Partie 8
Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
Quand Seiryū revint après l'heure du dîner, sa famille était arrivée depuis peu. Il les rejoignit dans les quartiers de son père et son cœur se serra en voyant les lieux familiers et en réalisant que son père ne les occuperait plus. Dame Mikato, sa mère, le prit dans ses bras en le voyant. Son frère et sa sœur pleurèrent également. Tous les trois étaient vêtus de blanc.
« Oh, Seiryū, fit Mikato, est-ce bien vrai ? Ton père est… il est vraiment… »
La gorge nouée, le jeune homme acquiesça.
« J'ai vu sa dépouille, fit-il sans entrer dans les détails macabres. Il est mort en protégeant l'Empereur et son épouse. »
Malgré ses larmes, Mikato eut un sourire de fierté.
« Je prie les Dieux pour qu'il retrouve le prince Kodōtaro dans l'autre monde, fit-elle. Ça a toujours été son souhait le plus cher. »
Kenryū avait été ami avec l'ancien Premier Prince, puis amant. Bien qu'il avait été à l'origine de leur rupture, sans doute l'avait-il toujours aimé au fond de lui. Seiryū acquiesça de tout cœur.
« Et toi, comment vas-tu, mon fils ? s'enquit Mikato en reculant un peu, ses mains passant sur les joues de son aîné.
– J'ai du mal à réaliser qu'il nous a quittés… et je n'ai pas vraiment le temps d'y penser non plus. Il y a beaucoup à faire. »
Le regard de Mikato se posa sur ses deux enfants plus jeunes et elle leur fit :
« Dokano, Kōtori, allez vous rafraîchir. Nous dînerons bientôt. »
Les adolescents obéirent sans discuter. Mikato invita Seiryū à s'asseoir autour de la table basse pendant que les servants apportaient du thé.
« Qu'en est-il avec le Second Prince ? » demanda-t'elle directement.
Elle était évidemment au courant de toute l'affaire. Elle n'avait pas approuvé, mais Kenryū ne l'avait pas laissée s'en mêler.
« Il… Il ne semble pas enclin à dévoiler ce qui s'est passé, répondit Seiryū en pâlissant un peu. La mort de sa famille a tout changé : il a d'autres sujets de préoccupation et surtout… il a besoin de moi pour le soutenir.
– Seiryū, ne me dis pas que tu as…
– Je lui ai fait serment d'allégeance et il a accepté, confirma le jeune homme. Je suis désormais à son service. »
Ça ne s'était pas exactement passé comme ça, mais Seiryū tut les détails à sa mère. Elle n'avait pas besoin de tout savoir.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Mikato le regarda, partagée entre la compassion et la consternation.
« Tu es sûr qu'il ne cherchera pas à se venger plus tard ? Si ce n'est pas contre toi, alors contre ta famille ?
– Il ignore votre implication dans l'affaire, mère, et il n'irait pas s'en prendre à Dokano ou Kōtori, ce n'est pas son genre. S'il veut se venger, ce sera sur moi et… il en aura parfaitement le droit, fit-il en baissant la tête.
– Seiryū ! »
Il croisa de nouveau son regard et eut un pauvre sourire.
« Ne vous en faites pas, mère, c'est la voie que j'ai choisie. »
Elle ne protesta pas plus, mais lui serra la main en signe de réconfort. Décidément, entre Kenryū et Seiryū, elle ne pourrait jamais comprendre pourquoi les hommes se compliquaient tellement la vie en matière d'amour. Malgré tout, elle les aimait tous les deux et continuerait à les aimer, même si son époux l'avait quittée prématurément.
Après le dîner, Seiryū se rendit dans les appartements du Second Prince. Il n'avait cessé de songer à lui durant le repas, lui qui devait désormais manger seul sans les siens. Seiryū n'avait perdu qu'un parent, ce n'était rien en comparaison ! Tandis que le servant annonçait sa présence à son maître, Seiryū se demanda seulement là s'il allait être reçu. Il fut agréablement surpris qu'on lui ouvre les portes.
« Mon maître va vous recevoir, » annonça le servant.
Seiryū entra et nota aussitôt les restes du dîner sur la table basse avant qu'une servante ne les retire prestement : Haruni n'avait pas mangé grand-chose. Le Firal se promit alors de veiller à ce que l'adolescent se nourrisse convenablement. Haruni allait avoir besoin de toutes ses forces pour les épreuves à venir, alors il était hors de question qu'il tombe malade à cause de malnutrition !
« Tu devrais être avec ta famille, » l'accueillit Haruni.
Il était assis sur la terrasse qui donnait sur les jardins, dos tourné. Seiryū s'avança et mit un genou à terre tout en s'inclinant.
« J'ai passé du temps avec eux, mon prince. je viens à présent vous faire mon rapport. »
Haruni soupira, mais fit, toujours sans le regarder :
« Je t'écoute.
–Suite à vos suggestions dont je lui ai fait part, le commandant Tokeru a envoyé des hommes se renseigner dans les villages alentours sur la provenance des cadavres. Il n'a encore rien obtenu.
–Pas étonnant, commenta le Second Prince avec un léger rire. Les gens qui ont vendu les corps de leurs proches n'ont pas envie de le crier sur tous les toits.
– Vendu ? tiqua Seiryū.
– J'ai réfléchi à cette possibilité. Je pense que le ou les responsables achètent les dépouilles des défunts. C'est le moyen idéal pour ne pas se faire remarquer.
– Mais qui irait vendre le corps d'un de ses proches ?! » s'indigna le Firal.
Cela lui valut un regard.
« Quand on est pauvre, tout argent est bon à prendre. »
Seiryū ne parvenait pas à comprendre ça, lui qui n'avait jamais manqué de rien.
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« Sinon, il va enquêter autour des terres des nobles aux alentours.
– Bien, tu as fait du bon travail. »
L'éloge lui fit chaud au cœur, même s'il savait qu'il était ridicule de réagir de la sorte.
« Autre chose ? » s'enquit Haruni.
Seiryū reconnut le ton : il était sur le point de se faire congédier. Il répondit rapidement :
« Je voudrais savoir clairement où nous en sommes, mon prince ! »
Pour le coup, Haruni se tourna vers lui, un peu surpris. Seiryū déglutit, mais soutint résolument son regard.
« Où nous en sommes ? répéta l'adolescent. Qu'est-ce que tu crois ? »
Le cœur de Seiryū se serra devant le ton dur. Effectivement, qu'espérait-il ? Haruni se leva et s'avança vers lui, sans lui faire signe de se relever.
« Puisque tu veux de la clarté, en voilà : tu es à mon service, comme ton père a autrefois servi mon oncle. En public, tu t'adresseras à moi en tant que “mon prince” ou “votre Altesse” sur le registre formel inférieur. En privé, tu pourras utiliser mon prénom et le registre informel inférieur. »
Cette dernière précision fit briller les yeux émeraude. Ce n'était pas tout à fait une relation amicale, mais ça n'en était pas loin.
Haruni surprit sa réaction et précisa aussitôt :
« C'est juste pour que les gens aient l'impression que tu es pleinement de mon côté. Ne t'attends à rien de plus, c'est compris ? »
Seiryū baissa les yeux, un peu déçu.
« Je comprends, mon pr… Haruni, » tenta-t'il.
Comme il ne se fit pas réprimander, il releva les yeux et poursuivit avec plus d'ardeur, se mettant à nu devant l'adolescent :
« Cependant, ne parle pas d'impression : je suis pleinement de ton côté et je le serai toujours. Je sais que mes actes sont impardonnables et puisque tu n'as pas voulu que je me tue, je te consacrerai le reste de ma vie. Je t'appartiens tout entier, sache-le. Je… t'aime et je t'aimerai toujours, quoi que tu en dises. »
Haruni ne commenta pas, mais il ne réfuta pas et ne se moqua pas non plus. Seiryū en conçut un mince espoir, même s'il savait que ça causerait sa perte au final.
« Retourne auprès de ta famille, Seiryū, fit simplement Haruni d'un ton las.
– Je… je ne peux pas rester un peu te tenir compagnie ? » osa-t'il suggérer.
Alors que Haruni inspirait brusquement pour répondre, il ajouta en hâte :
« J'ai ramené ta flûte. »
Ses servants étaient revenus en fin de journée avec leurs affaires du pavillon de chasse, dont la fameuse flûte. Seiryū espérait que Haruni accepterait de nouveau ce cadeau, symbole de leur premier baiser.
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Une série d'émotions passa sur le visage du Second Prince alors qu'il contemplait l'instrument. Il était clairement partagé entre accepter ou refuser. Il finit par soupirer.
« Tu peux rester. »
Seiryū crut rêver. Il tendit la flûte à Haruni qui la saisit sans un mot avant de retourner à sa place, face aux jardins. Il ordonna ensuite aux servants de leur préparer du thé Un peu confus, n'osant croire à sa bonne fortune, Seiryū ne bougea pas. Ce fut Haruni qui lui fit signe de prendre place à côté de lui. Comme dans un rêve, le jeune homme s'avança et s'assit sur le coussin de sol, ses yeux incapables de quitter le magnifique visage illuminé par la lune et les lanternes. Sans un regard pour lui, Haruni porta la flûte à ses lèvres et entama un air triste et poignant. Comme la veille — n'était-ce vraiment que la veille ? — Seiryū eut l'impression d'entendre le cœur de son prince s'exprimer clairement, toutes les choses que Haruni gardait au fond de lui en temps normal. Il savoura chaque note, se sentant hautement privilégié.
Le jour des funérailles, il y avait foule dans la grande cour du palais. En plus des nobles, il y avait aussi les familles des gardes et des servants qui avaient péri en protégeant la famille impériale. Sans que les membres du Conseil ne s'en rendent compte, le geste du Second Prince — largement retransmis par les Ombres parmi toutes les strates de la capitale — lui avait valu la reconnaissance de tous. L'honneur immense que leur accordait Haruni était à la hauteur de leur sacrifice. Beaucoup se mirent à revoir leur opinion sur celui qui allait devenir le prochain Empereur. En tenue de deuil blanche, Haruni s'avança au sommet des escaliers et prononça lui-même le discours funéraire. Il cita également le nom de chaque défunt sans se tromper ou hésiter, ce qui engendra un surcroît de respect chez les soldats et les servants. À chaque nom repris en chœur par l'assemblée, la famille s'avançait vers le bûcher correspondant et pratiquait l'offrande des cheveux avant d'embraser le bûcher grâce aux torches tenues par des officiels tout autour. Les fumées s'élevèrent une par une dans le ciel déjà nuageux.
Ce fut ensuite au tour du général Kenryū. Seiryū et sa famille, qui se tenaient au sommet des marches, s'avancèrent. Par égard pour le rang du général défunt ainsi que la longue amitié qui liait son clan et la famille impériale, son bûcher se trouvait à côté de celui du couple impérial. Seiryū coupa ses cheveux nattés sur toute la longueur et déposa la tresse sur le corps de son père. Il avaient la même couleur de cheveux, alors les deux se confondirent. Le Firal songea à l'autre fois où il s'était ainsi coupé les cheveux : à la mort de Yama, ce qui avait scandalisé Kenryū. Il eut un pauvre sourire.
« Pardonnez-moi, père, songea-t'il en fixant le visage blême et à moitié caché. Je n'ai pas cessé de vous choquer et de vous décevoir. J'ai décidé malgré tout de suivre Haruni et j'espère que lorsque nous nous reverrons dans l'autre monde, vous comprendrez mon choix et vous me pardonnerez. »
Il s'éloigna un peu pour laisser la place à sa mère, ainsi qu'à son petit frère et sa petite sœur. Il fut reconnaissant envers les servants qui avaient préparé la dépouille du mieux possible pour la rendre présentable. Il avait fallu cacher certaines parties, mais mieux valait ça que de voir les terribles blessures. Seiryū les avait vues et cette image le hanterait longtemps, amplifiant ses regrets. Mikato se tourna vers lui et il rejoignit sa famille pour allumer le bûcher ensemble. Une nouvelle colonne de fumée s'ajouta aux autres.
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Les conseillers étaient en rang au pied des escaliers, sauf les deux qui avaient perdu un de leurs enfants. Le seigneur Tehiru toussa et se cacha le nez derrière un carré de soie.
« L'odeur de fumée va rester dans le palais pendant des semaines ! murmura-t'il à son voisin, Hatochi. Quelle bonne idée son Altesse a eue là !
– C'est amusant, répliqua Hatochi sur le même ton, je ne me rappelle pas vous avoir entendu vous y opposer. »
Tehiru grommela, pris en tort. Hatochi se tourna vers son autre voisin, le général Modori.
« Nous avons clairement sous-estimé le Second Prince. Il va falloir nous montrer très prudent pour la suite. »
Modori acquiesça, la mine sombre. Lui-même avait vu ses propres hommes louer la générosité du Second Prince quand il avait permis aux funérailles de se faire en même temps et au même endroit. Il ignorait comment les gens avaient pu savoir que c'était l'initiative de l'adolescent, mais il n'appréciait pas de voir sa popularité augmenter ainsi. C'était très mauvais signe pour la suite. Il se pencha de nouveau vers Hatochi et murmura :
« Au fait, j'ai entendu des rumeurs circuler parmi mes hommes comme quoi le Second Prince aurait utilisé la magie devant eux sur les lieux de l'accident. Vous en savez quelque chose ? »
Hatochi eut un léger sourire et lui murmura, se cachant derrière son éventail :
« Nous en discuterons en privé, loin des oreilles indiscrètes. »
Modori hocha la tête et n'insista plus.
Ce fut au tour de Haruni de s'avancer vers les trois bûchers, ce qui rappela à tout le monde qu'il avait été le plus touché par cette tragédie. Seuls deux bûchers étaient surmontés de corps, le troisième — celui pour le Premier Prince — était purement symbolique puisque le corps du jeune homme n'avait pas pu être récupéré. Ses servants avaient disposé dessus les affaires personnelles et préférées de Tomuki : quelques livres de poésie, sa tenue favorite, deux estampes… Haruni se plaça d'abord devant le bûcher de l'Impératrice et il coupa une longue natte de ses cheveux noirs.
« Kaname, songea-t'il, tu as été une véritable mère pour moi. Pourtant, tu savais les horreurs que j'ai commises, que ce soit pour ton clan ou pour les Hikari. Merci pour tout. »
Il alluma le bûcher avant de passer à celui de son frère. Il déposa une autre natte parmi les affaires.
« Tomuki, ce devrait être moi à ta place. Je m'étais juré de te protéger, mais je n'étais pas là cette fois. Pardon. »
Il passa ensuite au dernier bûcher, celui de l'Empereur.
« Père, je n'ai jamais voulu l'admettre, mais nous avons beaucoup en commun, dont cette tragédie. Je n'ai pas été le fils dont vous rêviez, mais je ferai honneur à nos ancêtres en protégeant votre Empire. Que les Dieux vous accueillent parmi Eux. »
Il finit de couper ses cheveux, se sentant étrangement léger et nu. Lui qui avait tant pesté au début contre ces cheveux bien trop longs et qui avait rêver de pouvoir les couper se sentait à présent déstabilisé et triste. La dernière colonne de fumée s'éleva et un silence profond s'abattit sur la cour, chacun rongé par le chagrin. Au bout d'un moment, les gens quittèrent peu à peu la cour. Haruni finit par se détourner à son tour et il croisa le regard de Seiryū. Ce dernier tiqua soudain et fronça les sourcils. Haruni n'eut cependant pas eu d'explication à cette réaction car il fut invité par ses servants à regagner l'intérieur du palais.
Un banquet était prévu le soir, une manière d'honorer les morts en mangeant et en buvant. Haruni ne s'y attarda pas et préféra regagner ses appartements pour être seul. Cette fois heureusement, Seiryū ne vint pas l'importuner, mais ce furent les Dieux.
« Rejoins-Nous, » firent-Ils simplement.
Assis sur la terrasse malgré la fraîcheur de la nuit, Haruni n'eut qu'à fermer les yeux pour se retrouver dans le monde des esprits. Même s'il n'avait pas pratiqué ça depuis des années, il n'eut aucune difficulté. Il sentit toutes les âmes de ses ancêtres tourbillonner autour de lui, un amas d'ombres qui l'avait autrefois terrifié. Depuis, il avait surmonté sa peur.
« Nous sommes avec toi, fils, assurèrent les Dieux.
– Je ne veux pas leur parler, fit aussitôt Haruni. Si… mon père et mon frère sont déjà des Vôtres, je ne veux pas leur parler tout de suite. »
Cela aurait été bien trop dur pour lui de leur faire face si tôt après leur mort. Les ombres s'agitèrent paisiblement.
« Ils sont là, mais ils ne sont pas encore prêts. Ils sont encore sous le choc de leur mort. Il leur faudra peut-être des années pour s'en remettre. »
Haruni acquiesça, soulagé en un sens.
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« Alors pourquoi m'avoir fait venir ? s'enquit-il.
– Il y a un autre à qui tu aimerais parler. Sache que Nous faisons une très grande exception pour toi. »
Perplexe, Haruni sentit une nouvelle présence qui se matérialisa devant lui. Il en resta bouche bée en voyant nul autre que Hakurō !
« Toi ? Mais comment ? »
Le vampire eut un triste sourire, ses yeux rouges remplis de douceur et de compassion, mais aussi d'une perte profonde.
« Nos Ancêtres ont eu la bonté de me faire part de l'horrible nouvelle. Oh, mon garçon, comment tu te sens ? »
Haruni eut un rire bref.
« Responsable, » fit-il laconiquement.
Hakurō secoua la tête.
« Tu n'as pas changé, Lyrel… Non, c'est Haruni maintenant. En tout cas, tu ne dois pas laisser la culpabilité te ronger l'esprit. Ce n'est pas te faute, ce qui est arrivé est un terrible accident. »
L'adolescent serra les poings.
« J'aurais dû être avec eux ! Si j'avais été présent, les Dieux auraient bien été obligés d'intervenir. Au lieu de ça…
– Au lieu de ça, tu étais retenu prisonnier. Tu as même été blessé en voulant t'échapper. »
Cela lui valut un regard sidéré de son neveu.
« Nos Ancêtres m'ont tout raconté, confirma Hakurō avec un air chagriné. C'est inutile de s'attarder sur le passé, ça ne fera qu'alourdir ton cœur. Accepte que ce qui s'est passé était écrit et tourne-toi vers l'avenir. Tu as fort à faire.
– Je sais, fit Haruni en redressant la tête.Je dois protéger l'Empire de l'Aube pour mon père et mon frère.
– Et pour toi, compléta le vampire. N'essaie pas de remplacer Tomuki par culpabilité, vis ta vie pour toi-même. Promis ? »
L'adolescent tressaillit, percé à jour, puis il acquiesça, les larmes coulant sur ses joues. Hakurō tendit une main vers lui, mais il était immatériel en ce monde. Cependant, l'intention fut appréciée.
« Haruni, même si je suis loin, mon esprit et mon cœur sont toujours avec toi.
– Merci, Hakurō.
– Ah, qu'est-ce que je t'ai dit quand nous nous sommes quittés ? »
Haruni plissa le front. Quand il se rappela, il eut un léger sourire.
« C'est exact, mon oncle. »
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Il fut récompensé par un sourire plein d'amour avant que le vampire ne disparaisse.
« Désolés, Nous n'avons pas assez d'énergie pour qu'il reste plus longtemps.
– C'est bon, » soupira l'adolescent.
Les ombres oscillèrent, incertaines.
« Cela t'a-t'il aidé, fils ? »
Haruni ressuya ses larmes avec sa manche et répondit sincèrement :
« Oui, merci beaucoup.
– N'hésite pas à faire appel à Nous en cas de besoin. Le rituel d'invocation est inutile pour toi, étant donné le lien qui nous a toujours unis.
–Entendu. »
Haruni quitta le monde des esprit d'une simple pensée. Il se sentait vraiment un peu mieux, plus déterminé. Il appela un de ses servants et déclara :
« Doko, apporte-moi de quoi écrire. »
Il avait des messages à envoyer au plus vite.
Le lendemain matin à l'aube, Haruni avait repris son entraînement au sabre dans l'arène déserte. Cela lui vidait l'esprit et cette routine familière l'aidait à prendre pied. Par contre, il ressentit l'absence de ses cheveux dans le moindre de ses mouvements. Malgré ses plaintes, il avait fini avec le temps par s'habituer à la longue masse dans son dos.
« Bah, se dit-il avec négligence, ils vont repousser et je pourrai m'en plaindre à nouveau. »
Ça lui faisait tout de même gagner pas mal de temps pour se laver et se préparer. Du coup, il n'avait plus besoin de ses servants pour ces tâches. Alors qu'il songeait à tout ça, il entendit des pas et se tourna vers le nouveau venu. Sans surprise, c'était Seiryū qui s'inclina, ses cheveux courts effleurant ses joues.
« Tu es bien matinal, Seiryū, commenta Haruni sans cesser ses mouvements.
– Pas plus que toi, Haruni. »
Il y avait toujours une légère hésitation dans le ton du Firal, comme s'il ne pouvait pas croire qu'il avait le droit de lui parler aussi familièrement. Haruni ne commenta pas, ayant d'autres préoccupations.
« Tu ne devrais pas être seul, poursuivit Seiryū avec un regard circulaire. Tu es le dernier de la lignée impériale, alors s'il t'arrivait quelque chose…
– Ou si quelqu'un voulait tenter quelque chose, » compléta le Second Prince pour lui.
Comme Seiryū lui lançait un regard sérieux, il hocha la tête.
« J'ai des protecteurs qui savent se montrer discrets, le rassura Haruni. Et en plus, je sais me défendre.
– Ce n'est pas une raison pour inciter tes ennemis à agir.
– Et comment connaîtrais-je mes ennemis si je ne les incite pas à agir ?
– Tu es intelligent, tu trouveras. »
Les mots franchirent sa bouche avant qu'il ne puisse les retenir et il en fut le premier ébahi. Depuis quand en étaient-ils au stade des taquineries ? Et pourquoi est-ce que ça lui venait naturellement, comme s'ils étaient amis depuis toujours ? Heureusement, le Second Prince ne releva pas.
« Puisque tu es là, fit-il plutôt, viens t'entraîner avec moi. »
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Seiryū le rejoignit sans hésiter et ils commencèrent un combat avec de vrais sabres. Haruni s'entraînait seul depuis que le maître d'armes l'avait banni de ses élèves — mais ça allait sûrement changer à présent. Malgré ça, il était très doué au sabre, bien qu'il dédaignait les figures traditionnelles. Il préférait les combats réels aux duels codifiés. Seiryū avait eu l'occasion de s'entraîner avec lui quelques fois et il appréciait également cet exercice qui nécessitait de l'attention et des réflexes. Il était aussi un des rares à ne pas craindre de combattre Haruni avec de vrais sabres, plutôt que les sabres en bois pour l'entraînement. Cependant, l'attention du Firal n'était pas optimale ce matin-là. Au lieu de se concentrer sur les déplacements du sabre de son adversaire, ses yeux revenaient sans cesse à son visage, l'air perplexe. Il finit par manquer une attaque qui s'arrêta heureusement à quelques millimètres de son épaule gauche.
« Tu n'es pas concentré ! le rabroua Haruni. Que se passe-t'il ?
– Hum… Eh bien… »
Confus, le jeune homme opta pour une vérité partielle :
« Ce sont tes cheveux. Ça fait bizarre de te voir avec les cheveux courts. »
Haruni eut un claquement de langue irrité.
« Ce n'est qu'une apparence !
– Quand même. »
La vérité était que, selon Seiryū, Haruni ressemblait à présent terriblement à Yama, du moins d'après ses souvenirs. Voilà pourquoi il avait été aussi choqué en le voyant la veille, et encore aujourd'hui. Sans les cheveux noirs autour de son visage, ses traits se distinguaient plus nettement. D'un autre côté, Seiryū n'avait que de vieux souvenirs de Yama, alors il était fort possible que son esprit lui jouait des tours et qu'il amplifiait simplement une légère ressemblance, d'autant plus qu'il s'agissait des deux amours de sa vie.
Même en se disant ça, Seiryū restait attiré par ce nouvel aspect de Haruni.
« Si tu ne peux pas te concentrer, commença ce dernier.
– Non, c'est bon ! Je vais me reprendre. »
Comme promis, le Firal se concentra ensuite uniquement sur le combat. Il était l'une des plus fines lames du royaume et donnait du fil à retordre au Second Prince, lui-même très doué. Cependant, Haruni arrêta le combat au bout de quinze minutes en constatant que son adversaire avait mal au bras gauche — son bras blessé — bien qu'il essayait de le dissimuler.
« Ce n'est rien, protesta Seiryū. Tu sais que je suis capable de tenir un vrai combat, même dans cet état ! »
Il faisait référence aux soldats qu'il avait tués pour s'échapper avec Haruni du pavillon de chasse.
« Justement, garde tes forces pour les vrais combats, » répondit Haruni en prenant une serviette pour se ressuyer le visage couvert d'un peu de sueur.
Dans l'esprit de Seiryū surgit soudain le souvenir de son visage rougi par le plaisir, l'humiliation et la colère. Il détourna les yeux, honteux d'y avoir pensé, et se cacha le visage derrière une serviette en prétendant s'essuyer à son tour. S'il y avait bien une chose qui était claire sans avoir besoin d'être dite, c'était que plus jamais Seiryū ne serait son amant. Alors mieux valait ne pas y penser, en tout cas pas en présence de l'objet de son désir.
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Heureusement, le Second Prince ne remarqua pas son émoi. Seiryū calma les battements de son cœur et aborda un sujet plus important :
« Tu crois que le Conseil va parler de la régence aujourd'hui ?
– Ça doit se régler vite, en tout cas. L' Empire continue de fonctionner et il y a des décisions à prendre.
– Qui vas-tu proposer, alors ? »
Haruni soupira en rengainant son sabre après l'avoir nettoyé à l'aide d'un linge doux. Il se dirigea vers les pavillons, suivi naturellement par Seiryū.
« Je t'aurais bien proposé, mais les conseillers doivent à présent se douter que tu es à mon service, alors ils refuseront à coup sûr. Du coup, on va simplement se passer de régent.
– Hein ? Tu ne veux pas dire…
– Je vais prendre le titre d'Empereur. »
Seiryū fut mortifié devant un tel aplomb. En même temps, il ressentit l'habituelle admiration pour l'audace et l'imprévisibilité de son prince.
« Tu as bien conscience des tous les obstacles, je suppose.
– Bien sûr.
– Et il va nous falloir des alliés, ajouta-t'il en s'incluant automatiquement dans le plan de l'adolescent.
– C'est en cours. »
Le Firal manifesta sa curiosité.
« Qui va nous soutenir ? »
S'il avait posé la même question une semaine plus tôt, Haruni lui aurait répliqué sèchement que ça ne le concernait pas, ou bien il l'accuserait de vouloir connaître ses alliés pour tout raconter ensuite à son père et comploter pour saboter ses plans. En à peine quelques jours, leur relation avait changé du tout au tout — mais le prix à payer avait été très élevé.
« Mitsuhide est trop loin pour arriver à temps, mais il sera là pour la commémoration dans trois mois. Sur place, il y a toi…
– Évidemment ! s'écria Seiryū, touché.
– … et j'ai écrit au Grand Prêtre Amonji hier soir. Myūjin est proche, il arrivera dans les jours à venir. »
La présence du Grand Prêtre serait effectivement un atout non négligeable.
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« Tu es sûr qu'il est de notre côté ? s'inquiéta tout de même Seiryū.
– Oui. »
Haruni ne précisa pas que durant sa retraite spirituelle à Myūjin, le Grand Prêtre avait carrément sous-entendu qu'il prendrait son parti plutôt que celui de Tomuki si les choses en arrivaient là, ce qui avait mis Haruni en colère sur le coup. Ce n'était plus pareil à présent.
« C'est tout ? demanda Seiryū quand rien d'autre ne vint.
– Tu l'as dit, je ne me suis jamais soucié de me faire des alliés, répondit l'adolescent en haussant les épaules. Je ne pensais pas en avoir besoin un jour. »
Seiryū soupira. Il n'allait pas accabler davantage le Second Prince en lui rétorquant qu'il aurait dû l'écouter plus tôt.
« Ce n'est pas gagné, commenta-t'il d'un ton prudent.
– Dans le pire des cas, je suis prêt à prendre le pouvoir par la force, » annonça Haruni l'air de rien.
Seiryū se figea et lui fit face. Le Second Prince ne plaisantait pas.
« A… Avec quels soldats ? objecta-t'il. La garde impériale ne t'est pas acquise et les soldats dépendant des généraux du Conseil. Quant aux soldats de mon père… j'ignore s'ils me suivront. »
Il s'en voulait de décevoir ainsi son prince. En fin de compte, il n'avait pas grand-chose à lui apporter, concrètement parlant.
« Je peux compter sur l'armée des Ombres et l'Armée Divine, » révéla Haruni.
Ça laissa le Firal sans voix. Il connaissait l'existence de l'armée des Ombres par le biais de son père et il savait que seul l'Empereur pouvait les commander. L'Armée Divine, elle, agissait sur ordre des Dieux en personne. La dernière fois qu'elle avait été mobilisée, c'était pour soutenir Yama dans la lutte contre les Hikari. Ces deux armées étaient une force terrible, mais surtout une preuve solide de la reconnaissance du statut de Haruni.
« Ce… ce serait efficace en effet, admit Seiryū. Mais va-t'on vraiment en arriver là ? »
Haruni s'arrêta pour contempler un arbre en fleurs.
« Mmm, si possible, je voudrais éviter de commencer mon règne en déclenchant une guerre. Mais s'il faut aller jusque là, je n'hésiterai pas. »
Les ombres s'agitèrent à ses pieds.
« Ah, j'ai oublié de citer les Dieux parmi mes alliés. »
Seiryū manqua de s'étrangler dans un rire incrédule. Évidemment, les Dieux !
« Si tu faisais directement appel à Eux, les conseillers ne pourraient plus s'opposer à toi, conseilla-t'il.
– Oui, mais je ne veux pas non plus me reposer sur Eux. Leur rôle n'est pas de se mêler directement des affaires de notre monde, même s'Ils ont parfois tendance à l'oublier.
– Je vois… »
Seiryū était toujours un peu mal à l'aise et fasciné à la fois lorsque Haruni parlait des Dieux avec autant de désinvolture. Même si l'Empereur était le protégé des Dieux et Leur intermédiaire, le mystère qui Les entourait ajoutait à la vénération des gens. Seiryū estimait que par le biais de Haruni, il en avait appris plus sur le Dieux que ce qu'un simple mortel était censé savoir.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« Je pense que le Conseil ne va pas tarder à agir, reprit Haruni en le rappelant à la réalité. Attends-toi à être contacté aujourd'hui ou demain.
– Contacté ? Pour quoi ?
– Ils ne savent pas encore dans quel camp tu te trouves précisément, expliqua l'adolescent en le fixant droit dans les yeux. Après tout, tu es le fils de Kenryū qui était fortement opposé à ma présence à Kurojū. Ils vont donc te tester.
– Ah, et que dois-je faire ?
– Répondre honnêtement. Et me prévenir. »
Seiryū cligna des yeux.
« Ne vaudrait-il pas mieux que je fasse semblant d'être de leur côté afin d'obtenir des informations ? »
Cela lui valut un regard irrité.
« Je n'userai pas de mensonges. Plutôt la guerre ! »
Haruni était extrêmement sérieux à ce sujet. Seiryū s'inclina :
« Désolé. »
Le Second Prince renifla et reprit son chemin.
Seiryū le suivit, penaud, mais cela lui valut une réflexion un peu sèche :
« Tu comptes me suivre toute la journée ?
– Hum, non. Le commandant Tokeru va patrouiller un peu plus tard près du domaine du seigneur Kawano. Il a accepté que je me joigne à eux.
– Bien, alors tu devrais aller te préparer.
– C'est que… Tu vas prendre ton petit-déjeuner, non ? Je peux me joindre à toi ? »
Seiryū était pire qu'un sangsue, se dit Haruni en se massant la tempe. Si on le laissait un tant soit peu approcher, il se collait à vous et il devenait impossible de s'en débarrasser. Haruni se souvenait à présent pourquoi il en était venu à ne plus lui adresser la parole et à l'ignorer totalement.
« Ta famille est encore là, argua-t'il.Profite de leur présence !
– Justement, ma famille est encore là. Vous preniez toujours le petit-déjeuner ensemble, non ? Ça doit être difficile pour toi d'être seul. »
La famille impériale avait en effet pour habitude de prendre ce repas ensemble quelles que soient les circonstances. Pour les autres repas, c'était plus compliqué avec leurs obligations et leurs emplois du temps respectifs. Haruni prenait désormais tous ses repas dans ses appartements afin de ne pas sentir l'absence des siens dans la salle de repas en voyant les places vides.
« Je m'y fais, » fit-il laconiquement.
Seiryū semblait cependant se faire du souci pour lui — ou bien c'était juste un excellent prétexte pour s'inviter.
« Ça va aller, assura fermement Haruni. Va rejoindre les tiens.
– Mais…
– Seiryū, ne m'oblige pas à te l'ordonner. »
Ainsi rabroué, le Firal céda enfin et le salua avant de s'éloigner à pas lents, déçu. Haruni put respirer plus librement. Même s'il pensait avoir clairement et définitivement fixé les limites de leur relation, Seiryū continuait de tester, d'avancer, de pousser pour se frayer un chemin jusque lui. Cependant, Haruni voulait éviter de le repousser trop durement cette fois, mais c'était compliqué. Ça allait être une guerre d'usure, se dit-il, sauf qu'il n'avait absolument pas besoin de ça maintenant ! Le Conseil allait nécessiter tous ses efforts et toute son attention.
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