Chapitre Dix-huit : Cerner les motivations de l'ennemi
L'ambiance du déjeuner fut nettement plus réservée. Kaname et Kikuchi faisaient extrêmement attention à leur propos, craignant d'offenser de nouveau Yama. Il se sentit comme une bête sauvage que l'on n'approchait qu'avec de multiples précautions. Tout ça parce qu'il s'était un peu emporté ! Ah, les Autres craignaient vraiment le moindre conflit direct dans les relations ! Au moins, Mitsuhide avait clairement exprimé sa colère et l'avait même frappé, voilà qui était franc et sain ! D'un autre côté, cela montrait l'ampleur de sa douleur face à la trahison de Yama... Bon, avec tout ça, il n'était pas du tout fier de lui et voulait réparer ses erreurs. Il commença donc par le plus facile :
« Kikuchi, après le repas, que dirais-tu d'un duel amical au sabre ? Je suis sûr que ton père t'a très bien entraîné. »
L'adolescent prit d'abord un air surpris, puis la joie envahit peu à peu son visage.
« Avec plaisir, général Yama ! Mon père m'a raconté votre combat durant la bataille de Tode, et il était déçu que vous ayez été interrompus. Il m'a dit qu'il avait rarement combattu un adversaire aussi redoutable, et je vous garantis qu'il était très sincère !
– Le général Kenryū est très fort, lui aussi, » répondit Yama.
En lui-même, il songea :
« Si les Hikari n'avaient pas interrompu notre duel, l'un de nous serait mort, alors ce n'est pas plus mal dans le fond. »
Mais il garda cette pensée pour lui, ne voulant pas gâcher le plaisir du Firal. Il croisa le regard approbateur de Mitsuhide.
Yatsu et Tetsuō durent partir pour leurs leçons. Yama nota avec plaisir et soulagement que leurs retrouvailles semblaient s'être nettement mieux passées que celles de Mitsuhide et lui. D'un autre côté, Yatsu n'avait rien fait de mal. Il aurait donc été injuste qu'il paie pour les erreurs de son père.
« Bien, fit Mitsuhide une fois les garçons partis, nous pouvons passer aux choses sérieuses. »
L'Impératrice acquiesça avant de lancer un regard circonspect à Yama.
« Général Yama, y a-t'il un sujet que vous souhaitiez évoquer ? »
Il était clair qu'elle ne voulait plus le froisser. Yama ne s'attarda pas là-dessus et répondit plutôt :
« En effet, j'aimerais que nous parlions de nos vrais ennemis, les Hikari. Votre Majesté, vous avez eu le plus de contact avec eux. Que pouvez-vous nous dire d'eux ? De leurs plans ? »
Le visage de Kaname s'était durci à la mention des Hikari.
« Contact est un bien grand mot, général Yama. Vous vous doutez bien que nous ne prenons pas le thé ensemble ! »
Après ce mouvement d'humeur, elle leur raconta que les Hikari avaient commencé à se manifester auprès du précédent Empereur il y avait environ quatre-vingts ans. Jusque là, ils avaient vécu dans un quasi-isolement à Shirojū, dans leur province de Higawa, à l'extrême Ouest de l'Empire de l'Aube. Quand le seigneur Shumē s'était présenté à Kurojū avec quelques membres de son clan, l'Empereur Kōtoda s'était d'abord montré curieux à leur égard, intéressé par leur tours de magie, puis il avait offert une place au seigneur Shumē dans son Conseil, sans plus. Contrairement à Tegami, l'Empereur Kōtoda était assez bien entouré avec son frère cadet Nobuteru, son épouse Hitomi et le général Hakkuryū, ainsi que d'autres amis loyaux. Il ne risquait donc pas de se laisser influencer par les Hikari. Néanmoins, cela avait fourni aux Hikari une porte d'entrée à la Cour et ils s'y insinuèrent petit à petit, tout en faisant profil bas. Pendant des années, tout se passa normalement.
Et puis, le malheur frappa coup sur coup l'Empereur : il perdit son petit frère en 2371, puis son fils aîné, Harutō, en 2385. Son cadet, Kikuni, qui n'avait même pas encore atteint sa majorité, se retrouva Premier Prince, alors qu'il n'y avait pas du tout été préparé. Bien que rempli de chagrin, l'Empereur Kōtoda vécut encore dix ans afin de préparer son cadet à son futur rôle, puis succomba finalement à sa douleur. Le seigneur Shumē, qui avait toujours cultivé sa relation avec le jeune majeur Tegami, en profita pour affirmer son influence sur lui. L'Impératrice Hitomi dut pratiquement se battre pour que son fils épouse Kaname. Après avoir obtenu cette victoire, elle alla rejoindre son époux et son fils aîné en 2399. Malgré la présence de Kaname et de Kenryū, Tegami s'était appuyé de plus en plus sur les Hikari qui savaient le flatter.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« À cause de mon... précédent, expliqua Kaname en baissant pudiquement les yeux, je n'ai jamais pu gagner son entière confiance. »
En voyant Mitsuhide et Teshime hocher la tête d'un air compréhensif, Yama se risqua à demander :
« Quel précédent ? »
Kaname prit un air embarrassé mais expliqua gracieusement :
« À l'origine, j'étais la promise du Premier Prince. Après sa mort, mes parents ont honteusement manœuvré pour que je sois promise à Tegami. Il a... Il a donc toujours eu l'impression de voler tout ce qui aurait dû revenir à son grand frère : sa position, sa fiancée... Il n'a jamais surmonté sa mort, encore aujourd'hui. Et quelque part, il me considère comme une intrigante prête à tout pour devenir Impératrice. Les Hikari ne se gênent pas pour encourager cette idée ! »
Yama écarquilla soudain les yeux en se rappelant :
« Ah, la fiancée, c'était donc vous ? »
Hakurō lui avait brièvement parlé d'elle quand il lui avait raconté les circonstances de sa mort, sans toutefois la nommer. Ignorant les regards étranges qui se posaient sur lui, Yama fronça les sourcils. Quelque chose clochait dans cette histoire...
« Une seconde, vous aviez pourtant demandé au Premier Prince de rompre vos fiançailles, n'est-ce pas ? »
L'Impératrice blêmit, frappée de stupeur.
« C-comment vous le savez ?! s'écria-t'elle.
– Ah, c'est quelqu'un qui me l'a raconté, » fit-il un peu maladroitement.
Kaname eut bien du mal à le croire.
« C'est impossible, j'ai parlé au Premier Prince sans témoin et il est mort juste après ! Même Tegami n'est pas au courant et a toujours refusé de me croire à ce sujet ! »
C'était là une blessure profonde pour elle. Elle n'avait jamais réussi à convaincre son époux qu'elle l'aimait et que c'était lui qu'elle avait choisi à l'époque, plutôt que son grand frère. Tegami pensait qu'elle voulait devenir Impératrice à tout prix et peu importait qui elle aurait à épouser pour ça. Cela avait été l'ambition de ses parents en réalité, pas la sienne. Les Hikari avaient largement encouragé cette idée depuis le début, afin de la discréditer aux yeux de son époux.
« Qui vous a raconté ça ? » insista-t'elle.
Elle se raccrochait encore à l'espoir qu'il y aurait un témoin fiable qui pourrait expliquer à Tegami la vérité sur ce qui s'était passé à l'époque.
« Quelqu'un qui est mort, répondit Yama. Cela n'a plus d'importance. »
Techniquement, ce n'était pas un mensonge : Hakurō était mort.
« Beaucoup de gens sont morts autour de vous, » commenta Kaname, un peu déçue.
Yama eut un pauvre sourire.
« Quand il y a plus de morts que de vivants parmi ses connaissances, c'est comme ça qu'on se rend compte qu'on est vieux... ou maudit. »
Kaname tressaillit mais n'insista pas, ayant retenu la leçon.
Elle se reprit et déclara :
« Je ne vois rien de plus à dire sur les Hikari.
– Parlez-moi de la concubine de l'Empereur, » insista Yama.
L'Impératrice se raidit et la haine envahit son visage.
« Cette... traînée ! cracha-t'elle malgré son attachement aux bonnes manières. Pourquoi s'intéresser à elle ?
– Quelle est exactement la nature de son emprise sur l'Empereur ? »
Avec un dégoût évident, Kaname expliqua que les Hikari présentaient une image parfaite et inaccessible. Tous ceux présents à la Cour étaient sans exception beaux, gracieux, mais froids et distants, décourageant tout prétendant. La concubine se nommait Kinohime et c'était la fille du seigneur Shumē. L'Empereur l'avait désirée au premier regard, mais elle n'avait pas tout de suite accepté ses avances. Elle avait prétexté qu'elle devait rester pure pour succéder à son père. L'Empereur en référa alors au seigneur Shumē et, après de longs mois d'attente, il obtint celle qu'il avait tant désirée. Cela avait fourni aux Hikari un moyen supplémentaire de creuser le fossé entre les époux impériaux. Tegami était totalement envoûté par sa concubine, un intérêt qui, malgré les espoirs de Kaname, n'avait pas faibli avec le temps.
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« Yama, pourquoi toutes ces questions sur les Hikari ? finit par demander Mitsuhide.
– Je cherche à les comprendre pour déterminer leurs motivations et leurs objectifs, » expliqua-t'il tout en ruminant tout ce qu'il venait d'apprendre.
Mitsuhide prit un air interloqué.
« Leur objectif est pourtant clair, fit-il d'un ton d'évidence. Ils veulent régner à travers l'Empereur. »
Le Vite secoua la tête, à sa grande surprise.
« Non ça, c'est déjà fait depuis des années. Je suis certain que les Hikari n'ont pas encore réalisé leur ambition et qu'ils visent plus haut que ça.
– Plus haut que ça ? Que veulent-ils alors, selon toi ? »
Cette fois, ce fut Yama qui prit un air interloqué car pour lui, la réponse coulait de source :
« Ils veulent s'emparer de l'Empire.
– Mais tu l'as dit, ils y sont déjà parvenus, objecta Mitsuhide.
– Tu ne comprends pas : ils veulent devenir la nouvelle famille impériale. »
Cela suscita des exclamations d'effroi. Cette idée était inconcevable pour les Autres car la famille impériale était sacrée ! Protégée des Dieux, même ! C'était comme si Yama avait suggéré que les Hikari voulaient abattre le soleil ou s'emparer de la lune !
« Réfléchissez un moment, insista-t'il. Pourquoi voudraient régner à travers l'Empereur s'ils peuvent eux-mêmes devenir Empereur ?
– Ce n'est pas possible, objecta Kaname. Jamais ils ne pourront remplacer la famille impériale ! »
Yama soupira. L'étroitesse d'esprit des Autres à ce sujet les empêchait précisément de concevoir le plan ultime des Hikari, et donc de s'y opposer.
« Franchement, qu'est-ce qui rend la famille impériale si spéciale ? »
Sa question parut frôler le blasphème. Yama roula des yeux et insista :
« Admettons un moment que j'ai raison et poursuivons ce raisonnement. Pourquoi c'est cette famille et pas une autre qui est à la tête de l'Empire ? »
Personne ne se risqua à prendre la parole tout de suite, bloqués par ce qui leur semblait être une évidence. Yama aurait tout aussi bien pu leur demander pourquoi le ciel était bleu, qu'on travaillait le jour et dormait la nuit, etc. Finalement, ce fut Mitsuhide qui proposa :
« Le clan Kakurō a été le premier à unifier l'Empire de l'Aube. Avant ça, chaque province était indépendante et toutes se faisaient la guerre. Grâce au noble Jūka qui a lutté contre les autres clans pour les rassembler sous sa bannière et devenir le premier Empereur, l'Empire a connu la paix depuis. »
Yama sentit la fierté des ombres et se retint de rouler des yeux devant cette vanité. Il prit un air dubitatif.
« Ce sont donc les premiers à avoir régné sur l'Empire, mais pourquoi aucun autre clan n'a eu par la suite l'ambition de prendre leur place ? Qu'est-ce qui les rend si particuliers ? »
Kikuchi suggéra prudemment :
« La famille impériale est protégée par les Dieux.
– C'est vrai, approuva Yama, c'est votre croyance et elle est très enracinée. Mais aucune protection n'est infaillible. Comment les Hikari pourraient-ils affaiblir cette croyance ? »
Yama refusait de reconnaître que les Dieux des Autres pouvaient réellement exister, et encore moins qu'il s'agissait des Diables qui le harcelaient depuis le premier jour. Il préférait donc parler de croyance.
« Je sais déjà que les Hikari ont réussi à faire croire à tout le monde qu'ils sont invincibles, reprit Yama avec un sourire amer. C'est sûrement pour faire penser qu'ils bénéficient eux aussi d'une protection spéciale.
– Mon père a dit qu'il vous avait vu tuer des Hikari, est-ce vrai, général Yama ? s'étonna Kikuchi.
– C'est exact, ils ne sont pas du tout invincibles. »
Mitsuhide toussota à cela.
« Pour autant, n'importe qui ne peut pas les tuer, fit-il en lançant un regard appuyé à son ami.
– Je pense que cela serait possible, si les gens n'étaient pas aussi convaincus de leur invincibilité, » objecta Yama.
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Mitsuhide n'insista pas sur ce point et avança un autre argument :
« Les prêtres faisaient autrefois partie du Conseil de l'Empereur, mais ce dernier les a congédiés il y a plusieurs décennies, certainement sur les bons conseils des Hikari.
– Tegami avait déjà une certaine rancœur envers les prêtres et les Dieux, nuança Kaname. Cela a commencé à la mort de son oncle, puis celle de son grand frère. »
Elle porta soudain une main à sa bouche, ses yeux bleus écarquillés.
« Il y a aussi... l'Empereur doit pratiquer tous les ans une cérémonie, le rituel d'Invocation, afin d'entrer en contact avec ses ancêtres dans le monde des esprits et de renforcer leurs liens, expliqua-t'elle. Cela fait longtemps que Tegami ne le pratique plus. »
Yama sentit les Diables confirmer. Il soupira.
« Si cela se savait, la foi en l'Empereur vacillerait.
– Le rituel d'Invocation est un secret connu de peu de gens, fit Kaname. Pour tout le monde, l'Empereur est naturellement lié à ses divins ancêtres.
– Arrêter ce rituel suffirait-il donc vraiment à affaiblir le lien entre l'Empereur et les Dieux ? » s'étonna Mitsuhide.
Les ombres s'agitèrent.
« Pas seulement, soufflèrent-elles à l'oreille de Yama. Il y a aussi l'énergie que Nous te consacrons, ainsi que d'autres choses.
– D'autres choses ? » demanda-t'il à voix haute sans s'en rendre compte.
Devant les regards surpris, il tenta de se rattraper :
« Je pense que cela fait partie de l'explication, mais ce n'est pas tout. Avez-vous d'autres choses sur la famille impériale ? »
Sa diversion fonctionna et les autres se lancèrent dans leurs réflexions.
« Le plus visible, suggéra Mitsuhide, c'est qu'ils portent la marque des ténèbres. Malgré les mariages, tous les membres de la famille impériale sont des hommes et ils ont les cheveux noirs. En plus, à sa nomination, l'Empereur a les yeux qui deviennent entièrement noirs. C'est la preuve que les Dieux l'estiment digne de ce rang.
– Sans parler du fait qu'il ne naît toujours que deux garçons par génération, c'est assurément l'influence des Dieux, » intervint Kaname.
C'était précisément un sujet que Yama voulait éviter, alors il se concentra plutôt sur ce que venait de dire son ami :
« Les cheveux noirs, la marque des ténèbres, très bien. Qu'est-ce que les Hikari ont à opposer à ça ? »
La réponse était évidente : tous les Hikari avaient les cheveux et les yeux dorés, et ils se targuaient de représenter la lumière.
Mitsuhide demanda à juste titre :
« Est-ce naturel au moins ?
– À la bataille de Tode, les Hikari que j'ai tués ont conservé la même apparence, tandis que leurs chevaux soit-disant blancs n'étaient qu'une illusion. Donc oui, c'est naturel mais c'est également voulu.
– Que veux-tu dire ?
– Hum... »
Le regard de Yama tomba sur Kikuchi qui les écoutait attentivement.
« Je pense qu'il serait mieux que Kikuchi n'entende pas ça, fit-il d'un ton circonspect.
– Mais je... tenta de protester l'adolescent.
– Ces détails ne sont pas de ton âge. Va plutôt te préparer pour notre duel amical, tu veux ? »
Indigné, Kikuchi chercha du soutien auprès de Kaname, mais elle approuva la suggestion de Yama. Dépité, il quitta la salle d'un pas boudeur.
Yama put donc reprendre librement :
« Je pense que les Hikari n'hésitent pas à se marier entre eux ou au plus proche afin que leurs enfants conservent les mêmes caractéristiques physiques.
– Quelle horreur ! s'écria Teshime en portant une main à sa bouche.
– Au plus proche ? s'étonna Mitsuhide.
– Des gens blonds ou avec des yeux dorés.
– Les yeux dorés, seuls les Hikari ont cette caractéristique physique dans tout l'Empire, assura Mitsuhide. Pour les gens blonds, ils ne peuvent pas être sûrs que l'enfant aura bien les cheveux de cette teinte et les yeux dorés.
– Hé bien, si jamais les bébés ne correspondent pas à leurs attentes, ils s'en débarrassent, c'est tout. »
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Cela fit frémir tout le monde.
« Des enfants ?! s'indigna Kaname. Même les Hikari ne feraient pas de mal à des enfants !
– C'est vous qui dites ça, vraiment ? Vous oubliez que les Hikari ont comploté l'Invasion, tout ça pour faire tuer votre fils. Et toi, Mitsuhide, la vie de ton fils était également menacée il y a deux ans. Sachez que les Hikari n'ont aucun scrupule à s'en prendre à des enfants, aucun ! »
Cette nouvelle révélation choqua tout le monde.
« Mais, mais, tenta de protester Mitsuhide, ce n'est pas comme s'ils s'en étaient pris directement aux enfants. Ils ont usé d'intermédiaires à chaque fois.
– Et cela change quelque chose ? argua Yama. Qui est le plus à blâmer, le sabre ou celui qui le manie ? »
Cela plongea Mitsuhide dans la confusion, mais aussi le doute.
« Yama, tu as l'air bien sûr de tout ce que tu dis sur les Hikari. Tu donnes vraiment l'impression d'inventer au fur et à mesure ! »
Yama ne se vexa pas de cette accusation et eut un rire bref, dépourvu d'humour.
« Crois-moi, je préférerais avoir inventé tout ça. Pour ce qui est des enfants, quand j'étais encore au royaume des Vites, il y a eu de nombreux enfants démons qui sont apparus un peu partout ces dernières décennies.
– Quoi ? Des enfants ?!
– C'est comme ça que les Hikari se débarrassent des enfants : ils ne les tuent pas directement mais les envoient au royaume des Vites qui s'en chargent pour eux. »
Les trois autres étaient révoltés par une telle idée.
« Et que... qu'arrivent-ils aux enfants chez les Vites ? » demanda Kaname en redoutant le pire.
Yama soupira.
« Le plus souvent... ils finissent brûlés par les villageois. »
Teshime pâlit et s'excusa, quittant précipitamment la pièce. Kaname avait le cœur plus accroché, mais elle déglutit nerveusement.
« L'Église tâchait de rassembler ces enfants afin de déterminer s'ils pouvaient leur être utiles. Certains ont fini dans des monastères et couvents... »
Il songeait à Akemi, la fillette aux cheveux rouges qu'il avait sauvée de la Géhenne et qui se trouvait sans doute encore au Couvent des Sœurs Voilées.
« Trois de ces enfants ont été adoptés par le Pape et sont devenus Archanges. »
Kaname croisa son regard.
« Alors votre frère était aussi...
– Oui. Je ne le savais pas à l'époque mais maintenant, j'en suis sûr. »
Kaname se souvenait encore très bien de Lucius. Avec ses cheveux blonds mais ses yeux bleus, il avait très bien pu être un bâtard Hikari qui n'avait pas les bons traits physiques. La preuve en était qu'il pouvait manipuler la lumière. En plus, il savait très bien parler leur langue, encore mieux que Yama à l'époque...
« Tous ces enfants abandonnés chez les Vites seraient donc des bâtards Hikari, d'après toi ? s'enquit Mitsuhide.
– Pas tous. Les Hikari ne sont pas seulement débarrassés de leurs bâtards, je pense qu'ils ont aussi éliminés des magiciens potentiels.
– Mais les Hikari sont les seuls... » commença à objecter Kaname.
Elle se tut sous le regard désapprobateur du Vite.
« C'est aussi une idée qu'ils encouragent depuis des décennies et qui a pris racine, tout ça dans le but de se démarquer des autres familles.
– D'autres... d'autres familles posséderaient donc des pouvoirs ? »
Yama soupira. Il leva sa paume vers le ciel et en fit jaillir une petite boule de feu. Kaname et Mitsuhide poussèrent un cri, mais scrutèrent aussi chacun la réaction de l'autre.
« Vous savez tous les deux que je peux manier le feu, expliqua Yama. Pourtant, je suis un Vite.
– Menteur, soupirèrent les ombres qui se firent ignorer.
– Parmi les Archanges, à part Lucius qui manipulait la lumière, l'un avait le pouvoir de l'eau et l'autre celui de la terre. Je peux vous assurer qu'ils n'avaient rien à voir avec les Hikari.
– S'il y a des familles qui ont des pouvoirs magiques dans l'Empire, pourquoi ne se manifestent-elles pas ? » s'indigna Kaname.
Yama entendit les Diables lui souffler une réponse plausible et qui corroborait ses soupçons.
« Parce que leurs pouvoirs déclinent et peuvent sauter plusieurs générations. Si ça se trouve, ces familles ignorent qu'elles ont des pouvoirs.
– Mais dans leurs archives familiales...
– Ils pensent peut-être qu'il s'agit de légendes ou d'exagération. »
C'était en effet fort plausible.
« En plus, reprit Yama, les Hikari peuvent également les avoir menacés en faisant disparaître leurs enfants.
– Mais un enfant, ça ne disparaît pas comme ça ! » s'entêta Kaname.
Mitsuhide inspira brusquement, frappé par une illumination.
« Ce que tu cherches dans les Archives, fit-il à Yama, ces morts d'enfants, ce serait ça ? »
Il hocha la tête.
« Il arrive que des enfants soient déclarés morts alors qu'on n'a pas retrouvé leur corps. Cela pourrait cacher une disparition bien orchestrée par les Hikari. Ils peuvent ensuite menacer discrètement les familles en leur disant qu'ils pourraient recommencer à tout moment.
– Mais ces familles, pourquoi ne vont-elles pas porter plainte à l'Empe... »
Kaname se tut au milieu de son objection. L'Empereur n'écouterait jamais quelqu'un qui dirait du mal sur les Hikari, elle le savait très bien. Elle baissa la tête et serra les poings, des larmes se rassemblant dans ses yeux.
« C'est horrible ! Jamais je n'aurais cru que les Hikari pourraient faire une chose pareille ! »
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Yama acquiesça d'un air grave.
« C'est bien pour ça qu'aucun de vous ne peut les arrêter : vous ne pouvez même pas concevoir ce qu'ils sont capables de faire.
– Mais toi, oui, » insinua Mitsuhide.
Yama haussa les épaules.
« Hé bien, je n'ai pas été élevé dans le culte de la famille impériale ou selon votre culture. Je n'ai pas donc pas les mêmes limitations de pensées que vous. En plus, je t'ai expliqué que je côtoie étrangement les Hikari depuis toujours. J'ai l'impression que nous sommes... des ennemis naturels. L'un de nous va devoir forcément tuer l'autre. »
Incrédule, Mitsuhide ne savait que répondre à une telle déclaration.
Yama reprit plus calmement :
« Bon, à présent que nous savons que les Hikari veulent totalement supplanter la famille impériale, que leur reste-t'il à faire pour arriver à leur but ? »
Mitsuhide s'obligea à se replonger dans ses réflexions.
« Hum... si on suit ta logique, il leur reste à éliminer l'Empereur et le Premier Prince.
– En fait, il leur suffit simplement de tuer Chiharu, puisqu'il est l'héritier. S'il venait à mourir, la lignée impériale s'éteindrait. Ils ont déjà essayé lors de l'Invasion, mais cela a échoué. Je pense qu'ils cherchent une occasion parfaite pour le tuer sans être directement impliqués. »
Mitsuhide réagit soudain :
« Une minute, l'Empereur n'a pas encore eu son second fils, alors même si les Hikari osaient commettre cet acte immonde, la lignée impériale ne serait pas encore définitivement éteinte ! »
Kaname toussota soudain et Yama se tourna vers elle, le cœur étreint par un très mauvais pressentiment.
« En fait, débuta-t'elle avec réticence, il se trouve que Tegami a déjà eu un second fils... avec sa concubine. »
Yama se figea, incapable de respirer. Dans l'ombre, les Diables se pressèrent sans un mot. Mitsuhide, lui, fronça simplement les sourcils.
« Oh ? Ce doit être récent, puisque la nouvelle n'est pas parvenue jusque chez nous !
– Non, cela fait bien des années mais c'est un peu particulier. L'enfant est... mort quelques jours après sa naissance. Voilà pourquoi la nouvelle n'a jamais été rendue publique. Seule la Cour est au courant. »
Pour la naissance d'un enfant noble, la coutume était d'attendre sept jours pour rendre la nouvelle publique, tout comme on attendait un an pour lui donner un nom. C'était une superstition pour ne pas porter malheur. Du coup, les enfants qui mouraient dans la première semaine de leur existence n'avaient pas d'existence officielle et seule leur famille les pleurait.
« Vous êtes bien sûre qu'il est mort ? fit soudain Yama avec véhémence. Vous avez vu le corps de vos propres yeux ? »
Kaname recula, surprise par son emportement inexplicable.
« Eh bien... l'enfant est né et mort à Shirojū. Ce sont donc les Hikari qui se sont chargés des rites funéraires. Ils ont tout de même apporté ses cendres à l'Empereur...
– Ben voyons, comme c'est commode ! » railla Yama.
De la sorte, seuls les Hikari avaient pu attester de la mort de l'enfant.
« C'est curieux, commenta Mitsuhide, je croyais que les princes devaient forcément naître à Kurojū, que c'était la tradition ?
– La délivrance est survenue deux mois plus tôt que prévu. La concubine était en train de visiter les siens en Higawa.
– Tout était prévu, soupira Yama. Jamais les Hikari n'auraient permis à cet enfant de vivre.
– Comment ça ? s'étonna Kaname.
– Vous oubliez quel est le but des Hikari. Jamais ils ne laisseraient un de leurs bâtards en vie, et surtout pas celui-là : il aurait été la preuve de la supériorité de la lignée impériale sur la leur. »
Mitsuhide fronça les sourcils.
« S'ils ne voulaient pas le garder en vie, pourquoi avoir permis sa conception alors ?
– Justement pour épuiser les chances de l'Empereur d'engendrer un autre héritier, fit Yama d'un ton d'évidence.
– Quelle cruauté ! fit Kaname d'une voix faible.
– Je vous l'ai dit, les Hikari sont capables de tout et... Quoi ? Non, pas question ! »
Il s'adressait aux Diables qui insistaient pour qu'il demande l'année de naissance de ce Second Prince. Yama serra les dents. Ce n'était pas parce qu'il s'avérait que l'Empereur avait bien eu un second fils avec sa concubine que cet enfant était forcément lui ! Cependant, il était quand même ébranlé au plus profond de lui. Cette très horrible version de son histoire venait d'avoir sa première preuve irréfutable. À partir de là, quelles autres preuves allaient en découler ? Allait-il devoir se résoudre à accepter cette vérité ? Non, il ne voulait pas y croire, quoi qu'il arrive !
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« De quand date toute cette histoire ? s'enquit Mitsuhide, faisant sans le savoir plaisir aux Diables.
– De vingt-quatre ans. Chiharu avait onze ans à l'époque. »
Vingt-quatre ans, cela correspondait exactement au moment de la cérémonie occulte, lorsque Yama avait perdu la mémoire...
« Tu n 'as rien perdu du tout ! martelèrent les ombres. Voilà bien la preuve que Nous t'avons dit la vérité ! Tu es cet enfant, tu dois venir à Myūjin et regagner ton corps ! Il n'est pas encore trop tard ! Tu es Notre... »
Yama tapa soudain du poing sur la table et, dans un silence stupéfait, il se leva brusquement.
« Kikuchi m'attend, » fit-il sèchement.
Il ignora les appels de Mitsuhide derrière lui.
« Encore une fois, Votre Majesté, je m'excuse pour son comportement. Il est... très agité depuis son retour.
– Vous n'y êtes pour rien, seigneur Mitsuhide. Puis-je vous demander comment vous vous êtes connus ? »
Mitsuhide se gratta la joue.
« Ah, certains des mes soldats, encouragés pour les Hikari, avaient fomenté un complot pour me tuer lors d'une inspection des frontières. Yama a surgi de nulle part et m'a sauvé la vie.
– Ah, fit Kaname en dissimulant un sourire derrière sa manche. Cela me rappelle quelque chose !
– Je l'ai ensuite revu un an plus tard, et nous sommes devenus amis. Il m'a soutenu quand j'ai déclaré la guerre aux Hikari, et ses talents de stratège et de combattant ont été déterminants dans la bataille de Tode.
– Sans compter le fait qu'il peut tuer les Hikari.
– C'est exact... »
Ce fut au tour de Mitsuhide de la fixer avec un peu d'hésitation.
« Yama... ce serait donc le fameux Vite qui vous a sauvé durant l'Invasion ? »
Les yeux de Kaname se voilèrent un peu.
« Je sais que pour beaucoup, j'ai purement et simplement inventé cette histoire, pourtant c'est vrai. Iguna... c'est le nom sous lequel il s'est présenté à l'époque, Iguna nous a sauvés, mon fils et moi. »
Mitsuhide hocha la tête.
« Je n'ai aucun doute à ce sujet, votre Majesté. Yama m'a bien dit qu'il avait participé à l'Invasion, mais il a omis de mentionner son acte de bravoure. Ah, maintenant qu'il est parti, puis-je vous poser une question ? »
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Au hochement de tête intrigué de l'Impératrice, il poursuivit :
« Vous avez dit que Yama avait beaucoup changé physiquement. Comment cela ?
– Hum, ce sont sûrement mes souvenirs qui ne sont plus précis, fit Kaname en toussotant. Je... je croyais me rappeler qu'il avait les cheveux châtain clair et les yeux verts. »
Mitsuhide prit un air bien surpris.
« Voilà qui est étrange... » murmura-t'il pour lui-même.
Cela dit, il se rappelait encore que la barbe de Yama n'avait pas eu une teinte uniforme, elle était nettement plus claire au bout. Pour les yeux, impossible de savoir, par contre.
Il y avait également une coïncidence qui le troublait : le Second Prince était né à peu près au même moment de l'amnésie de Yama. S'il y avait un lien entre ces deux événements, il ne pouvait imaginer lequel. Il faudrait qu'il pose la question à Yama... mais quand ce dernier serait de meilleure humeur !
« Votre Majesté, reprit-il en s'inclinant, mon conseil se réunit cet après-midi et ce serait un honneur pour nous tous que vous y assistiez.
– Bien entendu, seigneur Mitsuhide. Après tout, je suis venue vous apporter mon soutien autant que je le peux, alors n'hésitez pas à me dire en quoi je puis vous être utile. »
Note de Karura : La vérité commence à apparaître peu à peu...
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