Le Prince Solitaire Extra 1

Extra 1 : L'Enfance des Archanges


Notes de Karura : Normalement j'ai semé suffisamment d'indices pour que la révélation de cet extra ne soit qu'une confirmation pour vous et pas un spoiler.

Autre chose, cet extra est aussi long que deux chapitres et demi alors je ne posterai rien la semaine prochaine. Cela me laissera aussi le temps de continuer à taper les prochains chapitres parce que je vais bientôt arriver au bout de ma réserve.


Royaume de Béthanie, an de grâce 1102

Monastère de Turène


Le père supérieur Alem était en train de vérifier les comptes du monastère lorsqu'on toqua discrètement à la porte de son bureau.

« Entrez, » fit-il distraitement.

Un moine se présenta devant lui et attendit. Alem finit par lever les yeux de la succession de chiffres qui commençait à lui donner la migraine, sans parler de sa vue qui faiblissait avec l'âge.

« Frère Kant, que veux-tu ? demanda-t'il.

– Mon père, le prêtre du village de Muros s'est présenté à la porte. Il... il en a trouvé un. »

Le visage du père supérieur se figea aussitôt.

« Mon père ? osa appeler le moine, mal à l'aise.

– Fais-le venir, » ordonna Alem en refermant le livre de comptes dans un claquement sec.

Les chiffres pouvaient attendre.


Le moine revint peu après suivi d'un prêtre dans la quarantaine et d'un enfant portant une cape dont la capuche était rabattue sur son visage. Le prêtre s'agenouilla aussitôt devant le père supérieur qui lui tendit la main pour qu'il en baise le dos.

« Parle, mon fils, je t'écoute, » fit Alem.

Il n'en fallut pas plus pour que l'homme d'église se lance dans son histoire :

« Mon père, je suis intervenu il y a trois jours pour empêcher mes paroissiens de lyncher ce garçon. Il mendiait dans la rue et il a été reconnu comme un... démon. »

Le regard d'Alem se porta sur le garçon qui ne faisait pas mine de bouger.

« Retire ta capuche, petit, » ordonna-t'il sèchement.


L'enfant ne bougea pas. Le frère Kant, qui était resté en retrait, s'approcha vivement.

« Le père supérieur t'a donné un ordre ! » fit-il en saisissant le bras du garçon.

Ce dernier poussa un cri aigu et tenta de se débattre. Sur le bureau du père supérieur, la carafe d'eau tomba subitement, attirant l'attention générale. Le père Alem se reprit le premier :

« Frère Kant, nettoies-moi ça.

– Oui, mon père ! »

Lâchant le garçon, le moine s'accroupit pour ramasser prudemment les morceaux de verre.


Pendant ce temps, Alem ramena son attention sur l'enfant qui s'était recroquevilla contre la porte en étouffant de légers gémissements. Il secoua la tête et s'approcha de lui.

« Mon garçon, fit-il doucement, tu veux bien me montrer ton visage ? »

Sans réaction de la part de l'enfant, Alem saisit lentement la capuche et la retira. Il recula d'un bond en se signant. Le garçon avait les cheveux bleus ! C'était la preuve indéniable qu'il était un démon !

« D'où vient cette créature ? fit-il sèchement au prêtre.

– D'après les villageois, c'est une vieille folle qui l'avait recueilli. Elle vivait dans la forêt loin du village, alors ils ne la voyaient pas souvent.

– Elle est morte ? en déduisit le père Alem.

– Oui depuis des mois. Le garçon était introuvable... jusqu'à il y a trois jours. »


Le père supérieur inspira puis fronça les sourcils.

« Et tu me dis que cette femme a pu recueillir et élever un démon sans que personne ne s'en aperçoive ?

– Elle... lui rasait le crâne, mon père. Elle disait que c'était à cause des poux. »

Alem eut un léger. Ah, les femmes et leur aptitude à mentir !

« Cette vielle femme, c'est lui qui l'a tuée ? demanda-t'il.

– Je... ne pense pas, mon père. Elle est morte à cause du froid. On l'a retrouvée au lit en plein hiver dans sa cabane à moitié en ruines.

– Hum... »

Cela ne prouvait pas pour autant que ce démon était innocent de sa mort. Sa seule présence aurait pu suffire à nuire à la vieille femme.


« Il sait parler ? demanda-t'il soudain car l'enfant n'avait toujours pas dit un mot.

– Quelques mots seulement. Par contre, il comprend ce qu'on lui dit.

– Et la... langue des démons ? »

Le prêtre pâlit et se signa.

« Je... je ne l'ai jamais entendue donc je ne saurai la reconnaître, mon père. »

Alem hocha la tête, satisfait.

« Bon, tu as bien agi, mon fils. Nous allons nous charger de ce démon à présent. Pars en paix dans la grâce de Dieu. »

Le prêtre lui baisa de nouveau la main et quitta le bureau avec le frère Kant qui lui donnait une bourse pour la peine. Après tout l'évêque de Béthanie avait ordonné à tous ses subalternes de récupérer tous les démons qu'ils trouveraient. Même si Alem avait des doutes, il ne désobéirait jamais à son supérieur.


Le garçon ne bougea pas jusqu'au retour du frère Kant qui lui lança un regard méprisant.

« Mon père, fit-il, que voulez-vous que nous fassions de ça ? »

Le dégoût dans sa voix était évident.

« Je vais écrire à l'évêque Sénote, répondit Alem. En attendant... »

Il regarda les cheveux courts hérissés et soupira.

« Emmène-le chez le frère Byron pour qu'il lui rase les cheveux puis mets-le avec les novices.

– M-mon père ? s'ébahit Kant.

– Les ordres de l'évêque sont de placer le moindre démon que l'on trouve en observation parmi nos novices. Tu chargeras l'un d'eux de le surveiller au cas où il se montre agressif. Nous n'avons rien à craindre car n'oublie pas qu'un démon est privé de ses pouvoirs dans un lieu saint. »

Le moine inclina la tête, visiblement réticent. C'était la première fois qu'il voyait un démon et son instinct lui disait plutôt de le brûler sur-le-champ.

« À vos ordres, » obéit-il malgré tout.

Sans douceur, il remit la capuche sur le visage de la créature et le poussa devant lui. L'enfant gémit un peu mais comprit vite ce qu'on attendait de lui et surtout qu'on ne le prendrait pas en pitié.


~*~


Même sans connaître sa nature maudite, les autres novices s'en prirent souvent à lui : ils le bousculaient, se moquaient de lui quand il bégayait, lui volaient sa couverture la nuit, crachaient dans son bol de soupe... Leur méchanceté se focalisait sur lui car il était le plus petit et le plus chétif, et aussi que ces garçons avaient besoin de se défouler sur quelqu'un à cause de la discipline stricte du monastère. Ils étaient doués pour agir lorsque les moines ne regardaient pas et le garçon ne s'était jamais plaint à quiconque, ce qui en faisait la victime idéale.

« Alors, petit, tu vas te défendre ? » le narguaient-ils souvent en lui enfonçant le visage dans la boue.

Ils n'utilisaient jamais sons nom — ils ne le connaissaient même pas d'ailleurs — et l'appelaient toujours petit, nabot, crâne d'œuf ou autre surnom moqueur. Si le garçon faisait mine de vouloir se défendre, les novices le rouaient de coup sur le corps, là où ça ne se voyait pas. Malgré ça, le garçon continuait à répliquer coup pour coup, la colère et l'impuissance déformant son visage.


Quelques mois après, la situation en était arrivée au point où, pour s'amuser, les novices ne trouvèrent rien de mieux que de pousser dans le puits pendant qu'il était de corvée d'eau — le garçon récoltait toutes les corvées, même celles des autres. Les novices se mirent ensuite à rire autour du puits en le regardant se débattre plus bas. Il poussa des cris de terreur et de fureur si forts que cela alerta un moine qui passait dans la cour.

« Que faites-vous tout là ?! » s'enquit l'homme.

Surpris pour la première fois dans leurs manigances, les novices baissèrent les yeux et gardèrent la bouche cousue. En entendant les clapotements et cris en provenance du puits, le moine les poussa pour y avoir accès. L'homme pensait que ces idiots y avaient jeté un animal quelconque sans penser un seul instant que sa mort pouvait empoisonner l'eau. Quand il se pencha sur le puits, il se pétrifia.

« Par tous les Saints, qu'avez-vous fait ?! » s'écria-t'il.


Les novices s'éparpillèrent aussitôt dans la cour en ignorant les appels du moine. Avec un peu de chance, il ne les reconnaîtrait pas tous et ne pourrait donc pas les dénoncer. Ceux qui se feraient attraper savaient qu'il serait dans leur intérêt de ne pas donner le nom de ceux qui pourraient s'échapper, sous peine de représailles.

« Mon garçon, fit le moine en parant au plus urgent, tiens bon, je t'envoie le seau. »

Avant même qu'il n'ait pu tendre la main, il se fit projeter en arrière lorsque l'eau surgit avec violence du puits. Quand le moine put se relever, il fit le garçon à quelques pas de lui, le visage rouge de colère et de la morve coulant de son nez. Derrière lui, une colonne d'eau se retira rapidement dans le puits.


« Doux Jésus, » murmura le moine en se signant.

Il n'était pas du genre à croire aux miracles mais en voyant cela, il ne put que sentir sa foi s'embraser.

« Le Seigneur t'a sauvé, mon garçon ! s'écria-t'il. Il doit avoir de grands projets pour toi ! Remercie-Le avec moi, agenouille-toi pour prier ! »

Le père Alem, prévenu par des moines, arriva peu après et obtint le récit de ce miracle de la bouche du moine toujours en prière. Le père supérieur dut donc consigner le garçon dans une cellule et le moine dans une autre afin d'éviter toute rumeur dans le monastère. Il envoya ensuite un message urgent à l'évêque. Deux semaines plus tard, des prêtres vinrent chercher le petit. Alem fut très soulagé de son départ et le chassa aussitôt de ses pensées.


~*~


Royaume de Béthanie, an de grâce 1102

Évêché de Béthanie



L'enfant n'avait pas dit un mot durant le voyage qui avait duré trois jours, cependant il s'était comporté docilement. Son enfermement dans la cellule au monastère de Turène paraissait avoir calmé sa fougue — temporairement du moins. Le seul souci était son crâne qui le grattait en permanence à cause de la repousse de ses cheveux. Arrivé à l'Évêché de Béthanie, les moines le conduisirent dans un bureau richement meublé où se trouvait assis un homme d'âge moyen. Ce dernier ordonna qu'on les laissa seul puis il examina le garçon du regard.


L'évêque Sénote avait accédé à cette charge depuis seulement trois ans et il avait actuellement la trentaine. Il était ambitieux mais raisonnable : il grimperait les échelons un par un jusqu'au sommet afin d'accomplir l'œuvre du Tout Puissant et peu importait le temps que cela lui prendrait. Et le garçon devant lui, bien que de nature démoniaque donc abjecte, allait lui être utile à n'en pas douter.

« Mon garçon, fit Sénote d'une voix douce, quel est ton nom ? »

Docilement, le petit répondit :

« Fu... Flanis. »

L'évêque releva le bégaiement qu'il avait déjà entendu chez de nombreux enfants de cette sorte.

« Flanis, tu n'as pas à avoir peur de moi. Je souhaite seulement te poser quelques questions, tu veux bien ? »

Le garçon le fixa de ses grands yeux bleus. Qu'il le veuille ou non, là n'était pas la question et il le savait très bien. Personne ne s'était jamais soucié de son opinion et il avait toujours obéi sans discuter. Les seuls moments où il se révoltait, c'était quand on voulait lui faire du mal.


Sénote décida de poursuivre sans attendre de réponse :

« La femme qui s'occupait de toi, quel âge avais-tu quand elle t'a trouvé ? »

Flanis baissa les yeux, attristé en pensant à sa mère.

« Tu t'en souviens ? » insista Sénote.

Le garçon hocha la tête.

« Da... Dans la forêt, fit-il avec difficulté.

– Tu marchais déjà ? »

Nouvel acquiescement.

« Et tu te souviens de quelque chose avant ça ? De tes vrais parents ? »

Flanis plissa le front. Avant ? Ses vrais parents ? Des images vagues lui parvinrent mais il y avait surtout la sensation de chaleur et... autre chose qui lui faisait monter les larmes aux yeux sans qu'il puisse mettre un nom dessus. En tout cas c'était quelque chose qu'il n'avait pas ressenti depuis, sauf dans ses rêves.


L'évêque n'insista pas et passa à un autre sujet d'un ton sérieux :

« Bon Flanis, écoute-moi bien : d'après le père Alem, tu saurais manipuler l'eau. Est-ce vrai ? Tu peux me montrer ? »

Le garçon le regarda comme s'il n'avait pas compris. Sénote quitta son bureau pour se rendre à une table basse où se trouvait une haute bassine d'eau. Il fit signe à Flanis de le suivre.

« L'eau, répéta l'évêque en désignant le liquide. Tu peux me montrer ? »

Flanis plissa de nouveau le front. Que devait-il faire avec ça ? Avec un soupir, Sénote lui tapota gentiment l'épaule... avant de le saisir par la nuque et de lui enfoncer la tête sous l'eau !


Flanis se débattit mais un frêle garçon ne faisait pas le poids contre un homme. Qui plus est, l'évêque n'avait rien d'un prêtre mollasson et gras car il avait fait partie des Templiers, les soldats de l'Église, avant de comprendre qu'il irait plus haut dans la hiérarchie en reprenant une voie plus classique. D'une prise ferme, il empêcha le gamin de se redresser. La bassine n'était pas bien profonde mais cela suffirait à noyer quelqu'un. Cependant son intention n'était pas de tuer le garçon mais de l'obliger à se servir de ses pouvoirs pour se protéger. Il avait déjà eu affaire à des démons et savait qu'il leur fallait parfois une motivation extrême pour qu'ils arrivent à se servir de leur pouvoir maudit, surtout les plus jeunes. Et quand ils échouaient malgré tout... eh bien, telle était la volonté de Dieu d'avoir une de ces engeances en moins sur terre !


L'eau de la bassine monta tout à coup en une colonne qui explosa au visage de l'évêque. L'homme recula d'un pas et lâcha le garçon. Il n'était pas blessé, juste un peu sonné mais surtout ravi. Il s'essuya la figure de sa manche. Flanis, lui, tomba par terre en toussant et en crachant de l'eau sur le beau tapis. Aucun des deux présents se souciait de préserver le tapis. Quand il entendit l'évêque rire, Flanis lui lança un regard furibond.

« Allons, ne m'en veux pas, fit Sénote d'un ton doux. Je devais m'assurer que tu en étais capable. Tiens, prends ça. »

Il lui tendit une serviette que Flanis refusa de prendre. L'évêque eut un sourire rusé, inspira puis fit d'un ton concentré :


À ce mot, le garçon ouvrit de grands yeux et en resta bouche bée. Il ne broncha pas lorsque Sénote lui posa le linge sur la tête et se mit à le sécher. Il semblait même en avoir oublié son agression.

« Qui ? demanda-t'il, les sons coulant plus naturellement de sa bouche. Famille ?

Le garçon fit la moue dès qu'il se remit à parler dans la langue humaine. Sénote fit claquer sa langue et le fixa de ses yeux bleu acier.

« Cette langue, tu sais que tu ne dois pas la parler.

– Oui, maman se fâchait quand je la parlais. »

Il ne lui en avait jamais voulu ; après tout il comprenait qu'elle agissait ainsi par peur et pas par méchanceté.

« Les gens se fâchent avec toi parce que tu es encore petit et qu'ils savent que tu deviendras grand et plus fort qu'eux. Veux-tu être fort, Flanis ? »

Les yeux bleus convoyèrent une détermination absolue : Flanis ne voulait plus être le souffre-douleur de qui que ce soit !


L'évêque fut satisfait de ce qu'il lut dans le regard du garçon.

« Parfait, je savais que tu serais à la hauteur de mes espérances. À compter de ce jour tu es mon fils adoptif. Je vais t'envoyer à mon manoir pour que tes frères prennent en main ton éducation. Tu vas voir qu'avec eux, tu vas rapidement devenir fort.

Frères ? » répéta Flanis avec une envie non dissimulée dans la voix.

Le regard de Sénote s'adoucit un peu.

« Oui, mon garçon, tu as désormais deux grands-frères qui veilleront sur toi. »

Flanis était partagé entre l'envie de s'en réjouir et la crainte : il se rappelait des autres frères du monastère. Il se jura de ne plus se laisser maltraiter. Si ces nouveaux grands-frères voulaient lui faire du mal, il le leur ferait payer !


~*~


Le manoir se trouvait à plusieurs jours de voyage et au lieu d’être situé dans une grande ville, il se trouvait au beau milieu d’une forêt. C’était clairement un endroit à l’écart des curieux. Lorsque Flanis, vêtu de neuf, descendit du carrosse, une dizaine de serviteurs se tenaient prêts à l’accueillir ainsi que deux garçons plus âgés et eux aussi richement vêtus.

« Sois le bienvenu, Flanis, fit l’un d’eux. J’espère que tu as fait bon voyage ! »

Il avait une tête de plus que lui, des cheveux blonds mi-longs et des yeux bleu azur. Son visage était doux et souriant. C’était quelqu’un qu’on avait envie d’apprécier au premier coup d’œil. L’autre garçon ne dit rien mais hocha la tête pour saluer Flanis. Il était un peu plus petit que le premier garçon avec les cheveux gris, bien qu’il soit jeune, et des yeux bruns. Son expression n’était ni fermée ni hostile, juste… ailleurs.


« Je suis ravi d’avoir un nouveau petit-frère, poursuivit le premier garçon. Je m’appelle Chame et voici Taurus. Il ne parle pas beaucoup alors j’espère que tu es plus bavard que lui ! »

Le sourire et l’attitude étaient amicaux cependant cela mit Flanis mal à l’aise. Les mauvais traitements qu’il avait subis au monastère étaient encore frais dans sa mémoire et il se montrait désormais prudent avec les autres — pour ne pas dire renfrogné et méfiant. Chame ne s’en formalisa pas et mit cela sur le compte de la timidité. Il le fit entrer dans le manoir, Taurus à leur suite, et lui fit visiter toutes les pièces communes — et il y en avait beaucoup ! Le pauvre Flanis était complètement perdu quand il fut conduit à sa chambre. Et là, sa confusion augmenta car la pièce était cinq fois plus grande que la cabane où il avait vécu avec sa mère ! Le lit en particulier attira son attention : si doux, si chaud…

« Vas-y, fit Chame en riant, allonge-toi. »


Craignant de se faire battre, Flanis baissa la tête. Chame lui prit la main et l’emmena au pied du lit. Le garçon se laissa faire pour une fois, quoiqu’il restait toujours prudent.

« C’est ton lit désormais, précisa le garçon blond. Tu peux l’utiliser. »

Avec précaution, Flanis posa une main sur la couverture qui était aussi douce qu’elle en avait l’air. Jamais il n’avait vu un tissu pareil sans parler des couleurs chatoyantes. La curiosité l’emporta sur la méfiance et il grimpa sur le lit pour s’y allonger. Il eut alors l’impression de s’enfoncer au matelas mais si agréable ! Son visage devait refléter son émerveillement car Chame éclata de rire. Il sauta à son tour sur son lit et voulut lui caresser affectueusement la tête…

« Non ! » s’écria Flanis en repoussant violemment la main et en reculant au bord du lit.

Combien de fois les autres novices lui avaient-ils frotté le crâne jusqu’à ce qu’il soit rouge et douloureux ? Tête d’œuf, l’appelaient-ils en riant méchamment.


Chame n’avait pas l’air de rire méchamment, il ne riait pas du tout. Il avait gardé la main en l’air, le visage exprimant sa stupéfaction. Flanis le défia du regard de s’approcher. Une lueur de peine puis de compréhension apparut dans les yeux bleu azur. Chame se releva, l’air plus neutre.

« Je vais te laisser se reposer, fit-il. Un serviteur te préviendra dès que le repas sera prêt. »

Il quitta la pièce avec Taurus qui n’avait rien dit et pas bougé comme s’il faisait partie de la décoration. Flanis regarda la porte se refermer et son air sauvage s’atténua un peu. Il resta perplexe en n’entendant pas le bruit de la serrure : ils ne l’enfermaient pas comme les moines du monastère ? Une fois seul, Flanis explora la chambre à loisir sans pour autant toucher aux beaux objets : une malle de vêtements, une autre de jouets — jamais il n’en avait eus mais il avait déjà vu les autres enfants du village en avoir bien que ceux-ci soient de meilleure qualité — des livres, des peintures… Flanis ne parvenait à s’imaginer que ces choses soient à lui. Il préférait s’imaginer le pire de la part de ces gens, cela lui éviterait des déceptions.


~*~


À l'heure du dîner, le sourire de Chame était revenu cependant il avait retenu la leçon et gardait une certaine distance avec Flanis. Ce n'était pas la peur, plutôt l'attitude de quelqu'un qui voulait apprivoiser un animal sauvage sans trop le brusquer. Flanis ne s'en soucia guère et fut ébahi devant la quantité de nourriture proposée. Cette seule table pour trois personnes aurait suffi à nourrir vingt novices au monastère et encore, la nourriture était de si bonne qualité qu'elle n'aurait jamais été servie à de simples novices. Un peu effaré au départ, Flanis finit rapidement son assiette et sans même qu'il le demanda, une domestique le resservit ?! Du coup, peu importait ce que ces gens lui voulaient du moment qu'ils le nourrissaient comme ça tous les jours !

« Inutile de te demander si la nourriture est à ton goût, » nota Chame avec un léger rire.

Taurus et lui mangeaient plus raisonnablement.


Le repas fini, les trois garçon passèrent au salon où un bon feu de cheminée réchauffait la pièce. Taurus et Chame prirent place chacun dans un fauteuil tandis que Flanis s'asseyait sur le canapé après une brève hésitation. Et encore, il ne posa qu'une petite partie de ses fesses, craignant de le salir et de se faire gronder. Il avait revêtu les beaux vêtements trouvés dans sa chambre et sentait mal à l'aise dedans. Pendant le repas, seule la faim lui avait fait oublier la crainte de salir les habits.

« Bon Flanis, fit le garçon blond, je suis sûr que tu as plein de questions. »

En fait il n'en avait qu'une :

« Qu'est-ce que vous me voulez ? »

Le ton un peu agressif dénotait avec son comportement timide. Chame eut un sourire amusé : leur nouveau petit-frère était bien plus intéressant qu'il ne le pensait.

« Tu as rencontré notre père, fit-il.

– Il a voulu me noyer ! » le coupa Flanis avec un reniflement de colère.


Chame haussa les épaules d'impuissance.

« Ah bah... oui, il fait ça des fois. Ne le prends pas personnellement, c'était juste pour tester tes pouvoirs.

– Des pouvoirs ? »

Cela attira aussitôt l'attention de Flanis : les pouvoirs, cela aidait à rendre plus fort, pas vrai ?

« D'après sa lettre, tu as le pouvoir de contrôler l'eau... même si tu dois encore apprendre à t'en servir. Et c'est précisément la raison de ta présence ici : apprendre. Tu vas apprendre à lire et écrire, le maniement des armes, l'histoire, la géographie, les sciences et tes pouvoirs.

– Pourquoi tout ça ? » lança Flanis en grimaçant.

Il avait bien conscience d'être ignorant mais cela ne l'avait jamais dérangé jusque là. La connaissance, ce n'était pas ça qui pouvait le nourrir ou le rendre plus fort !


Chame eut un sourire entendu :

« Tu n'es pas bête, tu te doutes bien que notre père ne t'a pas recueilli par pure bonté d'âme. En échange de sa protection et de ses soins, tu le serviras fidèlement et l'assisteras pour accomplir l'œuvre de notre Seigneur.

– Et si je ne veux pas ?

– Il te faudra alors partir, mais où irais-tu ? Tu préfères te faire lapider par des villageois ou bien brûler vif sur un bûcher ? Il n'y a pas de place en ce monde pour nous, Flanis.

– Nous ? » releva le garçon.

Chame soupira puis répéta :

« Nous. »

Le son était mélodieux et terriblement familier. Flanis y réagit encore plus qu'avec l'évêque parce que c'était réel, authentique !


Les larmes coulèrent sur les joues du garçon qui en fut le premier surpris.

« Qui ? » demanda-t'il en se ressuyant les joues et le nez avec ses manches avant de se rendre compte qu'il avait taché les précieux habits.

Chame lui tendit un mouchoir sans le gronder. Flanis ne le quittait plus des yeux, émerveillé.

« Père nous a recueillis tout comme toi et pour les mêmes raisons, expliqua le jeune homme blond en changeant de langue.

Encore ! réclama Flanis en faisant la moue. Parle encore !

Assez ! fit Chame d'un ton définitif. C'est la langue des démons et c'est une injure à notre Seigneur que de la parler. »

Déçu, le garçon baissa la tête. Chame échangea un regard avec Taurus avant de reprendre :

« Je disais donc que notre père n'est pas quelqu'un de mauvais et qu'il nous offre une place en ce monde. Je comprends que tu aies des doutes mais voilà ce que je te propose : reste un peu avec nous et tu décideras ensuite, d'accord ? »


Flanis y réfléchit un moment puis se dit que c'était assez raisonnable alors il accepta.

« Vous avez aussi des pouvoirs alors ? s'enquit-il.

– C'est exact. Je contrôle la lumière et Taurus la terre.

– Je peux voir ? » demanda-t'il avec curiosité.

Chame leva une main qui se mit à briller. Flanis ouvrit de grands yeux fascinés. La lumière disparut bien vite ce qui provoqua un cri de protestation de la part du garçon.

« Je ne la contrôle pas encore entièrement, avoua Chame. Cette lumière peut blesser les gens.

– Ah . »

Flanis se tourna alors vers Taurus qui lui souriait d'un air distrait.

« Et toi ? »

Taurus ne dit rien, comme s'il n'était pas vraiment là.


Chame eut un léger rire.

« Il te montrera demain car cela doit se faire à l'extérieur.

– Pourquoi il ne parle pas ? »

Le sourire de Chame se ternit un peu.

« Taurus parle rarement. Disons que comparé à ce qu'il a vécu, toi et moi avons eu beaucoup de chances. Il a fait des progrès depuis son arrivée ici et j'espère qu'il en fera encore.

– Oh. »

Bien qu'intrigué, Flanis n'insista pas plus.


~*~


Au fil des jours, Flanis s'habitua à sa nouvelle routine et perdit progressivement sa réserve. Les leçons théoriques l'ennuyaient à mourir mais Chame insistait pour qu'il les suive. Par contre le combat, ça lui plaisait énormément ! Sa nature vindicative pouvait alors totalement s'exprimer. Il se lançait tête baissée, travaillant plus avec ses muscles qu'avec son cerveau. Bien entendu cette tactique ne lui rapportait aucune victoire mais au moins il se défoulait ! En ce qui concernait ses pouvoirs, c'était plus frustrant : il fallut des jours avant qu'il ne puisse contrôler l'eau à sa demande et encore, cela ne dura qu'un instant et ce après des heures d'énervement. Chame avait soupiré :

« Pour ça, personne ne peut t'aider. C'est très différent selon les gens. Tu dois trouver ta voie. Ne t'en fais pas, tu es encore jeune... »


Flanis ignorait son âge mais Chame l'avait estimé pour lui : entre vingt et vingt-cinq ans.

« Nous vieillissons plus lentement que les humains, avait-il expliqué devant le regard interloqué du garçon.

– Et toi, tu as quel âge ?

– Entre trente-cinq et quarante ans. Quand notre père m'a recueilli il y a dix ans, j'avais quasiment le même âge que toi.

– Et Taurus ?

– Je dirais qu'il ne doit pas être loin de mon âge. »

Si Flanis se montrait si curieux envers les deux autres jeunes hommes, c'était parce qu'il n'avait encore jamais rencontré de gens comme lui, des démons, et qu'il voulait mieux les connaître. Chame répondait volontiers à toutes ses questions sauf que parfois il semblait ne pas tout lui dire.


Après un mois, il devint évident que Flanis était plus que désireux de rester. Chame ne lui posa même pas la question et l'informa simplement qu'il avait déjà écrit à leur père pour le prévenir que leur famille comptait désormais un nouveau membre. Cela toucha profondément le garçon qui se souvint de la promesse de l'évêque :
« Alors vous êtes désormais mes frères ? demanda-t'il, avide d'une confirmation.

– Tes grands-frères, » précisa Chame avec un sourire taquin.

Il savait que le garçon avait horreur du mot "petit" et de tout ce qui pouvait l'impliquer. Leurs rapports s'était cependant améliorés au point où Chame pouvait le titiller gentiment à ce sujet. Flanis fit la moue et allait asséner une réplique bien sentie lorsque Taurus prononça quelques rares mots :

« Toi petit-frère. »

Cela calma et ravit aussitôt Flanis.

« Mes grands-frères, » fit-il avec un grand sourire.

Avec réticence, Chame se joignit à eux :

« Nous trois, frères, famille. »

C'était ce dont Flanis avait toujours rêvé.


~*~


Les années qui suivirent furent plus que profitables à Flanis. Il grandit — quoique pas autant qu'il l'aurait souhaité — prit des forces, s'affirma et trouva sa place dans la maisonnée. Il avait laissé ses cheveux pousser et n'éprouvait plus de honte concernant leur couleur bizarre surtout parce que Chame l'avait complimenté à ce sujet une fois :

« C'est la couleur appropriée pour quelqu'un qui contrôle l'eau, » avait-il dit.

Contrôler était un bien grand mot cependant Flanis appréciait l'estime et la confiance de son frère.

« Si c'est vraiment lié, avait-il répondu, alors celui qui maîtrise le feu sera roux, non ?

– On verra bien lorsqu'on le trouvera. »


En effet Flanis avait appris que l'objectif de leur père était de rassembler quatre enfants comme eux qui pouvaient chacun manier un des éléments. Il nourrissait de grands projets pour eux et venait les voir dès qu'il le pouvait pour constater leurs progrès. Lorsque Flanis l'avait interrogé sur ses projets lors d'une de ses visites, celui qui était à présent archevêque n'en avait pas révélé davantage à part :

« Dieu m'en fera part quand le moment sera venu. »

Chame apprit aussi à Flanis que leur père voyait un ange en rêve et que ce dernier lui apportait la parole de Dieu.

« Notre père est un homme très saint, avait-il ajouté avec admiration. Nous avons beaucoup de chance d'avoir été choisis pour l'aider ! »

Flanis ne partageait guère son enthousiasme. Néanmoins quels que soient les projets de Sénote, Flanis lui serait toujours reconnaissant de lui avoir donné des frères.


~*~


Après quelques temps, Flanis remarqua que ses frères avaient un comportement étrange, surtout Chame. L'adolescent blond était nerveux et son sourire était souvent crispé. Il lui arrivait parfois de quitter précipitamment la pièce même au beau milieu d'une leçon pour s'isoler dans sa chambre. Quand il revenait ensuite, il avait l'air un peu honteux. Au début Flanis s'inquiéta pour lui.

« Tu es malade ? » lui demanda-t'il, ses grands yeux bleus convoyant son inquiétude.

Sa mère était tombée malade et en était morte. Au fond de lui, Flanis craignait que cela n'arrive à son frère.

« Eu... non, pas exactement, répondit Chame avec un peu de gêne. Ne t'en fais pas pour moi, petit-frère. »

Il lui tapota même gentiment la tête, un geste que Flanis n'acceptait que de lui.

« Tu es sûr ? insista-t'il néanmoins.

– Oui, sûr ! »

Le ton définitif le dissuada d'insister davantage.


Les chambres des trois frères se trouvaient au même palier. Plusieurs fois la nuit, Flanis pouvait entendre des bruits de pas. Il finit par se lever une fois et entrouvrit sa porte : il vit Chame marcher dans le couloir, vêtu de sa chemise de nuit blanche et pieds nus. L'adolescent blond entra sans hésiter dans la chambre de Taurus et n'en ressortit qu'une heure après pour regagner sa chambre. Ce manège dura plusieurs fois avant que la curiosité de Flanis ne l'emporte. Il attendit que Chame retourne dans la chambre de Taurus — car cela ne se produisait pas toutes les nuits — et après quelques minutes Flanis s'engagea à son tour dans le couloir avant de presser l'oreille contre la porte en bois. Il entendit des petits sons indistincts comme si quelqu'un avait mal. Toutefois il savait que Taurus ne ferait jamais de mal à son frère. Flanis en fut néanmoins inquiet et il ouvrit doucement la porte pour éviter qu'elle grince. Il glissa ensuite un coup d'œil à l'intérieur.


Une bougie était allumée près du lit, ce qui permit au jeune garçon de voir ce qui se passait. Malgré cela, il ne comprit pas tout : Chame et Taurus étaient agenouillés sur le lit l'un en face de l'autre avec leurs chemises de nuit relevées jusqu'à la taille. La main de Chame était posée sur l'entrejambe de son frère et inversement, et ils se frottaient vivement. Taurus avait la même expression rêveuse que d'ordinaire sauf que ses lèvres entrouvertes laissaient parfois échapper un son bref. Chame était le plus enthousiaste des deux et ses gémissements étaient moins restreints. De son autre main, il saisit Taurus par le col de sa chemise et se pressa davantage contre lui.


Bien que ne sachant pas du tout ce qui se passait, Flanis fut incapable de détourner les yeux de Chame dont le visage exprimait quelque chose de fort et d'attirant. Ce ne fut que lorsque l'adolescent blond poussa un cri plus fort que les autres que Flanis tressaillit. Il referma doucement la porte puis regagna sa chambre en courant. Allongé sur le lit, incapable de retrouver le sommeil, il regarda le plafond avec perplexité en songeant à ce qu'il venait de voir. Il se releva soudain et remonta sa chemise pour dévoiler son pénis. Cela servait à pisser et rien d'autre, non ? Curieux, il posa sa main dessus et frotta pour imiter ses frères. Il ne sentit rien de particulier et cela le plongea davantage dans la perplexité. Toutefois il ne pouvait pas interroger Chame à ce sujet car ce serait avouer qu'il les avait espionnés. Il ne pouvait pas non plus se confesser de ce péché car cela pourrait attirer des ennuis à ses frères. Cela dit, cela ne le dérangeait pas de ne pas se confesser : puisqu'il était un démon, que lui importait le pardon de Dieu ?


Flanis observa souvent ses frères à partir de ce moment. Chame ne rejoignait pas Taurus toutes les nuits mais au moins une fois par semaine et ils ne faisaient pas toujours la même chose : des fois Chame était allongé sur le dos tandis que Taurus avait la tête entre ses jambes, des fois c'était le contraire. Ou bien Chame était allongé sur le ventre pendant que Taurus s'agitait sur lui. Ce ne fut que lorsque Flanis vit Chame à quatre pattes sur le lit avec Taurus qui se pressait derrière lui contre ses fesses qu'il commença à comprendre ce qui se passait. Flanis avait déjà vu des chiens se comporter ainsi : cela s'appelait baiser et en général les chiens recevaient un seau froide pour les chasser. Flanis ignorait que les gens baisaient aussi. Mais maintenant qu'il avait un mot pour ça, il pouvait poser innocemment la question à son frère.


Il attendit quelques jours car il n'était pas stupide, puis demanda à un moment où ils étaient seuls :

« Grand-frère, c'est quoi baiser ? »

Chame eut une quinte de toux subite.

« Où... où tu as entendu ce mot ?! s'étonna-t'il.

– Les novices en avaient parlé au temple, mentit-il sans remords. Je m'en suis rappelé comme ça. »

Chame ne mit pas un seul instant sa parole en doute et répondit avec un peu de gêne :

« C'est un mot vulgaire pour désigner le péché de chair.

– Le péché de chair ? C'est quoi ?

– Ma foi, tu es assez grand pour comprendre... »

Chame se lança ensuite dans une explication globale et religieuse mais cela ne satisfit pas Flanis car il mentionnait uniquement ce qui se passait entre un homme et une femme.


« C'est juste pour un homme et une femme ? insista-t'il donc une fois que Chame eut fini. Pas entre deux hommes ?

– Flanis, ne parle jamais de ça ! C'est un blasphème ! » s'écria l'adolescent blond en pâlissant.

Un blasphème ? C'était pourtant ce que faisaient ses deux frères depuis des mois !

« C'est mal si deux hommes couchent ensemble, encore pire que le péché de chair, poursuivit Chame qui s'était repris. C'est un crime sévèrement puni par l'Église alors tu ne dois plus jamais en parler, d'accord ?

– Mais... »

Flanis se mordit les lèvres. Comment cela pouvait-il être mal puisque ses deux frères le faisaient ? Cela n'avait pas de sens ! Cependant s'il insistait, il devrait aussi avouer qu'il les avait épiés et ça, c'était indiscutablement mal. Frustré, Flanis n'aborda plus le sujet mais ne cessa ses observations nocturnes dans l'espoir de comprendre un jour.


~*~


Ce ne fut que deux ans plus tard qu'il comprit. Un matin au réveil, il sentit une démangeaison à l'aine. Cela n'avait rien d'anormal sauf que lorsqu'il tendit la main pour se gratter, une sensation étrange le parcourut. Il se redressa d'un coup sur le lit et baissa les yeux : son pénis tenait debout tout seul. Peut-être avait-il très envie d'uriner ? Il se leva et se posta devant le pot de chambre mais quand il posa la main sur son sexe, la sensation étrange revint en force. En plus il avait subitement très chaud. Inquiet, il se força à uriner en espérant que cela résoudrait le problème mais rien de sortit. Était-il malade ? En tout cas, il n'arriverait pas à mettre son pantalon ainsi ! Il s'allongea de nouveau sur le lit et ferma les yeux, priant pour que son pénis redevienne normal, en vain.


Il entendit soudain toquer à la porte.

« Flanis ? tu devrais déjà être levé, » fit la voix de Chame de l'autre côté.

L'adolescent paniqua. Il ne savait pas pourquoi mais il se sentait honteux et ne voulait pas qu'on le voie dans cet état, surtout pas son grand-frère. Il se cacha donc sous les couvertures et son frère entra dans la chambre quand il n'eut aucune réponse.

« Tu es encore au lit ? Allons, la paresse est un péché !

– Grand-frère, je ne me sens pas bien, » avoua Flanis d'une petite voix.

Le reproche disparut aussitôt du regard de son frère qui se rapprocha de lui et posa une main sur son front.

« Tu es un peu chaud, constata-t'il, mais pas fiévreux. Tes joues sont bien rouges par contre. »


Le contact physique était encore pire dans son état. Flanis gigota pour s'en défaire. Cela lui valut un regard inquisiteur de son frère.

« Dis-moi ce qui ne va pas, petit-frère. Dis-moi. »

Quand Chame parlait la langue des démons, Flanis ne pouvait rien lui refuser. Malgré sa honte, il retira la couverture et exposa son pénis anormal.

« Je ne sais pas ce qui m'arrive, fit-il en retenant un sanglot. C'est comme ça depuis mon réveil. J'ai beau essayer d'uriner, ça ne veut pas. Et ça fait bizarre quand je le touche. Dis, grand-frère, je suis malade ? Je vais mourir ? »

Depuis que la femme qui s'était occupée de lui depuis tout petit était tombée malade et en était morte, les deux notions restaient systématiquement liées dans l'esprit de Flanis.


Chame leva une main à sa bouche pour cacher son rire. Le pauvre Flanis était perdu et s'imaginait le pire. Ce n'était pas le moment de se moquer de son innocence.

« Tout va bien, le rassura-t'il. Cela veut dire que tu grandis et que tu deviens un homme.

– Ah bon ? »

Le ton intéressé de Flanis ne lui échappa pas : l'adolescent avait toujours voulu grandir et devenir plus fort. Chame se lança donc dans l'explication de son état et du moyen de se soulager, à savoir la masturbation.

« Certains dans l'Église considèrent que c'est un péché de chair mais Père dit que c'est moins grave que de coucher avec une femme. Ce sont des instincts que nous a donnés le Seigneur, et nous devrons les combattre plus tard. Mais surtout au début il nous est permis de nous soulager nous-mêmes... à condition de confesser ce péché ensuite. »


Suspendu aux lèvres de son frère, Flanis fit aussitôt le lien entre les visites nocturnes de ses deux frères. Ce fut pour cela qu'il n'hésita pas à demander :

« Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris. Tu peux me montrer comment on fait ? »

Chame eut une expression interloquée avant de se reprendre.

« Hum non, Flanis, tu dois le faire seul. Tu vas vite comprendre, ne t'en fais pas.

– Mais tu... »

Il s'arrêta net, à deux doigts d'aborder le sujet interdit, alors il changea ses propos :

« J'ai peur de mal faire. »

Il prit le ton timide et fragile auquel son frère n'avait jamais su résister, et il le savait très bien.


Effectivement Chame manifesta de l'hésitation.

« Je... ce ne serait pas bien, tu sais, » expliqua-il un peu faiblement.

Flanis lui lança un regard implorant tout en triturant le bord de sa chemise de nuit. Il le vit peu à peu céder.

« D'accord, mais je ne regarderai pas. Je te donnerai seulement des conseils ! »

L'adolescent masqua son sourire de triomphe. Fidèle à sa parole, Chame lui tourna le dos et commença à lui donner instructions et conseils. Sans le quitter des yeux Flanis obéit, un peu maladroitement et craintivement au départ. Toutefois il faisait entièrement confiance à son frère et lui obéit en tout point même si certaines choses lui parurent très étranges. Assez rapidement il jouit pour la première fois et la sensation le laissa rêveur. C'était encore mieux que de se battre ! Pourquoi n'avait-il pas connu ça plus tôt ?


« Tu ne dois pas en abuser, lui fit Chame en lui tendant un carré de soie toujours le dos tourné. C'est un petit péché mais cela reste un péché.

– Je sais, tu as dit que l'on doit se confesser. »

Flanis regarda le liquide poisseux et blanc qui était sorti de son sexe et qui avait atterri sur les draps. Cela dégageait une odeur âcre et un peu déplaisante. Il mit un doigt dedans et grimaça devant l'aspect visqueux.

« Quand notre père viendra, tu t'en confesseras à lui, oui. »

Ils n'avaient pas de prêtre au manoir, du coup ils ne se confessaient qu'à leur père qui leur rendait visite quatre ou cinq fois dans l'année quand ses fonctions le lui permettaient.

« D'accord ! » fit Flanis avec un grand sourire.

Maintenant qu'il savait se masturber, peut-être que Chame viendrait le voir la nuit au lieu de Taurus. Cette perspective le ravissait !


~*~


Les semaines passèrent et à sa grande déception, Flanis n'eut pas droit aux visites nocturnes de Chame. Il l'entendait pourtant se déplacer dans le couloir pour se rendre dans la chambre de Taurus. C'était très vexant. Qu'est-ce que Taurus avait de plus que lui ? Bon, il était plus grand — et Flanis grinçait des dents à cette idée — il avait passé plus de temps avec Chame mais à part ça il parlait à peine et ne manifestait aucun enthousiasme quand les deux jeunes hommes étaient ensemble au lit ! Flanis le savait car il avait continué ses observations nocturnes qui avaient pris un autre sens désormais : le fait de voir ses deux frères ensemble et surtout de s'imaginer à la place de Taurus l'excitait au plus haut point et il avait dû plusieurs fois retourner en vitesse dans sa chambre pour se soulager au risque de se faire surprendre par ses frères. En tout cas il se demandait pourquoi Chame ne se rendait pas compte qu'il serait un partenaire bien plus adéquat pour lui. C'était à n'y rien comprendre. En attendant, Flanis lançait des regards noirs à Taurus la journée et n'hésitait pas à le défier en duel à la moindre occasion. Ce dernier resta perdu dans son monde et ne se rendit pas du tout compte de l'hostilité de son petit-frère à son égard.


Ce n'était pas tout : Flanis commença à noter des choses qui lui avaient échappé jusque là. Par exemple la façon dont certains serviteurs, notamment les plus jeunes, regardaient son frère. Flanis n'aimait pas du tout ce genre de regards. Le pire était que Chame leur répondait avec des sourires entendus ! Il y eut aussi cet incident dans les écuries : Flanis était entré brusquement et avait vu son frère dans une étreinte plus que douteuse avec un palefrenier. Ce dernier s'était rapidement enfui tandis que Chame avait accueilli son petit-frère comme si de rien n'était, malgré ses vêtements un peu débraillés. Pour Flanis, ce fut comme une insulte : Chame préférait donc n'importe qui sauf lui ? Il allait voir ce qu'il allait voir !


La frustration de Flanis le rendit encore plus agressif lors des combats d'entraînement. Ce n'était pas une bonne chose car cela lui faisait commettre des erreurs et cela l'agaçait davantage. Par contre sa maîtrise de l'eau s'accrût subitement, ce qui lui valut même les félicitations de Chame. Il pouvait désormais rassembler une bonne quantité d'eau autour de lui pour la lancer sur son adversaire. La méthode manquait encore de finesse, néanmoins c'était un énorme progrès.


Lors d'un entraînement avec Chame, la malchance s'acharna sur lui. Ils s'affrontaient depuis un bon moment sous le soleil intense de l'après-midi. Flanis avait un très bon niveau à l'épée et bien que plus jeune, il rivalisait avec son grand-frère. Tous deux étaient en nage, cependant aucun ne voulait arrêter le combat pour si peu. Leurs lames s'entrechoquèrent et un bras-de-fer intense s'ensuivit. Si près de Chame, Flanis pouvait sentit l'odeur de sa transpiration, bien distincte de la sienne. Ses yeux furent attirés et hypnotisés par une goutte de sueur qui descendit le long du front du jeune homme blond, contourna un œil bleu azur, coula sur la joue ferme et s'attarda sur les lèvres entrouvertes avant de finalement passer sur le menton et tomber sur l'épée de Flanis. L'adolescent déglutit en imaginant ses doigts suivre le même chemin ou mieux encore sa langue, à la poursuite de cette goutte audacieuse.


« Concentre-toi, petit-frère, » lui commanda Chame.

Ramené à la réalité, Flanis mit fin à la confrontation en reculant de deux pas. Il inspira avant d'attaquer à nouveau, décidé à ignorer ses pensées traîtresses, la chaleur dans son bas-ventre, la façon dont la chemise blanche de Chame lui collait à la peau par endroit à cause de la transpiration, la rendant presque transparente... Flanis trébucha au beau milieu d'un assaut et tomba en avant vers l'épée brandie de son frère. Malgré sa surprise, Chame réagit aussitôt en écartant sa lame, ce qui fit que Flanis lui tomba dessus et l'entraîna dans sa chute. Les deux jeunes gens se retrouvèrent par terre avant d'avoir compris ce qui s'était passé. Allongé sur la terre sèche, Chame contempla le visage mortifié de son frère au-dessus du sien et éclata de rire. Il ne vit pas les yeux bleu foncé s'écarquiller et n'entendit pas la brusque inspiration de l'adolescent.

« Quelle tactique intéressante ! le taquina-t'il gentiment. Risquée mais audacieuse ! »


Flanis n'entendit pas les mots tant il était focalisé sur le visage de son frère si proche, son corps allongé sous le sien et le rire joyeux qui résonnait encore dans son cœur. Chame posa une main sur son épaule et cela ressembla en tout point à une des rencontres nocturnes entre les deux autres aînés.

« Flanis, tu attends quoi pour te relever ? » demanda Chame, inconscient du tourment de son cadet.

L'interpellé s'oublia un moment et frotta son bassin contre la cuisse du jeune homme. Le sourire de Chame se figea aussitôt. Il lança un regard interloqué à son frère qui, comme en transe, réitéra le mouvement de façon plus appuyée cette fois. Nul doute n'était possible sur la nature de l'objet dur et pointu que Chame pouvait sentir contre sa cuisse. Il se força au calme.

« Flanis, relève-toi maintenant. Maintenant. »


D'ordinaire quand Chame s'abaissait à parler la langue maudite, Flanis lui obéissait sur-le-champ. Cette fois cependant, cela eut un tout autre effet...

« Encore, continue. »

Le ton était plus qu'explicite ! Inquiet, Chame usa de son autre main pour repousser son frère mais depuis quand Flanis était-il devenu si robuste ? Impossible de le faire bouger, même à deux mains.

« Arrête ça tout de suite, » ordonna-t'il d'un ton sec, les dents serrées. Un rapide coup d'œil autour lui apprit qu'ils étaient heureusement seuls ! Chame n'osait imaginer le scandale que cela provoquerait si on surprenait les deux démons en train de forniquer au beau milieu de la cour ! Même leur père ne pourrait plus les protéger après cela. C'était une chose de s'amuser un peu en cachette, c'en était une autre de s'exhiber ainsi ! Hélas Flanis ne semblait pas l'entendre. Les yeux plongés dans les siens, la sueur coulant le long de son visage pour s'écraser sur celui de son frère aîné, il semblait ailleurs comme Taurus. Sauf que la partie basse de son anatomie savait parfaitement où elle était et elle se frottait contre lui avec une assurance grandissante. Le pire était que Chame commençait à se sentir excité à son tour. C'était très, très mauvais...


Chame dut recourir aux grands moyens : il donna un coup de poing à son frère en plein visage. Très fort. Jamais encore il ne l'avait frappé au visage, même pour les entraînements. Cela eut le mérite de tirer Flanis de sa transe. Il porta une main à sa joue, interloqué.

« Lève-toi tout de suite ! » cracha Chame, passablement énervé à présent.

Son frère le fixa si longtemps sans bouger que Chame se prépara mentalement à devoir le frapper de nouveau. Puis il finit par s'écarter et détourna la tête.

« Pourquoi ? » marmonna-t'il d'un ton blessé.

Chame se redressa à son tour et tenta de se calmer.

« Ce que tu as essayé de faire, c'est un péché, expliqua-t'il. Je sais que ton corps a des besoins mais tu dois te contenter de la masturbation. Rechercher cela avec une autre personne, et surtout un homme, c'est le péché de chair et de sodomie.

– Pourtant toi, tu le fais bien ! » s'écria soudain Flanis, incapable de se taire désormais.


Une sueur froide coula le long du dos du jeune homme blond alors qu'il lançait un regard stupéfait à son jeune frère.

« Q-quoi ? balbutia-t'il.

– Je t'ai vu ! poursuivit Flanis. Avec le palefrenier, les serviteurs et même... Taurus. »

Chame écarquilla les yeux et la honte l'envahit, ainsi que la stupéfaction. Il s'était pourtant montré discret ! Jamais il n'aurait cru que Flanis aurait remarqué ses amusement.

« Je... commença-t'il avant de baisser la tête. Je suis coupable de ce péché, c'est vrai. »

Il ne voulait pas mentir à Flanis même si cela allait ternir son image à ses yeux.

« Peu m'importe que ce soit un péché, déclara le jeune homme avec ses mèches bleues plaquées sur son visage à cause de la sueur. Je veux le commettre avec toi.

– Flanis ! s'indigna Chame.

– Tu le fais avec tout le monde mais pas avec moi ? » s'écria l'adolescent aux bords des larmes.


Chame se mordit les lèvres. Bien sûr qu'il avait été tenté par son frère, surtout après l'avoir guidé lors de sa première expérience de masturbation. Cependant il n'avait pas voulu céder pour une fois. L'admiration ingénue et authentique de son petit-frère envers lui l'avait toujours touchée et il ne souhaitait guère la pervertir. Hélas...

« Je corromps vraiment tout ce que je touche, » songea-t'il tristement.

C'était la malédiction à laquelle il ne pouvait échapper de par sa nature démoniaque.

« Est-ce que notre père est au courant ? demanda subitement Flanis.

– Je... je t'ai dit que je me suis confessé de mes péchés, répliqua Chame.

– Y compris le fait que tu fasses ça avec Taurus ?

– Oui, il le sait, avoua le jeune homme blond en baissant la tête.

– Et qu'a-t'il dit en l'apprenant ? »

Les questions de Flanis étaient uniquement guidées par la curiosité et des années d'interrogation sans fin. Il pouvait enfin en parler ouvertement avec son aîné alors il en profitait pour obtenir des réponses.


La bouche de Chame se tordit en un pli amer.

« Il a dit : "Même élevé dans la grâce de Dieu, un démon reste un démon." »

Flanis comprit alors une partie des tourments de son frère. Chame désirait plus que tout ne pas décevoir l'archevêque qui leur avait offert un toit, une famille et un but dans l'existence. Néanmoins il ne parvenait pas non plus à lutter contre ses pulsions anormales. Flanis n'avait jamais souhaité tourmenter davantage son frère mais il était trop tard pour cela. Toujours assis dans la terre poussiéreuse, il posa la main sur celle de Chame et le fixa droit dans les yeux :

« Moi aussi je suis un démon. Le péché est également dans mon sang. Si tu ne veux pas de moi, je-j'irai voir les serviteurs aussi, le palefrenier et même... Taurus... »

Il mentait, bien entendu. Il ne voulait que Chame et personne d'autre. Cependant cela eut le mérite de faire réagir son frère.

« Non, ce ne sera pas la peine, soupira Chame. Vu que tu n'as aucune délicatesse, tu risques surtout de les faire fuir. »


La critique passa totalement au dessus de la tête du concerné dont l'attention s'était arrêtée à la première phrase.

« C'est vrai, tu-tu es d'accord ? ne put-il s'empêcher de demander.

– Je viendrai dans ta chambre ce soir, confirma Chame.

– Hum non ! C'est moi qui viendrait te rejoindre ! »

Chame lui lança un regard inquisiteur avant de hocher la tête. Peu lui importait de toute manière.


~*~


Même s'il bouillait d'impatience, Flanis sut se retenir jusqu'au soir. Il attendit que le dernier serviteur soit passé pour se faufiler dans le couloir et gratter à la porte de son grand-frère. Il avait le souffle court et se morigéna. Cela faisait longtemps qu'il attendait ce moment alors il n'allait pas le gâcher par pure précipitation. Il prit le temps de se calmer un peu puis entra dans la pièce comme dans un sanctuaire. Toutes ces histoires de religion ne lui avaient jamais vraiment parlé mais en voyant Chame allongé sur son lit, éclairé uniquement par une bougie, il sentit la révérence l'envahir.


L'autre jeune homme se redressa sur son coude à son approche et le fixa sans dire un mot. La gorge sèche, Flanis s'arrêta à un pas du lit, incertain. Il attendait un geste de la part de son frère, comme une sorte d'invite, mais il n'avait droit qu'à ce regard scrutateur. Finalement Chame soupira légèrement.

« Je ne m'étais pas rendu compte à quel point tu as grandi, fit-il dans la pièce silencieuse. Quand je te regarde, je vois encore cet enfant si effrayé et sauvage, prêt à attaquer tous ceux qui approchaient mais aussi désireux qu'on s'occupe de lui. Cela fait douze ans que tu nous a rejoints et le temps est passé si vite... »

Flanis fronça les sourcils, agacé.

« Je ne suis plus un enfant, fit-il remarquer.

– Bien sûr que non, répliqua Chame avec une pointe de cruauté. Un enfant ne voudrait pas ce que tu veux de moi. »


Cette remarque lui déplut encore plus. Néanmoins il serra les dents et prit place sur le lit d'un air décidé. Chame resta allongé tout en le défiant du regard.

« Tu sais au moins comment t'y prendre ? lança-t'il.

– J'ai mon idée sur la question ! » rétorqua Flanis, piqué au vif.

Chame roula des yeux mais ne dit rien de plus. Flanis avait imaginé mille fois ce moment dans sa tête sans parler de ce qu'il avait vu durant ses observations nocturnes. Sauf qu'à présent qu'il était confronté à la réalité, il ne sut par où commencer ! Il voulait tout à la fois, ce qui n'était guère possible. Et Chame ne semblait pas enclin à le guider. Tant pis pour lui ! Flanis allait bien finir par s'en sortir.


La chemise de nuit de Chame était à moitié déboutonnée. Quand le regard de Flanis tomba dessus, il sut par où débuter. Avec des mains légèrement tremblantes il défit le reste des boutons jusqu'à la taille puis d'un air décidé il posa une main sur le torse de son frère et inspira au contact de la peau tiède. Sans oser voir l'expression sur le visage du jeune blond, il s'enhardit et fit glisser la main vers les côtes et frémit en frôlant le mamelon clair puis le ventre ferme. Le visage rouge et chaud, il persista et fit de même avec son autre main. Comme Chame ne réagissait toujours pas, Flanis l'enjamba afin de se placer entre ses jambes comme il l'avait fait tantôt dans la journée. Sa respiration se fit laborieuse et son sexe le lança douloureusement. Malgré ça il resta entièrement focalisé sur le corps en dessous du sien. Il leva la main droite et commença à relever la chemise de son frère en caressant les cuisses musclées au passage...


« Merde ! » jura-t'il soudain en se redressant et en s'écartant de Chame.

Ce dernier fronça les sourcils et se mit en position assise.

« Flanis, que se passe-t'il ? »

L'autre jeune homme garda la tête tournée et baissée, ses mèches bleues lui cachant les yeux. Il continuer à jurer entre ses dents et ses épaules tremblèrent. Chame voulut poser une main sur son bras mais son frère recula davantage, comme brûlé.

« Ne t'approche pas Chame ! lui fit-il d'une voix étranglée. je... je... »

Était-ce la honte qui le consumait tout à coup ? S'était-il finalement rendu compte de l'ignominie de ses intentions ? Loin de se sentir soulagé, Chame se sentit au contraire encore plus sale. Il se détourna de son frère.

« Si tu veux t'en aller, tu peux, lui fit-il d'un ton monotone. Tu n'as encore commis aucun péché...

– Non ! s'écria Flanis. Ce n'est pas ça, c'est... c'est... »


Perplexe Chame se tourna de nouveau vers lui et suivit son regard honteux vers le bas de sa chemise. Il cligna des yeux : une tache humide était apparue là. Flanis avait été tellement excité qu'il avait joui rien qu'à l'idée de ce qui allait suivre. Naturellement il se sentait à présent humilié. Les lèvres de Chame frémirent. Il avait fortement envie de sourire mais il se mettait à la place de son frère : dans un moment pareil tout homme était extrêmement vulnérable et la moindre parole devait être soigneusement pesée.

« Flanis, fit-il d'un ton doux, regarde-moi. »

Comme son frère ne pouvait s'y résoudre, il prit son visage entre ses mains et l'obligea à lever la tête. Des larmes de honte s'étaient accumulées dans les yeux bleus et les joues en-dessous étaient rouges.

« Ce n'est rien, poursuivit Chame. Ce genre de choses arrive souvent au début quand on est jeune et qu'on ne sait pas encore bien se contrôler. Tu n'as pas à avoir honte. »


Le flot de paroles rassurantes finit par faire son effet. Flanis avait cependant une dernière hésitation :

« J'ai tout gâché ! Et dire que j'attendais ce moment avec impatience !

– Tu n'as rien gâché du tout, » répliqua Chame.

Cela lui valut un regard d'incompréhension.

« Mais...

– Il y a plein de choses que nous pouvons faire en attendant que tu sois de nouveau en forme. Et la bonne nouvelle c'est que comme tu es jeune, cela ne prendra pas trop longtemps. »

Effectivement les caresses eurent vite fait de ranimer le membre du plus jeune qui put ensuite profiter du moment.


~*~


Quelques temps après ils étaient allongés côte à côte, toute envie rassasiée. Flanis tourna la tête pour contempler le profil de son frère.

« Chame, j'ai toujours voulu te demander... comment tu as eu cette cicatrice ? »

Sa main glissa le long du dos de l'autre jeune homme et s'arrêta sur une zone ravagée au niveau de sa taille. Il sentait Chame se raidir.

« Disons qu'avant que notre père ne me trouve, je n'étais pas chez des gens très gentils, confia-t'il. Ils se sont servis de moi pendant des années avant que je ne puisse m'enfuir. »

Flanis avait constaté d'autres cicatrices dont certaines laissées par un fouet. Il avait à présent une conception plus réaliste de la vie et pouvait deviner ce que son frère laissait sous-entendre.

« J'ai ensuite été recueilli par une famille de fermiers qui avaient besoin de main-d'œuvre aux champs, poursuivit Chame. Mais avec ma chance, les villageois se sont rendus compte que j'étais un démon et ils ont tenté de me brûler. »


Flanis serra la main de son frère pour lui apporter un réconfort silencieux.

« C'est terrible de voir des gens que tu as connus pendant des années, avec qui tu as parlé, mangé, partagé des moments de joie et de peine, se tourner subitement contre toi et vouloir te tuer juste parce que tu es un peu différent. Je ne m'étais jamais rendu compte jusque là que le monde était rempli de fanatiques intolérants. »

Il prononça ces deux derniers mots comme la pire des insultes.

« Enfin, c'est du passé tout ça. Notre père est arrivé juste à temps pour me sauver tandis que j'utilisais mon pouvoir pour la première fois. Heureusement car même ma lumière n'aurait pas défait mes liens et éteint le feu ! J'ai eu beaucoup de chance qu'il soit là et je lui en serai toujours aussi reconnaissant. Pour tout ce qu'il m'a offert aussi. »


Flanis n'avait pas dit un moment durant ce récit qu'il entendait pour la première fois. Chame s'était toujours montré évasif sur son passé et là, enfin il se confiait à lui. Flanis s'en sentit honoré et posa la tête sur son épaule.

« Et Taurus ? s'enquit-il. Quelle est son histoire ?

– Ah, Taurus... »

Chame poussa un lourd soupir.

« Notre père l'a ramené sept ans après moi. nous vivions alors au diocèse de Kalès puisqu'il n'était encore qu'un simple prêtre. Notre père l'a sauvé alors qu'une femme tentait de le noyer.

– Une femme ?

– Celle qui l'avait recueilli et élevé avant de se rendre compte qu'il était un démon. »


Cela fit frémit Flanis. Sa mère n'avait pas toujours été tendre avec lui sans parler de la torture de lui raser fréquemment les cheveux avec des couteaux à moitié émoussés mais au moins elle n'avait jamais attenté à sa vie.

« C'est pour ça qu'il parle si peu, comprit-il, la gorge serrée.

– Non, le détrompa Chame, il a toujours été comme ça. Notre père a interrogé la femme ensuite. Taurus a toujours été... lent. C'est d'ailleurs pour ça que ses parents adoptifs ne s'étaient pas tout de suite rendus compte qu'il grandissait plus lentement que les enfants normaux. Une fois qu'ils l'ont découvert... tu vois le genre. La femme a également dit à notre père qu'elle devait impérativement le noyer car sur la terre ferme, il faisait appel à la magie pour se protéger.

– Ce qui a attiré l'attention de notre père, nota Flanis avec cynisme.

– Bien entendu, » ne nia pas Chame.


Flanis avait toujours eu des sentiments mitigés pour cette homme. Bien entendu il lui était reconnaissant de lui avoir offert un foyer sûr, deux frères — surtout Chame ! — une éducation... Malgré tout il restait persuadé que cet homme allait leur demander dix fois plus en retour. Chame était prêt à suivre l'archevêque Sénote jusqu'en Enfer, Taurus ne disait rien et suivrait sans discuter et Flanis suivrait Chame jusqu'en Enfer. C'était donc réglé.


« Le soleil va se lever d'ici une heure, fit soudain Chame. Il faut que tu regagnes ta chambre. »

Réticent à l'idée de quitter les bras chauds et accueillants, Flanis comprenait néanmoins la nécessité de se montrer discret. Il vola un dernier baiser à son frère — une des nombreuses choses que son frère lui avait enseignées cette nuit — et fit :

« Demain soir, on peut recommencer ? »

Le visage du jeune homme blond changea d'expression et Flanis comprit que la réponse ne lui plairait pas.

« Flanis, cette nuit a été agréable, bien plus que je ne l'aurais pensé mais j'aime varier mes plaisirs... et mes amants. »

L'autre jeune homme ne put dissimuler son air blessé.

« Mais moi, je ne veux que toi... »

Combien de fois Chame avait-il entendu ces mots de la part de ses conquêtes ? Les jeunes étaient vraiment trop mignons et naïfs. Taurus au moins ne l'embêtait pas avec ce genre de déclaration sentimentaliste.


« J'ai décidé depuis longtemps que je n'appartiendrai à personne, déclara-t'il fermement. Seulement à moi. Si tu ne peux pas l'accepter, autant mettre un terme à ce genre de rencontres.

– Non ! » s'écria aussitôt Flanis.

Il baissa la tête et fit avec réticence.

« Je... t'accepte comme tu es, Chame. »

Il lui prit la main pour y déposer un baiser dans la paume. Au fond dee lui, Chame ressentit un élan de compassion cependant il ne pouvait pas laisser Flanis se faire de fausses idées.

« Désolé petit-frère, songea-t-il. Si je pouvais encore aimer je pense que je t'aimerais. Malheureusement les ténèbres ont englouti mon cœur depuis bien longtemps. »

À regret il laissa Flanis s'en aller, ce dernier affichant son cœur brisé. Cependant mieux valait écraser son espoir tout de suite, ce serait moins douloureux. Pourtant quand Chame souffla la bougie presque consumée et qu'il se faufilait dans les draps propres qu'il avait changés après leurs ébats, il ne put s'empêcher de frissonner et de presser ses bras autour de lui. Il se sentait seul, cependant un monstre comme lui ne pouvait pas connaître l'amour. Et même si cela se produisait un jour, il finirait irrémédiablement par le ternir avec ses ténèbres comme tout ce qu'il touchait.


~*~


Le temps passant, Sénote continuait à gravir les marches jusqu'au plus haut sommet. La mort du Pape fut la plus belle opportunité pour lui. Les mois précédents, il flatta, marchanda et acheta ses confrères cardinaux pour finalement se faire élire à cette position prestigieuse. À partir de là, les choses s'accélérèrent très vite pour les trois frères.

« Père va nous nommer Archanges et nous placer à la tête de trois Chapitres de Templiers, » annonça Chame en lisant la missive à ses frères.

Ils se trouvaient dans le salon. Taurus réagit avec juste :

« Ça y est. »

Flanis, lui, lâcha un rire incrédule.

« Quoi, il offre ces postes à ses trois fils six mois à peine après son élection ? Il n'a pas peur du scandale !

– Officiellement il n'y a aucun lien de parenté entre nous, répliqua Chame d'un air pincé. Et puis comme c'est pour accomplir l'œuvre de notre Seigneur, peu importe les ragots. »

Il était impossible de critiquer leur père devant Chame.


La nouvelle suivante fut moins au goût de Flanis.

« Nous partons à Rome dans une semaine pour notre nomination puis nous irons chacun dans notre Chapitre pour y prendre nos fonctions.

– On va être séparés ?! »

Chame lui lança un regard appuyé.

« Bien sûr, tu aurais dû t'en douter. Nous serons plus efficaces si nous sommes à plusieurs endroits. C'est juste dommage que nous n'ayons pas encore trouvé notre dernier frère ; cela fait un Chapitre en dehors de notre contrôle. »

Sénote avait cherché en vain un démon capable de manipuler le feu, voire tout autre élément. Les enfants démons qu'il avait examinés ne possédaient aucune capacité magique et avaient fini dans des monastères ou des couvents — ou la Géhenne pour les plus sauvages. Sénote ne désespérait cependant pas car son ange lui avait promis un tel démon.


Flanis se moquait bien d'un hypothétique autre frère : seul Chame comptait et il ne voulait pas être séparé de lui ! Et plus les Chapitres étaient bien trop éloignés les uns des autres, à plusieurs semaines de voyage. Ce n'était pas acceptable !

« Les Templiers sont des soldats aguerris, commenta-t'il. Ils ne verront pas d'un bon œil débarquer des gamins comme nous pour les diriger. Ce sera dur de nous imposer alors ne serait-il pas mieux que nous restions justement unis ? Je pense surtout à Taurus. »

Bien que ce dernier soit habile à l'épée et maîtrise bien la terre, son caractère passif ne le destinait pas du tout à commander !

« Flanis, tu te fais de fausses idées sur les chevaliers du Temple, soupira Chame. L'Église n'a eu à participer à aucune guerre importante depuis des décennies alors les Templiers actuels sont plus des moines armés que des soldats. Ils se plieront à la volonté du Saint-Père. En plus Père et moi avons préparé de l'aide pour Taurus, tu penses bien. »

Flanis fronça les sourcils devant cet aveu : Chame était donc au courant depuis un moment qu'ils seraient séparés et il attendait le dernier moment pour le leur annoncer ? Il fit claquer sa langue. Depuis le temps il savait que Chame aimait garder des secrets.


Le jeune homme blond mit les mains sur ses hanches, fronça les sourcils et fit mine de le réprimander :

« De toute façon, qui a dit que les choses devraient être faciles pour nous ? Le moment est venu de remercier notre père de tout ce qu'il a fait pour nous et de lui être utiles. »

Évidemment que Chame n'irait jamais s'opposer à la volonté de leur père. Flanis aurait dû s'en douter. En voyant son air sombre, le visage du jeune homme blond s'adoucit et il s'assit à côté de son cadet pour caresser ses mèches bleues.

« Moi aussi je suis triste à l'idée qu'on soit séparés, confia-t'il. Cependant c'est une épreuve que nous devons endurer. Mais nous irons déjà ensemble à Rome pour être nommés Archanges et ensuite... nous ferons en sorte de nous réunir le plus souvent possible. »

Flanis grommela un peu mais les paroles de son frère l'avaient apaisé.


Chame passa une main dans les cheveux bleus.

« Il va falloir que tu les rases à nouveau, » fit-il avec un soupir de regret.

Flanis fronça les sourcils. Il s'en doutait, bien entendu, malgré tout cela l'énervait toujours autant d'être le seul des trois à avoir cette caractéristique physique qui trahissait sa nature démoniaque. Même les cheveux gris de Taurus pouvaient passer sur quelqu'un de jeune, mais pas des cheveux bleus.

« J'espère de tout mon cœur que notre quatrième frère sera encore plus mal loti que moi, songea-t'il avec une rancœur injustifiée. J'espère qu'il aura des sabots à la place des pieds, six doigts à chaque main et une queue et des cornes ! Comme ça à côté de lui, je passerai pour normal. »


Une semaine plus tard, les trois frères quittèrent le manoir où ils avaient passé de nombreuses années afin d'accomplir leur destin. Juste après leur départ des hommes du Pape vinrent tuer tous les serviteurs afin de s'assurer qu'aucun d'eux ne parlerait jamais des trois démons que Sénote avait recueilli. Il était implacable et résolu à tout pour accomplir la volonté de Dieu.


~*~


Flanis, désormais connu sous son nom d'Archange Marius, eut beaucoup de mal à faire sa loi dans le Chapitre du Sud. Son apparence jeune et sa petite taille ne l'aidaient guère à projeter l'image d'un meneur. Alors il répliqua à sa façon : par la violence pure. Quand il eut plusieurs fois botté les fesses des récalcitrants — sans hésiter à user de ses pouvoirs — il commença enfin à obtenir le respect qui lui était dû. Et pour éviter d'éventuelles séditions il continua à entretenir son image de brute sauvage qu'il ne fallait surtout pas fâcher. Cela lui convenait très bien.


Lucius — anciennement Chame — manœuvra plus finement : tout en présentant un visage aimable il monta ses opposants les uns contre les autres, dévoila des scandales cachés voire alla jusqu'à créer des scandales si besoin était. Sa main-mise sur le Chapitre de l'Ouest fut totale en quelques mois. Il s'était vite trouvé des occupations avec certains novices, le tout très discrètement bien entendu. Ces novices étaient prêts à tout pour lui plaire et l'avaient aidé à asseoir son autorité. Lucius projetait une image de sainteté qui éblouissait ses interlocuteurs tandis qu'en réalité il se vautrait dans le péché de sodomie.


Gaiüs, le nouveau nom de Taurus, fut placé au Chapitre du Nord et ne se soucia guère de faire valoir ses droits. Lucius et Sénote lui avaient donc prévu un assistant, Nikholas, qui se chargea de tout. Les opinions des Templiers sur leur Archange étaient très variées, allant de simple d'esprit à exalté. Cependant Gaïus savait manier l'épée et Nikholas se chargeait de faire tourner le Chapitre de façon satisfaisante alors les Templiers n'avaient pas de raison de se plaindre. Bien entendu Sénote avait également pris soin de faire transférer ailleurs les éléments les plus ambitieux. Lucius l'avait bien conseillé en la matière pour éviter que son frère ne se trouve en difficulté.


Le rôle des Templiers durant ces années fut principalement de traquer les hérétiques et les démons. Cela dit les seuls démons qu'ils virent furent des enfants qui étaient dans la même situation qu'eux autrefois. Quant aux hérétiques, ils étaient le plus souvent des pervers sans grand pouvoir. Les Archanges se retrouvaient tous les six mois environ parfois à Rome avec leur père et parfois dans le manoir de leur enfance à présent abandonné. Le Pape finit par leur dévoiler son but ultime : la Croisade !

« Dieu vous a confiés à ma garde pour que vous partiez éradiquer les démons en Son nom dans leur royaume maudit ! »

Si Marius était plus que sceptique, Lucius y croyait profondément et cela suffisait pour ses deux autres frères qui le suivraient n'importe où. Qui plus est, la Guerre Sainte n'était pas pour tout de suite car il fallait d'abord trouver le quatrième Archange.


Après ces réunions, Marius insistait systématiquement pour passer la nuit avec Lucius et leurs ébats étaient plus que vigoureux.

« Ne me dis pas que tu réserves uniquement pour moi, le taquina une fois Lucius avec un sourire satisfait.

– Tout le monde n'a pas une cour de petits mignons, » rétorqua Marius d'un ton venimeux.

À chaque fois qu'il rendait visite à son frère au Chapitre de l'Ouest, il devait se retenir d'étrangler ces gamins qui minaudaient en présence de son Lucius. La seule chose qui l'en empêchait était que Lucius en trouverait d'autres de toute manière. Lucius laissa passer la remarque comme à chaque fois et caressa la tête de son petit-frère.

« Quel dommage que tu doives garder les cheveux si courts, » soupira-t'il.

Sans aller jusqu'à se raser complètement le crâne, Marius se faisait régulièrement couper les cheveux afin d'en cacher la couleur anormale.

« C'est comme ça, » marmonna-t'il comme s'il s'en fichait.

Il saisit la main de son frère et déposa un baiser sur la paume avant de s'allonger sur lui pour une autre session rude comme Lucius les aimait.


~*~


En voyant le grand gaillard aux côtés de Lucius, Marius sentit sa colère décupler. Déjà rien qu'après avoir lu la lettre de l'Archange blond concernant leur quatrième frère potentiel, Marius l'avait pris en grippe sans même le connaître. Un gosse de riche qui avait connu une enfance de rêve s'était mis en tête de tâter de l'occulte et avait obtenu le pouvoir du feu ! On oubliait donc les sacrifices humains dont il était plus que certainement responsable ?! Ah oui, il était amnésique et par conséquent les circonstances de la cérémonie satanique étaient floues : était-il une autre victime ou un participant volontaire ? Marius optait pour la seconde possibilité alors il était hors de question qu'un hérétique devienne leur frère !


Pourtant Lucius avait insisté pour que les deux autres Archanges le rencontrent et aucun des deux ne pouvait refuser quoi que ce soit à l'Archange de la Lumière... D'où cette réunion à leur maison d'enfance. Rencontrer ce Lyrel en personne ne changea pas les sentiments de Marius à son égard, bien au contraire. Ce type était plus grand que Lucius et presque autant que Gaïus, et il n'avait pas encore achevé sa croissance ! En d'autres termes il dépassait largement Marius qui était complexé par sa petite taille et haïssait instinctivement les hommes plus grands que lui.


En plus cela l'agaça tellement d'entendre Lucius prendre la défense de cet hérétique et vanter ses louanges qu'il n'y tint plus et alla le défier en duel. Cela n'arrangea guère son opinion de lui : c'était un mou, encore pire que Gaïus. En plus il manipulait bien son pouvoir bien que cela ne faisait que quelques mois qu'il l'avait reçu. Il avait fallu des années à Marius pour arriver au même niveau. Bref, tout en lui l'irritait au plus haut point, encore plus lorsque Lucius s'interposa pour protéger Lyrel. Protéger cet hérétique, c'était le comble !


La seule chose de bien qui ressortit de cette rencontre fut que Marius put partager son carrosse avec Lucius. Ils ne s'étaient plus vus depuis des mois — depuis que Lucius était bien trop occupé avec son Lyrel. Marius ne lui laissa pas l'occasion de commencer son sermon et lui sauta dessus aussitôt la porte du carrosse fermée. Pour son plus grand plaisir, Lucius se montra plus que consentant et cela calma un peu la fureur dans son cœur. Après leurs ébats, Marius aborda de nouveau le sujet de Lyrel.

« Il ne peut pas être le quatrième Archange, déclara-t'il fermement.

– Et pourquoi pas ? rétorqua Lucius en remettant de l'ordre dans sa tenue.

– Parce que c'est un humain. Ce n'est pas un des nôtres. »


Le visage de l'Archange blond se ferma.

« Qui a dit que les Archanges devaient forcément être des démons ? argua-t'il. Ce qui compte, c'est qu'il maîtrise le feu...

– Il a participé à une cérémonie satanique pour obtenir ce pouvoir ! protesta Marius. Qu'est-ce qui le différencie alors des hérétiques que nous chassons ?

– Il n'a aucun souvenir, ce qui...

– Tu le crois vraiment ? Tu crois en son amnésie ?

– Oui. »

Le regard ferme et inébranlable de son frère ne laissait place à aucune discussion. Marius laissa échapper un rire bref.

« On verra ce qu'en pense Gaïus ! » lança-t'il sans grand espoir.

Sinon ce serait à lui d'exposer la nature pervertie de ce Lyrel quoi qu'il en coûte.


Malgré cela Marius fut de bien meilleure humeur après leur session privée. Il prêta une attention particulière à ce Lyrel afin de déceler ce qui le rendait aussi spécial, toutefois il ne vit rien d'intéressant. En son for intérieur il était persuadé que ce gamin ne deviendrait jamais leur quatrième frère, cependant il faudrait laisser le temps à Lucius de s'en rendre compte par lui-même.


~*~


La confrontation entre Lyrel et le comte hérétique de Fanel changea tout : il était clair que Lyrel était bel et bien le quatrième Archange. D'un côté Marius se réjouissait de l'imminence de la Guerre Sainte car il adorait se battre. De l'autre côté l'attitude ultra-protectrice de Lucius lui laissa un goût amer dans la bouche. Pourtant Marius en était venu à apprécier le jeune homme, surtout après son séjour au Chapitre du Sud. Non seulement il était adversaire de taille une fois poussé à se battre — parfait pour se défouler ! — mais en plus il parlait la langue des démons. Et pas de la voix creuse et terne comme le Pape qui tenait tant à apprendre leur langue : Lyrel la parlait vraiment ! Cela avait joué un grand rôle dans le radoucissement de Marius à son égard.


Sauf que là, en entendant l'affection dans la voix de Lucius dès qu'il parlait de Lyrel, Marius ne connut que la jalousie.

« Tu ne serais pas amoureux par hasard ? » lança-t'il d'un ton qui se voulait léger.

Lucius ne répondit pas, ce qui était une réponse en soi. Marius se mordit les lèvres.

« Tu avais dit que tu ne voulais appartenir à personne, songea-t'il rageusement. Et lui, tu le veux ?! »

La seule chose qui l'empêcha de tuer Lyrel fut qu'il n'avait pas encore couché avec Lucius et que ce dernier semblait étrangement réticent à franchir cette barrière.

« Mais je parie que s'il te faisait signe, se dit Marius avec ironie, tu accourrais à son appel ! »


Alors il fit la seule chose qu'il pouvait encore : il obligea Lucius à s'allonger sur le bureau pour le prendre férocement. L'Archange blond se plia à ses désirs comme toujours mais étouffa ses gémissements.

« Dommage, songea Marius, j'aurais aimé que Lyrel t'entende et nous surprenne ensemble. »

Cette idée le fit rapidement jouir. Ensuite il alla se défouler sur Lyrel en le combattant. Dieu, que cela faisait du bien ! Avec le temps Marius finit par se défaire en partie de sa jalousie, surtout une fois que Lyrel fut nommé Archange et envoyé au Chapitre de l'Est, bien loin de Lucius. Les événements s'enchaînèrent alors très vite à partir de là et... la Croisade fut annoncée !


~*~


L'odeur du sang emplissait l'air des couloirs de Pandémonium. Marius jura entre ses dents : cela faisait des heures qu'il cherchait ce foutu Antéchrist et il ne trouvait toujours rien ! Des corps gisaient un peu partout, des démons mais aussi des Templiers. Marius songea que leur sang avait étrangement la même couleur. La terre des démons avait évoqué de la nostalgie en lui depuis qu'il avait posé les pieds dessus mais il refusait de se laisser envahir par ce sentiment. Oui, il était un démon et venait d'ici, cependant il avait une mission divine et des frères qui comptaient plus que tout pour lui alors il ne montrerait aucune pitié envers ces démons, comme les femmes, enfants et vieillards qu'il avait massacrés au village précédent.


Énervé et frustré, Marius alla rejoindre ses frères dans une grande salle qui leur servait de point de ralliement. Ils faisaient le point toutes les deux heures environ.

« Gaïus, tu l'as trouvé ? fit Marius en voyant son frère.

– Rien, » répondit ce dernier en secouant la tête.

Lucius arriva à son tour et sa mine défaite fit comprendre aux autres que quelque chose était arrivé.

« Tu as trouvé l'Antéchrist ? » s'enquit Marius qui ne voyait que ça.

Lucius lui lança un regard indéchiffrable avant de baisser les yeux.

« Ignatius est parti, » déclara-t'il.

Un lourd silence suivit sa déclaration, vite rompu par Marius :

« Parti ? Comment ça, il est parti ?!

– Il a trouvé l'Antéchrist mais c'est un enfant. Alors il est parti avec lui pour nous empêcher de le tuer. »


Il était difficile de savoir quelle était la nouvelle la plus choquante : l'Antéchrist était un enfant ? Et Ignatius avait choisi de le protéger en les abandonnant ? Ce dernier point ne surprit pourtant guère Marius : leur plus jeune frère avait toujours eu à cœur de protéger les enfants et avait même un de ses vœux sacrés en conséquence. Voilà pourquoi ils lui avaient caché l'autre massacre des villageois.

« Ignatius n'est plus notre frère dorénavant ! déclara soudain Lucius d'un ton rageur. Je l'ai excommunié ! »

Marius comprit que pour son frère aîné, cela avait dû être comme s'arracher le cœur.

« Ah Lucius, songea-t'il, tu avais bien raison de ne pas vouloir tomber amoureux. Regarde un peu ce que cela t'a apporté ! J'espère que tu comprends à présent ce que je ressens depuis des années. »

Même ainsi, il restait incapable de détester l'Archange de la Lumière.


« Bon, fit-il soudain, nous ne sommes plus que trois comme au début. Cela ne remet pas en cause notre mission sacrée. »

Cela lui valut un regard meurtrier de la part de Lucius.

« Pas en cause ? Je te dis qu'Ignatius est parti avec l'Antéchrist ! Tu comptes lui courir derrière ? »

Marius crut entendre une bouffée d'espoir mitigé dans le ton de son frère. Il se demanda aussi si Lucius avait vraiment tout fait pour empêcher Ignatius de partir avec l'Antéchrist ou bien s'il s'était concentré uniquement sur le fait de récupérer son frère bien-aimé. Au fond de lui il connaissait la réponse.

« Il est parti avec un gamin, rétorqua-t'il. Et ce gamin doit bien avoir un père, pas vrai ? Alors c'est le père que nous cherchons ! »

Lucius le dévisagea avec stupeur car il n'y avait pas pensé un seul instant. Dire qu'il était censé être le plus intelligent des Archanges...


Marius lui tapota l'épaule pour le réconforter.

« Allez, tout n'est pas perdu. Nous pouvons encore accomplir notre mission et revenir triomphants à Rome devant notre père.

– Mais... Ignatius... »

Le visage de Marius se durcit.

« Finalement j'avais raison à son sujet : il n'était pas vraiment des nôtres sinon il ne nous aurait jamais trahis. »

Lucius prit un air désemparé et les larmes coulèrent de ses yeux azur. Voyant cela, Marius se jura de tuer ce traître de Lyrel si jamais il le croisait de nouveau. Personne ne faisait pleurer son Lucius !

« Reprends-toi, Lucius ! fit-il d'un ton sévère. N'oublie pas que notre père compte sur nous ! »


Invoquer leur père était bien la seule chose qui pouvait tirer Lucius de son apathie. Le jeune homme blond ressuya ses larmes et acquiesça, néanmoins une part de lui restait anéantie par le chagrin.

«  Nous allons poursuivre les recherches, déclara Lucius. Nous devons faire vite : d'autres démons peuvent surgir à tout moment des environs pour nous attaquer. »

Marius hocha la tête, satisfait de le voir reprendre les choses en main. Tout irait bien. Ils allaient s'en sortir et accomplir l'œuvre du Seigneur ! Et une fois qu'ils seraient revenus de cet enfer, Marius prendrait le temps qu'il faudrait pour soigner le cœur brisé de son frère adoré.






Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
Le Prince Solitaire 7 01
La Renaissance du Suprême Immortel 351 et 352
Comment élever un sacrifice 6.02 et 6.03
Cent façons de tuer un prince charmant 322 et 323

Planning des mises à jour :
Samedi : Cent façons de tuer un prince charmant
Comment élever un sacrifice
Dimanche : La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire