Partie 6
Aux alentours de Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
« Je vais prendre de quoi nous nettoyer, » dit-il en se levant.
Quand les servants avaient déduit des ordres de Seiryū ce qui allait se passer, ils avaient prévu deux bassines d'eau chaude — tiède à présent — des serviettes et des draps de rechange. Le Firal s'occupa de Haruni en premier car c'était lui qui en avait le plus besoin. Il commença par ressuyer le visage couvert de larmes qui avaient séché, sauf que l'adolescent lui prit le linge des mains et marmonna en se redressant avec difficulté :
« Je m'en occupe. »
Seiryū acquiesça et prit une seconde serviette pour nettoyer le bas-ventre de Haruni mais là aussi, l'autre le repoussa. Le Firal n'insista pas et se nettoya à l'aide du second bassin. Il fallut plus de temps à Haruni, forcément.
Dès qu'il eut fini, Seiryū retira les bassins — il avait encore en mémoire la tentative d'évasion de l'après-midi. Puis il prit des bandages propres et le pot d'onguent.
« Tes blessures, expliqua-t'il.
– Aucune importance, marmonna Haruni. Vous allez me tuer demain. »
Seiryū prit un air triste à ce rappel.
« S'il te plaît. »
Cela fit rire Haruni, un rire proche de l'hystérie.
« C'est maintenant que vous demandez ma permission ?! »
Seiryū ne dit rien et attendit. Haruni finit par détourner la tête.
« Mmph, faites comme vous voulez. »
Ce n'était pas une permission à proprement parler, mais Seiryū s'en contenta.
Quand il approcha les mains du pansement à la taille, Haruni tressaillit involontairement et se figea. Seiryū leva les yeux vers lui, mais l'adolescent détournait obstinément la tête. En y regardant bien, son corps tremblait de manière imperceptible. Seiryū soupira intérieurement. Il aurait dû se réjouir d'avoir obtenu ce qu'il voulait, à savoir laisser une marque indélébile chez Haruni et avoir été son premier amant. Pourtant, tout ça lui laissait un goût amer dans la bouche. Il savait qu'il n'avait jamais voulu que les choses se passent ainsi, toutefois il n'avait pas eu le choix. Enfin si, il avait eu le choix entre renoncer totalement à Haruni ou bien commettre cet acte horrible. Aucun des deux n'aurait pu le rendre heureux.
« Au bout du compte, songea-t'il, j'ai opté pour l'égoïsme. Mais peu importe, tout finira demain. »
Il ignora donc la réaction de Haruni pour s'occuper de ses blessures à la taille et à la cuisse. Il nettoya les plaies qui avaient saigné de nouveau à cause de leurs activités, puis il remit de l'onguent et refit les bandages.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Le silence était retombé entre eux, un silence qui n'avait rien de confortable. Dehors, le soleil était couché et Seiryū dut allumer une troisième lanterne pour éclairer la pièce. La soirée était déjà bien avancée.
« Tu as faim ? » demanda-t'il soudain.
Haruni secoua la tête sans le regarder. Le Firal soupira.
« Alors allons nous coucher. Demain…
– C'est demain que je meurs, compléta Haruni pour lui.
– C'est demain que nous mourons, » rectifia Seiryū, dévoilant enfin ses pensées.
Cela interloqua Haruni qui se tourna vers lui. Seiryū lui adressa un pauvre sourire.
« Tu pensais vraiment que je pourrais vivre sans toi ?
– Mais…
– Demain, avant que mon père n'arrive, je te tuerai et je me tuerai juste après. Un meurcide.
– Un quoi ?
– Un meurtre/suicide. Tu n'as jamais lu d'histoires à ce sujet ? »
Haruni secoua la tête.
« Ce n'est pas le genre littéraire que j'apprécie.
– Oui, réagit Seiryū en laissant échapper un léger rire, je me demande bien pourquoi je t'ai posé la question ! »
Haruni fronça les sourcils et serra les poings.
« C'est vraiment ridicule ! explosa-t'il. Vous n'avez pas à mourir !
– Même après la chose horrible que je viens de te faire ? »
Cela fit taire Haruni. Il fronça les sourcils et prit un air désemparé. Il expérimentait clairement un conflit intérieur. Seiryū soupira et expliqua :
« Un monde sans toi n'a aucun intérêt à mes yeux, je te l'ai déjà dit. Avec ce meurcide, nos âmes partiront ensemble pour le monde des esprits. Je ne sais pas vraiment ce qui se passera ensuite, si nous serons malgré tout séparés ou bien si nous passerons l'éternité ensemble, mais au fond de moi, je souhaite… »
Il baissa les yeux et un faible sourire étira ses lèvres.
« … Je souhaite qu'on se réveille dans une de ces milliards d'Alternatives où nous sommes heureux tous les deux. »
Haruni ne dit rien, ses pensées s'agitant dans tous les sens.
Seiryū changea les draps et retourna le matelas souillé afin qu'ils puissent dormir. Il tendit une tunique fine à Haruni qui l'enfila avec des gestes très lents, souffrant des effets du somnifère. L'adolescent s'allongea sur le côté, s'éloignant autant que lui permettait sa chaîne. Seiryū voulut d'abord se placer derrière lui pour le prendre dans ses bras, mais Haruni rassembla ses dernières forces pour le repousser. Le Firal n'insista pas et s'allongea de l'autre côté, fixant le dos tendu de l'adolescent.
« Bonne nuit, mon amour, » murmura-t'il malgré tout.
Haruni laissa passer, l'esprit trop embrumé pour répliquer. Il sombra dans un état de somnolence qui n'était pas tout à fait du sommeil. Il avait conscience de la présence de Seiryū derrière lui et un sentiment viscéral de dégoût envahit son corps. Cependant, il n'avait plus aucune force en lui, alors il ne put même pas réagir quand il sentit que l'autre jeune homme avait saisi une mèche de ses cheveux. Seiryū se mit ensuite à trembler, étouffant des sanglots.
« J'ai vraiment tout gâché, » songea Haruni, la gorge serrée.
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À quel moment avait-il fait le mauvais choix qui avait conduit à cette situation tragique ? Il avait beau se repasser en tête tous les événements depuis la campagne de Dekita, il ne trouvait pas une seule décision discutable. Tout s'était enchaîné dans une parfaite logique, à tel point qu'il ne voyait pas ce qu'il pourrait changer même s'il en avait la possibilité. Et tout ça avait conduit à ce gâchis. S'il ne s'agissait que de sa propre vie, peu lui importerait : depuis sa “résurrection”, il s'était toujours senti en sursis de toute manière. Mais la vie de Seiryū, un jeune homme promis à un futur brillant et qui préférait mourir à cause de lui… Naturellement, Haruni le haïssait pour ce qu'il venait de lui faire subir et une part de lui estimait qu'il méritait largement de mourir. Pour autant, il se sentait coupable : à cause de son manque de compréhension de la culture de l'Empire de l'Aube, il n'avait pas su réagir correctement face aux sentiments de Seiryū, ce qui avait conduit à cette situation sans issue. Alors qu'il sombrait dans la culpabilité, le sommeil s'empara de lui et une pensée réconfortante surgit : demain, tout serait terminé.
« … runi ! Haruni ! »
Il fronça les sourcils. Même dans ses rêves, les Dieux venaient le harceler ! Ça faisait pourtant longtemps qu'Ils le laissaient tranquille. Il Les repoussa d'une pensée mais Ils revinrent à la charge.
« C'est important ! Réveille-toi ! »
Il ne pouvait pas se réveiller à cause du somnifère. Plus important encore, il ne voulait pas se réveiller. L'idéal serait que Seiryū le tue pendant son sommeil, mais il ne fallait pas rêver.
« Haruni !
– Oh ça va ! Je Vous entends ! céda-t'il en songeant avec agacement.
– Tu dois partir tout de suite !
– Pourquoi ? grommela-t'il, sa voix encore très faible.
– C'est ton père et ton frère, ils sont en danger ! »
Pour le coup, sans même réfléchir, Haruni ouvrit les yeux, à demi-réveillé. La pièce était encore sombre. Il ignorait combien de temps il avait dormi mais en tout cas, l'aube n'était pas encore là. Seiryū était allongé à côté de lui, immobile. Il avait cessé de pleurer, sans doute dormait-il.
Haruni dut cligner plusieurs fois des yeux car le sommeil menaçait de le rappeler à lui à tout moment. Il ne tenait pas non plus droit, vacillant sans s'en rendre compte. Le somnifère faisait toujours effet. Apparemment, la dose réduite ne diminuait que les effets, pas la durée d'action. Il se mordit la lèvre inférieure presque jusqu'au sang afin de rester conscient.
« Je suis réveillé, chuchota-t'il pour les Dieux. Que se passe-t'il ? Père et Tomuki…
– Tu dois les rejoindre tout de suite, il est encore temps !
– Où ça ? Que…
– Nous te guiderons, ne perds pas de temps ! »
L'adolescent se redressa sur un coude et sentit tout de suite la tête lui tourner. Il retint un gémissement. Il n'avait déjà pas réussi à s'enfuir dans l'après-midi alors qu'il était en pleine possession de ses moyens, alors c'était encore plus impensable dans son état actuel. Pourtant, son père et son frère étaient en danger, les Dieux ne mentiraient pas là-dessus. Que faire ?
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Le Second Prince se figea soudain, sentant la main froide du destin se refermer sur lui : il n'y avait qu'une seule solution, celle-là même qu'il avait tenté d'éviter à tout prix. Un rire rauque s'échappa de sa gorge. Quels que soient ses efforts, n'y avait-il donc aucun moyen d'y réchapper ? Derrière lui, Seiryū ouvrit les yeux en l'entendant rire faiblement.
« Haruni ? » demanda-t'il d'une voix ensommeillée.
L'adolescent soupira lourdement et, sans même se retourner, il fit d'un ton froid :
« Seiryū, je t'ordonne de me libérer. »
Un long silence suivit sa déclaration. Pendant un instant, Haruni cessa de respirer, se disant que Seiryū n'avait jamais eu l'intention de lui obéir et qu'il allait se moquer de lui pour sa crédulité. Qui irait mettre sa famille en danger pour servir le bâtard Hikari ?
Haruni entendit Seiryū inspirer brusquement, puis répondre :
« À vos ordres, mon prince. »
Le jeune homme se leva pour aller chercher la clef des fers dans la pénombre. Il revint vite défaire l'entrave, puis il resta à genoux devant Haruni et attendit. Ce dernier préféra garder le visage détourné.
« Je dois partir maintenant. »
Seiryū ouvrit la bouche, sans doute pour poser des questions, mais il se disciplina et inclina la tête.
« À vos ordres, mon prince, » répéta-t'il simplement.
Il se leva et s'habilla rapidement, prenant ses sabres. Il posa ensuite des vêtements devant Haruni et fit :
« Je vais dire aux servants de venir pendant que je me charge des soldats. »
La présence des servants semblait inutile, mais ce serait une perte de temps que d'objecter.
Haruni acquiesça et le Firal alla ouvrir les portes coulissantes derrière lesquelles se trouvait constamment un servant en cas de besoin. Seiryū lui ordonna de faire venir les autres discrètement, d'assister le Second Prince et le protéger de leurs vies. Les cinq servants entrèrent rapidement, certains à moitié endormis. Seiryū s'agenouilla ensuite devant Haruni et lui tendit sa lame courte.
« Pour vous défendre, mon prince, expliqua-t'il.
– Fais vite, » répliqua Haruni sur le ton informel supérieur en prenant le petit sabre.
Il s'adressait à Seiryū comme à un vassal, bien que cette idée lui faisait autant horreur que le ton amical. Seiryū tressaillit au changement de registre, mais il s'inclina et sortit de la pièce. Les servants nageaient dans la confusion la plus totale et Haruni ressentait toujours les effets du somnifère. Il pressa la blessure à sa cuisse et la douleur le rendit plus alerte.
« Aidez-moi à m'habiller, » commanda-t'il.
La tâche familière rassura les servants.
Haruni grinça des dents en voyant qu'il n'y avait que la tunique blanche à porter. Mais il n'avait guère le temps de se montrer difficile. Pour ses cheveux emmêlés, il exigea un simple ruban pour les attacher. Il se força ensuite à se tenir debout afin de lutter contre l'endormissement, mais il fut obligé de s'adosser contre un pilier. Pendant ce temps, des cris et des bruits de sabres retentissaient à l'extérieur. Haruni serra les dents. Seiryū devait faire face à quinze hommes. Il avait beau être une fine lame, pourrait-il s'en sortir ? Si seulement il n'y avait pas eu ce maudit somnifère, Haruni serait aller lui prêter main-forte. À eux deux, ça n'aurait posé aucun souci ! Cela dit, il ne pouvait que s'en prendre à lui-même : s'il n'avait pas attendu le dernier moment, s'il avait fait confiance à Seiryū plus tôt, il n'en serait pas là actuellement. Bon, se flageller ne servirait à rien dans l'immédiat, il aurait tout le temps de s'en vouloir une fois que sa famille serait saine et sauve.
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Les portes s'ouvrirent violemment, à tel point qu'un des panneaux se déboîta. Trois soldats entrèrent, l'air pas content du tout. L'un d'eux était le chef des gardes.
« Sale bâtard, cracha-t'il en direction de Haruni, qu'est-ce que tu as fait ?! »
Le Second Prince ne prit pas la peine de répondre. De toute façon, ces hommes n'étaient pas venus pour obtenir des explications. Ils se ruèrent sur lui, mais les servants s'interposèrent afin de protéger Haruni. Ils ne pouvaient pas se battre, mais ils n'hésitèrent pas à faire rempart de leurs corps. Les soldats les repoussèrent sans se soucier de les blesser ou pas. Haruni affronta le premier d'entre eux, désavantagé par sa lame courte. Il finit par se rapprocher de son adversaire pour lui enfoncer son sabre dans le ventre. Les yeux écarquillés, le guerrier s'effondra. Haruni eut à peine le temps de récupérer son sabre long que le second soldat l'attaquait déjà. La lame le blessa au bras, mais ce n'était heureusement pas une plaie trop profonde. Haruni l'attaqua à son tour, pestant intérieurement car ses mouvements étaient ralentis et mous.
« Votre Altesse ! » s'écria un des servants en saisissant le bras armé du soldat par derrière.
Ça n'avait rien d'un combat loyal, mais la survie comptait plus que tout. Haruni en profita pour transpercer le torse du soldat. Plutôt que de récupérer le sabre qui semblait coincé, il prit celui du défunt.
Le chef des gardes avait tué deux servants. En voyant ses hommes morts, il cracha en direction du Second Prince.
« J'aurais mieux fait de te tuer cet après-midi, quand j'en ai eu l'occasion !
– Oui, » répondit simplement Haruni.
Le chef des gardes prit un air écœuré, puis il se rua sur lui, sabre en main. Haruni para les premiers coups, cependant il s'aperçut rapidement qu'il n'allait pas s'en sortir. Sans hésiter, il usa de ses pouvoirs pour enflammer la tenue du soldat. Terrorisé par le feu subit et inexplicable, l'homme perdit sa concentration et Haruni saisit l'occasion pour lui porter un coup fatal au ventre. À bout de souffle, il regarda autour de lui : plus aucun adversaire. Parmi les servants, deux étaient morts et les trois autres étaient blessés. Quant à lui, il avait fait quelques nouvelles taches de sang sur la tunique blanche — le sien et celui de ses adversaires. Il eut un sourire amusé malgré la gravité de la situation.
« Voilà pourquoi je n'aime pas porter des couleurs claires, » se dit-il.
Seiryū revint peu de temps après, ses sabres rougis par le sang et des blessures sur tout le corps.
« J'ai perdu la trace du chef des gardes et de deux autres soldats, » commença-t'il.
Il se tut en voyant les corps, dont un fumait encore. Aussitôt, il lança un regard inquiet à Haruni.
« Mon prince, vous allez bien ?!
– Ça va, répondit-il. Partons vite. »
Le regard de Seiryū tomba sur les taches de sang qui avaient fleuri sur la tunique qu'il avait offerte à l'adolescent, mais il se retint de commenter.
« Allons à l'écurie pour récupérer nos chevaux, » proposa-t'il.
Il porta ensuite son attention sur les servants et son regard s'assombrit en voyant les deux morts.
« Vous avez vaillamment accompli votre devoir. Je vous laisse vous occuper de brûler les morts. Récupérez ensuite vos affaires et retournez discrètement à Kurojū. Pas un mot sur ce qui s'est passé ici, c'est compris ? »
Les servants s'inclinèrent.
Haruni et Seiryū se dirigèrent vers les écuries. En voyant les cadavres des soldats jonchant la cour, Haruni songea :
« Il l'a vraiment fait. »
Cela ne fit qu'ajouter à sa culpabilité. Seiryū venait de tuer des soldats aux ordres de son père, tout ça pour lui. Ça signifiait que tout ce qu'il avait dit au sujet de sa loyauté était la stricte vérité. Ça signifiait que si Haruni y avait cru plus tôt, s'il lui avait laissé une autre chance comme Seiryū l'avait tant réclamé… Le Second Prince secoua la tête. Il y repenserait plus tard. Pendant ce temps, Seiryū avait sorti Yaji, la monture de Haruni. Quand ce dernier voulut monter en selle, il manqua de perdre l'équilibre, toujours à cause de ce maudit somnifère ! Seiryū l'aida à s'installer à cheval et juste après, il grimpa derrière lui. Haruni s'avança instinctivement, sentant la nausée l'envahir à cause de la proximité de cet homme.
« Que… commença-t'il à s'indigner.
– C'est plus prudent, mon prince, répondit Seiryū sur un ton d'excuse en prenant les rênes. Dans votre état, vous risqueriez de tomber de cheval et de vous rompre le cou. »
C'était de cette manière que son oncle était mort. Haruni tressaillit devant ce funeste rappel qui sonnait comme un sombre présage. Il ravala donc son écœurement et prit sur lui. Cependant, il tenta de rester le plus loin possible de l'autre jeune homme, bien que ce n'était pas facile alors qu'ils partageaient la même selle.
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« Où allons-nous, mon prince ? » demanda Seiryū.
Haruni tendit l'oreille pour écouter les Dieux. Ces derniers étaient si affaiblis qu'il dut bien se concentrer.
« Vers Kurojū pour commencer, puis on bifurquera. »
Yaji était un cheval robuste et endurant malgré son âge, car Haruni sortait souvent à cheval, contrairement à bien des nobles. L'animal porta les deux cavaliers sans broncher et s'élança au galop à travers la forêt.
« Pouvez-vous me dire ce qui se passe ? s'enquit enfin Seiryū d'une voix assez forte pour couvrir le bruit des sabots.
– Les Dieux m'ont dit que mon père et Tomuki sont en danger. »
Depuis les événements de la caserne de Tomako, Seiryū savait que les Dieux communiquaient avec Haruni, alors il n'y avait pas de raison de s'en cacher.
« Quel danger ? demanda le Firal sans mettre en doute cette affirmation.
– Ils ne me l'ont pas dit. »
Et là, il avait beau tenter de Leur parler, les Dieux semblaient concentrés sur autre chose. Il pouvait seulement sentir dans quelle direction aller.
« Nous y serons à temps, mon prince, » assura Seiryū.
Haruni était nettement moins optimiste que lui, mais il garda ses doutes pour lui. Il remarqua alors que Seiryū s'adressait de nouveau à lui dans le registre inférieur formel et lui donnait du “mon prince”. Lui au contraire s'était mis à employer le registre supérieur informel, celui qu'on employait pour un vassal. En l'espace d'à peine deux jours, leur relation avait changé du tout au tout. D'une part, Haruni était contrarié que Seiryū ait obtenu une partie de ce qu'il voulait — faire accepter son allégeance — mais de l'autre, il était soulagé que le jeune homme n'ait pas à mourir avec lui. Il ne lui pardonnait pas de l'avoir violé, mais il reconnaissait que Seiryū n'avait pas menti en disant qu'il lui obéirait si Haruni lui donnait un ordre. Au bout du compte, le Firal devrait payer pour ce qu'il lui avait fait mais tant que Haruni ne savait pas quel danger menaçait sa famille, il comptait bien se servir de Seiryū le plus possible. Le reste attendrait.
« Mon prince, fit subitement Seiryū après un moment, au sujet de ce qui s'est passé… »
Apparemment, le jeune homme avait lui aussi pensé à tout ça.
« Plus tard, » le coupa sèchement Haruni.
Seiryū n'insista plus.
Ils chevauchèrent jusqu'à l'aube et après une brève halte pour que Yaji s'abreuve, ils reprirent leur route une bonne partie de la matinée. Haruni fut soulagé lorsque les effets du somnifère se dissipèrent enfin totalement. Par contre, les Dieux ne lui avaient donné plus aucune nouvelle et ça l'inquiétait grandement. Malgré l'urgence, il avait même essayé d'entrer brièvement dans le monde des esprits, mais il s'était fait refouler à l'entrée, ce qui n'était encore jamais arrivé. C'était d'autant plus inquiétant. Dans un premier temps, ils avaient suivi la direction de la capitale mais ensuite, ils s'étaient dirigés un peu plus à l'ouest. Quand ils virent des uniformes de la garde impériale, ils surent qu'ils étaient arrivés à destination. Seiryū tira sur les rênes et descendit le premier. Il aida ensuite Haruni, tout ça sous le regard éberlué des soldats.
« Que s'est-il passé ? demanda Haruni d'un ton autoritaire. Où sont l'Empereur et le Premier Prince ?
– Vo… votre Altesse, » balbutia le garde le plus proche, blême.
Haruni n'avait que peu de patience. Entre l'anxiété et la douleur — ses blessures et son bassin, douloureux rappel de ce qu'il souhaitait oublier — il tenait à avoir des réponses très vite. Il examina les lieux : ils se trouvaient dans la forêt de Saki, dans un espace dégagé. Une grande partie des gardes était rassemblée au pied d'une falaise, d'autres faisaient des allers-et-venues dans la forêt tout proche. La brise se leva dans sa direction et il fronça le nez, sentant l'odeur du sang. Il eut alors un terrible pressentiment. Ignorant le soldat incapable de parler correctement, il s'avança, notant à peine que Seiryū le suivait de près. En voyant le Second Prince arriver, les soldats s'écartèrent pour le laisser passer. Tous faisaient une tête horrible et chuchotaient sur son passage. Haruni ne remarqua rien, essayant plutôt de voir ce qui se passait devant lui.
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Il aperçut une silhouette vêtue de bleu qui supervisait les opérations. L'homme se tourna à l'approche de Haruni : c'était le seigneur Hatochi. Il eut l'air stupéfait en le voyant, mais se ressaisit bien vite.
« Votre Altesse, les Dieux soient loués, les messagers ont pu vous trouver !
– Quels messagers ? » demanda Haruni en le fixant droit dans les yeux.
Le seigneur vacilla.
« Vous voulez dire que… vous n'êtes pas au courant ? »
Le Second Prince secoua la tête.
« Il… il y a eu un terrible accident, votre Altesse, » commença Hatochi en blêmissant.
Hébété, Haruni écouta son compte-rendu.
Deux jours plus tôt, le Premier Prince était parti chasser pour trois jours avec des amis, accompagné tout de même d'une vingtaine de gardes. La veille au soir, un tremblement de terre avait secoué Kurojū. Bien que c'était léger, l'Empereur s'était alors affolé en s'écriant que son fils était en danger et que c'étaient les Dieux qui l'avaient averti. Kenryū avait aussitôt rassemblé une escouade de la garde impériale pour se rendre dans la forêt de Saki, mais l'Empereur avait insisté pour venir avec, tout comme l'Impératrice. Kenryū était parti devant pour arriver plus vite, tandis que les souverains suivaient en carrosse, bien escortés. Sur place, Kenryū avait découvert un horrible spectacle : une fissure s'était ouverte au pied de la falaise où le groupe avait apparemment établi son campement et des corps dévorés gisaient dans tous les sens. Les humains comme les animaux n'avaient pas été épargnés. Quelques-uns des cadavres n'étaient pas comme les autres : la tête tranchée, ils possédaient des yeux rouges…
« Des vampires ? » intervint Haruni en écarquillant les yeux.
Hatochi pâlit et acquiesça craintivement. Il regarda tout autour de lui, comme s'il craignait que ces monstres surgissent de nouveau.
Les Abominations avaient apparemment surgi de la crevasse pour s'attaquer au groupe qui ne s'y attendait pas. Cependant après un examen de tous les cadavres, il s'avéra qu'il manquait le Premier Prince et le Fieur Manoru. Tegami avait alors repris espoir et ordonné qu'on fouille les environs. Lui-même avait quitté la sécurité du carrosse, malgré les injonctions de Kenryū, afin d'appeler son fils, imité par son épouse. Hélas, il y avait une seconde fissure plus loin et d'autres vampires en avaient surgi, faisant un nouveau massacre…
« Une minute, coupa soudain Haruni en fronçant les sourcils. Comment vous êtes au courant de tout ça ? »
Hatochi soupira.
« Quelques gardes se sont lâchement enfuis lorsque la seconde vague d'Abominations a attaqué. Ils sont ensuite revenus avouer leur acte honteux. Pour l'instant, ils aident aux recherches en fouillant l'autre fissure car les autres ont bien trop peur de s'y aventurer. Si les Abominations ne les tuent pas, ils s'ôteront la vie ensuite pour expier leur lâcheté. »
Ce ne fut qu'une fois ce point expliqué que Haruni se mit à croire à cette histoire qui lui avait semblé totalement irréelle jusque là. Un grand blanc envahit son esprit et son corps se pétrifia.
« Avez-vous trouvé des survivants ? » demanda-t'il d'une voix faible.
Hatochi ne dit rien pendant un moment, ce qui était une réponse en soi.
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Après la paralysie, une grande agitation s'empara de Haruni. Il rejetait totalement cette vérité et ne voulait même pas demander aux Dieux pour avoir confirmation.
« Vous avez trouvé tous les corps ? demanda-t'il. Qui sait, ils sont peut-être encore en vie ! »
Hatochi lui jeta un regard de pitié et de compassion.
« Nous avons trouvé les corps de ses Majestés, ainsi que du général Kenryū, fit-il en regardant brièvement Seiryū qui haleta et serra les poings.
– Et mon frère ? insista Haruni.
– Il… Les soldats fouillent en ce moment même une galerie, mais les Abominations sont peut-être encore là et…
– Il reste donc un espoir ! »
Il se raccrocha vaillamment à cette faible lueur d'espoir, n'ayant plus que ça. Malgré lui, il sentit une immense tristesse et du désespoir émaner des Dieux, mais refusa de s'y attarder. Ça ne pouvait pas être vrai. Ça ne pouvait pas être arrivé ! Impatient, Haruni se dirigea vers l'autre fissure, ignorant les cris de protestation de la part de Hatochi. Seiryū le suivit sans un mot et Haruni s'agaça un moment de sa présence. Cependant, il n'avait aucune envie de lui prêter attention, seul comptait pour lui le besoin de voir les dépouilles de ses propres yeux. Il n'y avait que comme ça qu'il pourrait accepter la triste réalité.
L'autre fissure ne se trouvait pas très loin. Des gardes se tenaient à l'entrée et plusieurs tas de vêtements jonchaient le sol. Non, il s'agissait de corps recouverts de manteaux afin de cacher leur état horrible. Quand Haruni arriva, les gardes prirent un air stupéfait et l'un d'eux tenta faiblement de l'empêcher de s'approcher :
« Votre Altesse, vous ne devriez pas voir ça, c'est trop affreux… Ils sont… Ils ont été… Les Abominations les ont…
– Je dois voir. »
Un seul regard et des paroles glaciales de la part de Haruni suffirent à le faire taire et à renoncer à lui bloquer le chemin. Haruni repéra une chevelure noire dépassant d'un des linges et il s'agenouilla à côté, soulevant légèrement le tissu. C'était son père, mais ce qui restait de son visage était à peine reconnaissable. Quand il avait fait partie d'une troupe de chasseurs de vampires dans les Pialles, Haruni avait vu sa part de victimes. C'était un spectacle atroce, mais il se rendit compte que c'était encore pire quand il s'agissait de gens qu'il connaissait. Du coup, apercevant une mèche de cheveux roses de sous le manteau à côté, il n'osa pas cette fois regarder. Il préférait conserver un souvenir intact de Kaname. De son côté, Seiryū avait à peine pu jeter un regard à son père avant de s'effondrer en larmes. Hatochi resta à l'écart, ne sachant que faire ou que dire.
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Environ une demi-heure après, on entendit des pas précipités venant de la fissure. Les gardes à l'extérieur brandirent leurs armes, formant une ligne de défense devant le Second Prince. Haruni se releva et fixa l'entrée de la grotte, ne respirant plus.
« Ils arrivent, ils arrivent ! Partez ! » s'écria un soldat ensanglanté en sortant de là en titubant.
Il avait fait à peine trois pas à l'extérieur qu'il trébucha et s'étala par terre. Malgré tout, il releva la tête et tendit un bras vers ses compagnons.
« Les Abominations… arrivent, fuyez… »
Sa voix mourut dans un râle. Nerveux, les gardes reculèrent inconsciemment. Au contraire, Haruni voulut s'avancer vers l'homme à terre, mais la ligne des soldats l'en empêcha.
« Vous avez retrouvé mon frère ? » appela-t'il d'une voix anxieuse.
Le soldat vivait ses derniers instants, pourtant son devoir l'obligea à répondre.
« Son Altesse… trop tard… »
Haruni se figea et il ne fut pas le seul.
Tout à coup, un grondement sourd parvint de la fissure, lointain au départ, mais se rapprochant rapidement. Les gardes se mirent à trembler, sentant le danger approcher.
« Votre Altesse ! s'écria Hatochi en arrière. Il faut vite partir ! »
Haruni savait que ce ne serait pas si simple. Les vampires allaient se mettre à leur poursuite et ils étaient bien plus rapides que des chevaux, surtout à présent qu'ils s'étaient repaît de sang. D'un autre côté, vu le bruit, il s'agissait de plusieurs dizaines de vampires. Ce serait très difficile de tous les tuer, d'autant plus que les gardes n'avaient pas l'habitude d'affronter ces créatures. Les yeux de l'adolescent parcoururent rapidement les lieux, cherchant une solution…
« Il faut bloquer l'accès ! » décida-t'il soudain en voyant quelques gros rochers non loin de là.
Tout le monde le fixa sans réagir.
« Déplacez ces roches pour recouvrir la fissure, continua Haruni en désignant les rochers du doigt. Faites vite, sinon nous sommes perdus ! »
Hatochi protesta faiblement :
« C'est trop dangereux, il faut plutôt fuir…
– On ne fuit pas devant des vampires, » affirma Haruni sans même se tourner vers lui.
Après plusieurs injonctions, les gardes finirent par obéir machinalement. Les rochers étaient lourds, mais ils pouvaient les faire rouler à un ou deux hommes. Cependant, cela prenait bien trop de temps et la cavalcade des vampires se rapprochait inexorablement. Certains gardes tremblaient tellement qu'ils n'avaient plus de force, ce qui ralentit d'autant plus la manœuvre à partir du moment où il fallut soulever des roches. Haruni jura entre ses dents quand il se rendit compte qu'ils n'avaient plus le temps. Il voulut s'avancer vers la fissure, mais se fit retenir par la manche. En se tournant, il vit qu'il s'agissait de Seiryū. La colère l'envahit à cette vue.
« Mon prince, fit le Firal d'un ton pressant, ne vous mettez pas en danger.
– Toi, ne me touche pas ! » répliqua sèchement Haruni en tirant sur sa manche pour la dégager.
Seiryū resta la main en l'air, penaud. Mais voyant que Haruni se plaçait à l'endroit le plus dangereux — juste devant la fissure — il se ressaisit et dégaina son sabre pour aller à ses côtés, prêt à donner sa vie pour le défendre.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Haruni décida d'ignorer sa présence pour se concentrer sur ce qu'il avait à faire. L'ouverture était à moitié recouverte, mais les soldats avaient de plus en plus de mal à porter les rochers pour la boucher complètement. Il fallait donc retarder les vampires et pour ça, Haruni ne voyait qu'une seule solution. Il inspira deux ou trois fois, tâchant de se calmer, puis fit appel à son pouvoir du feu pour envoyer des flammes dans la fissure. Les gardes poussèrent des cris tout autour en voyant ce qui se passait, mais Haruni ne leur prêta pas attention. Dans le tunnel, le feu embrasa les vampires. En réalité, un vampire pouvait bien résister aux flammes sans ressentir la moindre douleur, mais Haruni comptait sur le fait qu'il s'agissait de nouveaux vampires qui avaient conservé les réflexes de leur vivant. Effectivement, les créatures poussèrent des hurlements et cherchèrent instinctivement à reculer pour échapper aux flammes. La cavalcade s'arrêta pour devenir du piétinement et du chaos.
« Dépêchez-vous ! fit Haruni aux soldats. Ça ne va pas les ralentir bien longtemps ! »
Sursautant et rappelés au danger immédiat, les gardes se remirent à la tâche. Haruni entendit quelques 'Hikari' marmonnés, mais il n'en avait que faire.
Finalement, la dernière pierre fut posée, scellant l'ouverture. Ce ne serait pas suffisant à long terme, il faudrait mettre plus de pierres ou carrément cimenter, mais ils étaient tranquilles pour le moment. Quelques coups de l'intérieur ébranlèrent les roches, faisant tomber un peu de gravats. Les soldats reculèrent, effrayés, mais Haruni observa d'un œil critique si l'amas de pierres tenait le coup. Satisfait, il se détourna. Les regards se posèrent sur lui, certains révérencieux, d'autres apeurés, d'autres écœurés… Il avança sans en tenir compte. Seiryū marcha à trois pas derrière lui, la main sur son sabre, prêt à en découdre avec quiconque oserait manquer de respect à son prince. Haruni finit par arriver devant Hatochi qui était blême et tremblant.
« Il n'y a plus rien à faire ici, fit l'adolescent. Que les corps des nôtres soient rapatriés à Kurojū. Pour ce qui est des vampires, assurez-vous de les décapiter avant de brûler leurs cadavres. »
Le seigneur déglutit et finit par hocher la tête. Alors que Haruni allait partir, il l'appela malgré tout d'une voix hésitante :
« Votre Altesse, et pour le Premier Prince ? »
Haruni se figea, puis répondit sans se retourner :
« Le soldat qui est sorti de la fissure a dit qu'il était déjà mort. J'aurais aimé récupérer son corps, mais c'était bien trop dangereux. Au moins, il brûlera. »
Certes, ce n'était pas l'idéal, mais c'était toujours mieux que de ne rien faire.
Commentaires :
Novel_roman a écrit le dimanche 12 janvier 2025 à 13:16
J'ai hâte que l'histoire principale reprenne...