Le Prince Solitaire 4 13

Chapitre Treize : Les Enfants Perdus


Jusqu'au soir, lors du banquet, Yama dut endurer les regards curieux des officiels, de dame Teshime et Tetsuō, et même des servants ! Il fallait dire que sa barbe avait été tellement marquante que cela faisait drôle à tout le monde de ne plus la voir. De même, ils avaient l'impression que Yama était devenu une autre personne et ils tâchaient de retrouver le Vite qu'ils connaissaient. Yama savait que cela finirait par passer, mais c'était bien la première fois qu'il se sentait aussi concerné par son apparence.

« Je savais que cela ne me rapporterait rien de bon de me regarder dans un miroir ! songea-t'il. Ce n'est que de la vanité ! »


Même lorsqu'il passa la fin de la soirée dans les appartements de Mitsuhide, comme à leur habitude, il pouvait sentir les yeux gris de son ami fixés sur lui. Sans se tourner, il marmonna :

« Tu pourrais arrêter de me regarder comme ça ?! »

Pris en flagrant délit, l'autre homme eut un rire embarrassé.

« Excuse-moi, mais... tu as vraiment l'air changé !

Je n'ai pourtant fait que raser ma barbe, répliqua Yama en prenant une gorgée de thé.

Exact. Ce n'est pas tant que tu as changé, c'est plutôt qu'on te voit mieux.

C'est juste mon visage qu'on voit mieux. Ce n'est pas moi. »

Cela rendit Mitsuhide perplexe. L'apparence faisait bel et bien partie de l'identité d'une personne — sans en constituer l'intégralité, bien entendu. Il savait déjà que Yama ne se souciait guère de son apparence, mais de là à la renier totalement...

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

« Au fait, pourquoi tu t'étais mis à porter la barbe ? s'enquit-il.

Eh bien, je n'ai jamais eu à me raser pendant longtemps, raconta Yama. Et puis un jour, je me suis rendu compte que ma barbe commençait enfin à pousser. J'étais content car c'était la preuve que... »

La preuve qu'il était bel et bien un Vite, que son corps grandissait et vieillissait comme il fallait, que l'histoire de Hakurō et des Diables n'était qu'une pure absurdité... Non, en fait, cette barbe n'était pas une preuve mais plutôt un moyen de se cacher de la vérité.

« La preuve de quoi ? fit Mitsuhide avec curiosité.

Oublie ça, c'est fini, la barbe.

Allons, si elle te manque tant que ça, il suffit d'attendre que ça repousse. »

Yama soupira.

« Étant donné le temps qu'elle a mis à pousser, ce ne sera pas la peine. Je préfère y renoncer pour de bon. »

Mitsuhide ne protesta pas davantage, surtout que cela l'arrangeait bien.


« Nos ennemis ne pourront plus te traiter de Vite hirsute, fit-il en souriant.

Je sais qu'ils trouveront d'autres insultes. »

Yama semblait vraiment d'humeur sombre et ce n'était pas seulement à cause de la barbe. Mitsuhide regretta le fait qu'il hésitait à se confier à lui. Depuis le temps, Yama aurait pourtant dû savoir qu'il pouvait tout lui dire, non ? Mitsuhide préférait lui laisser du temps mais bien souvent, il avait envie de le secouer jusqu'à ce que l'autre homme lui révèle tous ses secrets. Cela leur ferait du bien à tous les deux. Mitsuhide chassa cette idée tentante de son esprit.

« Courage, » lui fit-il simplement.

Yama lui lança un regard surpris avant de hocher la tête. Il eut un léger sourire aux lèvres — bien plus visible à présent sans tous ces poils autour.


~*~


Le lendemain, avant de se rendre à sa caserne, Yama se rendit aux Archives pour voir l'historien Kokude. Les Archives se trouvaient dans la ville, mais pas très loin du palais. Yama eut la mauvaise surprise de se faire importuner par deux gardes à l'entrée :

« Halte ! L'accès aux Archives est interdite à toute personne non autorisée. Déclinez vos noms, fonction et raison de votre venue ! »

Il n'avait jamais eu à s'identifier avant. Bien évidemment, sa barbe lui avait servi de présentation.

« Général Yama, fit-il d'un ton un peu sec. Je viens m'entretenir avec l'historien Kokude. »

Mais les soldats étaient restés bloqués sur ses deux premiers mots, incrédules.

« Général Yama ? Mais il... vous... où est votre...

Je me suis rasé, » fit-il pour ce qui devait être la centième fois depuis la veille.

Les gardes le fixèrent d'un air éberlué. Il serra les mains sur les rênes de sa monture.

« Vous allez me laisser passer ou quoi ?! demanda-t'il.

Euh... Oui, général Yama ! »

Il put enfin entrer dans la cour du bâtiment.


Il lui fallut encore s'identifier à l'entrée du pavillon — et cette fois, le garde exigea de voir sa plaque de général avant d'y croire. Yama put alors être respectueusement conduit à celui qu'il était venu voir. Kokude était un des conseillers de Mitsuhide, mais il ne s'exprimait que rarement lors des conseils et uniquement lorsqu'on lui posait une question. C'était un homme petit qui commençait à avoir des rides au visage, ce qui voulait dire qu'il avait entre cent trente et cent cinquante ans. Il paraissait plus à l'aise dans son bureau regorgeant de parchemins quand dans les réunions du conseil à parler de stratégie militaire. En tout cas, il fut l'un des seuls à ne pas gober les mouches en voyant le général sans sa fameuse barbe. C'était comme s'il s'en moquait bien, ce qui lui valut la gratitude silencieuse de Yama.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

« Général Yama, le salua-t'il. Que me vaut l'honneur de cette visite ? »

Yama le salua à son tour avant d'aborder directement le sujet qui l'amenait ici :

« J'ai une question pour vous : dans vos Archives, est-ce que vous notez les événements relatifs à des disparitions d'enfants ? »

L'historien cligna des yeux, confus.

« Des disparitions d'enfants, dites-vous ? Que voilà une chose horrible !

Vous dites que cela n'arrive jamais ? »

L'historien secoua la tête et redressa sa coiffe d'officiel.

« Non, cela peut arriver mais nous ne pouvons pas recenser toutes les fois où un enfant s'égare et qu'on le retrouve ensuite. Quel serait l'intérêt ? »


Yama plissa le front et insista :

« Et si on ne le retrouve pas ? Je parle d'enfants portés disparus depuis des années, voire des décennies.

Hélas, il arrive parfois de tragiques accidents : un enfant glisse dans la rivière et se noie, ou tombe d'une falaise, et on ne retrouve jamais leurs corps... Il y a bien trop d'habitants dans notre province pour qu'on consigne tout cela, surtout que dans les villages reculées, ces choses peuvent se produire sans que nous en soyons informés. »

Effectivement, les villageois se chargeaient en général eux-mêmes des recherches — et de l'enterrement en cas de malheur. À Misato, un tel drame n'était jamais arrivé durant les treize années où Yama y avait résidé. D'un autre côté, les naissances et les décès n'étaient jamais signalés non plus aux autorités.


« Même pour les familles nobles ? s'enquit-il, frappé par une idée.

Aah, ça, c'est une autre histoire. Nous avons consigné l'histoire de toutes les nobles familles de Madare. »

Voilà qui était mieux. Mais avant que Yama n'ait pu poser la question, Kokude l'avait devancé :

« Je vous garantis qu'aucun enfant noble n'a disparu depuis des décennies.

Vous êtes sûr ? Vous n'avez pas besoin de consulter vos archives avant ? » s'étonna Yama.

Le petit homme secoua la tête.

« Si un drame pareil était arrivé de mon vivant, je m'en souviendrais forcément ! »


Le général plissa le front. Si aucun enfant n'avait disparu, mais pourtant qu'il avait disparu quand même, qu'est-ce que cela laissait comme possibilité ? Il trouva soudain la réponse :

« Et les décès ?

Excusez-moi ?

Je voudrais tout connaître des enfants nobles décédés, surtout dans des incidents et dans les cas où le corps n'a pas été retrouvé, ou bien n'était pas identifiable. »

Kokude fronça les sourcils.

« Vous avez de bien tristes intérêts, général Yama, commenta-t'il. Mais soit, je peux vous trouver ces renseignements.

Alors c'est déjà arrivé ? »


L'historien poussa un triste soupir.

« Même si c'est horrible et malheureux, des enfants meurent de maladies, d'accidents ou d'autres calamités. Vous ignorez peut-être que depuis des décennies, nous avons souffert de tremblements de terre, d'inondations, de sécheresse, etc., sans parler des Horreurs qui hantent nos campagnes ! Les temps sont instables, général Yama. C'est à croire que les Dieux sont en colère contre nous ! »

Yama retint un reniflement, tandis que les ombres s'agitaient.

« Non, vos dieux n'y sont pour rien, » songea-t'il.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

L'historien appela un de ses secrétaires pour transmettre la requête. Cela rappela autre chose à Yama :

« Oh, serait-il possible d'obtenir les mêmes renseignements pour les autres provinces ? »

Cela lui valut un regard ahuri.

«  Toutes les autres provinces ? Général Yama, nous n'avons ces détails que pour notre Madare, et cela représente déjà une quantité non négligeable de documents !

Mais il existe bien des Archives comme celle-ci dans chaque province, non ? Vous ne pourriez pas leur demander ? »


Le regard de l'historien tourna à l'amusement.

« Vous oubliez un peu que nous sommes en guerre contre le reste de l'Empire. Vous devriez pourtant en avoir plus conscience que moi, général Yama. Notre requête sera forcément rejetée car personne ne voudrait être accusé de communiquer en cachette avec des rebelles comme nous. »

C'était fort gênant en effet. Pour autant, Yama ne voulait pas renoncer.

« La province de Fūku est notre alliée, ils n'ont donc pas de raison de nous refuser ces renseignements. Pour les autres, essayez toujours, on ne sait jamais.

Je vais devoir en informer le seigneur Mitsuhide, prévint prudemment Kokude. Les communications avec les autres provinces sont surveillées dans les deux sens.

Bien sûr, » acquiesça Yama sans hésiter.


Le secrétaire repartit avec les différentes requêtes et beaucoup de travail à déléguer.

« Je vous enverrai d'ici une à deux semaines les renseignements concernant Madare, l'informa l'historien. Pour les autres provinces, en admettant qu'elles nous répondent, j'ai bien peur qu'il ne vous faudra attendre des mois. »

Yama hocha la tête avant de se lever.

« C'est parfait. Merci pour votre aide, historien Kokude. »


~*~


Le mot avait dû circuler dans toute la caserne car, dès que Yama fut en vue, il eut l'impression que tous les soldats se trouvaient à l'entrée, chacun faisant mine d'avoir une raison parfaitement légitime de se trouver là et surtout pas d'être en train de guetter l'arrivée de leur général. Yama retint une grimace et fit avancer son cheval, les dents serrées.

« Le général Yama arrive ! » entendit-il crier inutilement.

Les deux gardes à l'entrée le saluèrent, sans cacher leurs regards curieux. Ce fut la même chose dans la cour. Bah, au moins ses hommes ne pourraient pas se plaindre qu'il ne tenait pas parole. Yama inspira et décida d'ignorer désormais les regards appuyés et de se comporter comme d'habitude. Autrement, il n'aurait pas fini de regretter son pari téméraire.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Ses commandants l'attendaient à l'entrée du bâtiment. Parto eut un grand sourire, tandis que Kitano écarquilla les yeux et que même Tsumi se départit de son air composé.

« Général Yama, fit Parto d'un ton enjoué. Alors, comment vous vous sentez sans cette barbe ?

Nu, avoua-t'il à contrecœur.

– Bah, vous vous y ferez. En tout cas, je vous assure que vous êtes bien mieux comme ça ! »

Yama ignora le commentaire saugrenu. Comme toujours, son apparence lui était complètement égale — sauf quand elle risquait de le trahir.


« Vous ressemblez à un humain, » fit Kitano d'un ton stupéfait.

Le général lui jeta un regard appuyé.

« Ne vous fiez pas aux apparences, elles sont souvent trompeuses, » rétorqua-t'il d'un ton sec.

Le commandant comprit et n'insista pas davantage. Yama put alors descendre de Yaji, son cheval, et le confia à un soldat pour qu'il l'emmène aux écuries. En se retournant, il vit Gugonjū un peu plus loin dans la cour qui le dévisageait avec un sourire connaisseur. Constatant qu'il avait attiré son attention, le prêtre s'inclina respectueusement — trop respectueusement pour un simple général. Yama lui tourna le dos avec agacement, se moquant bien de ce que le prêtre pouvait penser.







Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
La Renaissance du Suprême Immortel 447 et 448
Lanterne 52
La Renaissance du Suprême Immortel 445 et 446

Planning des mises à jour :
Dimanche tous les quinze jours : Lanterne : le reflet d’une fleur de pêcher
La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire