Le Prince Solitaire 2 02

Chapitre Deux : Les Chasseurs


L'enrôlement de Lyrel en fut pas unanimement accepté, cependant les chasseurs étaient bien trop disciplinés pour critiquer ouvertement leur chef. Ceux qui étaient présents à Tallia s'empressèrent de raconter le combat de Lyrel aux autres, déformant immanquablement l'histoire, et bientôt tout le campement lui lança des regards admiratifs, intrigués ou méfiants selon les réactions. La majeure partie des chasseurs fit tout de même bon accueil au jeune homme. Il y avait des hommes comme des femmes de tout âge. Tous venaient des Pialles et s'étaient engagés à combattre les vampires, chacun pour diverses raisons : certains avaient perdu des êtres chers à cause de ces monstres, d'autres voulaient de l'action, d'autres encore voulaient venir en aide aux gens et il y en avait certains pour qui c'était un moyen comme un autre de gagner sa vie. Effectivement les chasseurs intervenaient contre rémunération. Toutefois Gérand n'avait pas pour habitude de faire payer les villageois plus qu'ils ne le pouvaient. Les autres chasseurs admiraient son sens moral. Et s'il y avait des mécontents, ils étaient libres de partir rejoindre un autre groupe de chasseurs moins scrupuleux.

« Il y a beaucoup d'autres groupes de chasseurs ? » s'enquit alors Lyrel pour se faire une idée précise de la situation.

Les Pialles étaient vastes, du coup il y avait de la place pour plusieurs groupes. Il y avait cinq groupes principaux dont celui de Gérand, les Loups, et plusieurs dizaines de groupes moins nombreux et moins organisés. Parfois des querelles se produisaient entre les groupes quand ils voulaient intervenir au même endroit mais le plus souvent, ils cherchaient à éviter les confrontations. Ils avaient déjà fort à faire avec les vampires sans en plus se battre entre eux ! Et cela d'autant plus que les apparitions de vampires s'étaient multipliées ces dernières décennies, comme l'avait dit Gérand. Hélas, ce n'était pas l'avis de tous les chefs de chasseurs.

« Gérand est réglo, confia un des chasseurs à Lyrel. Avec lui, t'risques pas d'finir en appât ! »

C'était la pratique dans quelques groupes : les nouvelles recrues étaient envoyées en avant pour servir de leurre et attirer les vampires. Si elles survivaient, tant mieux et elles étaient alors intégrées au groupe. Sinon... Lyrel secoua la tête devant de telles horreurs. La vie semblait bien rude dans les montagnes.


Le jeune homme en profita également pour se couper les cheveux. Il n'avait pas eu d'autre choix que de les laisser pousser ces dernières semaines mais il souhaitait à présent retrouver la coupe habituelle des Templiers. Des chasseurs le taquinèrent :

« Tu d'vrais les laisser longs, conseillèrent-ils, et même t'laisser pousser la barbe. Ça tient chaud ! »

En effet presque tous les hommes du groupe étaient barbus. Cependant Lyrel ne craignait guère le froid grâce à son pouvoir du feu. Pour les cheveux, il n'aimait pas les voir longs de toute façon. C'était pour les femmes ça. Il repensa aux démons : il avait noté que tous portaient les cheveux longs, indifféremment du genre. C'était une pratique qu'il ne comprenait pas et qu'il ne voulait pas suivre de toute manière.


On lui prêta un poignard bien aiguisé et il se mit à se tailler les cheveux près du feu. Une des femmes poussa un cri écœuré en le voyant faire et lui ordonna d'arrêter le massacre. Elle revint avec des ciseaux et s'occupa de lui couper les cheveux.

« J'le faisais tout l'temps avec mes frangins, confia-t'elle. T'auras une meilleure tête, crois-moi ! »

Lyrel observa ses mèches tomber une par une. Il en attrapa une en fronçant les sourcils. C'était peut-être son imagination mais est-ce que ses cheveux n'avaient pas foncé ? Bon, il ne prêtait guère attention à son apparence et n'utilisait jamais de miroir, cependant il se souvenait que sa sœur Grisèle avait commenté une fois qu'ils avaient la même couleur de cheveux. Les cheveux de la jeune fille étaient châtain clair. Ceux qu'il tenait entre ses doigts étaient brun foncé.


« C'est normal que les cheveux foncent avec l'âge ? se risqua-t'il à demander à sa coiffeuse.

– Yep, j'ai d'jà vu ça chez mes frangins. Z étaient blonds à la naissance, z ont fini plus foncés.

– Ah, » fit-il, rassuré.

La chasseuse, qui s'appelait Solène, finit son œuvre et lui tendit un miroir rudimentaire. Il en profita pour se regarder mais c'était un étranger qu'il voyait dans le miroir. Il n'était pas du tout familier avec son apparence physique. Il nota que ses yeux étaient vert clair, son visage un peu trop maigre et pâle — la conséquence de ces dernières semaines — et qu'il avait des cernes sous les yeux. Sinon la coupe de Solène était comme il le souhaitait, les cheveux peut-être encore un peu trop longs pour un Templier mais c'était toujours mieux qu'avant.

« Merci Solène, fit-il en lui rendant le miroir.

– Pas d'souci, mon beau, répondit-elle avec un clin d'œil. Si t'as besoin d'aut' chose, hésite pas à m'demander ! J'adore t'écouter causer avec ton accent bizarre. »

Elle rejoignit un autre groupe en pouffant.


Lyrel s'initia aussi au maniement de l'arbalète et de la hache, des armes pas du tout employées par les Templiers. L'arbalète était bien plus puissante et à plus longue portée qu'un arc cependant plus difficile à recharger. C'était l'arme idéale pour immobiliser les vampires de loin à condition de viser correctement. La hache servait à faire un maximum de dégâts en démembrant les corps et en coupant les têtes. En fait l'épée ne servait pas à grand-chose contre un vampire. Les chasseurs se servaient aussi de filets lestés de pierres. Quand ils en avaient le temps dans un village, ils creusaient des fosses hérissées de piques afin de piéger les vampires. Les tactiques étaient fiables. Ils connaissaient leur métier et le transmirent progressivement à Lyrel.


Dans le campement, on se répartissait équitablement les corvées. Lyrel dut ainsi apprendre à chasser, cuisiner, nettoyer, laver le linge, etc. Comme il s'était rendu compte durant son séjour au royaume des démons de l'importance de toutes ces choses, il ne rechigna pas à mettre la main à la pâte et apprit très vite. Le campement se déplaçait toutes les semaines suivant les apparitions de vampires. L'objectif était de couvrir un maximum de terrain et d'aller au plus proche des villages souvent isolés afin de ne laisser échapper aucun monstre. Les semaines défilèrent ainsi. Le seul regret que pouvait avoir Lyrel était de ne pas pouvoir contacter l'Église ou le Chapitre de l'Ouest afin d'avoir des nouvelles des Templiers et de leur demander des renforts. L'éloignement et l'isolement des Pialles n'aidaient pas.


~*~


« Groupe trois, on a signalé un vampire à Élana. Préparez-vous ! »

C'était le groupe de Lyrel. Gérand organisait des tours pour les chasses de manière à ce que les hommes puissent récupérer entre deux vampires. Mais si jamais on signalait un nombre trop important de vampires, là le vétéran faisait appel à tous ses chasseurs valides. Depuis l'arrivée de Lyrel, soit trois mois, cela ne s'était pas encore produit. Les vampires étaient de nature solitaire et pas du tout organisés. Il était rare qu'il en apparaisse plusieurs d'un coup et même si cela arrivait, en général ils s'ignoraient pour tuer chacun de leur côté.


Les Loups se rendirent à cheval à Élana. Le temps s'était radouci et comme ils se trouvaient actuellement à basse altitude, la neige avait fondu pour laisser place à des plaines verdoyantes. Le village d'Élana se trouvait à flanc de montagne avec des troupeaux de chèvres et de vaches pour faire vivre ses habitants. Les chasseurs virent des bêtes éviscérées sur la route.

« Les vampires ne s'nourissent pas qu'des humains, expliqua Alban, un chasseur plus âgé qui avait pris Lyrel sous son aile. Tout c'qu'y a l'sang chaud, ça leur va.

– Dommage qu'ils ne se limitent pas aux animaux alors, » commenta Lyrel.

Ils arrivèrent dans le village et le chef se hâta de leur expliquer la situation : le vampire n'était pas un nouveau venu. Cela faisait des jours qu'il tuait dans les environs, une ou deux personnes seulement à la fois. Des enfants du village avaient aussi disparu mais on n'avait pas retrouvé leurs corps.


« L'est malin, commenta Alban à l'intention de Lyrel. Y sera p'us dur à buter. »

Plus les vampires étaient vieux, plus ils acquéraient une sorte d'intelligence et de ruse, tel un prédateur. Voilà pourquoi il valait mieux les tuer dès la sortie de la tombe quand c'était possible.

« L'a tué la pauvre Alma y a deux jours, se lamenta le chef. Y va pas tarder à r'venir.

– On va s'en occuper, assura Gérand. L'avez vu ? C'est-y un des vôt' ?

– Nop, jamais vus. Et not' cimetière est intact. L'es pas des nôt '. »

Le chef du village semblait ne pas en être à son premier vampire. Il donna des renseignements utiles aux chasseurs et avait déjà fait vérifier le cimetière. Cela en disait long sur l'étendue de ce fléau dans les montagnes.


Gérand ordonna de creuser des fosses autour du village avec des piques. Les chasseurs s'installèrent de manière bien visible et n'eurent plus qu'à attendre. Les vampires pouvaient attaquer de jour comme de nuit, cependant ils préféraient souvent la nuit pour y trouver des proies isolées. Ce n'était que lorsqu'ils venaient de sortir de la tombe qu'ils étaient assoiffés au point d'attaquer sur-le-champ et en pleine rue, comme ce qui était arrivé à Tallia. La première nuit, les villageois restèrent donc bien à l'abri tandis que les Loups patrouillaient dans le village. Aucune mort ne fut à déplorer et le vampire ne se manifesta pas.

« Parfois si l'est intelligent, y s'barre dès qu'y voit d'la résistance, fit Alban à Lyrel. On les coince pas t'jours mais au moins l'village est peinard. »


Le lendemain par contre, un enfant de douze ans ne rentra pas tandis qu'il devait garder le troupeau familial un peu loin du village. Les Loups comme les villageois cherchèrent autour du pré mais ne trouvèrent pas de corps. Cela pouvait être un accident comme il en arrivait dans les montagnes ou bien le vampire.

« Encore un enfant disparu ? remarqua Lyrel. Quand ce vampire s'en prend à des enfants, on ne retrouve pas les corps, il me semble. »

Alban haussa les épaules.

« Doit les jeter dans un ravin ou un truc dans l'genre, » commenta-t'il simplement.

Cependant Lyrel se demanda si cela ne valait pas la peine de surveiller tout particulièrement les enfants. Il suggéra son idée à Gérand qui haussa les épaules.

« T'cherches d'la logique chez un monstre, fit-il. T'en trouveras pas, mon gars.

– Logique ou goût, répliqua Lyrel, je suis persuadé que ce n'est pas une coïncidence. »

Gérand finit par lui accorder quatre hommes pour garder un œil sur les enfants du village. Lyrel demanda aussi aux parents d'éviter de les envoyer trop loin pour garder les troupeaux, ou bien de demander à un adulte de les accompagner.


Les victimes suivantes furent des chèvres. L'appétit du vampire grandissait et il ne semblait pas vouloir quitter les environs pour le moment. Un soir, alors que Lyrel arpentait les pâturages pour s'assurer que tout le monde était bien rentré, il aperçut un garçon au loin.

« Hé petit ! » héla-t'il.

L'enfant était seul et ne semblait garder aucun animal. En s'approchant, Lyrel constata que ses vêtements étaient déchirés par endroits et avec du sang, comme si le garçon était tombé sur des cailloux. Il observa son visage mais ne le reconnut pas comme un des enfants du village.

« Tu vas bien ? » demanda Lyrel en posant une sur son épaule.

L'enfant haletait comme s'il était épuisé ou blessé. Il tremblait également des pieds à la tête ; il était sûrement transi de froid. Lyrel retira son manteau pour le mettre sur ses épaules même si le vêtement lui tombait jusque par terre.

« Ça va aller, fit-il en tendant la main au garçon. Viens, je t'amène au village et tu pourras nous dire ce qui t'est arrivé. »


Le garçon fixa la main d'un air perdu puis la prit doucement.

« Soif, » fit-il soudain.

Lyrel se figea en entendant la langue de démons. Se pouvait-il qu'un enfant démon se soit perdu dans les Pialles ? Si encore ils se trouvaient sur l'autre versant, ce serait plausible mais là... Lyrel se mit à genoux et examina le garçon à la lueur de la torche. Les yeux étaient bruns et les cheveux châtains, ce n'était pas la couleur d'un démon. Alors comment se faisait-il... L'enfant serra soudain sa main très fort et la porta à sa bouche. Il mordit férocement Lyrel jusqu'au sang puis lécha le liquide rouge avec empressement. Lyrel vit avec stupeur les yeux bruns devenir lentement rouges comme s'ils se remplissaient avec le sang volé. Il réagit enfin en se relevant et en tirant fort sa main pour la dégager.


L'enfant finit par lâcher prise mais, emporté par l'élan, il tomba à terre et roula sur plusieurs mètres. Il se redressa rapidement, la bouche couverte de sang et sourit lentement.

« Encore soif, » déclara-t'il.

Il se mit à sauter vers Lyrel, ses bonds de plus en plus rapides. Le jeune homme esquiva sur le côté. Cela ne découragea pas l'enfant. La main se Lyrel se posa automatiquement sur sa hache puis il hésita. C'était un enfant, il avait du mal à le voir comme un monstre malgré les yeux rouges et le sang qui coulait sur son menton.

« Arrête, » tenta-t'il.

Cela coupa l'enfant dans son élan. Il examina Lyrel en penchant la tête sur le côté comme s'il essayait de se souvenir de quelque chose. Il parut ensuite s'en moquer et reprit son approche.


Lyrel parvint à esquiver à chaque fois, cependant il sentait bien qu'il ne pouvait pas tergiverser plus longtemps. Cet enfant était un vampire, un monstre. Cela n'avait rien à voir avec Chiharu, l'enfant démon qui était innocent. Lyrel ne devait pas se fier aux apparences cette fois. Il songea d'abord à immobiliser l'enfant pour le ramener vivant au village et consulter les chasseurs à ce sujet mais il n'avait rien sur lui pour l'attacher. Qui plus est un vampire était assez fort pour briser ses liens ou les rogner avec ses dents s'il fallait. Le cœur lourd, Lyrel passa à l'offensive et ne mit guère de temps à plaquer l'enfant au sol, la tête la première. Comparé au premier vampire qu'il avait combattu, non seulement Lyrel avait repris des forces depuis grâce aux repas réguliers et à l'entraînement mais en plus cet enfant même vampire restait faible. Le garçon ne renonça pas pour autant à se débattre, en vain.

« Non, non, arrête ! » s'écria-t'il.


Lyrel trembla, inspira brusquement mais dut se résoudre : il trancha la tête d'un coup de hache, achevant l'enfant avec miséricorde. Les cris cessèrent mais le corps gigota encore un peu. Lyrel se laissa tomber sur ses fesses, la hache à la main, et porta son autre main à sa bouche, tremblant de tous ses membres. La tête du garçon avait roulé sur le côté et dévoilait son visage figé en un rictus avec le sang qui sortait de sa bouche. Lyrel fut alors pris d'un haut-le-cœur et se pencha sur le côté pour vomir. Il venait de tuer un enfant, un tout petit garçon, lui qui avait juré de protéger les faibles et les innocents ! Non, c'était un vampire, un monstre, il n'avait fait qu'éliminer une abomination en ce monde.


Incapable de résoudre ses tourments, Lyrel utilisa son manteau pour ramasser le corps et la tête du garçon afin de le ramener au village pour identification. Si c'était un des disparus, ses parents seraient au moins fixés sur son sort et pourraient l'enterrer. En se relevant, Lyrel se sentit observé et il se retourna vivement. le crépuscule était tombé et il commençait à faire sombre. Ce fut ainsi qu'il put voir au loin une dizaine d'yeux rougeoyants qui le fixaient. Les vampires s'approchèrent peu à peu de lui mais il fit appel à ses flammes pour former un mur. Les créatures reculèrent en sifflant puis disparurent. Lyrel entendit néanmoins l'un des vampires lui lancer avant de s'éclipser :

« Vengeance ! »


~*~


Quand Lyrel revint au village, Gérand remarqua aussitôt son air pâle avant de voir ce qu'il tenait à la main. Son visage devint alors très grave. Lyrel déposa son manteau devant lui et en dévoila le contenu, encore sous le choc. Les autres Loups se rassemblèrent ainsi que des villageois. Devant la dépouille du garçon, un cri d'horreur se répandit chez les habitants d'Élana tandis que les chasseurs hochèrent tristement la tête.

« C'est l'p'tit Kaye, fit l'une des femmes, L'avait disparu d'puis un'semaine ! »

On alla prévenir les parents qui arrivèrent en courant. La mère se rua sur le corps de son fils en se lamentant et en gémissant. Le visage du père était fermé et ses poings serrés. Il se tourna vers Lyrel avec une expression indéchiffrable.

« Z'êtes sûr qu'c'était un vampire ? » demanda-t'il, la voix tremblant de rage contenue.

Gérand répondit pour Lyrel en désignant les yeux rouges du garçon. Alors le père baissa la tête, expira un grand coup et laissa couler ses larmes.


Gérand posa une main sur l'épaule de Lyrel et le conduisit à leur campement.
« On va les laisser faire leur deuil, fit-il à voix basse. Et toi mon gars, t'as bien besoin d'un remontant. »

Il fit asseoir Lyrel près du feu et lui tendit une flasque d'alcool. Autour d'eux les chasseurs regardaient le jeune homme avec sympathie. Lyrel but machinalement une gorgée puis toussa à cause de l'alcool fort — il n'était pas habitué à boire. Il repassa ensuite la flasque à Gérand mais ce dernier lui fit signe de la garder. Il ne pressa pas Lyrel et attendit simplement qu'il soit prêt à parler.

« Je ne savais pas qu'il pouvait aussi y avoir des enfants, » fit enfin le jeune homme d'une voix faible.

Le chef des Loups acquiesça.

« C'est rare mais ça arrive. C'est enco' p'us dur quand y sont piots. »

Lyrel approuva, ses mains tremblant sur la flasque. Gérand le regarda avec compassion puis fit :

« Dis-moi s'qui s'est passé. »


Lyrel raconta d'une voix détachée comme s'il ne venait pas de vivre ce cauchemar et que cela avait été quelqu'un d'autre à sa place. Il ne sortit de son indifférence que pour signaler :

« Il a parlé dans la langue des démons. Tu sais pourquoi ? »

Cela surprit un peu Gérand.

« T'es sûr qu'c'était la langue des démons ? Jamais entendu parler ça, moi.

– J'en suis sûr.

– Ben, y peuvent parler quand y sont p'us vieux mais dans not'langue. T'as pigé c'qu'il a dit ?

– Il a d'abord dit qu'il avait soif et quand j'allais le tuer il m'a... supplié d'arrêter. »

Les mains de Lyrel se mirent à trembler de nouveau. Il inspira brusquement comme pour ravaler un sanglot. Gérand lui tapota l'épaule en un geste paternel.

« C'est dur la première fois, confia-t'il, mais dis-toi qu'c'était p'us un piot. L'aurait bouffé son père et sa mère s'y les avait croisés. T'lui as donné la paix, t'as bien fait. »

À cela Lyrel lâcha un rire sans joie.

« T'en croiseras d'aut', poursuivit Gérand. Si t'continues c'boulot, tu d'vras buter d'aut' piots. Faut t'y faire... sinon partir. »

Le jeune homme leva la tête vers le ciel étoilé et inspira profondément.


« J'ai vu d'autres vampires juste après, informa-t'il Gérand d'un ton plus calme. Ils étaient au moins cinq, je n'ai vu que leurs yeux dans la pénombre.

– Cinq, bigre, commenta Gérand. J'vais demander du renfort. »

Il lança un regard concerné à Lyrel.

« Si tu t'sens p'us d'attaque, j'te renvoie au campement pour prévenir les aut'. C'est normal d'pas être bien après un truc pareil. »

Lyrel secoua néanmoins la tête.

« Ça ira, assura-t'il. Le choc va passer.

– T'es sûr ?

– Oui, sûr. »

Un peu sceptique, Gérand n'insista cependant pas. Lyrel voulut de nouveau lui rendre sa flasque mais il insista pour que le jeune homme la garde. Lyrel resta devant le feu toute la nuit, incapable de dormir. En passant, les autres chasseurs lui tapèrent l'épaule en signe de soutien et respectèrent son désir d'isolement.


~*~


Cinq vampires, adultes et/ou enfants. Quoi qu'il en soit, l'affaire était grave. Le reste des Loups arriva deux jours après. Entre-temps seuls des animaux avaient été dévorés et les enfants étaient sous étroite surveillance. Lyrel avait fini par se reprendre, toutefois il restait une ombre sur son visage. Kaye fut enterré et ses parents vinrent remercier Lyrel d'avoir mis fin aux tourments de leur garçon. Cela l'aida un peu à surmonter sa culpabilité. Il alla également se confesser au prêtre du village. Il ne lui avoua pas tous ses péchés, juste celui-là. Le prêtre lui donna l'absolution en lui disant que ce n'était pas son péché mais celui du Diable qui transformait les innocents en monstres. Il n'avait fait que libérer une âme tourmentée avant qu'elle n'ait pu commettre des atrocités, ce qui lui avait ouvert la voie vers le Paradis. Cela aussi l'aida grandement.


Les patrouilles s'intensifièrent de jour comme de nuit. Les vampires rôdaient toujours dans les environs comme en témoignaient les animaux massacrés. Cependant il n'y avait plus de victimes humaines alors la soif des vampires devait croître de jour en jour. D'un autre côté, les Loups ne pouvaient pas rester éternellement là au cas où un autre village aurait besoin d'eux. Il fallait donc trouver le moyen de débloquer la situation et c'est ce que Lyrel proposa de faire au matin du cinquième jour :

« Je vais servir d'appât.

– Pas question ! répliqua aussitôt Gérand. D'où t'sors c't'idée de dingue ?

– Les vampires m'ont vu tuer Kaye, l'un d'eux a dit "vengeance" alors je pense qu'ils m'attaqueront sans hésiter s'ils en ont l'occasion. À nous de mettre ça à profit. »


Gérand lâcha un léger rire.

« T'parles d'ces monstres comme si z'avaient des sentiments. Et pourquoi y voudraient venger l'un d'eux ? Z ont pas d'cœur, ces saletés ! »

Malgré cela Lyrel était sûr de son intuition, peut-être parce que les vampires avaient parlé la langue des démons, ce qui supposait une intelligence au-delà des animaux.

« Cœur ou non, ils voudront me faire payer sa mort et c'est comme ça qu'on va pouvoir leur tendre un piège. »

Gérand prit un air buté.

« J'use pas d'appât, c'est pas mon truc.

– Je sais mais là, c'est moi qui me propose alors ce n'est pas pareil. »

Le vétéran grommela en se tiraillant la barbe fournie qui commençait à grisonner.

« T'as un plan ? » finit-il par céder.

Lyre lui en fit part et après bien des tergiversations, Gérand accepta à contre-cœur.


~*~


Au crépuscule, le jeune homme parcourait les prés non loin de l'endroit où il avait tué Kaye comme s'il cherchait à nouveau des gens pour les faire rentrer au village avant la tombée de la nuit. Il se balada une bonne heure sans rien sentir et manqua de se décourager. Il persévéra et fut récompensé en sentant des présences dans les ombres. Il fit comme s'il n'avait rien remarqué et passa à un autre pâturage. Dans des buissons au bord du chemin, il entendit du mouvement à la limité de l'audible. Il continua son manège jusqu'à ce que la nuit tombe et qu'il se retrouve dans le noir à la merci des vampires — du moins c'était ce qu'il voulait leur faire croire. Il alluma une torche avec un briquet afin de poursuivre son chemin dans le noir. Il s'arrêta à un moment pour uriner et planta la torche dans le sol près de lui. Les vampires en profitèrent pour l'encercler, toujours cachés. Ils étaient prudents et n'attaqueraient pas tant qu'ils ne seraient pas certains que ce n'était pas un piège.


Quand Lyrel récupéra la torche pour reprendre son chemin, deux ombres aux yeux luisants tombèrent d'un arbre en grognant pour lui bloquer le passage. Il saisit sa hache de l'autre main et recula un peu, cependant une troisième créature apparut derrière lui. Il se positionna afin de leur faire face à tous les trois et recula de nouveau vers le bord du sentier en agitant sa hache et sa torche. Les trois vampires étaient des enfants aux yeux rouges luisants dans l'obscurité. Le cœur de Lyrel se serra en les voyant, cependant il s'y était attendu. Il inspira profondément et fit ce qu'il devait faire. Il se mit soudain à courir à travers la plaine comme s'il avait pris peur et voulait s'enfuir vers le village. L'instinct de prédateur de ces créatures fit qu'elles ne purent résister à l'envie de le pourchasser. Les vampires étaient rapide mais lui aussi.


Courant pour la première fois à pleine vitesse, le paysage défila rapidement. Il dut cependant ralentir car il réalisa qu'il était en train de semer ses poursuivants alors que c'était tout le contraire de ce qu'il voulait ! Les vampires crurent seulement qu'il se fatiguait et ne se doutèrent de rien. Si Lyrel se rapprochait trop du village, les vampires en auraient été alertés et auraient abandonné la poursuite. Par conséquent Lyrel bifurqua à un moment comme s'il ne retrouvait plus son chemin et s'était trompé de route. En réalité il se dirigeait vers une partie de la vallée qu'il avait repérée plus tôt grâce aux villageois. Sa course s'acheva au pied d'une falaise à pic. Il était coincé et les vampires arrivèrent lentement, savourant la fin de la chasse.


Une volée de flèches en provenance d'en haut cueillit soudain les vampires. Les Loups étaient planqués en embuscade au sommet de la falaise et avaient guetté leur arrivée. D'autres chasseurs jetèrent des torches enflammées pour éclairer les lieux et permettre à leurs camarades de mieux viser. Lyrel lui-même s'empara d'une arbalète qu'il avait cachée au préalable dans un buisson et tira à son tour. Les trois vampires furent bientôt criblés de carreaux et incapables de s'enfuir. C'était un bien triste spectacle de voir des enfants gésir à terre en poussant des cris perçants. Le cœur de Lyrel se serra, cependant il prit sur lui. Des chasseurs descendirent pour entourer les vampires. Gérand s'était fermement opposé à ce que ce soit Lyrel qui les achève, arguant qu'il était encore trop tôt pour qu'il tue à nouveau des enfants vampires. D'autres chasseurs s'étaient donc proposés sans joie. C'était un sale boulot mais il fallait bien que quelqu'un le fasse.


Lyrel regarda tristement ses camarades décapiter les trois enfants vampires. C'était terrible et pourtant nécessaire. Il devait s'en convaincre. Gérand le rejoignit.

« Jamais vu quelqu'un battre des vampires à la course, fit-il avec respect.

– Ce n'étaient que des enfants, se défendit Lyrel. Ils étaient plus faibles.

– Humph. »

Gérand avait ses doutes mais il ne dit plus un mot à ce sujet et félicita plutôt Lyrel pour son plan ingénieux.

« Il en manque au moins deux, commenta alors le jeune homme. Ils n'ont pas mordu à l'appât.

– S'y sont malins, y dégageront ailleurs, » répliqua Gérand.

Lyrel fut plus dubitatif et songea en lui-même :

« Mais s'ils veulent se venger, ils ne nous lâcheront pas. »

Un hurlement à glacer le sang retentit soudain dans l'air et chacun se figea. Le son était inhumain, cependant cela ne provenait pas non plus d'un animal. Cela finit par s'éteindre, néanmoins tous frissonnèrent, même les plus aguerris.






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