Le Prince Solitaire 2 03

Chapitre Trois : Vengeances


Par précaution les Loups restèrent quelques jours à Élana. Cependant les vampires semblaient avoir disparu pour de bon : il n'y eut plus aucun animal de tué ou de disparition. En fouillant les environs du village, les chasseurs firent une sinistre découverte : des corps d'enfants allongés les uns à côté des autres dans une grotte. Il s'agissait de tous les enfants qui avaient disparu au village. Le plus étonnant était qu'à part une blessure mortelle, leurs corps étaient intacts. Les vampires ne les avaient pas dévorés. Jamais Gérand n'avait vu ça en plusieurs années.

« Qu'est-qu'y faisaient ? demanda-t'il. Pourquoi y ont gardé ces corps ?

– Et pourquoi uniquement des enfants ? » renchérit Lyrel.

Le mystère ne fut pas résolu.


Malgré la mort des enfants, les villageois furent soulagés que les vampires aient disparu et ils récompensèrent généreusement les Loups. Ce dernières finirent par repartir pour le campement. En effet ils ne pouvaient pas rester indéfiniment et la menace semblait écartée. Les mines moroses des chasseurs finirent par disparaître et la bonne humeur revint progressivement. Dans ce métier, mieux valait être capable de rebondir sinon c'était la fin. Lyrel eut un peu plus de mal et manifesta son indignation quand Gérand lui présenta sa part de la récompense qui comptait un supplément "pour le piot".

« Je reçois de l'argent en plus pour avoir tué un enfant ?! siffla-t'il.

– Nop, nop, fit Gérand en agitant les mains. C'est en compensation.

– En compensation de quoi ?

– C'tait un sale boulot mais t'l'as fait quand même. C'est pour ça. »

Lyrel secoua la tête, écœuré face à cette logique.

« Donne ton supplément à un autre, je n'en veux pas ! »

Il retira quelques pièces et les posa sur la table en bois devant le chef des Loups. Gérand prit un air désolé mais n'insista pas.


Une fois dehors, Lyrel se calma un peu. Évidemment que Gérand devait inciter les Loups à tuer les enfants vampires d'une manière ou d'une autre, sinon personne ne le ferait jamais ! Cependant il n'aimait pas l'idée d'être récompensé pour sa mauvaise action. Il l'avait fait parce qu'il le fallait alors il ne voulait pas associer cette douloureuse décision à une récompense monétaire. Au départ d'ailleurs, il avait même refusé de se faire payer tout court. Il avait servi l'Église pendant des années sans espérer de récompense en retour, hormis le salut de son âme et l'expiation de ses péchés. Tous ces soucis matériels lui paraissaient source de corruption. Cependant Gérand avait souligné le fait qu'il devait payer pour la nourriture, qu'il avait besoin d'acheter des armes, un équipement, des vêtements, une tente, etc. Lyrel avait désormais des frais dont il ne s'était jamais soucié en tant qu'Archange. Il avait donc fini par céder mais ne dépensait que le strict minimum. Quand l'un des Loups, Verlo, s'était cassé la jambe et avait dû quitter le groupe, les autres avaient organisé une collecte pour lui à laquelle Lyrel avait généreusement contribué. Cela lui avait attiré la sympathie de beaucoup.


Entre deux missions, les Loups s'occupaient comme ils le pouvaient. Il y avait de nombreuses tâches dans le campement qu'ils se répartissaient équitablement. Le soir, ils aimaient rester à discuter au coin du feu. Ils aimaient aussi chanter et danser. Plusieurs chasseurs jouaient de la flûte ou du tambourin pendant que d'autres chantaient. Ils découvrirent vite la voix pure de Lyrel qui fut très appréciée. Par contre ils se lassèrent rapidement de ses chants religieux, les seuls qu'il connaissait, et se mirent à lui en apprendre d'autres plus populaires. Harna, une des femmes du campement, avait également une très jolie voix et ils firent souvent des duos. Lyrel s'essaya aussi à la flûte à bec et composa de nouvelles mélodies avec aisance. Tous ces moments de camaraderie renforçait l'unité des Loups et leur donnait la force d'affronter l'horreur des vampires.


Si la vie au campement lui rappelait par moment le Chapitre, il y avait aussi d'énormes différences. La mixité était une chose nouvelle pour lui et il se sentait toujours un peu maladroit avec les femmes car il ne comprenait pas leurs réactions ou leurs motivations. D'après les autres hommes, c'était normal : les femmes aimaient cultiver le mystère. La séduction se faisait aussi ouvertement, peu importait qu'il y ait du public. Lyrel se fit d'ailleurs souvent aborder. Les femmes semblaient fascinées par son accent — de son point de vue, c'était elles qui avaient un accent, pas lui ! — et prenaient un malin plaisir à le décontenancer. Ce fut encore pire une fois qu'elles apprirent qu'il était prêtre : elles se mirent en tête de lui faire trahir son vœu de chasteté. Sans aller jusqu'à une séduction agressive, elles pouvaient parfois de montrer un peu trop entreprenantes. Les autres hommes taquinèrent Lyrel pour son succès et, voyant qu'il ne semblait pas du tout intéressé et même importuné par les femmes, prirent sa défense pour mettre le ho-là sur les agissements de ces dernières. Lyrel finit par retrouver une paix relative, à son plus grand soulagement.


Un soir au coin du feu, Lyrel se figea en voyant pour la première fois un couple s'embrasser un peu plus loin. Alban nota sa réaction et lui fila un coup de coude dans les côtes.

« Ben alors, jaloux ? le taquina-t'il.

– Non mais... c'est quelque chose qui se fait en privé, non ? »

Alban eut un léger rire et, sans gêne, s'adressa au couple en lançant bien haut :

« Hé les amoureux ! Allez donc dans vot'tente, vous gênez l'moinillon ! »

C'était rapidement devenu le surnom de Lyrel. Le couple se sépara avec un léger rire puis suivit la recommandation de l'autre chasseur. Lyrel plissa le front.

« Pourquoi tu dis qu'ils sont amoureux ? s'enquit-il. S'embrasser, c'est ce que font les bons amis, pas vrai ? »


Alban le fixa avec incrédulité et les conversations autour du feu cessèrent d'un coup. Tout le monde l'observait avec amusement et Lyrel se rendit compte qu'il venait de dire une bêtise sans savoir laquelle. Il tenta de s'expliquer :

« C'est ce qu'on m'a dit une fois, que c'était normal de s'embrasser entre bons amis. »

Le silence se poursuivit un moment puis des éclats de rire se firent entendre, perçant la tranquillité de la nuit.

« C'est-y pas vrai, fit Alban en tapant fortement sur l'épaule de Lyrel. Y a une gonzesse qui t'a dit ça ? Ah, elle voulait juste t'embrasser, mon gars ! L'en pinçait pour toi, c'est-y sûr !

– Non, protesta vivement Lyrel, ce n'est pas possible. Jamais il... »

Lucius n'aurait pas pu lui mentir, voyons. Ce n'était pas son genre.


« Jamais il ne m'aurait menti, » murmura Lyrel d'un air confus.

Les rires couvrirent sa voix. Alban sourit de toutes ses dents restantes.

« Allons, allons, t'fais pas de mouron, mon gars. L'devait être dingue de toi et l'a raconté ça pour t'voler un baiser ou deux. Les gonzesses, c'est leur truc.

– Arrête tes conneries Alban, lança une femme de l'autre côté du feu. T'es juste jaloux parc'qu'aucune gonzesse irait inventer une excuse bidon pour t'embrasser ! »

Les autres femmes rirent de bon cœur tandis qu'Alban se tut, mouché. Lyrel quitta le feu sous les rires qui perduraient. Nul doute que cette histoire entraînerait des taquineries pendant un long moment. À la décharge des Loups, il n'y avait guère de distractions dans les montagnes alors tout amusement était bon à prendre.


Dans le calme de sa tente, Lyrel continuait à se poser des questions.

« Lucius serait alors... ? Non, impossible, » se dit-il.

L'Église condamnait fermement toute relation physique entre deux hommes. Les sodomites devaient être rééduqués pour le salut de leur âme. Lucius ne pouvait pas être l'un d'eux. Qui plus est, à part les baisers, il n'avait jamais rien tenté de plus. Lyrel secoua la tête.

« Je refuse d'y croire, je suis certain que c'est un malentendu. Lucius est mon ami, mon frère ! Jamais il n'aurait des pensées aussi impures ! »

Il se pouvait que Lucius avait mal compris la signification d'un baiser. Oui, c'était certainement pour ça. Dans le doute il irait se confesser au prochain village.


~*~


Plusieurs mois s'écoulèrent depuis le village d'Élana. Entre-temps les Loups eurent à combattre une quinzaine de vampires dont deux cas d'enfants, hélas. Gérand marmonnait sans cesse que les vampires apparaissaient plus vite qu'ils ne les détruisaient, du jamais vu. Grâce à ses contacts avec les autres groupes de chasseurs, il savait que c'était la tendance générale dans les Pialles. Cela alourdissait leur charge de travail et augmentait les risques. Du coup de nombreux chasseurs préféraient renoncer plutôt que de se faire tuer. Il y eut même un groupe de chasseurs, les Sangliers, qui fut dissolu. Son territoire fut alors partagé entre les groupes voisins. Chez les Loups, aucun risque que cela n'arrive : les chasseurs y formaient une famille, ils étaient solidaires et valeureux. Ils enduraient la fatigue et le danger ensemble. Malgré tout il y eut des départs dans le groupe — soit des blessés très graves ou à cause de l'âge — et quelques trop rares arrivées. Pourtant des renforts ne seraient pas de trop.


Dans ce sens, Lyrel avait tenté plusieurs fois de convaincre Gérand d'envoyer un message au Chapitre de l'Ouest. Il s'était même proposé de l'écrire et de payer le messager. Il espérait par la même occasion de communiquer de nouveau avec Lucius qui devait certainement être revenu depuis le temps. Toutefois le chef des Loups avait secoué la tête.

« T'imagine pas, faut des s'maines pour arriver à Dornim, expliqua-t'il. Et pis les Templiers daigneront pas v'nir ici. Sert à rien de claquer du fric pour c'te message.

– Tu te trompes sur les Templiers, argua Lyrel. Regarde-moi...

– Toi, tu t'étais perdu, fit Gérand sans méchanceté. Et t'croyais pas aux vampires avant d'en avoir vu un. »

Lyrel reconnut qu'il avait raison. Si en tant qu'Archange il aurait reçu un message lui parlant de vampires dans un lieu aussi reculé, aurait-il vraiment risqué d'envoyer des hommes peut-être pour rien ? Il aurait alors demandé conseil à Lucius et ce dernier lui aurait certainement dit de ne pas y prêter attention, comme cela avait déjà été le cas sur d'autres affaires curieuses.


« Pourquoi ne pas essayer quand même ? s'entêta-t'il.

– On a d'jà écrit à ton église y a cinq ans, fit Gérand en lâchant un soupir. Z'ont jamais répondu, z'ont jamais envoyé personne. »

Le destinataire du message avait dû trouver cela farfelu : des morts qui revenaient à la vie pour sucer le sang des vivants ? Qui irait y croire ? Lyrel soupira. Le gros souci des Pialles était qu'ils étaient loin de toute civilisation. Cela faisait presque un an qu'il avait quitté les Templiers et il n'avait entendu aucune nouvelle de la Croisade. Les montagnards n'en avaient même jamais entendu parler. C'était frustrant de ne pas savoir ce qui était arrivé à ses frères mais il ne voulait pas non plus quitter les Pialles pour se rendre personnellement à Dornim. Ici au moins il faisait quelque chose d'utile. Il purifiait le monde de monstres, de vrais monstres cette fois. Il ne pouvait pas renoncer à cela.


~*~


Les Loups étaient coincés dans une tempête de neige. Il se dirigeaient vers le village de Nodun où un vampire avait été signalé lorsque le temps changea rapidement. Cela se produisait souvent en montagne et les chasseurs avaient de l'expérience. Quand le vent violent se leva, ils dirigèrent leurs chevaux à pieds vers une paroi montagneuse afin de s'abriter. Il trouvèrent ensuite un abri de fortune au pied d'une falaise semi-circulaire. Ils montèrent leurs tentes en les fixant bien au sol et ils s'enfermèrent dedans pour attendre la fin de la tempête.


Lyrel n'était pas tranquille depuis quelques jours. Il pouvaient sentir les ombres s'agiter en lui, signe que les Diables se réveillaient. Ils s'étaient plutôt tenus tranquille depuis plusieurs mois et il avait espéré qu'ils aient enfin disparu. Depuis le temps, il aurait dû savoir que ce souhait était vain. Une fois sous la tente avec quatre autres chasseurs, il fit de son mieux pour les refouler. Cependant ils se montraient insistants. Ne voulant pas blesser ou effrayer ses compagnons de tente, Lyrel se leva d'un coup et se dirigea vers la sortie de la tente.

« T'vas où ? lui lança Ternez, un des chasseurs.

– J'ai besoin de prendre l'air, répondit Lyrel en serrant les dents.

– T'es fou ! Y a une tempête de tous les diables ! »

Lyrel retint une pensée : les Diables étaient en lui, pas dehors.


Malgré les tentatives de ses camarades pour le retenir, il quitta la tente et prit soin de bien la refermer derrière lui. Le vent l'assaillit aussitôt, violent et glacial. La neige tourbillonnait et bloquait le champ de vision. Lyrel fit appel à son pouvoir du feu pour se réchauffer et mit une main au niveau de son front pour se protéger les yeux. Le vent avait tout de même faibli par rapport au début de la tempête. D'après ses camarades de tente, cela signifiait que le mauvais temps touchait à sa fin et qu'il n'y en avait plus que pour une heure ou deux. Néanmoins la pression grandissante des Diables ne lui avait pas permis d'attendre plus longtemps.


Lyrel arpenta le campement et observa les tentes bien fermées qui abritaient quatre ou cinq chasseurs. Seuls les couples avaient droit à des tentes plus petites, les autres dormaient en petits groupes — non mixtes bien entendu. Cela avait l'avantage de limiter le nombre de tentes à transporter, de partager la chaleur et de souder le groupe. Lyrel passa ensuite près des chevaux qui avaient été attachés à des piquets à l'endroit le plus abrité du vent. Les animaux aussi étaient serrés les uns contre les autres afin de se réchauffer. Ils hennirent légèrement en l'entendant s'approcher.


Les Diables firent un nouvel assaut dans son esprit. En serrant les dents, Lyrel regarda autour de lui puis revint en arrière en longeant la paroi rocheuse. Il ne courut pas mais marcha assez vite pendant une demi-heure. Quand il jugea qu'il était assez loin, il s'arrêta et attendit avec résignation l'offensive des Diables. Il était content d'avoir pu les repousser le temps de s'éloigner des autres. Quand il y pensait, les Diables n'étaient jamais intervenus directement en présence d'autres personnes. Ils lui chuchotaient dans les ombres mais personne ne pouvait les entendre à part lui. C'était bien le signe qu'il était maudit. Cependant il avait l'impression que les Diables faiblissaient avec le temps, ou bien c'était lui qui devenait plus fort. Dans tous les cas avec un peu de chance, il parviendrait un jour à se débarrasser totalement d'eux. Il lâcha un rire bref. Cet espoir lui semblait irréaliste.


La neige ne tombait plus que par petits flocons et le vent s'était un peu calmé. Lyrel s'accroupit dans la neige et contempla le paysage montagneux sans penser à rien de particulier. Les Diables continuaient de faire pression et il résistait encore. Il entendit soudain un grognement rauque derrière lui. Il se releva et se retourna vivement pour croiser un regard rouge sang : un vampire ! C'était un homme d'une trentaine d'années. Son visage était orné d'un rictus haineux cependant le teint n'était pas blafard. Sans les yeux rouges, la créature aurait pu passer pour un vivant. Toutefois les cheveux bruns s'ornaient de mèches bleues. Lyrel fronça les sourcils. Il se rappela que Gérand lui avait dit une fois que lorsque les vampires buvaient du sang depuis quelques temps, ils ressemblaient à des humains et pouvaient même parler ! C'était peut-être le cas de ce vampire-ci.


Lyrel était parti sans armes, une folie, toutefois il ne se serait jamais attendu à tomber sur un vampire. C'était les Diables qu'il avait craint et ceux-là, nulle arme matérielle ne pouvait les combattre. Il se redressa lentement. S'il pouvait courir jusqu'au campement et donner l'alerte, ce serait l'idéal. Au moment où il s'apprêtait à détaler, le vampire fit d'une voix rauque :

« Vengeance. »

Lyrel se figea. En dehors du fait qu'il entendait de nouveau un vampire parler la langue des démons, ce mot lui rappela quelque chose. Un mauvais pressentiment le frappa soudain et du coup ses diables furent relégués au second plan.

« Que veux-tu ? lança-t'il à la créature.

Vengeance pour mes enfants. »

Cela confirma ses pires craintes.

« Tu es le vampire d'Élana, c'est ça ? Pourtant c'est toi qui as tué tous ces enfants.

Je n'ai pas tué mes enfants ! »


Lyrel fronça les sourcils, tâchant de comprendre. Gérand lui avait déconseillé de songer que ces monstres pouvaient avoir des sentiments et agir selon eux. Cependant le comportement et les paroles de ce vampire laissaient supposer que...

« Tu voulais que ces enfants se transforment en vampire comme toi ? » s'étonna-t'il.

Le vampire eut un sourire presque teinté de mélancolie.

« Ma famille, » fit-il avec une certaine douleur dans la voix.

Lyrel en resta interdit. Ce vampire avait donc vraiment agi pour se créer une famille ? C'étaient pourtant des monstres uniquement guidés par leur soif de sang ! Les vrais monstres n'avaient pas de sentiments !

« Je ne te crois pas ! lança Lyrel en secouant la tête. Peu m'importe ce que tu voulais faire. Si tu veux te venger, hé bien attaque-moi, je t'attends ! »

C'était du bluff : jamais Lyrel n'aurait attaqué un vampire à main nue malgré sa grande force et sa rapidité. Par contre il pouvait l'effrayer avec ses flammes et en profiter pour regagner le campement des Loups et ainsi donner l'alerte.


Le vampire secoua la tête en reprenant son air menaçant. Les yeux rouges se mirent à luire dans le paysage enneigé.

« T'as buté ma famille, fit-il dans le dialecte des montagnards. J'vais buter la tienne ! »

Lyrel sentit la sueur couleur le long de son dos. Sa famille ? Il ne voulait pas dire... Sans plus se soucier du danger de ce vampire, Lyrel fit demi-tour et courut en direction du campement. La créature le dépassa en quatre bonds et se jeta sur lui, les mains tendues comme des griffes. Lyrel évita l'attaque en déviant sur la droite, cependant le vampire rebondit aussitôt. Son but était clair : empêcher Lyrel de retourner au campement.

« Laisse-moi passer ! » ordonna le jeune homme.

Il y avait eu au moins un second vampire à Élana et il était peut-être en train d'attaquer les Loups en ce moment même. En temps normal, un seul vampire ne représentait guère une menace pour les chasseurs réunis mais ces derniers étaient calfeutrés dans leurs tentes en attendant la fin de la tempête et il n'y avait aucune sentinelle. Ces vampires avaient bien choisi leur moment pour attaquer...


Au moment où Lyrel se fit cette réflexion, une idée horrible naquit dans son esprit.

« Vous nous suivez depuis Élana ? » s'écria-t'il.

Le vampire eut un sourire mauvais. Non, ils s'en seraient rendus compte si des vampires les suivaient, rien qu'avec les corps humains ou animaux dans leur sillage. Par contre ces vampires avaient clairement recherchés les Loups.

« On vous a r'trouvés y a une semaine, confirma la créature. On a attendu la bon' occasion. »

Et cette tempête était tombée à point nommé... Lyrel serra les poings et ses flammes jaillirent autour de lui.

« Disparais, fit-il d'un ton sombre, ou tu es mort ! »

Le vampire éclata de rire sans manifester la moindre peur des flammes. Lyrel les projeta vers lui mais le vampire les traversa sans s'arrêter. Lyrel esquiva son attaque et retenta de le brûler. Le vampire resta stoïque comme s'il ne ressentait pas la moindre douleur. En songeant qu'on pouvait leur couper des membres sans que cela ne les gêne, peut-être que le feu ne leur faisait pas le moindre mal. Puisque le sang ne coulait plus dans leurs veines, les vampires pouvaient-ils encore ressentir la douleur ? Les seuls cris qu'ils poussaient, c'était de la haine et de la fureur. Quant au feu, les Loups s'en étaient déjà servis pour repousser des vampires et cela fonctionnait pourtant, mais pas sur ce vampire-ci.


Lyrel ne perdit pas plus de temps à trouver l'explication de ce mystère et retira ses flammes, puisqu'elles ne servaient à rien. Il attendit que le vampire se rue à nouveau sur lui puis il se déporta sur le côté au dernier moment. Il saisit la créature par la nuque et enfonça son visage dans la neige. Il se plaça vite sur lui afin de le bloquer avec le poids de son corps. Le vampire se débattit comme un forcené, bien plus fort que les créatures que Lyrel avait affrontées jusqu'à présent. Le jeune homme sentait que ses forces ne suffiraient bientôt plus à le retenir.


Lyrel entendit soudain des clameurs au loin, leur écho porté par le vent. Il se figea et releva la tête pour mieux entendre. Le vampire cessa alors de se débattre et éclata d'un rire mauvais.

« Ça y est, les tiens vont crever. T'vas souffrir comme on a souffert.

– Vous ne savez rien de la souffrance, » répliqua Lyrel d'un ton sévère.

La créature continua de rire puis reprit ses tentatives pour se libérer. Ses mains agrippèrent les bras de Lyrel et lacérèrent la peau. Le jeune homme sentit à peine la douleur tant il était inquiet pour ses compagnons. Il avisa soudain plus loin un rocher qui pointait du sol enneigé et, rassemblant ses forces, il souleva le vampire par la nuque et plaça son autre main au niveau de sa cuisse pour le saisir. Il s'avança vers le rocher et sans pitié y projeta le vampire de sorte que le crâne de ce dernier entre en collision avec le rocher pointu. Une fois, deux fois... cinq fois, le tout accompagné d'un craquement des os. Le vampire cessa enfin de s'agiter. Lyrel le jeta et se redressa en tremblant de tout son corps, le souffle court. La méthode était brutale, certes, mais nettement efficace. Un nouveau cri lui parvint du campement et il s'y rua sans plus attendre, priant le Seigneur pour ne pas arriver trop tard...


~*~


Il était déjà trop tard : les corps massacrés des Loups jonchaient le sol enneigé et la blancheur immaculée de la neige avait été souillée par des traînées écarlates. Incrédule, Lyrel n'accepta pas tout de suite ce qu'il voyait. Les Loups étaient des combattants expérimentés et valeureux, ils n'auraient pas pu se faire tuer par un ou deux vampires, même attaqués par surprise au beau milieu d'une tempête. Ce n'était pas possible. Comme pour lui donner raison, il découvrit cinq corps criblés de flèches et décapités. Cinq vampires ? Sans organisation, faute d'être avertis, les Loups n'avaient aucune chance contre cinq vampires. Et pourtant ces monstres avaient été tués. Cela prouvait la vaillance des chasseurs.

« Dans ce cas, se dit Lyrel, il y a peut-être des survivants ! »


Rempli d'espoir il examina tous les corps, attristé à chaque fois qu'il les reconnaissait : Marn, Alban, Solène, Gérand... Oui, même leur chef avait succombé, sauvagement éventré. Les chevaux n'avait pas non plus été épargnés, égorgés et vidés de leur sang. Lyrel finit de parcourir le campement devenu charnier et il fronça les sourcils : il manquait sept personnes parmi les Loups. Il chercha alors d'éventuelles traces dans la neige, cependant le tapis blanc avait été piétiné dans tous les sens durant l'attaque, sans parler des flaques de sang un peu partout. Il était donc impossible de repérer la moindre piste. Lyrel poussa alors son exploration aux alentours du campement, une hache à la ceinture et une arbalète à la main, et finit par tomber sur de longues traînées de sang qui s'éloignaient plus bas. Il se décida à les suivre, son cœur battant d'espoir.


Au bout de quelques minutes, Lyrel entendit soudain un cri et il se mit à courir, toute prudence oubliée. C'était une voix de femme bien vivante. Il arriva au sommet d'une colline enneigée et s'arrêta net : les sept Loups manquants étaient agenouillés côte à côte et la tête baissée. La femme hurla à nouveau et Lyrel la repéra : c'était Harna qui était un peu plus loin. Deux vampires avaient la tête enfoncée dans son ventre et la dévorait vivante. Le sang de Lyrel ne fit qu'un tour et il se rua vers les créatures. Il se fit soudain percuter sur le côté à pleine vitesse et il roula dans la neige, ses armes lui échappant des mains. Un rire sauvage se fit entendre tandis qu'il se redressait péniblement, un peu sonné. Un autre vampire, celui qui l'avait percuté, le fixait avec haine un peu plus loin. C'était une femme aux longs cheveux blonds qui se teintaient de violet, étrangement. Elle siffla dans sa direction :

« Vengeance ! »


Lyrel écarquilla les yeux et comprit qu'il s'agissait d'un autre des vampires du village d'Élana. Ainsi huit vampires avaient attaqué les Loups par surprise tandis qu'un neuvième s'était chargé de retenir Lyrel. Et ils avaient emmené les survivants pour l'attirer dans un piège... Les hurlements de Harna se turent d'un coup : elle était morte à son tour. Les deux vampires passèrent alors au suivant, un homme du nom de Kalder. Lyrel se releva d'un bond et courut dans cette direction mais la vampire se mit en travers de son chemin, bien décidée à l'empêcher de sauver ses compagnons. Lyrel repéra sa hache par terre un peu plus loin. Malheureusement la vampire surprit son regard et elle se rua vers l'arme dans la neige. Le jeune homme en fit autant et ils arrivèrent quasiment au même moment... sauf que Lyrel n'essaya pas d'attraper la hache mais fit une balayette à la vampire qui s'étala au sol, dos contre terre. Il enfonça sa botte dans sa bouche pour la maintenir au sol tout en l'empêchant de mordre.


Les mains griffues déchirèrent le pantalon, les mâchoires se refermèrent sur le cuir de la botte avec une violence incroyable qui menaçait de lui briser les os, cependant Lyrel ne se laissa pas déstabiliser. Il ramassa la hache et en posa la pointe sur la gorge de la femme. Il lança aux deux autres vampires qui avaient fini par lever le nez de leur festin :

« Éloignez-vous ou je la tue ! »

D'ordinaire ce serait risible d'espérer que ce genre de menace fonctionne sur des monstres. Toutefois ces vampires parlaient de famille et les avaient traqués pendant si longtemps pour se venger alors peut-être qu'ils n'étaient pas si étrangers que cela aux émotions humaines. La vampire redoubla d'effort pour lui broyer le pied et il grimaça. Les autres vampires le jaugèrent un moment du regard puis retournèrent à leur morbide repas. Kalder hurla à son tour pendant que les cinq autres Loups se mettaient à pleurer et à prier.


Lyrel fixa la femme à ses pieds et ne lut que de la rage dans les yeux rouges. Il ne restait que peu d'humanité en elle, finalement. Il souleva la hache et l'abattit d'un coup sec sur son cou. La tête se détacha du corps. Les bras qui agrippaient sa jambe retombèrent et furent parcourus de spasmes. Bizarrement la pression sur son pied ne diminua pas : même morte, la vampire continuait de serrer les dents ! Le jeune homme jura entre ses dents et se servit du manche de son arme comme d'un levier afin de se libérer. Hélas durant ce temps les vampires avaient abandonné un Kalder à moitié mort pour se ruer chacun vers les Loups restants. Ils les tuèrent d'un coup, préférant causer un maximum de morts plutôt que de prendre le temps de se nourrir.

« NON ! » hurla Lyrel.

À une vitesse incroyable, il se rua vers eux et les décapita en deux mouvements rapides. Étrangement ils ne cherchèrent pas à riposter ou se sauver.


Lyrel n'y prêta aucune attention, las de chercher à comprendre des monstres. Il se pencha vers ses compagnons mais soit ils étaient morts soit en train d'agoniser. Il tint la main de Berry, une chasseuse à la gorge tranchée et qui n'en avait plus pour longtemps.

« Je suis désolé, répéta-t'il. Pardon. »

Haletante, elle le fixa sans haine mais plutôt avec gratitude car elle ne mourait pas seule. Finalement la vie la quitta et elle s'immobilisa pour l'éternité. Lyrel lâcha sa main avec un faible gémissement. Il se releva d'un air hébété et contempla les sept chasseurs morts et baignant dans leur sang. Il avait déjà vu des morts entre la Géhenne et la Croisade. Même Lucius avait dit une fois qu'il n'était pas très sensible à la mort des autres. Cependant là c'était différent. Lyrel s'était senti proche des Loups, bien plus que des Templiers. Ils avaient été comme une famille pour lui, des amis, des soutiens... Les larmes se mirent à couler le long de ses joues tandis qu'il poussa de longs cris de fureur et de douleur qui retentirent dans le vent mourant.






Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
La Renaissance du Suprême Immortel 447 et 448
Lanterne 52
La Renaissance du Suprême Immortel 445 et 446

Planning des mises à jour :
Dimanche tous les quinze jours : Lanterne : le reflet d’une fleur de pêcher
La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire