop large. Il avait même des protections sur ses avant-bras qui couvraient aussi le dos de ses mains. Cela faisait plus penser à un uniforme militaire de parade. Quant à la coiffure, une partie de ses cheveux flottait librement sur ses épaules — alors qu'il détestait ça — et le reste était attaché en un mélange complexe de chignons et de tresses. En matière de bijoux, il n'avait toléré qu'une broche argentée accrochée à sa poitrine. Elle était en forme d'oiseau et les yeux étaient deux petits saphirs.

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« Justement, répondit Seiryū sans se vexer, le blanc crée un contraste des plus esthétiques. »

Haruni roula des yeux, bien peu concerné par l'esthétisme.

« Dommage que nous n'ayons pas de miroir en pied, soupira le Firal. Tu te verrais mieux. »

Heureusement qu'il n'y avait pas de miroir en pied, rectifia mentalement Haruni. Il se moquait bien de son apparence mais Seiryū, obstiné, lui présenta un miroir rond pour qu'il voie au moins son visage. Fut un temps, Haruni aurait évité son reflet. Dès qu'il s'installait quelque part, la première chose qu'il faisait était de retirer tous les miroirs. Au début, c'était dû à son éducation monastique mais ensuite, c'était un refus inconscient de son identité, que ce soit Yama ou Haruni. Mais suite à la guérison de Yatsu, les Dieux lui avaient imposé comme condition qu'il contemple son reflet cinq minutes par jour, entre autres choses. Ce fut de cette manière qu'il accepta et s'habitua progressivement à sa nouvelle apparence, sa vraie apparence.


Alors qu'il regardait son reflet dans le miroir, il ne partagea toujours pas l'enthousiasme de Seiryū.

« Je n'aime pas le blanc, » se borna-t'il à dire.

Pour lui, ça resterait la couleur des Hikari. Seiryū reposa le miroir sur une table contre un mur, un peu déçu.

« Je sais que tu préfères porter du noir ou du foncé, mais je voulais te montrer que les couleurs claires pouvaient aussi te convenir.

Ma garde-robe ne concerne que moi.

Ce n'est pas tout à fait vrai. Ta tenue renvoie un message aux autres. »

Haruni poussa un lourd soupir devant ce couplet maintes fois entendu. Dans l'Empire de l'Aube, on accordait une immense importance à l'apparence, beaucoup trop selon Haruni. C'était un concept auquel il n'avait aucune envie d'adhérer. Pour lui, les actes comptaient bien plus que les vêtements. Ça n'empêchait pas plusieurs personnes dans son entourage de tenter de le convaincre du contraire : Kaname, Mitsuhide, Yatsu et maintenant, Seiryū ! Pourquoi est-ce qu'on ne le laissait pas s'habiller et se coiffer comme il le voulait, à la fin ? Il faisait déjà des efforts pour les grandes occasions — une véritable torture — alors il ne fallait pas lui en demander plus !


Seiryū, qui connaissait son avis sur la question, n'insista guère. Les servants revinrent avec le déjeuner et les deux jeunes gens se mirent à table. Le Firal ne cacha pas ses regards admiratifs, il semblait ne pas pouvoir détacher les yeux de Haruni. Ce dernier finit par en avoir assez et demanda l'explication sur cette idée de tenue.

« Vous avez parlé d'un rêve, » rappela-t'il.

Seiryū eut un rire embarrassé et rougit un peu.

« Ah, c'est… c'est un rêve que j'ai fait il y a environ un an. Dans ce rêve, tu portais cette tenue. Tu étais un peu plus âgé, je dirais autour de la cinquantaine.

Et que se passait-il ?

Ça n'a pas duré longtemps. Tu… tu inspectais des troupes à Kurojū, me semble-t'il. C'est tout. »

Seiryū ne précisa pas que dans son rêve, il se tenait aux côtés du Second Prince comme un vassal. À un moment, Haruni s'était même tourné vers lui en souriant ! Clairement, leur relation était amicale dans ce songe. Le Firal tenta de superposer l'image du Haruni de ce rêve, chaleureux et aimable, au Haruni présent. Il n'y avait que très peu de ressemblances.


« Si je comprends bien, mon enlèvement était prévu depuis un moment, » fit soudain Haruni, songeur.

Seiryū tressaillit et sortit de sa rêverie à cause de cette remarque inattendue.

« Hein ? Quoi ?

Vous avez rêvé de cette tenue il y a un an et de genre de travail ne se fait pas en une semaine. Vous aviez donc en tête depuis longtemps de m'enlever et de me faire porter ces vêtements.

Non ! Je… En fait… »

Encore une révélation embarrassante pour Seiryū. Bah, il ne les comptait plus à force !

« Un mois après mon rêve, je n'arrêtais pas d'y repenser. Alors j'ai fait faire cette tenue en la prévoyant grande, mais je ne pensais vraiment pas avoir l'occasion de te voir la porter un jour. »

Offrir un vêtement était un privilège réservé aux parents… ou à un amant. Seiryū n'aurait jamais pu faire un tel cadeau à Haruni sans déclencher un tollé, sans compter que ce présent aurait forcément était refusé.

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« Alors depuis quand c'était prévu ? » insista le Second Prince.

Seiryū poussa un soupir. L'adolescent restait borné sur des détails sans importance, mais il était comme ça : il voulait comprendre parfaitement la situation.

« Mon père a pris la décision et a commencé les préparatifs il y a environ trois semaines, quand j'ai un peu récupéré de… ma blessure. »

Il voulait dire par là quand il avait cessé de vouloir recommencer à se trancher les veines.

« Je n'étais pas d'accord avec lui, poursuivit-il, mais je ne savais plus quoi faire. En fin de compte, mon père avait raison. Je n'approuve pas l'enlèvement en lui-même, mais c'est grâce à ça que nous parlons de nouveau et que j'ai pu… t'avouer ce que je ressens.

Vous oubliez un peu que ce plan se termine par ma mort. C'est prévu pour quand, au fait ? »


Seiryū fronça les sourcils, contrarié.

« Tu n'écoutes pas ce que je dis, » lui reprocha-t'il.

L'insensibilité de Haruni était énervante.

« Je n'ai pas encore décidé de ton sort, rappela le Firal.

À d'autres ! Vous savez bien que je n'accepterai pas votre demande de cour. »

Ah, il avait quand même écouté.

« Nous verrons, » fit simplement Seiryū.

Haruni renifla : pour lui, c'était vu d'avance.

« Et en attendant, vous allez me garder enfermé dans cette pièce ? Quel cadre agréable… critiqua-t'il.

Tu dis toujours que tu préfères vivre simplement, et pas dans le luxe.

De là à manger, dormir et pisser dans le même cercle de cinquante centimètres de rayon, il y a une sacrée différence ! »

Les objections de Haruni étaient totalement légitimes. Même un prisonnier en cellule avait plus de liberté de mouvement que lui.


Seiryū se pinça les lèvres et hésita.

« Nous pourrions… prendre un peu l'air autour du pavillon, suggéra-t'il. Mais tu dois me promettre de ne pas tenter de t'échapper. »

Haruni partit d'un rire moqueur.

« Même si je dis oui, vous me croiriez ? lança-t'il par défi.

Oui, répondit simplement le Firal en le regardant droit dans les yeux. Je sais que tu respecteras ta parole. »

Ça fit taire Haruni car Seiryū avait entièrement raison. Ce n'était pas la première fois que le Firal lui prouvait qu'il le connaissait bien. En tout cas, ce n'était pas que Haruni voulait spécialement s'enfuir maintenant, mais il ne voulait pas refuser de saisir une occasion de s'échapper si elle se présentait. Seiryū observa son dilemme et finit par soupirer :

« Si tu ne veux pas, j'accepterai un baiser en échange. »


Le Second Prince lui jeta un regard interloqué, auquel il répondit par un sourire amusé. Parmi les jeunes gens, c'était fréquent de se faire payer ou de parier avec des baisers, mais Haruni n'avait sûrement pas connu ça.

« C'est ridicule, répondit ce dernier de manière prévisible. Vous m'avez déjà embrassé depuis hier.

Je parle d'un vrai baiser, rectifia Seiryū, et c'est toi qui dois me le donner. »

Il le vit soupeser les deux options dans sa tête et aucune ne semblait lui convenir. En même temps, un marché devait être profitable aux deux parties.

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La mort dans l'âme, Haruni finit par marmonner :

« C'est d'accord.

D'accord pour quoi ? insista Seiryū. Ta parole ou le baiser ? »

Le Second Prince lui jeta un regard furibond.

« Le baiser, » répliqua-t'il entre ses dents.

Seiryū sentit son cœur battre plus vite et il tenta de masquer sa joie. Il s'approcha de Haruni et ferma les yeux, attendant. Il pensait que l'adolescent allait manifester de l'hésitation et de la maladresse, mais il fut de nouveau surpris : Haruni posa directement ses lèvres sur les siennes, prenant le Firal au dépourvu. Figé, Seiryū sentit les lèvres s'entrouvrir légèrement contre les siennes avant de s'éloigner. Il rouvrit les yeux et cligna plusieurs fois, perdu. Haruni n'était qu'à quelques centimètres de lui, ses yeux dorés aussi profonds et insondables que les eaux d'un ancien lac.

« Tu embrasses comme un enfant, » fit le Firal d'un ton neutre.


Il vit l'éclair de colère passer dans les yeux de l'adolescent, puis ce dernier lui saisit le visage à deux mains et l'embrassa de nouveau, cette fois en envahissant sa bouche de sa langue. De nouveau surpris mais ravi, Seiryū passa les mains autour de la taille du Second Prince et le laissant diriger le baiser. Quelque chose d'étrange se produisit alors : son cœur qui avait battu si fort se calma progressivement pour arriver à un rythme modérément rapide. Leur position si intime et nouvelle lui parut naturelle, comme si ce n'était pas leur premier baiser. Seiryū ne ressentit pas un désir incontrôlable, mais plus un sentiment d'appartenance, comme si là était sa place depuis toujours. Il n'avait jamais ressenti une telle chose avec ses précédents amants et le sentiment était intense, mais pas sauvage.


Lorsque Haruni voulut mettre fin à leur baiser, ce fut Seiryū qui se pressa contre lui afin de le poursuivre. Il désirait goûter encore à ce sentiment inédit, l'analyser davantage et le savourer plus longtemps. Le Second Prince ne le repoussa pas et le laissa prendre le contrôle. Seiryū explora la bouche, l'appréciant mille fois plus que la veille car il savait que Haruni l'y autorisait. Ça faisait toute la différence. Il nota distraitement que ce baiser avait un goût de miel, bien que l'adolescent ne mangeait que très peu de sucré. Comment était-ce possible alors ?


À bout de souffle, il dut interrompre leur baiser avec regret. Les mains de Haruni n'avaient pas quitté ses joues tout du long. Quand elles se retirèrent, Seiryū eut l'impression qu'on lui enlevait une partie de lui-même. Il regarda son bien-aimé dans les yeux et sourit légèrement en le voyant reprendre son souffle. À part ça, l'adolescent ne semblait pas plus embarrassé que ça, comme si c'était loin d'être sa première fois. Cette pensée laissa Seiryū perplexe et même un peu agacé.

« Notre premier baiser, fit-il en tâchant de masquer cet énervement subit. C'est ta première fois ?

Ce ne sont pas vos affaires, » rétorqua Haruni.

Seiryū avait clairement l'impression qu'il n'était pas novice dans ce domaine, mais avec qui… ? Il eut une petite idée de la réponse et son cœur se serra : Yatsu, ce ne pouvait être que lui. Personne d'autre n'était aussi proche du Second Prince, même s'ils ne se voyaient pas souvent. Bon, Seiryū se consola en se disant que même s'il n'était pas le premier à embrasser Haruni, ce n'était pas si important que ça.

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Le moment était passé, Haruni chercha à se libérer de leur étreinte. Seiryū eut un léger rire et le rapprocha au contraire de lui, déposant un baiser sur son front.

« Je vais aller voir le chef des gardes pour l'informer de notre promenade, » fit-il.

Il se leva et appela les servants pour qu'ils restent avec le Second Prince. Quand il eut quitté la pièce, Haruni se passa le pouce sur les lèvres. Il n'avait plus embrassé personne depuis Lucius, autant dire des décennies, et il ne pouvait pas s'empêcher de faire la comparaison. Ce n'était pas désagréable, certes, mais Haruni ne se sentait pas plus enthousiaste que ça. Il secoua la tête.

« Je ne comprends vraiment pas pourquoi Seiryū s'entête avec moi, » songea-t'il.

Il repoussa ces pensées inutiles et se concentra plutôt sur la promenade à venir : il allait pouvoir étudier les environs du pavillon, observer les gardes et se faire une meilleure idée de ses possibilités d'évasion.


~*~


Le Firal revint trente minutes après, un peu excédé. Apparemment, la conversation avec le chef des gardes avait été animée.

« C'est bon, annonça-t'il à son prisonnier.

Vous êtes sûr ? demanda Haruni, un peu sceptique. J'ai l'impression qu'il y a eu des objections.

C'est vrai, mais c'est moi qui ai eu le dernier mot. Je t'ai promis une ballade, il était hors de question que je ne tienne pas parole ! »

Malgré lui, Haruni eut un sourire amusé. Le Firal pouvait se montré têtu quand il l'avait décidé, un peu comme lui.


Seiryū alla prendre la clef de la chaîne et défit l'entra. Haruni put remettre ainsi ses bottes. Puis Seiryū lui tendit une main pour l'aider à se lever. L'adolescent voulut d'abord se mettre debout seul, mais ses jambes engourdies lui firent défaut et il dut se rattraper à cette main pour ne pas perdre l'équilibre. Seiryū passa aussitôt son autre bras autour de sa taille pour le soutenir.

« Ça va ? demanda-t'il avec inquiétude. Tu as mal à la cheville ?

Ça va, » répondit-il simplement.

Le regard de Seiryū tomba sur la chaîne et ses yeux se voilèrent. Le bras autour de la taille de Haruni se resserra un peu avant de se détendre.

« Tu pourras marcher ? » s'enquit-il d'un ton soucieux.

Haruni acquiesça. Le contraire aurait étonné le Firal. Il retint un soupir et dirigea le Second Prince vers la porte. Au bout de trois pas, Haruni déclara qu'il pouvait marcher seul. Connaissant sa fierté en la matière, Seiryū eut le bon sens de ne pas insister.


Le pavillon de chasse n'avait pas de jardin aménagé car ce n'était pas sa fonction. Mais il était entouré par la forêt et ça convenait tout à fait à Haruni qui aspirait au bon air frais de l'extérieur et à une plus grande liberté de mouvement. Cinq soldats les suivaient tandis que dix autres étaient postés autour du pavillon, gardant un œil sur eux et l'arc à la main. Le Second Prince nota leur regard très hostile.

« Qu'est-ce que vous avez bien pu leur raconter sur moi pour qu'ils soient aussi nerveux ? » demanda-t'il à Seiryū.

Ce dernier plissa le front.

« Je n'ai rien dit, se défendit-il. Mais quand ils t'ont attaqué, tu as blessé la moitié d'entre eux, c'est pour ça.

Ah, c'est vrai, » se rappela Haruni avec un sourire satisfait.

Ces soldats s'étaient attendus à un prince sans expérience du combat, ils avaient dû être très surpris !

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Bien que la promenade et l'air frais étaient des plus agréables, Haruni n'en oublia pas son but premier : repérer les lieux. Le pavillon n'était pas bien grand, quatre pièces tout au plus sur un seul étage, avec une écurie attenante. Les soldats avaient dressé leur campement à la lisière de la forêt, avec vue sur l'entrée du pavillon. Ils étaient une vingtaine en vue actuellement, mais peut-être qu'il y avait d'autres soldats en repos ou bien que Kenryū pouvait envoyer des remplacements parmi ses propres hommes. Cela dit, Haruni en doutait : il reconnaissait les visages des hommes qui l'avaient amené la veille et qui plus est, des déplacements réguliers en partance de Kurojū risquaient d'attirer l'attention. D'un autre côté, le Second Prince n'était pas encore officiellement porté disparu et Kenryū dirigeait la garde impériale sans qu'on lui demande de compte.


Bien que Haruni ne manifesta aucune volonté de s'échapper durant la promenade, la vigilance des gardes ne se relâcha pas un seul instant. Seiryū, lui, faisait comme si de rien n'était et discutait aimablement, ignorant le regard noir du chef des gardes qui ne semblait toujours pas avoir digéré leur conversation. Haruni en déduisit que contrairement aux servants, les gardes étaient moins dévoués envers Seiryū. Pour le reste, il ne décela pas de faille particulière dans la sécurité. Kenryū n'avait rien laissé au hasard pour s'assurer que le bâtard Hikari ne puisse pas se sauver, ce qui signifierait un arrêt de mort pour lui si Haruni l'accusait de l'avoir enlevé.

« Ça ne me laisse pas beaucoup d'options, » se dit l'adolescent.






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Lanterne 52
La Renaissance du Suprême Immortel 445 et 446

Planning des mises à jour :
Dimanche tous les quinze jours : Lanterne : le reflet d’une fleur de pêcher
La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire