PARTIE 2 : Les Vampires
Notes de Karura :
La deuxième partie débute. Concernant les vampires, n'oubliez pas qu'à la base c'était un crossover sur Hellsing entre autres. Même si énormément de choses ont changé, je suis assez contente d'avoir pu garder les vampires en tout logique !
Concernant l'accent des montagnards... En tant que lectrice, je n'ai jamais apprécié de voir des dialogues trop longs avec un accent (cf les livres de David et Leigh Eddings, entre autres). En tant qu'écrivaine, j'avoue que je me suis éclatée à écrire ça et à ressortir de bonnes vieilles expressions bien typiques. J'espère que je n'en ai pas trop fait.
Chapitre Un : Une nouvelle mission
Après un mois d'errance, Ignatius avait enfin trouvé les Pialles et en avait entamé la traversée. L'immense chaîne de montagnes se trouvait bien en direction du soleil levant alors cela ne pouvait être que les Pialles, du moins il l'espérait. Au départ l'ascension ne fut pas trop difficile. Ensuite cependant, la neige et les températures glaciales lui posèrent des soucis. Il était uniquement vêtu de la tunique noire rembourrée qu'il avait portée sous son armure, ce qui n'était guère adapté pour voyager en altitude. Heureusement il découvrit que son pouvoir du feu servait également à réchauffer son corps de l'intérieur et cela lui sauva clairement la vie. Concernant la nourriture, il s'était rationné pour faire durer le sac de vivres laissé par Kaname mais cela n'avait pas duré. Il avait bien traversé de nombreux villages mais comme il n'avait pas d'argent et refusait de voler, il était passé sans même chercher à entamer la conversation. À force de n'entendre que la langue des démons autour de lui, il se sentait encore plus seul. Par prudence, il évita soigneusement les grandes villes.
Du coup il avait cueilli des fruits en chemin et s'était même risqué une fois à pêcher du poisson et à le faire griller — il avait vu de loin des démons faire ça au bord d'un lac. Il lui fallut plus de temps pour attraper un poisson que pour le manger. Il n'était vraiment pas doué pour ça ! Par conséquent cela faisait un mois qu'il ne mangeait pas à sa faim. En plus du rythme de marche forcé, il s'était émacié et sa tunique noire flottait à présent sur lui. Ses cheveux avaient poussé jusqu'à lui arriver aux épaules. Il n'aimait pas ça — c'étaient les démons qui avaient les cheveux longs, pas lui — sauf que son épée n'était pas assez acérée pour les couper. Alors il les avait vaguement attachés en queue de cheval et ne s'en souciait plus. Une fois dans les Pialles, les villages se firent de plus en plus rares jusqu'à disparaître. Les tours et détours qu'il dut faire lui firent perdre de vue la direction de l'Est et il devait attendre le matin pour se réorienter au mieux. Il avait fini de ruminer ses pensées depuis longtemps et tout ce qui l'animait à présent, c'était de marcher, marcher et marcher...
… vers ses frères.
Une tempête de neige le surprit en après-midi. Il n'eut pas froid grâce à ses flammes intérieures mais le vent violent, la neige aveuglante et le tapis blanc dans lequel il s'enfonçait jusqu'au genou finirent par avoir raison de ses forces. Il se laissa tomber, épuisé au-delà des mots et perdit connaissance.
Il sentit quelque chose lui picoter plusieurs fois le dos puis le secouer un peu plus. Il reprit conscience de lui et de son environnement : il avait le visage enfoncé dans la neige, ses cheveux humides retombaient sur son visage et il était gelé. Son pouvoir du feu avait dû cesser d'agir à un moment ou à un autre de son évanouissement. Il le réactiva instinctivement pour se réchauffer. Il entendit alors des voix d'hommes étouffées :
« On d'vrait pas lui couper la tête ?
– Arrête, on est pas des chasseurs de monstres ! L'chef a envoyé Kord prévenir les chasseurs qu'sont passés hier. Y sauront lui régler son compte à c'te chose ! Nous, on doit juste l'surveiller s'y bouge.
– Et s'y s'réveille d'un coup et nous attaque ?
– Ben, on l'bute ! »
Les voix n'étaient pas très rassurées. Ignatius eut un sourire en entendant le langage humain, même avec cet accent à trancher. Enfin il était de retour !
Il se mit à trembler à cause de la chaleur qui se répandait dans ses membres glacés. Les deux hommes reculèrent en poussant des cris aigus. Ignatius se releva avec prudence en vérifiant l'état de ses bras et de ses jambes. Ils étaient un peu raides, ses doigts et orteils étaient plus que sûrement gelés cependant le feu qui parcourait son corps les réchauffait déjà. Cela provoquait néanmoins des picotements pas très agréables.
« Aaah ! Recule, espèce de monstre, ou on t'bute ! »
Ignatius leva les yeux et vit deux hommes vêtus de fourrures qui agitaient des piques devant eux de manière peu efficace. Il leva les mains en signe de paix. Contrairement aux démons, ces gens ne paniquèrent pas en le voyant faire ça... en tout cas ils n'eurent pas l'air plus paniqué qu'ils ne l'étaient déjà !
« Je ne suis pas un monstre, » assura-t'il de sa voix rauque.
Étrangement cela ne sembla pas les convaincre et ils agitèrent de plus belle leurs armes.
« Bouge pas ! Si t'étais un monstre, tu nous l'dirais pas de t'te façon ! »
Ignatius ne pouvait qu'approuver ce raisonnement alors il se tint tranquille. Il en profita pour regarder autour de lui et ne vit que de la neige... et des maisons au loin. Il avait dû s'écrouler près du village et les habitants l'avaient découvert une fois la tempête passée.
« Je ne suis pas un démon si c'est ce que vous craignez, reprit-il.
– Peuf, c'est pas les démons qui nous inquiètent ! » répliqua le villageois.
Cela attira son attention : il existait quelque chose de pire que les démons ?
Des bruits de galopade se firent entendre en provenance du village. Les deux gardiens d'Ignatius se tournèrent vers là, lui offrant subitement leurs dos sans protection. Il secoua la tête : s'il avait vraiment été un monstre, il aurait eu quatre occasions de les tuer depuis son réveil.
« 'Sont les chasseurs ! » s'écria l'un des deux hommes avec soulagement.
Ce qu'ils appelaient des chasseurs ressemblait plus à des soldats pour Ignatius. Vingt hommes et femmes armés arrivèrent à cheval. Ils portaient des pièces d'armures sous leurs fourrures et avaient des épées à la ceinture, tout comme des arbalètes accrochées à la selle et des haches. C'était un équipement impressionnant. Les cavaliers s'arrêtèrent à une certaine distance et cinq d'entre eux prirent leurs arbalètes pour viser Ignatius. Voilà qui était déjà nettement plus efficace, approuva-t'il intérieurement.
L'un des chasseurs mit pied à terre et s'approcha de lui, la main sur sa hache.
« Reculez, idiots ! » lança-t'il aux deux villageois d'un ton sec.
Penauds ils obéirent... en se rapprochant d'Ignatius ! Ils avaient bêtement reculé par rapport à la position où ils se trouvaient actuellement, c'est-à-dire dos à Ignatius et face à l'autre homme. Ignatius soupira et leur fit gentiment :
« Je crois qu'il voulait que vous vous éloigniez de moi. »
Les deux hommes se tournèrent, remarquèrent enfin à quel point ils s'étaient rapprochés du monstre et ils poussèrent des cris aigus avant de partir dans la bonne direction cette fois. Le chasseur fixa Ignatius avec attention.
« T'es pas un vampire, en conclut-il.
– Un vampire ? C'est quoi ? »
Cependant le chasseur l'ignora et poursuivit son examen.
« Même si t'venais juste de renaître, tu n'resterais pas aussi calme. Et pis avec ces deux cloches... Nan, t'es humain, sûr de sûr. »
Cette simple affirmation toucha Ignatius.
« Merci, » fit-il avec sincérité.
L'homme fut surpris de sa réaction. Il baissa sa hache et fit signe à ses hommes de baisser leurs armes aussi. Puis il lui tendit la main.
« J'm'appelle Gérand, chasseur de vampires, se présenta-t'il. Et toi ?
– Ig... Lyrel, » se reprit-il en serrant la main.
Il ne pouvait plus porter son nom d'Archange et dans la précipitation, il était revenu à son premier nom même s'il ne l'appréciait pas plus. Il n'avait jamais vraiment été Lyrel, il n'était plus Ignatius... Quelle identité lui restait-il alors ?
Gérand haussa un sourcil devant son hésitation mais ne commenta pas.
« D'où tu viens comme ça, Lyrel ? On est en pleine montagne, y a eu une rude tempête. T'es pas assez habillé pourtant t'es à peine froid au toucher. »
L'homme l'avait donc testé même en lui serrant la main. Lyrel ne sut que dire. Il se refusait à mentir, comme toujours.
« Je viens du royaume des démons, » avoua-t'il.
Cela ne provoqua pas l'agitation à laquelle il se serait attendu. Gérand prit juste un air dubitatif.
« Ben tiens ? T'aurais traversé les Pialles tout seul et fringué comme ça ?
– Oui. »
Devant le regard insistant de l'autre homme, il se sentit obligé d'ajouter :
« Je ne ressens pas trop le froid, j'ai naturellement chaud. »
Gérand éclata tout à coup d'un grand rire tonitruant.
« Alors ça ! J'sais pas c'que t'es, Lyrel, mais t'es tout sauf ordinaire ! Bon nous, y a que les vampires qui nous concernent alors p'importe !
– C'est quoi les vampires ? » redemanda le jeune homme.
Le soldat soupira.
« T'es pas du coin, c'est-y sûr. Les vampires, 'sont des créatures d'la nuit qu'attaquent les gens pour boire leur sang. 'Sont des saletés capables de détruire des villages entiers en un clac !
– Je n'en ai jamais entendu parler.
– Y sont que chez nous. Y s'aventurent pas dans les plaines. Not' boulot, c'est d'les buter avant qu'y fassent du mal. »
Pendant leur discussion, de plus en plus de villageois curieux s'étaient attroupés derrière les chasseurs. Gérand leur fit signe de la main et s'écria de sa voix forte :
« L'est pas un vampire ! »
Les villageois restèrent clairement sceptiques.
« Alors comment l'a fait pour survivre à la tempête ? lança l'un d'eux. Z'avez-vous ses fringues ? L'aurait dû geler jusqu'aux os ! »
Des murmures approbateurs s'ensuivirent. Gérand fit une grimace.
« Bon mon gars, fit-il à Lyrel, t'ferais mieux d'partir avec nous. Ces gars-là, y vont te lyncher dès qu'on sera partis. Qu'ess t'en dit ? »
Lyrel n'hésita pas trop avant d'acquiescer. Gérand annonça la décision aux villageois qui ne se départirent pas de leur méfiance. Cependant ils étaient bien soulagés qu'on les débarrasse de cet homme, monstre ou pas. Les chasseurs restèrent imperturbables à l'annonce de leur chef. Gérand se remit en selle et tendit la main à Lyrel pour qu'il monte derrière lui. Ils quittèrent le village dans un silence glacial.
Ils galopèrent sans s'arrêter jusqu'au campement des chasseurs où se trouvaient vingt autres personnes. À présent qu'ils n'étaient plus en présence des villageois et d'une insurrection potentielle, les chasseurs n'hésitèrent pas à exprimer leur opinion en descendant de cheval.
« P'tain Gérand ! fit une femme. T'nous as fait quoi là ?! On récupère tous les errants maint'nant ?
– Z'allaient le buter quand on serait partis, se défendit Gérand. J'pouvais pas laisser faire ! »
La femme renifla de mépris puis lança un regard noir à Lyrel qui la fixa de ses grands yeux verts impassibles.
« L'est pas un vampire, c'est-y sûr, reconnut-elle, mais l'est pas normal non p'us ! J'le sens pas, c'gars !
– J'ai pas dit qu'y resterait, se défendit Gérand. On lui file un repas, un manteau puis y continue son chemin où y veut. »
Lyrel n'était pas familier avec leur accent mais il commençait à se faire à la sonorité.
« Allez Tingla, fit une autre femme du campement. T'sais que Gérand a bon cœur. Y pouvait pas laisser c'jeunôt s'faire buter.
– S'y nous crève tous pendant not' sommeil, ce sera vot' faute ! » s'énerva Tingla en partant rageusement.
Gérand se gratta le crâne et Lyrel intervint :
« Je ne veux pas vous créer d'ennuis. Je peux partir tout de suite.
– Oh nop, mon gars, t'en fais pas pour Tingla ! El' fait jamais confiance à personne. Reste manger un bout, t'as que la peau sur les os. »
Lyrel lui sourit.
« Merci pour votre hospitalité, Gérand, et aussi pour votre aide. »
Le chasseur prit un air gêné.
« Bah, t'es un bon gars, j'l'ai tout d'suite senti ! »
La femme qui était intervenue dans la dispute entre Gérand et Tingla se nommait Aria et elle prit Lyrel en charge. Elle semblait d'ailleurs gérer la nourriture et les équipements. Elle le plaça devant un bon feu et lui mit un bol de soupe entre les mains sans lui laisser le temps de protester. Puis elle alla chercher un manteau en fourrure un peu défraîchi mais sans aucun trou pour le mettre sur ses épaules.
« V'là ! fit-elle d'un air satisfait. T'as l'air bien mieux maint'nant ! »
Le froid n'était pas un problème, par contre Lyrel apprécia la nourriture chaude et consistante. D'ailleurs son estomac exprima bruyamment son contentement et son envie d'en avoir encore lorsqu'il finit le bol. Arial sourit et le resservit. Tout en mangeant son second bol, Lyrel observa le campement qui consistait en plusieurs tentes. Certains chasseurs vérifiaient l'état de leurs armes pendant que d'autres préparaient la nourriture ou s'entraînaient. Il y avait une majorité d'hommes avec pourtant quelques femmes qui maniaient également les armes. Malgré cela ils ressemblaient vraiment à des soldats et la familiarité de ces scènes fit monter un sourire nostalgique aux lèvres du jeune homme. Quelques chasseurs avaient gardé un œil méfiant sur lui mais, voyant qu'il ne présentait aucune menace actuellement, ils reprirent leurs activités.
Après avoir réglé quelques affaires, Gérand vint s'asseoir en face de Lyrel et l'observa.
« C'est bien, t'as repris des couleurs, approuva-t'il. T'm'étonnes que ces péquenots t'avaient pris pour un vampire, t'étais blanc comme un mort ! Bon, t'vas où comme ça ?
– À Dornim, » répondit-il.
C'était là que se trouvait le Chapitre de l'Ouest, le plus proche des Pialles et aussi le Chapitre de Lucius. Gérand siffla doucement.
« Ben dis donc, c'est l'bout du monde ! Et qu'ess... »
Sa question fut interrompue par un cavalier qui fit irruption dans le campement.
« Un vampire ! s'écria l'homme avec urgence. Y a un vampire à Tallia !
– P'tain, jura Gérand. On y était y a deux jours et y avait rien ! Ces saletés, j'te jure ! »
Il se leva en s'époussetant les genoux.
« Tous les chasseurs du groupe deux, on s'prépare ! » ordonna-t'il d'un ton de commandement.
Lyrel se leva à son tour.
« Je veux vous accompagner, » proposa-t'il.
Gérand lui épargna à peine un regard.
« T'es pas en état mon gars et t'a jamais combattu d'vampires.
– Je suis en état, objecta-t'il fermement, et je ne suis pas un gars : je suis Templier et ma vocation est de combattre le mal où qu'il se trouve ! »
Cela attira l'attention de Gérand ainsi que d'autres chasseurs autour.
« Un moinillon, tiens donc ! Bon, t'es sûr de toi, mon gars ? On t'protégera pas si t'es dans la mouise.
– Je ne vous le demande pas, assura Lyrel. Par contre vous pouvez compter sur moi si vous êtes dans la... mouise. »
Gérand le regarda d'un air stupéfait puis éclata de rire.
« D'accord, t'viens avec ! »
Le village de Tallia se trouvait à moins d'une heure à cheval. Quand les chasseurs arrivèrent, personne n'était en vue. Il y avait cependant des traces de fuite précipitée : les portes des maisons étaient grandes ouvertes, des affaires traînaient au sol, etc.
« J'ai dit qu'y s'réfugient dans l'église, fit l'homme venu les prévenir.
– Les vampires respectent donc les lieux saints ? » s'enquit Lyrel.
Le chasseur près de lui pouffa de rire.
« Y respectent rien, ces monstres, mais ici les églises sont bâties pour résister à une invasion ! »
Lyrel hocha la tête. Il repéra soudain des corps plus loin et les signala.
« Saletés ! » jura Gérand en les retournant.
C'étaient des villageois morts. Leurs visages étaient blêmes et figés dans un rictus d'effroi. Ils portaient des lacérations horribles et leurs intestins étaient répandus dans tous les sens comme si une bête sauvage les avait attaqués. Toutefois un animal n'aurait pas laissé de la bonne viande.
« Marn, Dérion, » fit Gérand en désignant les corps.
Deux chasseurs s'approchèrent et brandirent leurs haches. Sous le regard stupéfait de Lyrel, ils décapitèrent les corps. Le jeune homme commença à protester :
« Quel outrage ! De quel droit vous... »
Un des chasseurs le rabroua en lui donnant un rude coup de poing dans le bras.
« La ferme, l'nouveau. On sait c'qu'on fait. »
Lyrel se tut, toutefois la consternation et la colère ne disparurent pas de son visage. C'était de la profanation de corps ! L'Église interdisait cela car les corps devaient être enterrés intacts afin d'arriver purs au Paradis. Il savait bien qu'il ne comprenait pas toute la situation alors il n'intervint plus. En lui-même, il espérait sincèrement qu'il y avait une bonne raison à cette barbarie et que ce n'était pas des superstitions montagnardes.
Le reste des chasseurs descendirent de cheval et les attachèrent à une barrière en bois à l'entrée du village. Ils laissèrent deux des leurs surveiller les montures puis se séparèrent dans les rues pour converger progressivement vers l'église dont le clocher surmonté d'une croix était bien visible en périphérie du village. Lyrel suivit Gérand en gardant la main sur son épée. Il était à l'affût d'une menace éventuelle sans savoir vraiment ce qu'ils pourchassaient. Ils entendirent soudain des tirs d'arbalètes puis des cris d'agitation. Gérand reconnut aussitôt la voix de ses hommes et se dirigea vers eux, suivi par Lyrel et d'autres chasseurs. Au détour d'une ruelle ils tombèrent sur trois chasseurs à terre. L'un d'eux perdait énormément de sang.
« C'est une femme ! fit un des chasseurs moins gravement atteint en pressant la plaie de son compagnon. L'est coriace, faites gaffe ! »
Le regard de Lyrel s'arrêta alors sur le mur d'une des maisons : un carreau d'arbalète était planté dedans et enfoncé dans un bras. Il fixa la scène, confus. Les autres ne paraissaient cependant pas étonnés.
« L'bras en moins, ça va just'un peu la ralentir, nota Gérand. Fait' passer l'mot !
– Hum... elle ne va pas bientôt mourir sans son bras ? » s'enquit Lyrel.
L'homme secoua la tête.
« Ces saletés peuvent perdre deux ou trois membres, y vivent encore. Z'ont p'us de sang comme nous, c'est pour ça qu'y boivent l'nôt'. »
C'était de plus en plus étrange, néanmoins Lyrel était prêt à croire les paroles de Gérand. En plus malgré le membre coupé, il n'y avait que très peu de sang sur le mur et au sol. Normalement il y aurait dû y avoir une mare de sang ou même des traînées par terre.
Les chasseurs blessés furent pris en charge par le soigneur du groupe et les autres reprirent leurs recherches dans le village. Dès qu'ils trouvaient d'autres corps, ils leur faisaient subir le même sort qu'aux premiers : la décapitation. Lyrel se pinça les lèvres mais ne protesta plus. Il demanderait des explications à ce sujet plus tard.
« Vampire ! Vampire ! » entendit-il hurler à deux rues de là.
Il courut avec les autres dans cette direction. Des sifflements de flèches se firent entendre ainsi que des grognements d'animaux.
« On la tient ! Faites gaffe ! »
Il y eut encore des flèches. Lyrel arriva au moment où les chasseurs abattaient leurs haches sur un corps à terre. Il se figea : ce qu'il voyait, lui, c'était quatre hommes en train de massacrer une pauvre femme sans défense. Son instinct et ses vœux sacrés lui hurlaient de prendre la défense de la malheureuse néanmoins il se retint. Les chasseurs ne lui avaient pas semblé être des brutes sauvages. Comme pour les décapitations, ils avaient certainement une bonne raison d'agir ainsi. Si ce n'était pas le cas... il serait toujours temps d'agir ensuite.
« L'est morte ! » annonça un des chasseurs.
Les quatre hommes s'écartèrent du corps et Lyrel ne vit que le corps démembré et en charpie. Ils n'y étaient pas allés de main morte cependant un tel acharnement n'était pas logique. Interdit, il vit Gérand lui faire signe d'approcher.
« T'voulais voir un vampire, mon gars. En v'là un, ton premier vampire ! »
Il s'avança avec précaution, ses bottes évitant les membres et bouts de chair épars. Gérand retourna du pied la tête brune détachée du corps pour qu'il la voie et Lyrel se figea : la bouche était couverte de sang, le visage blafard mais ce qui choquait le plus, c'étaient les yeux rouge sang grands ouverts. Il écarquilla les yeux. Cette couleur était plus qu'anormale et il put sentir les Diables s'agiter en lui pour la première fois depuis qu'il avait quitté Kaname.
« Abomination, sifflèrent-ils d'un ton écœuré
– Chut, » leur intima-t'il à voix basse.
Il se pencha pour voir de plus près.
« Fais gaffe, lui conseilla Gérand. On est jamais assez sûr qu'ces choses soient bien crevées ! »
Il acquiesça et maintint une distance de sécurité. Le vampire était une femme d'environ quarante ans et vêtue comme une villageoise. À part ces yeux rouges, rien ne l'aurait différenciée d'un être humain. Lyrel nota des traces de terre sur ses vêtements et aussi de sang. Cela lui rappela quelque chose et il recula d'un pas : malgré la boucherie, il n'y avait presque aucune trace de sang. Cela avait déjà été le cas avec le bras coupé — d'ailleurs c'était bien celui de la femme car Lyrel ne voyait qu'un seul bras ici. Il y avait aussi une odeur de mort qui se dégageait du corps et pas une mort récente. Dans la Géhenne, les cadavres en décomposition dégageaient la même odeur.
Pendant ce temps, les chasseurs allèrent prévenir les villageois qu'ils pouvaient quitter l'église. Les lamentations remplirent l'atmosphère quand ils virent les nombreuses victimes qui avaient été des amis, des proches ou des voisins. Le cœur de Lyrel se serra et il se détourna de la contemplation morbide du vampire. Ces montagnes étaient habitées par un véritable fléau. C'était étrange que l'Église n'en ait jamais été avertie. Ils pourchassaient les démons et les hérétiques, alors pourquoi pas aussi les vampires ? Lyrel inspira brusquement. Se pouvait-il que sa présence en ces lieux soit la volonté du Seigneur ?
« Hé mon gars ! le héla Gérand. T'as bien dit qu't'étais prêtre, hein ?
– Oui. »
Il avait été ordonné en même temps qu'il était devenu Archange et même si Lucius l'avait excommunié, ce n'était pas encore officiel. En plus Lyrel venait de réaliser que le Seigneur avait peut-être placé ces épreuves sur son chemin pour le faire arriver ici.
« Leur prêtre est crevé, poursuivit Gérand. T'veux bien faire l'sacrement des morts ?
– Bien sûr. »
Le moins qu'il pouvait faire, c'était de dire une prière pour ces pauvres âmes mortes dans la terreur et la souffrance. Il arpenta les rues du village et s'agenouilla auprès des défunts pour prier avec les villageois. Cela leur apporta un peu de réconfort malgré cette terrible épreuve. Lyrel se rendit compte que le rôle d'un prêtre dans un village était essentiel. Il faisait le lien entre le Seigneur et ses croyants. Il était également là pour les soutenir et les réconforter dans toutes les moments de leur vie. Cela semblait nettement plus utile que d'être un Templier et Lyrel se demanda un moment s'il ne s'était pas trompé de vocation. Mais ces interrogations attendraient. Lyrel s'enquit du nom de chaque décédé. Il découvrit des corps non décapités et les signala aux chasseurs. Arrivés à l'un d'eux, les villageois qui l'accompagnaient se figèrent soudain.
« C'est... C'est l'Bort, murmurèrent-ils. Mais l'est crevé y a un'semaine... »
Lyrel lança un regard perplexe au cadavre qui ouvrit soudain des yeux rouges comme le sang et se rua sur eux à une vitesse incroyable !
Avant même que les villageois n'aient eu le temps de hurler, Lyrel dégaina son épée et l'enfonça dans le cœur de la créature. Ce dernier poussa un râle mais balança un revers de main contre Lyrel d'un geste presque négligent. Les ongles entaillèrent sa peau comme des griffes. Il recula d'un pas tout en criant aux villageois de s'enfuir. Cependant ils n'avaient pas attendu sur lui pour s'éparpiller et prévenir les chasseurs. Lyrel regarda le vampire qui avait toujours son épée plantée dans la poitrine : cela ne semblait guère le déranger. La créature lécha ses doigts couverts du sang du jeune homme et ses yeux rouges s'illuminèrent vraiment. Puis le vampire se rua de nouveau sur lui à toute vitesse. Or Lyrel avait toujours été plus rapide et plus fort que les gens ordinaires. C'était essentiellement durant les combats qu'il se servait de cet avantage. Là, il put esquiver l'attaque et il saisit le bras du vampire pour le basculer violemment contre un mur, la tête en avant. Le corps s'enfonça dans les briques en laissant une marque. L'épée fut pressée entre le mur et le vampire, du coup elle le transperça presque entièrement, jusqu'à la garde.
Pourtant le vampire s'agitait encore. Lyrel maintint donc la pression sur sa tête et son dos, évitant les bras qui s'agitaient en arrière pour chercher à le déchiqueter. Il dut user de toutes ses forces pour ne pas laisser s'échapper la créature. Les chasseurs arrivèrent en fin et restèrent interloqués devant ce spectacle inédit : un humain arrivait à immobiliser un vampire à main nue ! Gérand leur lança un ordre bref et ils se ressaisirent. Deux des chasseurs se positionnèrent de chaque côté de Lyrel pour couper les bras du vampire puis ses jambes. Ils dirent alors à Lyrel de lâcher la tête. Le tronc retomba lourdement au sol et l'un des chasseurs ne perdit pas de temps et le décapita. Le corps s'agita encore un moment avant de cesser de bouger. Lyrel s'adossa contre le mur pour reprendre son souffle.
Gérand s'approcha soudain de lui et lui donna une bonne tape dans le dos.
« P'tain, t'as des couilles mon gars !
– Euh... merci ? » fit-il, pas certain de la signification.
Les autres chasseurs le dévisagèrent avec incrédulité et suspicion.
« L'a tenu un vampire à lui tout seul, cracha l'un d'eux. C'est-y normal ?!
– Ta gueule, Marn, répliqua Gérand. On a d'jà vu des vampires faibles. Et pis regarde c'grand gaillard ! L'a de la force et des couilles ! »
En effet Lyrel dépassait tous les chasseurs. Un autre chasseur revint :
« C'est bon, j'ai compté les tombes ouvertes : y en avait qu'deux. »
Gérand cracha par terre.
« On aurait dû faire ça tout d'suite. Et pis pourquoi qu'y avait encore des cadavres entiers ? Qui c'est-y qui d'vait vérifier c'coin ? »
Les chasseurs se regardèrent entre eux mais personne ne se dénonça.
« Bon, fit Gérand sans insister. Alors heureuz'ment qu'l'était là. Vous voyez, j'ai bien fait d'le prendre avec ! »
Et il redonna une vigoureuse claque dans le dos de Lyrel.
Une fois tous les corps vérifiés et bénis, les chasseurs se regroupèrent près des chevaux. Un des villageois tendit une bourse à Gérand, son visage rempli de gratitude.
« Merci Chasseur. Sans vous, ces foutus vampire nous auraient tous saignés ! On a pas grand-chose mais c'est à vous.
– Ça ira, v'z'en faites pas. »
Les chasseurs quittèrent le village pour regagner leur campement à un rythme plus tranquille. Il n'y avait eu qu'un blessé grave qui était transporté sur une civière en bois tirée par un cheval. Les autres étaient moins gravement touchés. Pour les chasseurs, cela avait été une bonne mission : éliminer deux vampires sans aucun mort. Lyrel récupéra son épée et constata l'absence de sang sur la lame alors qu'il l'avait enfoncée droit dans le cœur d'une personne ! Et cela n'avait pas suffi à la tuer !
À cheval derrière Gérand, Lyrel en profita pour l'interroger :
« Dites-moi, ils viennent d'où ces vampires ?
– Ah, t'avais jamais vu ça mon gars, hein ? »
Il secoua la tête, ses cheveux brun foncé s'agitant sous le mouvement.
« 'Sont les morts qui reviennent à la vie, possédés par des monstres buveurs de sang. »
Lyrel lui lança un regard incrédule. Gérand écarta les bras.
« T'as pourtant bien vu, non ? Y faisaient partie du village avant. Y sont sortis de leurs tombes.
– Les morts se réveillent et tuent les gens qu'ils connaissaient pour boire leur sang ? résuma Lyrel d'un ton dubitatif.
– J'sais qu'c'est dur à avaler mais c'est comme ça. On sait pas pourquoi ça arrive.
– Alors c'est pour ça que vous avez tenu à décapiter les corps ?
– Yep, pour éviter qu'y deviennent des vampires. »
Lyrel se dit que cela tombait sous le sens... à condition que ces monstres existent vraiment !
« Ça fait longtemps qu'il y a ces... vampires ? »
Le chef des chasseurs prit une mine pensive.
« Y a toujours eu des histoires, fit-il. Quelques vampires par-ci par-là. Mais d'puis un siècle, c'est de pis en pis. Y se passe pas une semaine sans qu'on ait plusieurs vampires. J'sais pas c'qui arrive mais ça sent mauvais.
– Un siècle ? Mais je n'ai jamais entendu parler de vampires chez nous !
– J'crois qu'y sont qu'ici, dans nos Pialles. »
Voilà qui est encore plus suspect. Lyrel ne pouvait pas nier ce à quoi il avait assisté dans le village cependant il voulait être sûr de bien comprendre. Il était désormais devenu bien méfiant.
« Depuis un siècle, l'Église n'a envoyé personne pour vous aider ? s'étonna-t'il. Vous n'avez pas prévenu le Chapitre de l'Ouest ? »
Si Lucius avait été averti, il aurait sûrement pris des mesures.
Gérand cracha par terre.
« L'Église, tu parles ! On est trop loin pour eux, y viendront jamais ici ! Toi d'ailleurs, t'fous quoi ici ? T'as dit qu't'étais chez les démons, c'est-y pas vrai ?
– Oui, c'était pour la Croisade. »
Gérand lui renvoya un regard vide. Les chasseurs autour d'eux écoutaient la conversation et ne comprenaient pas plus de quoi il parlait.
« La quoi ?
– La Guerre Sainte, » expliqua Lyrel.
Il réalisa que ces gens n'étaient absolument pas au courant. Les Pialles étaient véritablement isolées du reste du monde !
« Le Pape a envoyé les Templiers au royaume des démons afin que nous tuions l'Antéchrist. »
Quelqu'un se mit à rire mais Gérand lui lança un regard noir et l'homme se tut. Lyrel soupira. Il comprenait que d'autres trouvent ça ridicule.
« Et alors ? s'enquit poliment Gérand. L'avez buté ?
– Non, fit-il sans rentrer dans les détails. Nous avons tués beaucoup de démons par contre.
– Bah c'est pas les démons qui nous emmerdent. Ton Pape aurait mieux fait d'vous envoyer ici pour buter les vampires !
– Oui, vous avez raison, reconnut Lyrel. Cela aurait été plus utile. »
Il réagit alors :
« Vous voyez souvent des démons ?
– Pas d'ce côté. Mais d'l'autre côté des Pialles, si tu descends plus dans la plaine, y a quelques villes de démons juste au pied des montagnes. Y viennent pas si haut par contre. »
Les Pialles restaient vraiment la barrière la plus efficace entre les démons et les humains.
« Dis mon gars, t'as déserté ? » fit soudain Gérand en se tournant vers lui.
Lyrel tressaillit. Gérand l'avait percé à jour.
« Oui, admit-il. Les horreurs que j'ai vues là-bas...
– Y sont si affreux que ça, les démons ?
– Ce ne sont pas les démons qui m'ont horrifié. »
Il n'avait pas l'intention d'en dire plus, cependant Gérand le surprit une fois de plus par sa compréhension.
« J'vois. J'ai d'jà fait la guerre alors j'sais comment ça s'passe.
– Oh, c'est pour ça que vous avez entraîné vos hommes comme des soldats, comprit Lyrel.
– Et c'est comme ça qu'on tient l'coup contre les vampires. Y a d'autres chasseurs mais nous, on est les p'us efficaces ! »
Lyrel hocha la tête et ne dit plus rien de tout le reste du trajet, plongé dans ses pensées.
De retour au campement, Lyrel avait pris sa décision.
« Gérand, fit-il quand ils descendirent de cheval, vous accepteriez que je me joigne à vous ? Je veux vous aider. »
L'homme lui lança un regard acéré.
« T'es sûr ? J'croyais qu'tu devais aller à Dornim.
– C'est que... je ne suis pas sûr de l'accueil qu'on m'y fera, avoua-t'il d'un air attristé. Je préfère encore rester vous aider, ça me donnera l'impression d'être utile.
– Mmm, t'as fait tes preuves aujourd'hui, mon gars. On est jamais trop nombreux contre c'te racaille. Yep, j'te prends. »
Gérand devait avoir une grande autorité sur ses chasseurs car il prit la décision sans consulter personne. Autour d'eux certains chasseurs firent la grimace en entendant ça mais ils gardèrent leur opinion pour eux.
Quant à Lyrel, même s'il regrettait de ne pas pouvoir rejoindre Lucius tout de suite, il se dit qu'il ne pouvait pas laisser ces gens combattre seuls ces abominations. Les démons n'étaient finalement pas les monstres qu'il avait cru mais les vampires, eux, étaient bien monstrueux, pas de doute là-dessus. Alors en les exterminant, il accomplirait de nouveau la volonté de Dieu et expierait pour ses péchés. Quand il aurait suffisamment œuvré pour racheter son crime, il pourrait alors se présenter de nouveau devant Lucius la conscience tranquille. Du moins il l'espérait.
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