Chapitre Quatre : Prisonnier
Quand Lyrel reprit ses esprits, il ramena les corps des chasseurs au campement. Là il prit le temps de rassembler tous les cadavres en les alignant en rangs. D'une voix qui manquait de conviction, il dit une prière pour chacun d'eux, les nommant et louant leur bravoure. Les souvenirs du temps passé ensemble remontaient en même temps dans son esprit et pesaient comme du plomb sur son cœur. Il aurait normalement dû décapiter les corps avant de les enterrer pour éviter qu'ils ne reviennent à la vie en tant que vampires — le pire cauchemar pour un chasseur — cependant il avait songé à un autre moyen tout aussi efficace et plus digne selon lui.
« Il faut toujours brûler les morts, » avait dit Kaname.
Lyrel n'appréciait guère de suivre une coutume démone pourtant cette idée lui paraissait noble et digne des valeureux chasseurs.
Il aspergea les corps de l'huile qu'ils avaient en réserve pour les lampes et les torches puis utilisa son pouvoir du feu pour allumer le brasier. Le ciel désormais clair se remplit de fumée. Le visage vide, Lyrel resta debout près du bûcher dont la chaleur aurait été insoutenable pour une autre personne. Il pria pour leurs âmes tandis que les corps se calcinaient peu à peu. Les chasseurs avaient amplement mérité leur place au Paradis. Au bout d'un long moment, Lyrel s'éloigna en boitant un peu : les crocs de la vampire avaient transpercé le cuir de sa botte et atteint son pied juste avant qu'il ne l'achève. Ce n'était rien de grave sauf qu'avec le froid, la plaie risquait de mal guérir. Qui plus est ce n'était pas la seule de ses blessures. Il ne s'en préoccupait pourtant pas : son esprit fourmillait de mille autres pensées.
Il lui fallait retourner au campement principal où le reste des Loups se trouvait, ceux qui n'avaient pas participé à cette expédition. Ils devaient savoir ce qui était arrivé à leurs compagnons et à leur chef. Ensuite... ensuite que deviendraient les Loups sans Gérand ? Soit ils éliraient un nouveau chef, soit ils se dissoudraient, quittant ce métier ou rejoignant d'autres groupes de chasseurs. C'était l'option la plus probable : Gérand était le cœur des Loups, il garantissait la cohésion du groupe. Sans lui, ce ne serait plus jamais pareil. Lyrel quant à lui avait pris sa décision : quoi qu'il lui en coûte, il se rendrait à Dornim, à Rome même et ramènerait les Templiers dans les Pialles pour qu'ils expurgent les montagnes de ce fléau une bonne fois pour toutes. Fort de sa résolution, Lyrel lança un dernier regard aux corps encore flambants de ses compagnons et se retourna... pour faire face à une vingtaine de vampires qui se trouvaient à cinq cents mètres de lui.
Il se figea, interdit. Depuis combien de temps étaient-ils là ? Il ne les avait pas entendus venir et n'avait même pas senti leur présence ! C'était dire à quel point le chagrin l'avait ravagé. Vingt vampires adultes... même lui n'avait aucune chance de s'en sortir. Pourtant il nota quelque chose de curieux : les vampires l'observaient sans manifester la moindre hostilité. De plus, contrairement aux vampires qu'il avait vus jusque là, leur tenue était propre et soignée, leurs cheveux coiffés et ils se tenaient droits sans grogner ou siffler. Il constata même que certains étaient armés de longs sabres fins.... Une seconde : les armes, les tuniques et les coiffures... Tout cela lui rappela les démons ! Il vit même des couleurs de cheveux inhabituelles dans le lot. Une idée affreuse surgit dans son esprit : se pouvait-il que ce soient des démons possédés par des vampires ? En effet les yeux rouges ne trompaient pas. Démons et vampires, deux cauchemars réunis en un seul. Lyrel fronça les sourcils en sentant que quelque chose lui échappait.
Sans un bruit, le groupe se fendit en deux pour laisser passer un homme et Lyrel sentit que la terre se dérobait sous ses pieds. Le vampire était un homme dans la trentaine, bien bâti et vêtu d'une tunique bleu nuit. Il tenait un long sabre à la main. Ses yeux rouges luisaient et il arborait un sourire impudent. Toutefois ce qui choqua Lyrel au-delà des mots, ce fut ses longs cheveux retenus en un ensemble de chignons et de tresses dont s'échappaient quelques mèches qui volaient au vent. Car les cheveux du vampire étaient noirs comme la nuit...
« L'Antéchrist ? songea Lyrel. Un Antéchrist vampire ?! »
Le vampire nota son trouble et son sourire s'élargit.
« Oui, j'avais vu juste, fit-il dans la langue des démons. Shijetsū, capture-le.
– À tes ordres, Hakurō. » fit un vampire à ses côtés en s'inclinant avant de se diriger lentement vers Lyrel.
Ce dernier l'observa avec prudence. Le vampire avait les cheveux vert foncé retenus en partie en un chignon, le reste en une longue queue de cheval. Il portait une tunique grise ainsi qu'un long sabre lui aussi. Son air sévère était parfaitement composé ; il ne trahissait pas de faim ou de rage comme les vampires habituels. Son teint était rosé, signe qu'il était nourri. Il avait l'air vivant en tout point sauf pour les yeux rouges. Lyrel resta confus devant ces contradictions et cela le retint d'attaquer. Il voulait savoir comment le vampire allait réagir et il déciderait ensuite en conséquence.
Le vampire s'arrêta à quelques pas de lui pour l'examiner froidement. Puis d'un mouvement très rapide, il se rua vers lui. Lyrel esquiva aussitôt pour se rendre compte que son adversaire n'avait pas cherché à le toucher, il avait juste fait semblant.
« Il voulait tester mes réactions, » se dit-il.
Ce n'était pas du tout un comportement habituel pour un vampire, c'était bien trop réfléchi.
« Qui êtes-vous ? » demanda alors Lyrel.
Le vampire le fixa sans rien dire, comme s'il ne comprenait pas sa langue. Il se rua de nouveau vers Lyrel qui bondit sur le côté pour esquiver. À nouveau le vampire arrêta son geste avant de l'atteindre.
« Qu'est-ce qu'il cherche à faire ? songea Lyrel avec une agitation grandissante. Me tester ? Me diriger vers un piège ? M'énerver ? »
Alors lorsque le vampire courut une troisième fois vers lui, Lyrel fit une chose insensée : il se força à rester sur place. Après tout, lui aussi était capable de tester les réactions de son adversaire et de tenter de le déstabiliser. Il n'y avait pas de raison ! Le vampire s'arrêta à un cheveu de lui, l'air pas surpris du tout. Lyrel l'observa sans rien dire puis le vampire eut un léger sourire... avant d'enfoncer son sabre dans son ventre ! Le fourreau était toujours en place donc le coup n'était pas mortel, cependant il fut assez violent pour que Lyrel en eut le souffle coupé. Il tituba en arrière sous les rires des autres vampires plus loin. Saleté, ce vampire s'amusait avec lui ! Lyrel regretta de ne pas avoir de hache à portée de main — il avait posé ses armes afin de transporter les dépouilles de ses compagnons. À main nue il n'avait aucune chance face à ce vampire. Il fallait donc qu'il se montre plus malin que lui et se serve de toutes ses capacités.
Quand le vampire se rua vers lui pour la quatrième fois, Lyrel avait tendu son piège : à deux pas de lui, il avait discrètement fait fondre la neige en partie, usant de son pouvoir du feu. Quand le vampire posa le pied dessus, il perdit l'équilibre et tomba en avant, porté par son élan. Son visage prit un air si surpris que c'en était presque comique ! Ce fut au tour de Lyrel de le cueillir d'un coup de genou en plein thorax. Le vampire tomba à terre, toutefois il n'eut pas le souffle coupé puisque les corps des vampires ne respiraient plus. L'intention de Lyrel était toute autre : il voulait se saisir du sabre afin de désarmer son adversaire. Il tendit la main vers l'arme mais le vampire le tenait avec une force surprenante. Après quelques minutes de lutte vaine, Lyrel dut renoncer à son idée. Les deux adversaires se redressèrent et reculèrent de plusieurs pas afin de s'observer de nouveau. Le vampire était encore plus renfrogné qu'au départ et semblait agacé par la neige dans ses cheveux et sur ses épaules. S'il avait pu tuer Lyrel de son seul regard, ce serait déjà fait.
Lyrel ignora le regard furieux et fit le tour de ses options : il était impossible de fuir à cause de son pied blessé. Tuer ces vampires semblait totalement irréalisable car ils n'étaient pas du même acabit que ceux qu'il avait déjà affrontés. Il restait donc... parlementer ? Aussi saugrenu que cela pouvait paraître, c'était tout ce qu'il lui restait à faire. Lyrel jeta un coup d'œil aux ombres pour voir si les Diables voulaient s'en mêler mais ces derniers qui l'avaient tellement importuné durant la tempête avaient pratiquement disparu depuis l'arrivée de ces vampires. Quelque part il sentait leur dégoût, encore plus qu'en présence de vampires ordinaires. C'était étrange, toutefois Lyrel n'avait pas le temps de s'attarder sur ce mystère. Il fixa son adversaire droit dans les yeux et fit :
« Que me voulez-vous ? »
À nouveau le vampire parut ne pas comprendre sauf qu'une lueur dans les yeux rouges le laissa croire qu'il comprenait parfaitement, en réalité. Lyrel plissa le front : il avait entendu ces vampires parler la langue des démons alors peut-être que...
« Vouloir quoi ? » fit-il.
Le vampire écarquilla les yeux de surprise un instant avant de sourire et de répliquer :
« Intéressant. »
Pour autant il ne répondit pas à la question de Lyrel. Le jeune homme se tourna alors vers le groupe de vampire qui observait leurs échanges. Il fixa son regard en particulier sur l'Antéchrist car c'était leur chef, à n'en pas douter.
« Vouloir quoi ? lui lança-t'il en élevant la voix. Tuer moi ? »
Il sentit un mouvement derrière et se tourna juste à temps pour voir son adversaire lui asséner un coup de sabre — toujours pas dégainé. Lyrel leva le bras pour encaisser le coup violent. Des ondes de douleur parcoururent son bras et sa main s'engourdit un peu.
« Tu ne lui parles pas, fit le vampire d'un ton méprisant. Le misérable ver ne s'adresse pas au puissant Dragon ! »
Lyrel ne comprit quasiment rien de la seconde phrase, cependant le ton dédaigneux était éloquent en soi.
« Shijetsū, reprit leur chef, arrête de t'amuser. Je commence à m'ennuyer. »
Le vampire s'inclina respectueusement dans sa direction puis se redressa et posa un regard hautain sur Lyrel. Il se rua sur lui et sans que Lyrel n'y comprenne quoi que ce soit, il se retrouva couché au sol, la tête enfoncée à moitié dans la neige, parfaitement immobilisé par son adversaire qui lui tordait le bras efficacement tout en pressant son sabre à plat contre ses épaules.
Lyrel se débattit et se tortilla, impossible de se libérer. L'angoisse le saisit.
« C'est la fin ? songea-t-il. Je vais me faire dévorer par des vampires ? »
Était-ce le châtiment divin pour avoir trahi ses frères et sauvé des démons ? Non, Lyrel ne pouvait se résoudre à ça ! Il s'agita de plus belle, se moquant de se casser le bras ou de se déboîter l'épaule. Le vampire resserra simplement sa prise et lui siffla :
« Calme-toi, cela ne servira à rien. »
Bien entendu Lyrel se démena encore plus. À court de moyen, il enflamma soudain la tunique de son adversaire. Cela fonctionna : le vampire le lâcha avec un cri de stupeur pour se rouler dans la neige. Lyrel put se relever en soufflant. Son adversaire s'était déjà repris et le fixait avec haine cette fois.
« Lumineux ! » cracha-t'il.
Reconnaissant l'appellation, Lyrel ne chercha pas à le détromper. Plus loin les autres vampires s'agitèrent à leur tour et firent quelques pas en avant. Lyrel dressa un mur de flammes d'une main entre lui et les vampires. Il aurait dû faire ça depuis le début plutôt que de tenter de parlementer ! Prêt à tourner les talons pour s'enfuir, il vit une ombre traverser le feu : c'était son adversaire qui semblait plus têtu qu'une mule ! À peine brûlé malgré le brasier intense, le vampire se rua vers lui et l'assomma de la poignée de son sabre sans que Lyrel ne puisse réagir. Cette fois il perdit connaissance pour de bon.
Shijetsū contempla le corps du jeune homme étendu à ses pieds, la main tremblant sur son sabre. Cet homme l'avait humilié en face de son seigneur, il devait donc mourir. Il dégaina son sabre et le posa sur le cou de cette vermine. Un souffle de vent se fit sentir et une main ferme et glaciale se referma sur son poignet.
« Arrête, fit Hakurō d'un ton ferme. Ce n'est pas notre objectif.
– Mais tu as bien vu, il pratique la magie ! répliqua Shijetsū en lui lançant un regard indigné. C'est un de ces maudits Hikari ! »
Hakurō lâcha son poignet et posa un regard intrigué sur le jeune homme inconscient.
« Peu importe, décréta-t'il. S'il décide de suivre la Voie de l'Honneur, il sera des nôtres.
– Hakurō ! » protesta l'autre vampire.
Mais un regard inflexible de la part de son seigneur le fit taire. Il finit par reculer et se mit à genoux dans la neige, la tête baissée.
« Pardonne mon impudence. »
Le vampire aux cheveux noirs hocha de la tête, lui faisant ainsi signe de se relever.
« Nous l'emmenons à Kagejū Le palais des ombres. (1), » annonça-t'il.
Ayant retenu la leçon, Shijetsū ne protesta plus et inclina la tête. Il héla deux des leurs pour qu'ils soulèvent le jeune homme.
« En route, » ordonna Hakurō.
Les vampires partirent à toute allure, si vite que des humains auraient pu croire qu'ils avaient disparu en un clin d'œil.
Lyrel reprit connaissance et lorsqu'il se souvint des derniers événements, il fut fort surpris d'être toujours en vie. Il se redressa sur un coude et constata qu'il se trouvait dans une cellule de prison : une lourde grille en fer donnait sur un couloir et il pouvait voir une seconde cellule identique et vide en face de la sienne. Il était allongé sur une paillasse à même le sol de pierre. L'endroit était froid et humide, et il fit appel à ses flammes pour se réchauffer.
« Ils ne m'ont pas encore tué, songea-t'il. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils ne le feront pas plus tard. »
Les vampires le gardaient sans doute en réserve pour le saigner ensuite.
Il se leva et remarqua distraitement que son pied ne lui faisait plus mal. Il avait toujours guéri plus vite que la normale, cela ne l'étonna donc guère. Lyrel posa une main sur la grille et la secoua de toutes ses forces ; elle tenait bien en place. Il tenta de regarder sur les côtés mais ne vit que des cellules vides. Il se retourna pour inspecter la sienne : environ six mètres carré, aucune fenêtre et rien qu'une paillasse miteuse au sol. Il s'assit dessus en s'adossant contre le mur, près de la grille afin de mieux surveiller le couloir. Il allait devoir attendre. Heureusement qu'il avait toujours eu énormément de patience.
Quelques heures plus tard, des bruit de pas se firent entendre. Lyrel ouvrit les yeux et vit deux vampires remonter le couloir dans sa direction. Il resta immobile, évaluant la situation.
« Il est réveillé, » fit l'un des vampire à son compagnon.
Il s'approcha de la grille et fit à Lyrel :
« Recule. »
Le prisonnier fronça les sourcils. Le vampire répéta en joignant le geste à la parole :
« Recule. »
Lyrel se releva et recula au fond de la cellule. Le vampire prit alors une clef qui pendait à sa ceinture avec d'autres et ouvrit la grille. Son compagnon déposa quelque chose bien vite puis recula pour laisser le premier vampire refermer la grille. Lyrel ne quitta pas les deux créatures des yeux, toujours étonné de leur attitude calme et normale.
« Qu'est-ce que vous me voulez ? » demanda-t'il.
Les deux vampires le fixèrent un moment puis l'un d'eux secoua la tête.
« Il n'est pas encore complètement conscient, fit-il.
– Cela viendra, » répondit le second vampire.
Ils reprirent leur chemin. Lyrel se rua sur la grille pour les héler mais ils l'ignorèrent. Le jeune homme poussa un soupir. Clairement les vampires n'allaient pas encore le dévorer alors pourquoi le gardaient-ils ? L'impression d'être dans un garde-manger l'envahit encore plus. Il n'attendrait pas d'en avoir la confirmation pour tenter de s'enfuir.
Lyrel sentit soudain quelque chose contre sa jambe et il baissa les yeux. Il resta un moment figé en voyant un lapin brun qui se pressa it contre la grille pour en sortir. Malheureusement, l'écart entre les barreaux était trop étroit même pour l'animal. Le lapin finit par renoncer et il bondit dans la cellule à la recherche d'un autre échappatoire. Il finit par trouver la paillasse d'où sortaient quelques brins sec et il les grignota, son petit nez frémissant. Lyrel sentit la confusion l'envahir davantage. Ils lui avaient donné un lapin... Mais pour quoi faire ?!
~*~
Lorsque les gardes revinrent quelques heures plus tard, ils furent fort surpris de voir le lapin dans les bras de Lyrel qui avait repris sa position d'observation.
« Il tient le coup, commenta l'un d'eux.
– On parie sur le temps qu'il mettra à craquer ? » suggéra l'autre en souriant.
Lyrel décida d'intervenir :
« J'ai faim, fit-il. Si vous voulez me garder en vie, il va bien falloir me nourrir à un moment ou à un autre. »
Mais ils firent mine de ne pas l'entendre. Lyrel roula des yeux et leur lança alors :
« Faim. »
Cela les fit enfin réagir.
« Si tu as faim, mange le lapin, » répondit un des vampires en désignant l'animal bien blotti dans ses bras.
Lyrel comprit en partie et se renfrogna.
« Peux pas. Lapin vivant. Moi pas d'arme. »
Il voulait dire que même s'il tuait le lapin, il n'avait pas de quoi le vider et de dépecer. Le feu ne serait pas un problème par contre, puisqu'il pourrait le faire cuire avec ses flammes, cependant il devait d'abord le préparer. Le vampire mima le fait de porter le lapin à sa bouche et de le croquer avec les dents. Lyrel ne masqua pas son dégoût, ce qui fit rire les deux vampires.
« Quand tu auras vraiment faim, tu ne feras plus le difficile ! »
Les deux hommes repartirent en riant. Lyrel caressa distraitement la tête du petit animal qui lui mordilla la manche. Cela devenait aberrant.
Lyrel ouvrit tout à coup les yeux en entendant des cris et des sifflements en provenance du couloir. Le lapin quitta ses bras pour se cacher au fond de la cellule. Lyrel se releva et s'approcha de la grille en fer. Il put alors voir un groupe de cinq vampire arriver, ses deux gardiens habituels en tête. Ils ouvrirent la grille de la cellule en face de la sienne et y jetèrent une autre personne, une femme vampire qui n'apprécia pas du tout le traitement. Elle se lança furieusement contre la grille en hurlant de sa voix stridente. Les autres vampires semblaient avoir eu bien du mal à la contenir et ils exprimèrent leur soulagement de l'avoir enfin mise en cage. De dos, Lyrel reconnut le vampire contre qui il s'était battu avant sa capture et il le héla :
« Hé ! »
Le vampire se tourna à moitié vers lui d'un air toujours aussi hautain avant de regarder les deux gardiens.
« Il ne s'est toujours pas nourri ?
– Non, seigneur Shijetsū, répondit humblement l'un d'eux.
– Et son comportement ?
– Calme et docile. Il s'est plaint d'avoir faim pourtant il refuse de toucher au lapin.
– Mmph. »
Le vampire lança un dernier regard à Lyrel avant de repartir avec ses hommes. Lyrel eut beau l'interpeller, il ne se retourna pas.
« Bordel ! » jura Lyrel.
C'était une mauvaise habitude qu'il avait pris chez les Loups. Cependant il ne jurait que lorsqu'il était agacé, comme en ce moment.
La vampire en face de lui continuait de secouer la grille dans tous les sens en sifflant et en hurlant des sons incompréhensibles. Elle se comportait davantage comme les vampires que Lyrel avait chassés. Dans quel but avait-elle été capturée ? La vampire eut beau s'acharner, la grille solide ne bougea pas. Elle se rabattit alors sur la paillasse de sa cellule et la réduisit en morceaux, de rage. Elle gratta les murs, se suspendit au plafond, bondit dans tous les sens et essaya de nouveau plusieurs fois d'arracher la grille. C'était un véritable animal en cage qui ne se calma pas durant des heures. Lyrel l'observa en se disant qu'au moins cela lui faisait de la distraction. Le lapin, lui, n'appréciait pas du tout le bruit et il se terra le plus loin possible dans la cellule.
Lorsque les gardiens revirent, ce fut pour la nouvelle prisonnière. Elle s'était un peu calmée mais leur lança un regard furieux dès leur arrivée. Le gardien lui demanda de reculer, ce qu'elle refusa. Son compagnon se montra alors avec un lapin dans les bras et dit quelque chose. La vampire siffla mais cessa de s'agiter, ses yeux rouges fixés sur l'animal. Le premier gardien insista à nouveau pour qu'elle recule pendant que le second agitait le lapin. Elle finit par obtempérer. Le premier gardien entrouvrit la grille juste assez pour que son collègue y jette le lapin, puis referma bien vite. La pauvre bête n'eut même pas le temps de toucher terre : la vampire le saisit en plein vol et le porta à sa bouche pour le dévorer goulûment. Du sang coula sur son menton pendant qu'elle s'empiffrait avec des grognements de satisfaction. L'un des gardiens commenta en riant :
« Si tu es sage, tu en auras d'autre.
Elle siffla mais c'était cette fois un son apaisé.
Les deux vampires se tournèrent alors et virent Lyrel les observer, le visage perplexe. L'un des gardiens lui demanda :
« Où est le lapin ? »
Lyrel désigna du doigt l'animal qui se terrait au fond de la cellule, tremblant de peur comme s'il avait senti la mort de son congénère en face. Le gardien secoua la tête.
« Cela fait déjà trois jours. Tu dois mourir de faim.
– Soif, tenta Lyrel. Eau. »
Les deux vampires se consultèrent du regard puis prirent une décision. L'un d'eux partit et revint vite avec une cruche et un gobelet en terre cuite.
« Recule, » fit l'autre à Lyrel qui obéit sans discuter.
Il ouvrit la grille pour que son collègue dépose les objets puis la referma bien vite. Ils procédaient comme pour la vampire, sans doute craignaient-ils qu'il ne leur saute dessus dans un accès de fureur.
« Merci, » fit Lyrel avec gratitude.
Il ne s'embarrassa pas du gobelet et but l'eau à même la cruche. Elle était fraîche et cela lui fit le plus grand bien. Le lapin se frotta contre ses chevilles alors Lyrel s'interrompit pour lui servir de l'eau dans le gobelet. La pauvre bête n'avait eu que de la paille sèche à mâcher, elle devait être toute aussi assoiffée que lui. En voyant cela, les deux vampires chuchotèrent entre eux. Désaltéré, Lyrel se sentit un peu mieux. Il reposa la cruche vide et le gobelet près de la grille et recula sans que les gardiens n'aient besoin de le dire. Les deux vampires récupérèrent les deux objets en lui lançant des regards perplexes. Ils s'éloignèrent et le son de leur vive discussion résonna dans le couloir un moment.
Lyrel repris sa position contre le mur sauf que cette fois, c'était la cellule d'en face qu'il surveillait. La vampire était plus calme mais elle le contemplait avec avidité, sans parler du lapin qui trottait à ses pieds. Lyrel comprenait enfin pourquoi les vampires s'étaient attendus à ce qu'ils dévorent le lapin. C'était comme ça que devaient se comporter leurs prisonniers vampires, d'habitude. C'était pourtant absurde, pourquoi irait-il se comporter comme un vampire ? Ils devaient bien voir qu'il n'avait pas les yeux rouges, enfin ! Il soupira. La sensation de faim était juste un léger désagrément dans son estomac, il parvenait aisément à l'ignorer. Il se demandait plutôt quand il découvrirait enfin ce que lui voulaient ces vampires.
Notes du chapitre :
(1) Le palais des ombres.
Commentaires :