Chapitre Neuf : Les Dieux
La nuit était à présent bien avancée. Les thés oubliés sur la table avaient refroidi depuis longtemps. La soirée qui devait être festive avait pris une tournure sinistre et totalement inattendue. Lyrel ne disait plus rien, il avait suffisamment parlé. Il attendait désormais que les vampires décident de son sort. Cependant Hakurō et Kahiro étaient complètement absorbés par leur inquiétude pour l'Empire de l'Aube, à tel point qu'ils semblaient l'avoir oublié. Toutefois Shijetsū était là, sa rancune tenace.
« Il nous reste encore à décider d'une chose : le sort de celui-là, » fit-il en désignant l'homme qui était resté agenouillé sur la pierre glaciale.
Cela raviva également la haine de Kahiro.
« Je crois que c'est clair : il doit mourir. »
Hakurō réagit vivement :
« Un instant, tu oublies un peu qu'il a sauvé Kaname et Chiharu. Ce n'est pas rien, par les Dieux !
– Tu as raison, en convint son frère par alliance. Pour sa bonne action, je propose donc qu'il ait droit à une mort honorable.
– Cela me semble juste, approuva Shijetsū.
– Je m'y oppose ! argua Hakurō.
– Nous sommes donc à deux voix contre une, nota Shijetsū. D'après tes propres règles, Hakurō, la majorité l'emporte. »
Le seigneur des vampires se figea, ses yeux rouges écarquillés.
« Mais...
– Bien sûr, tu peux toujours faire valoir ton rang et changer nos règles. Quoi que tu veuilles, nous nous plierons à ta volonté. »
Hakurō était déchiré. Il avait toujours consulté Shijetsū pour les décisions car il ne voulait pas imposer son autorité. Quand Kahiro les avait rejoints, c'était naturellement devenu un triumvirat. S'il renonçait à cela, ce serait une rupture grave entre eux. Néanmoins la vie de Lyrel était en jeu.
En voyant les tourments intérieurs du vampire, Lyrel compatit de tout son cœur. Lui-même avait dû prendre une décision déchirante à l'époque alors il savait que c'était le genre de chose qui vous hantait encore des années après. Il ne voulait pas que Hakurō souffre à son tour. Il s'estimait déjà assez heureux que le vampire ne l'ait pas condamné sur-le-champ mais ait cherché à la comprendre et à écouter son point de vue. Il n'en méritait pas autant.
« C'est bon, Hakurō, fit-il en reprenant volontairement la langue des démons. Je m'y suis préparé. C'est la bonne chose à faire.
– Non ! tu es...
– Je ne suis pas une personne qui mérite ton aide. Ne te tourmente pas pour quelqu'un comme moi. »
Interloqué par les paroles de Lyrel, Hakurō resta figé, indécis. Shijetsū en profita pour faire signe au deux soldats abasourdis de retenir Lyrel. Toutefois le jeune homme ne faisait pas mine de se débattre ou de chercher à s'enfuir. Il s'était raidi d'un coup et fixait les ombres des créneaux d'un œil méfiant et anxieux. Il marmonna quelque chose entre ses dents mais personne n'y prêta attention.
« Seigneur Kahiro, fit Shijetsū en lui tendant le sabre apporté par Lyrel. Désirez-vous exécuter personnellement la sentence ?
– Oui. Moi, Kahiro du clan Hamenoto de Towa, je réclame ce droit au nom de mon clan qui a été entièrement détruit par ce Vite et ces semblables. »
Le vampire blond prit le sabre et le dégaina. Un des soldats dégagea la nuque de Lyrel et lui fit tendre le coup pour que Kahiro puisse le tuer en un seul coup et qu'il ne souffre pas. Telle était la mort honorable qui lui avait été accordée. Lyrel ne semblait plus conscient de ce qui se passait. Les yeux clos, le visage tendu, il serrait les dents comme pour retenir quelque chose. Kahiro leva le sabre au-dessus de sa tête, la lune se reflétant sur la lame aiguisée.
« Des dernières paroles, Vite ? demanda-t'il.
– Dépêchez-vous, fit Lyrel d'une voix laborieuse. Je ne vais pas pouvoir les retenir plus longtemps. »
Kahiro haussa un sourcil devant ces propos incompréhensibles mais s'en moquait bien dans le fond. Hakurō réagit enfin et tenta de s'interposer, toutefois Shijetsū le saisit par le bras et l'immobilisa. Le vampire aux cheveux noirs lui lança un regard trahi qui le laissa inébranlable.
« C'est pour ton bien, » murmura-t'il.
Pendant ce temps, Kahiro abattit la lame avec force et détermination... et la situation dégénéra terriblement.
Lyrel poussa un cri de douleur alors que les ombres explosèrent sous lui. Les deux soldats qui le maintenaient furent projetés de la tour par une force immense. Kahiro s'immobilisa en plein geste, paralysé sur le coup. Le sabre s'effrita entre ses mains. Un peu plus loin, Shijetsū et Hakurō restèrent médusés devant cette scène inimaginable. Lyrel fut le seul à réagir : il se releva vivement et invoqua ses flammes tout autour de lui. Pourtant il ne chercha pas à attaquer les vampires.
« Disparaissez ! ordonna-t'il aux ombres. Vous n'auriez pas pu continuer à vous tenir tranquilles ?! »
Mais les ombres n'en faisaient qu'à leur tête et étaient déchaînées. Une ombre immense se forme devant Kahiro ; elle surgit du sol tel un être de ténèbres. Le vampire était toujours incapable de bouger. Impuissance, il sentit l'ombre ramper sur son corps et le glaçant jusqu'à l'âme.
« Tu ne toucheras pas cet enfant, susurrèrent les ombres. Abomination ! »
L'ombre s'enroula autour de son cou et commença à serrer.
« Arrêtez ! intervint Lyrel en piétinant les ombres. Laissez-le ! Obéissez ! »
Les ombres se figèrent un moment avant de se retirer peu à peu du corps de Kahiro.
« Lyrel ! s'écria Hakurō d'une voix étranglée. Que sont ces...
– Les Diables ! » répliqua le jeune homme sans quitter les ombres des yeux.
Elles se ruèrent subitement sur lui avec une vitesse incroyable. Les flammes de Lyrel ne purent les faire reculer. Il se sentit projeté dans les ténèbres, dans ce monde qu'il avait déjà aperçu après son combat contre le comte de Fanel.
« Lucius ! » s'écria-t'il avant de se faire happer par les ombres.
De leur point de vue, Shijetsū et Hakurō virent Lyrel s'immobiliser tout à coup, les yeux fermés, comme s'il avait absorbé toutes les ombres. La sensation oppressante disparut un peu. Kahiro retomba à terre et toussa en respirant de nouveau. Shijetsū se porta à son secours et l'éloigna du Vite qui semblait être la cause de tout ceci.
« Bordel, c'était quoi ? » marmonna-t'il en oubliant les bonnes manières.
Quant à Hakurō, il se faisait du souci pour Lyrel. Il avança d'un pas, tendit la main en avant et appela d'un ton hésitant :
« Lyrel ? »
Le jeune homme rouvrit soudain les yeux et les braqua sur lui. Hakurō sentit le sol se dérober sous ses pieds : les yeux de Lyrel étaient devenus noirs comme les ténèbres. Il connaissait ce regard.
« Non, cela ne se peut... ! fit-il d'une voix tremblante.
– Kikuchi, » appela Lyrel d'une voix qui n'était pas la sienne.
La stupeur sur le visage du vampire s'accrût. Au même moment Lyrel referma les yeux et tomba par terre, inconscient et pâle. Shijetsū attendit un certain temps avant de lancer :
« Hakurō, que vient-il de se passer ? »
Son seigneur tourna un visage hanté vers lui.
« Les Dieux, fit-il avec révérence. Les Dieux sont intervenus pour le protéger. »
Shijetsū eut alors un hoquet de stupéfaction et il se tourna vers Lyrel, incapable de comprendre. Derrière eux des bruits de pas précipités se firent entendre dans les escaliers. Les soldats avaient enfin réagi.
Lyrel émergea de son inconscience avec la surprise d'être toujours en vie. Il avait pourtant cru que c'en était fini de lui, que les Diables avaient finalement pris possession de son âme mais à un moment ils avaient tout bonnement lâché prise, ce qui lui avait permis de regagner son corps. Il frémit en songeant à ce qu'il avait vu : encore cet enfant aux cheveux noirs et aux yeux dorés. Pour la première fois, l'enfant s'était agrippé à lui comme pour le dévorer. Un jour cet enfant s'emparerait de son âme, il en était sûr. Encore tremblotant, il regarda tout autour de lui et reconnut la cellule dans laquelle il s'était réveillé il y avait plus d'un an. Il se releva de la paillasse et regarda en direction de la grille en fer. De l'autre côté Hakurō le dévisageait d'un air hébété. Il avait l'air d'être là depuis un bon moment. Lyrel lui rendit son regard sans rien dire. Il regrettait tout ce qui était arrivé, d'avoir trahi la confiance du vampire, de lui avoir caché des informations importantes mais il ne regrettait absolument pas d'avoir dévoilé la vérité. Pour la suite...
« Que s'est-il passé sur la tour, Lyrel ? demanda soudain Hakurō d'une voix étouffée. Qu'est-ce que c'était ?
– Ce sont les Diables, expliqua le jeune homme avec un sourire amer.
– Les Diables ?
– En général personne ne me croit quand j'en parle. Ce sont des voix dans ma tête et parfois ils se manifestent dans les ombres. Là, c'est la deuxième fois qu'ils se montrent devant d'autres gens. »
Le visage de Hakurō prit un air entre la stupéfaction et la révérence.
« Ils te parlent ? Que te disent-Ils ?
– Pff, je préfère les ignorer. Ils me pourchassent depuis toujours, ils veulent prendre mon âme, alors je ne dois pas les écouter. »
Même Lucius ne l'avait pas cru à ce sujet ; il avait plutôt tenté de le convaincre que c'était une autre manifestation de ses pouvoirs, comme les flammes. Lyrel remua sur la paillasse avec un soupir.
L'expression de Hakurō fut de plus en plus bizarre.
« Lyrel, tu fais erreur. Ce que tu appelles les Diables, ce sont en réalité nos Dieux... et mes ancêtres. »
Lyrel sursauta sous le coup de la surprise. Il avait déjà entendu les vampires parler de leurs Dieux mais il ne s'était pas plus intéressé que ça à la question. En plus Hakurō venait de dire que c'était ses ancêtres ?! Le vampire eut un pauvre sourire en voyant la confusion du Vite.
« Je ne t'ai pas tout dit non plus à mon sujet, même si je pense que tu en as deviné une bonne partie. Mon nom d'avant est Harutō. je suis le fils aîné du précédent Empereur.
– L'aîné ? réagit Lyrel. Mais alors...
– En effet, si je n'étais pas mort en tombant de cheval, je serais empereur. Mais c'est mon petit-frère Tegami qui a succédé à notre père. C'est l'époux de Kaname et le père de Chiharu. »
Lyrel avait évidemment compris que Hakurō avait un rang très élevé parmi les démons, vu la façon dont les autres parlaient de lui et se comportaient en sa présence. Il avait également deviné depuis longtemps sa parenté avec Chiharu : ils avaient les mêmes cheveux de la couleur des ténèbres. Toutefois Lyrel n'avait jamais évoqué le sujet avec lui car cela aurait conduit à des questions gênantes. Désormais il ne restait plus que peu de secrets.
« Quel est le rapport avec les Diables ? s'enquit-il. Pourquoi tu dis que ce sont tes ancêtres ?
– À leur mort, les membres de la famille impériale deviennent des divinités, expliqua Hakurō. Ils sont vénérés par notre peuple et protègent l'Empire de diverses calamités. Ils guident les Empereurs et veillent sur la continuité de notre lignée.
– Ça n'a rien à avoir avec les Diables, » soupira Lyrel.
Hakurō inspira profondément et fit :
« Ce sont bien les Dieux qui sont intervenus hier pour te sauver, je ne peux pas me tromper.
– Impossible, rétorqua Lyrel. Les Diables sont remplis de ténèbres, ils n'ont rien de dieux !
– Ah, les ténèbres n'ont pas la même signification pour nous, fit Hakurō avec un léger sourire. Elles sont une force puissante et l'un des six éléments de notre monde...
– Assez de philosophie ! coupa Lyrel. Après tout, je ne devrais pas être étonné que les démons vouent un culte aux ténèbres et que les Diables soient vos dieux ! Sans parler du fait qu'ils sont les ancêtres de l'Antéchrist ! »
Malgré les multiples insultes, Hakurō conserva son calme car il décelait une note de peur sous la violence verbale. Lyrel se montrait agressif afin d'empêcher les autres de percevoir sa terreur. Il y avait également autre chose, comme s'il était plus abattu que d'ordinaire.
« Quand est-ce que vous allez me tuer ? » demanda soudain le jeune homme d'une voix sans émotion.
Hakurō le fixa avec tristesse.
« Pourquoi tu tiens tant à mourir ?
– C'est ce que je mérite. »
Le vampire secoua la tête.
« Tu n'étais pas obligé de te dévoiler devant Kahiro, il ne se souvenait pas de toi. Pourtant tu as insisté jusqu'à ce qu'il te reconnaisse. Tu as fait ça juste parce que tu voulais mourir ? »
Lyrel garda le silence un moment, assis sur sa paillasse miteuse.
« Ce n'est pas ça. Quand je suis devenu Archange, j'ai fait le vœu de vérité. Je ne crois peut-être plus en l'Église, je ne peux plus prétendre à ce titre mais je tiens à respecter mes vœux. J'affronterai la vérité sans me défiler même si cela doit conduire à ma mort. »
Hakurō ne sut vraiment que dire. Lyrel ajouta dans un souffle :
« De toute façon, après tout ce que j'ai fait, c'est vraiment ce que je mérite.
– Arrête de dire ça ! s'écria le vampire. Arrête de penser que tu mérites de mourir ! Quels que soient tes crimes passés, je suis sûr que ce n'est pas aussi terrible ! »
Le regard que lui lança Lyrel le fit vaciller : c'était le regard las de celui qui avait connu des expériences innommables.
« Tu ne sais pas tout de moi, fit-il simplement. Il n'y a pas eu que la Croisade. »
Un silence morose s'abattit alors. Voyant que Lyrel était dans un mauvais état d'esprit, Hakurō changea de sujet :
« Tu dis que les Dieux te parlent. Même en ce moment ? »
Lyrel soupira et renonça à préciser que c'était des diables, pas des dieux.
« Non, là ils savent qu'ils n'ont pas intérêt à m'adresser la parole, répliqua-t'il. Surtout pas après qu'ils se soient permis d'intervenir. »
Il sentit un faible remous dans les ombres et leur lança un regard noir.
« Quoi, vous osez vous plaindre en plus ! Pff ! »
D'un geste négligeant il alluma une flamme pour disperser les ombres. De son côté, Hakurō n'en crut pas ses yeux et ses oreilles.
« Tu Leur parles comme ça ? Et Ils te laissent faire ?
– Pourquoi ? Ce n'est pas comme s'ils avaient leur mot à dire. S'ils ne sont pas contents, ils n'ont qu'à voir ailleurs. »
Le vampire eut un sourire crispé.
« Lyrel, les Dieux t'ont accordé Leur protection. C'est un immense honneur, tu sais, Ils ne le réservent pas à tout le monde. »
Le jeune homme renifla, exprimant ainsi ce qu'il pensait de cet honneur. Hakurō soupira et se leva.
« Dans tous les cas, plus personne ne se risquera à tenter de te tuer à présent vu que les Dieux te protègent. »
Il allait partir quand Lyrel répliqua :
« Ils ne pourront pas intervenir de si tôt.
– Quoi ?
– Ils ont épuisé leurs forces la nuit dernière, je peux le sentir. Il leur faudra donc du temps avant de pouvoir se manifester à nouveau comme ils l'ont fait. Donc n'hésitez pas à me tuer, vous ne risquez rien. »
Troublé par ses propos, le vampire plissa les yeux.
« Aucune importance, décréta-t'il, je ne te laisserai pas mourir. »
Lyrel lui lança un regard irrité mais ne répliqua pas. Le vampire quitta la prison le cœur lourd et l'esprit rempli de questions.
Shijetsū était au chevet de Kahiro. Ce dernier était encore faible mais hors de danger. Lorsque Shijetsū lui avait parlé des Dieux, l'autre vampire avait acquiescé en frémissant.
« J'ai senti Leur présence, avoua-t'il, et Leur fureur. J'ignore la raison mais Ils semblent protéger ce Vite. Qu'a dit Hakurō à ce sujet ? Il s'y connaît le plus.
– Il n'a rien dit, il attend que le Vite se réveille pour l'interroger. »
La rumeur avait déjà circulé dans tout Kagejū. Des deux soldats vampires qui avaient été projetés de la tour par les Dieux, seul un avait survécu car il était tombé sur les remparts un peu plus bas. L'autre avait chuté et s'était fracassé le crâne sur les pavés de la cour. Il aurait été difficile d'étouffer une telle affaire.
Hakurō entra soudain dans la chambre, l'air agité. Shijetsū se redressa, imité par Kahiro.
« Alors ? tu as appris quelque chose ?
– Lyrel n'en sait pas plus. Les Dieux se sont toujours manifestés à lui mais sans déclarer Leurs intentions. Il n'a pas non plus cherché à Leur demander ce qu'Ils veulent.
– Mais pourquoi les Dieux protégeraient-Ils un Vite ? » s'étonna Shijetsū.
Hakurō lui lança un regard excédé.
« Parce que je te le dis depuis le début : Lyrel n'est pas un Vite !
– Les Dieux ne protégeraient pas non plus un vampire ! rétorqua l'autre.
– Il y a quelque chose qui nous échappe et je ne vois qu'une seule façon de connaître la vérité. »
Shijetsū s'attendit au pire et ne fut pas déçu.
« Le rituel d'Invocation.
– Hakurō, non ! s'écria Shijetsū en panique. Tu n'as plus le droit d'entrer en contact avec les Dieux, Ils vont... Ils vont te tuer ! »
Il se tourna vers Kahiro pour avoir son soutien et l'autre vampire acquiesça d'un air pâle.
« Les Dieux nous exècrent, confirma-t'il. J'ai senti Leur dégoût quand Ils étaient en train de m'étrangler. Tu as beau être Leur descendant, Ils t'ont renié le jour où tu es devenu vampire.
– Mais Ils m'ont parlé à travers Lyrel hier soir, s'entêta le vampire. Je pense qu'Ils veulent communiquer avec moi.
– Tu en es certain ? s'inquiéta Shijetsū. Et si tu faisais erreur ?
– Ils m'ont appelé Kikuchi. Personne d'autre n'oserait le faire. »
Kikuchi était le nom d'enfant de Hakurō. À sa majorité il avait reçu de son père le nom de Harutō et tous l'avaient appelé ainsi depuis. Il se pouvait en certaines occasions spéciales qu'on l'appelle par son nom d'enfant mais c'était réservé à la famille et aux amis très proches. Lyrel n'aurait jamais pu connaître ce nom. En plus il avait eu les yeux complètement noirs à un moment, ce qui était la marque des Empereurs et des Dieux. Hakurō était donc intimement convaincu que c'était les Dieux qui avaient parlé à travers lui la veille et qu'Ils voulaient communiquer avec lui. Toutefois Lyrel ne semblait pas enclin à jouer les médiateurs alors il ne restait plus que cette option risquée.
« Ma décision est prise, affirma le chef des vampires. Je vais invoquer les Dieux afin qu'Ils m'éclairent à ce sujet. »
Shijetsū et Kahiro échangèrent des regards paniqués mais ne trouvèrent rien à redire. En ce qui concernait les Dieux, seuls les membres de la famille impériale ou le Grand Prêtre s'y connaissaient.
Le rituel d'Invocation était propre à la famille impériale et se transmettait oralement. Seul l'aîné pouvait le pratiquer. Le rituel permettait d'entrer directement en contact avec les Ancêtres dans le monde des esprits. Cela servait à obtenir Leurs conseils avisés en temps de crise ou pour Leur témoigner du respect tous les ans. Hakurō n'avait accompli ce rituel qu'une seule fois sous la supervision de son père à sa majorité. Il avait pu sentir ainsi tout l'amour de ses Ancêtres et Leur bienveillance. Il en gardait un souvenir ému. Ensuite il n'avait plus eu le droit de pratiquer le rituel tant qu'il n'aurait pas succédé à son père, hélas il était mort. Depuis il avait souvent songé à ses Ancêtres mais se disait qu'Ils le recevraient avec haine et mépris si jamais il osait se risquer à pratiquer le rituel d'Invocation. Désormais, même s'il était rempli d'appréhension, il était décidé à entrer en contact avec ses Ancêtres afin de connaître la vérité sur Lyrel.
Il s'isola donc dans ses quartiers, congédia ses serviteurs, repoussa la table basse qui occupait le centre de la pièce et éteignit les lanternes. Il se mit en tailleur et ferma les yeux en inspirant profondément. Il psalmodia une prière qui était aussi un sort pour s'ouvrir au monde des esprits. Les ombres s'agitèrent faiblement autour de lui et des voix susurrèrent :
« Kikuchi...
– Divins Ancêtres, est-ce bien Vous ?
– Même si tu es devenu une Abomination, Nous savons que la famille compte toujours pour toi. Alors écoute, Nous avons besoin de ton aide. »
Ce devait être bien grave pour que les Dieux aient recours à lui. Inquiet il demanda, les yeux toujours clos :
« C'est au sujet de Lyrel, n'est-ce pas ? Qui est-il et pourquoi le protégez-Vous ?
– Nous n'avons que peu de temps, écoute attentivement... »
Hakurō écouta sans interruption et quand la présence des Dieux s'évanouit, il resta un moment sous le choc. Puis il se leva et se rua vers les cellules.
Lyrel sentit un déplacement d'air puis la grille de la cellule s'ouvrit si vite qu'il crut qu'on l'avait arrachée. Ensuite il fut emprisonné dans une forte étreinte avant même d'avoir pu dire un mot. Il reconnut les cheveux couleur des ténèbres et protesta :
« Hakurō, qu'est-ce que...
– Je le sentais au plus profond de mon cœur, je le sentais ! C'est vraiment incroyable ! »
Le vampire s'écarta légèrement pour voir le visage du jeune homme. Ses yeux rouges étaient illuminés par la joie et une affection flagrante. Peu habitué à de telles manifestations, Lyrel sentit ses protestations rester coincées dans sa gorge. Hakurō le serra de nouveau contre lui et Lyrel commença à s'inquiéter pour de bon.
« Lâche-moi, » demanda-t'il en passant dans la langue des démons.
Le vampire finit par le libérer de son étreinte mais il garda les mains sur ses épaules, un immense sourire aux lèvres. Lyrel plissa le front.
« Que se passe-t'il ? »
C'était un revirement complet après leur dernière conversation. De son côté, Hakurō avait visiblement du mal à contenir son excitation ;
« J'en étais sûr, continua-t'il pour lui-même. J'avais même fini par croire que j'étais tombé de nouveau amoureux mais la vérité est encore plus merveilleuse ! »
Il ferma les yeux, ses lèvres toujours étirées en un sourire. Il baissa la tête pour que leurs fronts se touchent.
« Mon garçon, murmura-t'il, mon cher garçon. »
Cela acheva d'épouvanter Lyrel. Il se défit de l'étreinte et recula au fond de la cellule.
« Je ne sais pas ce qui te prend mais tu ne t'approcheras pas plus tant que tu ne m'auras pas expliqué ! » s'écria-t'il.
Cela fit rire le vampire.
« Bien sûr, bien sûr ! Excuse-moi de m'être laissé emporter par l'émotion. Suis-moi, ce n'est pas le lieu pour une telle conversation. »
Lyrel semblait toutefois réticent à l'idée de quitter la cellule.
« Moi ici, ça me va très bien, » marmonna-t'il.
Hakurō ne discuta pas et prit place sur la paillasse à même le sol. Il fit signe à Lyrel de s'asseoir à côté. Le jeune homme finit par accepter mais laissa le plus de distance possible entre eux.
« Par où commencer ? réfléchit Hakurō à voix haute. Je suis entré en contact avec les Dieux et Ils m'ont tout dit. »
Lyrel se tendit.
« Les d... Diables ? Tu ne devrais pas croire ce qu'ils disent, ils sont...
– Tais-toi et écoute, tu en jugeras par toi-même, le rabroua gentiment Hakurō. Tu es mon neveu, le second fils de l'Empereur Tegami et le petit-frère de Chiharu. »
Notes de Karura : Oh oh ?
Commentaires :
Leukih a écrit le mercredi 23 juin à 20:44
Argh que dire ? Déjà, merci d'avoir partagé cette histoire ! J'ai commencé à lire, et hop, j'ai fini. Elle m'a transporté, Lyrel m'a transporté. J'ai aimé autant que les décors, les descriptions, les personnages, les dialogues... J'ai passé un très bon moment à lire ton histoire. Et j'ai vraiment hâte de découvrir la suite !
Je laisse très peu de commentaires normalement mais je voulais te remercier de ton travail, donc voilà, merci !
Karura Oh a écrit le vendredi 2 juillet à 15:30
Merci beaucoup ! Je suis heureuse que l'histoire te plaise et j'espère que la suite te plaira tout autant !