Chapitre Seize : Retrouvailles
Il n'y eut plus d'autre incident sur la route et ils arrivèrent en vue de Hanajū à l'aube du troisième jour.
« Nous y sommes vraiment arrivés, » souffla l'adolescent à sa compagne.
Ils échangèrent des regards las, mais soulagés. Il était clair qu'ils avaient vécu des choses éprouvantes pour en arriver là et que cela avait créé des liens entre eux. La femme se tourna ensuite vers Yama et, pour la première fois, inclina légèrement la tête dans sa direction.
« Merci pour ton aide, fit-elle d'un ton plus chaleureux. En guise de récompense...
– Je peux garder le cheval, je sais, compléta-t'il à sa place. Mais dites-moi, vous voulez faire une entrée remarquée au palais ou bien vous préféreriez de la discrétion ? »
Les deux voyageurs se figèrent.
« Qu'est-ce qui vous dit qu'on va au palais ? » répondit l'adolescent en tentant manifestement de brouiller les pistes.
Yama haussa les épaules.
« Vous n'avez certainement pas fait tout ce chemin pour les brioches au lotus.
– Les quoi ?
– Peu importe. L'accès à la ville est surveillé, il faudra vous identifier pour passer. »
La femme plissa ses yeux azur.
« Tu as une autre suggestion ?
– Je peux vous faire entrer discrètement au palais. »
Elle le toisa, prête à lui demander de nouveau son identité, mais elle se tut, sachant qu'il lui retournerait la question comme les autres fois.
« Nous te suivons, » accepta-t'elle à contrecœur.
Yama leur fit donc contourner la ville pour prendre le chemin des casernes. Il remit la capuche de Yatsu en place, ainsi que la sienne. À un moment, il leur fit quitter la route pour passer par les champs d'entraînement. À cette heure matinale, ils ne risquaient pas de croiser des soldats. Quant aux sentinelles, elles surveillaient les routes, pas les champs. Pour quelqu'un qui connaissait les lieux et les habitudes, c'était très facile de passer inaperçu. Concernant le palais, Mitsuhide lui avait montré une entrée secrète — qui servait aussi de sortie d'urgence en cas d'invasion du palais. Seules quelques personnes la connaissaient, et c'était une grande marque de confiance de la part du seigneur. Cette entrée menait dans les jardins, et deux des gardes personnels du seigneur y étaient postés en permanence.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Yama ne chercha pas à les esquiver. Il s'avança sous l'arche de pierre et s'arrêta lorsque les deux gardes l'interpellèrent :
« Halte ! Qui va là ? »
Pour toute réponse, il retira sa capuche et les gardes, bien disciplinés, ne marquèrent qu'une légère surprise.
« Ah, général Yama ! Nous ignorions que vous alliez venir. »
Yama ignora les exclamations étouffées de surprise derrière lui. Son identité était finalement dévoilée.
« Faites prévenir Mitsuhide, ordonna-t'il. Je lui amène des invités. Nous l'attendrons dans la bibliothèque.
– À vos ordres, général Yama ! »
Tandis que l'un des gardes courait porter le message, Yama descendit de cheval, imité par les deux autres voyageurs. Ils laissèrent leurs montures au second garde. Un servant viendrait plus tard pour les emmener aux écuries. Sans laisser le temps de discuter, Yama fit signe aux deux voyageurs de le suivre et il les conduisit à la bibliothèque. Ils ne croisèrent que des servants sur leur passage, mais ceux-ci ne se privèrent pas de chuchoter en les regardant. Yama se força au calme. Dans peu de temps, il ferait de nouveau face à Mitsuhide après son brusque départ, et il ignorait comment l'autre homme allait réagir.
« Mal, c'est sûr, » soupira-t'il.
Cela dit, avec un peu de chance, la présence des deux autres voyageurs distrairait Mitsuhide...
« Papa, fit soudain Yatsu en tirant sur sa manche, je peux retourner dans nos quartiers ?
– Attends, répondit son père. Je préfère voir ça avec Mitsuhide avant. Nous sommes partis brusquement, après tout.
– Vous allez encore vous crier dessus, soupira le garçon.
– Je ne lui crierai pas dessus, assura Yama. Lui par contre, il risque de le faire. »
Yatsu prit un air attristé. Il n'aimait pas les querelles, et encore moins lorsque c'était entre Mitsuhide et son père.
La bibliothèque était évidemment déserte à cette heure, mais la lumière du jour entrait par les fenêtres. Ils purent donc s'installer sans avoir besoin d'une lanterne. L'adolescent en profita pour s'écrier enfin, s'étant retenu tout au long du chemin :
« J'ai bien entendu ? Vous êtes le général Yama ?! »
Il se tourna vers les deux voyageurs et nota leurs regards incrédules et choqués. Il acquiesça.
« Mais... mais... Père m'a dit que vous étiez barbu... »
Oh non, cette histoire de barbe le poursuivrait jusqu'à sa mort, dirait-on !
« Je me suis rasé, fit-il d'un ton sec.
– Pourquoi ne pas nous avoir dit qui vous étiez ? » lança la femme d'un ton accusateur.
Cependant, elle employait désormais avec lui un ton plus respectueux.
Yama répliqua :
« Je vous l'aurais dit, en échange de vos noms. »
La femme voulut répliquer à son tour quand les portes de la bibliothèque s'ouvrirent brusquement. D'un pas précipité, le seigneur de Madare fit son entrée. Lui qui était d'habitude si attentif à sa tenue avait l'air d'être directement sorti du lit avant de venir — ce qui était certainement le cas. Il ne portait qu'une tunique d'intérieur à moitié nouée et ses longs cheveux vert foncé étaient simplement nattés. Sans se soucier des autres présents, Mitsuhide fonça droit vers Yama qui lui lança un regard résigné. Le seigneur de Madare le frappa alors violemment au visage. Yama encaissa le coup sans chercher à esquiver.
« Comment tu as osé ?! s'écria Mitsuhide, furieux. Comment tu as pu me faire ça ?!
– Mitsuhide, je...
– Silence ! Tu es parti au beau milieu de la nuit sans même me laisser un mot, et...
– Je t'ai laissé un mot ! » protesta alors Yama.
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Cela coupa Mitsuhide dans son élan. Il plissa le front pour se rappeler.
« Quoi, tu parles du gribouillis que j'ai retrouvé sur ton bureau ? Je n'ai même pas réussi à le déchiffrer !
– Ça disait “Pardon”, » expliqua Yama avec un soupir.
Mitsuhide le fixa un long moment, se demandant si l'autre se moquait de lui ou non.
« “Pardon”, c'est tout ? Ah, cela excuse tout, bien entendu ! fit-il avec sarcasme. Franchement, je ne sais pas ce qui me retient de te frapper !
– Tu viens de le faire, » fit remarquer Yama.
Au regard noir de son ami, il préféra changer de sujet.
« Au fait, je t'ai amené des visiteurs. »
Ce fut seulement à ce moment que Mitsuhide se rendit compte de la présence des deux voyageurs. La femme détourna pudiquement les yeux devant son aspect débraillé, tandis que l'adolescent restait bouche bée devant cette scène de dispute. Gêné, Mitsuhide fit signe à son servant, Yūta, qui l'avait suivi en vain avec une seconde tunique afin de le rendre présentable. Mitsuhide enfila le vêtement et le noua correctement.
« Hum, toutes mes excuses, leur fit-il. Je suis Mitsuhide, seigneur de Madare. Puis-je savoir à qui j'ai l'honneur ? »
La femme tourna d'abord un peu la tête pour s'assurer qu'il était visible, puis elle retira sa capuche.
« Seigneur Mitsuhide, je suis l'Impératrice Kaname, et voici le Firal Kikuchi, fils du général Kenryū du clan Inugami. »
Mitsuhide écarquilla les yeux et s'agenouilla devant elle comme le voulait l'usage.
« Vot... Votre Majesté, c'est un grand honneur ! Je ne m'attendais pas à votre venue ! »
Kaname hocha la tête avant de se tourner vers Yama qui était resté debout. Elle fronça légèrement ses sourcils roses.
« L'usage veut que l'on s'agenouille devant l'Impératrice, lui indiqua-t'elle.
– Je ne suis pas un sujet de l'Empire de l'Aube, répondit-il simplement.
– Yama ! siffla Mitsuhide. Votre Majesté, veuillez l'excuser, il est... il est impossible ! Je ne sais pas quoi faire de lui ! »
Le visage de l'Impératrice se radoucit un peu.
« Quoi qu'il en soit, nous n'aurions pas pu arriver sans l'aide précieuse du général Yama. Il nous a escortés depuis l'ouest de la province de Murōki, alors que des soldats étaient à notre poursuite. »
Mitsuhide tiqua en entendant cette information, puis il lança un regard en coin à son ami.
« Intéressant, nota-t'il pour lui-même. Votre Majesté, puis-je vous demander ce qui vous amène à Hanajū ? Vous n'êtes pas sans ignorer la situation actuelle.
– Plusieurs choses m'amènent, à vrai dire. Tout d'abord, j'ai une question pour le général Yama. »
Elle se tourna vers lui et parut soudain hésiter. Il croisa son regard, patient. Elle se lança enfin :
« Êtes-vous... êtes-vous Iguna ?
– Oui, » répondit-il en retenant un soupir.
Le piège du destin venait de se refermer sur lui. Il n'aurait plus d'échappatoire désormais et ne pourrait que se précipiter vers sa fin.
Sa réponse rapide et franche laissa l'Impératrice quelque peu perplexe.
« Vous... vous n'avez peut-être pas compris. Je vous demande si vous...
– J'ai compris. Vous me demandez si je suis bien la même personne qui vous a aidé à quitter Metsūjū il y a dix-neuf ans de cela, lors de l'Invasion. La réponse est oui. »
Les derniers doutes de Kaname s'envolèrent alors. À la surprise générale, elle se jeta dans les bras du Vite.
« C'est toi, c'est vraiment toi ! » murmura-t'elle, les larmes aux yeux.
Confus devant une telle réaction, Yama ne sut que faire. Kaname finit par le lâcher et elle ressuya une larme.
« Je savais que c'était toi, je le sentais au plus profond de mon cœur ! Ah, j'ai tant de questions à te poser, Iguna ! »
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Mitsuhide toussota pour attirer leur attention.
« Je constate que nous avons matière à discussion. Si vous le permettez, votre Majesté, je suggère que nous nous retrouvions d'ici une heure pour déjeuner ensemble. Cela vous laissera le temps de vous rafraîchir après ce long voyage. Je vais faire prévenir mon épouse pour qu'elle mette ses servants à votre disposition. Quant au Firal Kikuchi, mes servants vont s'occuper de lui.
– C'est une excellente idée, seigneur Mitsuhide, approuva-t'elle. Ce fut en effet un voyage fort long et éprouvant. »
Mitsuhide fit alors signe à Yūta de transmettre ses instructions.
Yatsu osa alors enfin se manifester, lui qui s'était fait tout petit jusque là car il était bien trop intimidé.
« On... oncle Mitsuhide, je peux aller voir Tetsuō ? »
Le seigneur lui sourit chaleureusement. Ce n'était pas contre le petit qu'il était fâché.
« Bien sûr, Yatsu. Tetsuō sera ravi de te revoir. Ah, par contre, si un autre te pose la question, tu devras dire que tu étais malade ces derniers jours et que tu étais resté alité, tu comprends ?
– Pas question ! intervint Yama. Tu ne feras pas mentir mon fils ! »
Mitsuhide lui adressa un regard rempli de rancune.
« Tu préfères peut-être que tout le monde sache que mon général s'est enfui avec son fils à quelques semaines de la bataille ?! rétorqua-t'il. Tu réalises un peu l'effet que cela aurait sur le moral de nos troupes ? »
Un peu affecté, Yama n'en démordit pourtant pas :
« Je refuse que mon fils mente !
– Ça, tu aurais dû y penser avant de me trahir !
– Je ne t'ai pas...
– C'est bon, papa ! s'écria soudain Yatsu, peu désireux de les entendre encore se disputer. Je vais le faire, ce n'est pas grave ! »
Yama lui lança un regard peiné.
« Yatsu...
– Ce n'est pas grave, » répéta le garçon avec un sourire un peu triste.
Il quitta la bibliothèque sous le regard malheureux de son père. Mitsuhide n'en avait cependant pas fini :
« Et toi, Yama, la version officielle sera que tu es parti à la rencontre de l'Impératrice et du Firal pour les escorter dans le plus grand secret.
– Je ne...
– N'essaie même pas de refuser ! Tu m'es redevable après le coup que tu m'as fait ! Et puis, ce n'est pas entièrement faux, n'est-ce pas ? »
Yama ne put rien dire pour se défendre.
« De plus, tu me dois toujours des explications. Et je te garantis que je ne te lâcherai pas tant que tu ne m'auras pas tout dit ! »
La mort dans l'âme, Yama s'inclina.
Tandis que les invités étaient pris en charge et que la rumeur de la présence de l'Impératrice se répandait dans tout le palais, Mitsuhide garda Yama dans la bibliothèque et avait ordonné à son servant de les laisser seuls. Il foudroya son ami du regard, assis sur un coussin de sol et attendait clairement des explications. Yama pressentit que ce ne serait pas un moment agréable, mais il lui devait bien ça.
« J'ai dû partir précipitamment parce que Yatsu était en danger, commença-t'il.
– Quel danger ? demanda sèchement le seigneur.
– Les Hikari. Je pense qu'ils vont s'en prendre à lui pour se venger de moi.
– Oh, et tu l'as su comment ? Tu as des espions chez eux ? »
Le ton était clairement sarcastique et agressif. Cependant, Yama estimait qu'il le méritait bien.
« Non, je... je l'ai vu en rêve. »
Il grimaça en songeant que c'était là un faible argument et que cela sonnait faux. Pourtant, comme toujours, il ne faisait que dire la vérité.
Le visage de Mitsuhide s'était figé dans un masque d'incrédulité.
« Un rêve ? » répéta-t'il.
Yama acquiesça et, à nouveau, Mitsuhide se demanda s'il ne se moquait pas de lui.
« Voyons si j'ai bien compris : tu as rêvé que Yatsu allait être en danger, donc tu es parti sans prévenir au beau milieu de la nuit, c'est ça ?
– Oui, c'est ça, » fit-il en déglutissant.
Un long silence régna après ça, puis un rire hystérique le brisa soudain.
« Mon plus valeureux général qui s'enfuit à cause d'un cauchemar ?! Mais tu es encore un enfant ou quoi ? Tu ne sais donc pas distinguer les rêves de la réalité ?!
– Ce n'était pas un simple rêve ! se défendit-il. Je sais que ça va arriver ! Et la seule façon de l'éviter, c'était de partir tout de suite. Je ne voulais pas le faire, mais tu peux quand même comprendre que la sécurité de Yatsu passe avant tout ! »
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Mitsuhide détourna les yeux, incapable de le regarder plus longtemps.
« Si Yatsu avait vraiment couru un danger, j'aurais pu comprendre. Mais là, tu me parles d'un stupide rêve de bonne femme ! Comment veux-tu que j'y crois ?
– Je sais que c'est dur à croire, reconnut Yama, mais je t'assure que ce rêve est bien réel. C'est comme... une vision d'un futur possible.
– Parce que tu as des visions maintenant ? fit Mitsuhide d'un ton sidéré. Et tu as déjà eu d'autres visions dans le même genre ?
– Oui, fit Yama en soupirant. Dans une autre vision, je meurs en tuant les Hikari. »
Mitsuhide en resta sans voix. C'était ridicule, pourtant il sentait que Yama y croyait sérieusement !
« Une idée d'où peuvent venir ces visions ? railla-t'il. Et ne parle pas des Dieux, car c'est bien connu qu'Ils n'envoient des visions qu'aux membres de la famille impériale ! »
Yama referma alors la bouche et ne dit rien. Mitsuhide le fixa de nouveau, tremblant de rage contenue.
« J'ai accepté de mettre ma province en guerre contre l'Empire parce que je te faisais confiance, siffla-t'il. J'ai mis ma famille et mon peuple en danger pour toi ! Et je découvre qu'en plus de tes nombreux secrets, tu te fies à des rêves ?! Ah, quel fou j'ai été de te croire. »
Il posa une main sur son visage et sombra dans le silence. Yama baissa la tête, malheureux à cause de la peine qu'il causait à son ami. Il semblait qu'il n'était bon qu'à ça.
« Mitsuhide, je...
– Ça suffit, Yama. Maintenant, je veux savoir. »
Yama lui lança un regard d'incompréhension.
« Je veux savoir qui tu es une bonne fois pour toutes. Je ne peux plus te faire aveuglément confiance, pas quand tu es capable de disparaître du jour au lendemain ! »
Yama soupira lourdement.
« C'est fini, l'occasion est passée. Maintenant, je continue avec toi jusqu'au bout.
– C'est ça, ou alors jusqu'à ton prochain rêve ! railla le seigneur. Non. Soit tu me dis maintenant qui tu es vraiment, soit tu t'en vas pour de bon. »
Yama sentit son cœur se serrer. Une fois de plus, il devrait quitter un endroit qu'il considérait comme sa maison et des gens qui étaient devenus sa famille. Il serra les poings sur ses genoux.
« Plus jamais, se jura-t'il. Plus jamais je ne m'attacherai autant. Cela ne sert à rien de toute manière, puisque cela ne dure jamais bien longtemps. »
Mais en attendant, il était déterminé à regagner la confiance de son ami, quitte à lui avouer ses pires secrets.
« Je ne sais pas vraiment qui je suis, expliqua-t'il lentement. Tu sais que je ne me souviens plus du tout de mes seize premières années. Et tu as eu raison sur le fait que mon amnésie n'est pas normale : quelque chose l'a provoquée. Le problème, c'est qu'il n'y avait que peu de gens quand c'est arrivé, alors ce qu'on m'en a appris... n'est pas nécessairement fiable. Voilà pourquoi j'ai dit qu'il y avait deux versions possibles, l'horrible et la très horrible.
– Ne me fais pas croire que tu n'as pas cherché à en savoir plus sur toi ! intervint Mitsuhide, incrédule.
– Au début, si, fit-il avec un pauvre sourire. Cela m'a tourmenté pendant bien des années. Et puis, j'ai fini par cesser de m'accrocher au fait de connaître la vérité. Je pensais... que cela n'avait pas d'importance et que ce qui comptait, ce n'était pas celui que j'étais mais celui que je voulais être. Pourtant, ces derniers temps, on dirait bien que tout mon passé ressurgit et influe sur mon présent et mon avenir. Je ne peux donc plus l'ignorer. »
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Mitsuhide écoutait, captivé malgré sa colère. C'était bien la première fois qu'il entendait Yama parler autant de lui-même, de ses sentiments, ses doutes et ses aspirations. Il avait l'impression de voir enfin le cœur de son ami, et c'était ce qu'il avait toujours désiré.
« Alors ? demanda-t'il d'un ton plus doux.
– Je vais te donner l'une des deux versions, celles dont les faits sont avérés.
– Ce sera l'horrible ou la très horrible ? »
Yama eut un rire sans joie.
« Tu en décideras après l'avoir entendue. »
Il soupira, rassembla ses pensées, puis se lança dans son récit, sous l'œil attentif de son ami.
« Je vais te parler de Lyrel. C'est mon nom, le premier que j'ai porté en tout cas. Lyrel a perdu son père à l'âge de dix ans. Va savoir pourquoi, il s'est mis en tête que c'était sa mère qui l'avait tué pour s'emparer du pouvoir et qu'elle allait faire de même avec lui quand il serait en âge. Terrifié, il voulait absolument devenir plus fort. Alors il s'est approché d'un autre noble, Banien, afin de s'en fait un allié. Mais ce Banien était un dégénéré. »
Mitsuhide sursauta à ce moment et chercha son regard. Les dégénérés étaient ceux qui s'en prenaient aux enfants, une perversion proscrite dans l'Empire de l'Aube. Yama poursuivit d'un ton neutre :
« Non content d'abuser de Lyrel pendant des années, il l'a aussi initié aux arts occultes. Ensemble, ils ont massacré des dizaines d'innocents pour invoquer un démon. »
Mitsuhide reconnut ce mot et s'écria :
« C'est absurde ! Comment le fait de tuer des gens pourrait faire venir l'un d'entre nous chez les Vites ?
– C'est malheureusement une croyance commune dans le royaume des Vites. Pour nous, vous n'êtes pas des gens mais des créatures magiques, un peu comme les Horreurs. Il est donc possible de vous invoquer avec le bon rituel. »
Mitsuhide fronça les sourcils, clairement outragé par cette comparaison insultante.
Yama poursuivit :
« Après six ans de meurtres, un démon leur apparut enfin. Il avait un bébé avec lui et leur proposa de leur transférer les pouvoirs et les connaissances de ce bébé démon.
– Qu'est-ce que tu me racontes, par les Dieux ? intervint Mitsuhide qui ne put en écouter davantage. Tu inventes ou quoi ?!
– Je te jure que cela s'est produit ainsi. Je le jure sur la vie de Yatsu. »
Les deux hommes se contemplèrent d'un air grave. Troublé, Mitsuhide se mordit les lèvres mais ne protesta plus.
« Lyrel fut désigné et le démon commença sa magie. Sauf que ça a mal tourné à un moment : le démon s'est fait attaquer par... des forces étrangères et a été décapité. Banien a pris peur et s'est enfui avec sa tête. Lyrel... hé bien, à son réveil, il n'avait plus aucun souvenir de son passé et...
– Attends, tu... tu veux dire que ton amnésie est arrivée comme ça ?! »
Yama hocha la tête et poursuivit :
« Il s'est retrouvé comme promis avec des pouvoirs et aussi la capacité de parler la langue des démons. Voilà le moment à partir duquel commencent mes souvenirs. »
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Abasourdi, Mitsuhide digéra lentement les informations trop nombreuses et trop choquantes.
« Ensuite ? demanda-t'il en redoutant le pire.
– Tu connais à peu près la suite. Ma famille m'a renié en apprenant ce qui s'était passé. Je suis entré dans l'ordre des Templiers afin d'utiliser mes pouvoirs pour faire le bien et expier les crimes que j'avais commis.
– Et ce... ce dégénéré, cracha Mitsuhide. Qu'est-il devenu ?
– Je l'ai revu un an plus tard. Il était devenu une Abomination : en mangeant la tête du démon, il avait reçu des pouvoirs meurtriers. Depuis, il devait manger la langue et les yeux de ses victimes pour conserver ses dons. Nous nous sommes affrontés et je l'ai tué. »
Mitsuhide porta une main à sa bouche, horrifié et écœuré.
« Arrête, fit-il, c'est assez... »
Yama lui laissa le temps de se ressaisir. Mitsuhide finit par se redresser et jeta un regard nouveau sur lui.
« Voilà donc la très horrible version.
– Non, le contredit Yama. Ce n'était que la version horrible. »
Les yeux gris s'écarquillèrent. Mitsuhide était visiblement incapable de concevoir pire que ça.
« C-comment tu as pu survivre à tout cela ?! s'écria-t'il, bouleversé. C'est... c'est si...
– Je n'ai aucun souvenir des pires moments, expliqua Yama. On me l'a raconté, mais c'est comme si c'était arrivé à quelqu'un d'autre.
– Mais même ! Rien que de penser que tu as vécu de telles atrocités et que pourtant tu es encore... que tu n'as pas été détruit par tout ça ! »
Yama plissa le front, ne comprenant pas la réaction excessive de son ami. Pourquoi aurait-il été détruit ? C'était sa vie, aussi terrible soit-elle. Personne ne menait une vie entière de bonheur, les épreuves faisaient partie du cours normal de l'existence. Si on devait renoncer à la première difficulté, les gens ne vivraient pas bien longtemps !
Mitsuhide secoua la tête, encore sous le coup de l'émotion. Il savait que son ami avait des secrets, mais il ne se serait jamais attendu à des choses aussi horribles ! Il comprenait à présent pourquoi Yama évitait de parler de son passé. Malgré ça, il ne regrettait pas d'en avoir appris un peu plus sur lui.
« Et ces pouvoirs, fit-il en fronçant les sourcils. Il y a le pouvoir du feu que tu m'as déjà montré, mais y a-t'il autre chose ? »
Yama prit un air réticent.
« Il semblerait qu'il y ait aussi... les ombres.
– Quoi, tu veux dire les ténèbres ? s'écria Mitsuhide en écarquillant les yeux. Mais c'est... c'est le pouvoir des Dieux ! »
Yama préféra ne rien dire de plus car il s'aventurait en terrain glissant.
« Je ne sais pas grand-chose à ce sujet, éluda-t'il.
– Montre-moi. »
Yama fit une grimace. Il n'était pas question qu'il laisse les Diables s'en donner à cœur joie ! Même affaiblis, ils restaient dangereux !
« Je ne contrôle pas bien ce pouvoir, j'ai... j'ai l'impression qu'il a sa volonté propre. Ce serait dangereux que je l'invoque. »
Mitsuhide fronça les sourcils.
« C'est pourtant ce pouvoir qui te permet de tuer les Hikari, non ? Parce que les ténèbres neutralisent tous les sorts de lumière. »
Cela lui valut un regard surpris de la part de Yama.
« Tu t'y connais en magie ?
– Non, mais ce sont les six éléments : l'eau, l'air, le feu, la terre, la lumière et les ténèbres. Chaque élément a son opposé, et celui de la lumière est naturellement les ténèbres. Et les Hikari se vantent assez de représenter la lumière.
– Ah... Oui, tu as sûrement raison. C'est pour ça que je peux tuer les Hikari. »
Ravi d'avoir résolu un mystère, Mitsuhide s'attela à un autre qui le turlupinait.
« Mais je n'arrive toujours pas à croire cette histoire d'invocation. Comment un humain aurait-il pu apparaître au royaume des Vites ? On n'a rien à faire là-bas ! C'est vraiment...
– Ce démon était un Hikari, » révéla alors Yama.
Son ami le fixa, bouche bée.
« Et pendant la bataille de Tode, j'ai vu les Hikari s'enfuir dans un portail de lumière et disparaître en un clin d'œil. Je pense qu'ils peuvent se transporter sur de très longues distances comme ça. Cela explique beaucoup de choses, en tout cas.
– C'est vrai que tu m'as parlé de ce portail, mais comment est-ce possible ? »
Les ombres s'agitèrent soudain et soufflèrent quelques informations à Yama. Perplexe, ce dernier fronça les sourcils.
« Il... Il semblerait que ce soit à cause de la lumière qui se déplace dans le monde.
– De quoi ? C'est encore une croyance de Vites ? La lumière ne se déplace pas, voyons. Ne me dis pas que c'est l'explication qu'ils ont trouvé pour l'alternance du jour et de la nuit ?! »
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Yama secoua la tête.
« Non, cela n'a rien à voir. C'est une vitesse si élevée qu'on ne peut pas la percevoir. Et les Hikari peuvent se servir de la lumière pour se déplacer à cette vitesse quasi-instantanée partout dans le monde. »
Cependant, cela requérait une immense quantité de ténèbres — encore cette histoire d'opposé. Quand des Hikari étaient tués, les ténèbres contenues dans leurs âmes s'échappaient et pouvaient être utilisées de la sorte par d'autres Hikari. Yama songea que décidément, les Hikari étaient encore pire que tous les hérétiques qu'il avait pu voir, y compris Banien.
Encore perplexe et pas entièrement convaincu, Mitsuhide reprit :
« Admettons que les Hikari puissent apparaître n'importe où, pourquoi n'ont-ils pas déjà fait venir l'Armée Impériale ici-même ? Ce serait une attaque surprise imparable ! »
Yama haussa les épaules.
« C'est ce que j'ai craint après notre retour de la bataille, mais rien ne s'est produit. Je pense que c'est un sort qui leur demande bien trop d'énergie. Ils ne s'en servent que dans des cas d'urgence, et seulement pour quelques personnes. En plus, je pense aussi qu'ils préfèrent que cela ne se sache pas, afin de garder l'avantage sur les autres. »
Il se basait sur ce que les Diables lui avaient dit, ainsi que ses propres déductions.
On gratta soudain à la porte de la bibliothèque : c'était Tsuga, un des servants de Mitsuhide, qui venait le prévenir que le petit-déjeuner serait bientôt servi.
« Bon, je dois me préparer, fit le seigneur. Ce n'est pas tous les jours que je reçois l'Impératrice ! Au fait, tu sais pourquoi elle est venue ? À part pour toi ?
– Nous n'avons pas tellement discuté durant le voyage. Je pense qu'elle en dira plus pendant le repas. »
Le seigneur acquiesça, avant de jeter un regard critique à son ami.
« Va te changer et te rafraîchir aussi. Tu m'as fait déjà honte devant elle avec ton attitude de tout à l'heure.
– Mitsuhide, je suis vraiment désolé pour tout. »
L'autre homme renifla.
« Je ne t'ai pas entièrement pardonné, sache-le. J'apprécie le fait que tu te sois confié à moi, mais je t'en veux encore pour ton départ en traître. Il va me falloir du temps pour te faire à nouveau confiance.
– Je comprends. S'il faut que je me retire du conseil ou...
– Tu es vraiment stupide ou quoi ?! le coupa Mitsuhide. Pour tout le monde, rien ne doit changer entre nous. Nous devons faire semblant, sinon c'est le moral tout entier des troupes qui en prendra un coup ! Tu n'imagines pas à quel point la seule rumeur d'une dissension entre nous pourrait être fatale ! »
Yama soupira et s'inclina.
« Entendu, je m'en remets à ton jugement.
– Et il te reste encore l'autre version à me raconter. Je tiens à l'entendre, elle aussi. »
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Yama retint une grimace.
« Celle-ci n'est pas du tout confirmée, tenta-t'il de louvoyer. Je dirais même que pour le moment, je n'ai eu que des éléments qui la contredisait.
– Alors pourquoi tu y crois encore ? Surtout si elle est très horrible.
– Une personne que j'apprécie beaucoup y croit, fit-il en parlant de Hakurō. Il m'a demandé de la vérifier. Et... ceux qui le m'ont raconté sont très insistants.
– Sont insistants ? releva Mitsuhide. Tu es encore en contact avec ces gens ?
– Mmm... en quelque sorte. »
Mitsuhide secoua la tête en voyant que son ami redevenait évasif.
« Peu importe. Tu me diras tout plus tard. J'ai eu mon compte de révélations pour aujourd'hui ! »
Yama acquiesça vivement.
Note de Karura : Pauvre Mitsuhide qui veut des révélations, ne sait-il pas qu'il faut toujours se méfier de ce qu'on désire ?
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