Chapitre Treize : Le retour
Sur le chemin du retour, même s'il prétendait le contraire, Chiharu dut reconnaître qu'il n'était pas trop mécontent de rentrer. Son lit bien confortable lui manquait. Les gâteaux et sucreries lui manquaient. Ses parents lui manquaient. Ses amis lui manquaient. Même ses précepteurs lui manquaient ! Cela ne faisait pourtant que deux jours. Il se dit qu'il ne pourrait jamais s'absenter aussi longtemps que son frère, même pour découvrir des paysages magnifiques et chasser ou pêcher sa nourriture. Il paraissait être le seul à être impatient de rentrer car Kikuchi restait impassible, plus habitué que lui à être sur les routes.
En milieu de matinée, alors qu'ils se trouvaient sur une petit route qui courait à travers les bois, le cri d'une femme retentit soudain. Alors que Chiharu et Kikuchi se figeaient, Haruni se mit aussitôt au galop en direction de ce cri. Kikuchi jura entre ses dents avant de lancer :
« Chiharu, couvre ton visage et suis-moi ! »
Le Premier Prince ne discuta pas et rabattit le capuchon gris sur sa tête malgré la chaleur humide. Puis il lança son cheval à la suite du Firal. Plus loin sur la route, une femme et ses deux enfants étaient encerclés par quatre bandits. À l'arrivée du cheval, ils interrompirent leur vol. Haruni avait lui aussi pris soin de recouvrir son visage. Il s'arrêta à plusieurs pas des bandits et brandit son sabre.
« Filez, » leur fit-il simplement.
Les bandits reconnurent à sa voix et sa stature qu'il s'agissait d'un enfant. Du coup, ils ricanèrent.
« Petit seigneur, fit leur chef, vous mêlez pas de ce qui vous concerne pas. Nous sommes les plus redoutables bandits de cette zone.
– Quatre hommes pour s'en prendre à une femme et deux enfants, tu parles de redoutables bandits ! »
La raillerie ne fut pas du tout à leur goût.
« On veut pas d'ennuis avec ceux de votre genre, reprit le bandit d'un ton plus sec. Alors feriez mieux de partir tout de suite avant qu'on change de cible ! »
Faire du mal à un enfant était un acte proscrit dans l'Empire de l'Aube. Rien n'était dit par contre sur le fait de le dépouiller de ses biens. Malgré la menace, Haruni eut un sourire de défi.
« Essayez pour voir. »
À ce moment, ses deux compagnons arrivèrent derrière lui. Le chef des bandits leur lança un regard évaluateur. Il s'arrêta en particulier sur Kikuchi qui avait également dégainé son sabre. Il soupesa leurs chances de réussite contre le butin éventuel et parvint rapidement à une conclusion :
« On s'en va, les gars ! »
Ses hommes marmonnèrent un peu mais le suivirent alors qu'il se retirait dans la forêt. Haruni rengaina son sabre et reporta son attention sur les victimes.
« Tu vas bien ? » demanda-t'il à la mère.
Elle se prosterna avec ses enfants, reconnaissante.
« Oui, jeune seigneur ! Merci mille fois de nous avoir sauvés ! »
Un peu gêné par cette marque de gratitude, Haruni soupira. Il croisa le regard courroucé de Kikuchi et celui effaré de son frère.
Il se tourna de nouveau vers la femme qui était toujours prosternée.
« Relève-toi, lui fit-il. Que fais-tu sur cette route seule avec tes enfants ? »
Bien qu'elle se soit remise debout, la femme garda la tête baissée. Elle tenait ses deux enfants contre elle, un bras autour des épaules de chacun.
« Jeune seigneur, je me rends à Chikō pour rejoindre mon époux parti là-bas pour chercher du travail. »
Deux sacs à leurs pieds contenaient toutes leurs affaires. Elles ne semblaient guère avoir de valeur. Les bandits n'avaient vu que des proies faciles sans se soucier d'un gros butin et s'étaient ensuite enfuis devant un gros butin mais des proies plus difficiles. Vraiment, quels redoutables bandits ! Haruni retint un léger rire.
« Ce chemin mène à la route principale dans un kilomètre. Va vite.
– Oui, jeune seigneur. Que les Dieux vous bénissent, jeune seigneur ! »
Entraînant ses enfants à sa suite, elle se hâta malgré le poids de leurs bagages.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Chiharu s'exprima enfin en rejoignant son frère :
« Ouah, tu es formidable, Haruni ! Tu as fait face à dix bandits sans avoir peur !
– Ils n'étaient que quatre, rectifia le garçon.
– C'est impressionnant ! C'est...
– … Irresponsable ! » explosa enfin Kikuchi.
Il fit avancer son cheval, un air furieux sur son beau visage. Chiharu en resta coi avant de s'éloigner doucement de la cible de cette colère, à savoir son petit frère.
« Vous êtes inconscient ! poursuivit le Firal face à un Haruni impassible. Ils étaient sur le point de vous attaquer lorsque nous vous avons rejoint !
– Pas sûr, » nuança le Second Prince.
Cela ne fit que jeter de l'huile sur le feu. Le visage de Kikuchi devint écarlate, presque assorti à ses cheveux couleur automne.
« Pas sûr ?!
– Ils n'auraient pas osé s'en prendre à un enfant.
– Ils auraient pu vous blesser involontairement ! »
Haruni soupira, fatigué d'être traité comme un enfant impuissant.
« Je suis capable de me défendre, répliqua-t'il sèchement. En plus, je ne vois pas pourquoi vous vous en faites autant pour moi !
– Ah non ? Vous oubliez un peu que je suis chargé de votre protection !
– Celle de Chiharu ! »
Une veine menaça d'exploser sur la tempe du Firal.
« Que croyez-vous que mon père me dirait si vous reveniez blessé, voire pire ?!
– Bravo ? Bien joué ? » hasarda le Second Prince avec un sourire ironique.
Cela laissa le Firal complètement interloqué. Haruni reprit très sérieusement un ton plus bas :
« Ce n'est pas un secret que votre père ne me porte pas dans son cœur et vous non plus ! Alors ne venez pas me faire croire que vous vous êtes inquiété pour moi ! »
Cette fois, Kikuchi pâlit. C'était une chose de critiquer le Second Prince avec son père et ses amis, c'en était une autre de l'entendre dire ça ouvertement et avec autant d'aplomb !
De son côté, Chiharu n'entendit pas tous ces propos car il s'était éloigné le plus possible. En outre, il se bouchait les oreilles car il avait horreur des cris et ne comprenait pas pourquoi son frère finissait immanquablement par se disputer avec tout le monde.
« Ce n'est pas comme ça qu'il se fera des amis, » se dit-il tristement.
Il se rendit alors compte qu'il n'entendait plus rien depuis un moment. Il baissa ses mains et effectivement, le silence régnait mais l'atmosphère restait tendue. Chiharu se tourna pour regarder ses deux compagnons et évaluer la situation. Kikuchi avait le visage pâle mais ses joues étaient rouges. Il avait la bouche fermée et foudroyait du regard l'autre garçon. Bien que plus calme, le regard que Haruni lançait au Firal n'avait rien d'amical. Chiharu gémit intérieurement. Un seul incident venait de gâcher la bonne ambiance qui s'était instaurée entre eux. C'était vraiment décourageant.
Il n'y eut plus d'autre incident jusqu'au palais — encore heureux ! — mais l'ambiance resta glaciale dans le petit groupe. Chiharu fit de son mieux pour rompre le silence en parlant de tout et n'importe quoi, sauf le sujet fâcheux. Kikuchi finit par se calmer un peu et lui répondre, mais il évita d'adresser la parole au Second Prince. De toute façon, ce dernier ouvrait le chemin et ne faisait pas mine de se tourner vers eux. Chiharu finit par aller le voir.
« C'était bien, hein ? lança-t'il après un moment de silence. J'ai beaucoup aimé ces deux jours.
– Tant mieux, c'était le but, répondit Haruni avec un mince sourire.
– Il faudra absolument qu'on recommence.
– Si tu veux, mais plus avec lui. »
Bien que cela soit dit calmement, Chiharu put sentir la rancœur et l'agacement de son frère envers Kikuchi. Il grimaça.
« Qu'est-ce que tu as contre Kikuchi, à la fin ? osa-t'il demander.
– Rien. On ne s'entend pas, c'est tout.
– C'est parce qu'il t'a battu au sabre il y a des années ? »
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Haruni lui lança un regard stupéfait. Chiharu croyait vraiment qu'il se souciait encore de cette vieille histoire ?!
« Aucun rapport, » répliqua-t'il.
Chiharu fit la tête de celui qui n'était pas du tout convaincu.
« Tous les deux, vous pourriez faire un effort pour vous entendre ! plaida-t'il.
– Pour quoi faire ? »
Comme son grand frère lui envoya un regard interloqué et blessé, il poursuivit avec un soupir :
« Chiharu, les gens que tu apprécies ne sont pas obligés de s'entendre, tu sais. »
Dit comme ça, Chiharu avait l'impression de se faire traiter comme un enfant. Non seulement il était presque un jeune homme mais en plus, cela venait de quelqu'un de bien plus jeune que lui.
« Je sais ! » lança-t'il, un brin vexé.
Haruni eut un sourire amusé.
L'Empereur avait certainement posté des éclaireurs aux abords de Kurojū — à moins que ce ne fut Kenryū — car ils étaient attendus dans la cour du palais. Tegami et Kaname ne cachèrent pas leur soulagement, ce qui vexa un peu Haruni.
« Ils devraient pourtant savoir que je ne laisserai jamais rien de mal arriver à Chiharu, » songea-t'il.
Le général Kenryū était également présent pour accueillir son fils.
« Les garçons, comme je suis content de vous revoir, fit l'Empereur avec un large sourire une fois qu'ils furent descendus de leurs montures. Votre sortie s'est bien passée ? »
Fidèle à lui-même, Chiharu avait déjà atténué les mauvais souvenirs pour ne retenir que le positif.
« C'était très agréable, Père ! Haruni m'a montré plein de beaux endroits. Oh, et on a pêché et chassé ! »
L'Empereur rit de l'enthousiasme de son aîné.
« Tu me raconteras tous les détails pendant le thé de l'après-midi, Chiharu. En attendant, je suis sûr que tu veux aller te rafraîchir, non ? »
Chiharu acquiesça, étant donné qu'il n'avait pas pris de vrai bain depuis deux jours — la baignade au lac de Biwa ne comptait pas comme tel selon lui. Il salua chaleureusement sa mère qui lui adressa un sourire aimant, puis il partit en direction de ses quartiers pendant qu'un de ses servant récupérait ses affaires sur sa monture.
« Comment ça s'est passé, Haruni ? » s'enquit Tegami avec cette fois une légère note d'inquiétude dans sa voix.
Le Second Prince haussa les épaules.
« Il a survécu, répondit-il. Il serait même intéressé à l'idée de recommencer. »
Cela fit légèrement tiquer l'Empereur, tandis que Kaname eut un sourire amusé.
« Pourquoi pas ? approuva-t'elle. Cela ne peut lui faire que du bien. »
Tegami avait clairement du mal à envisager ça. Il était possible qu'en fait, il avait espéré que cette expérience ne plaise pas du tout à son fils afin qu'il ne demande plus jamais à accompagner son frère. Il soupira de déception ;
« Tu nous en diras plus durant le thé. Va te rafraîchir, toi aussi.
– Je vais d'abord m'occuper de Yaji. »
Haruni mettait toujours un point d'honneur à prendre soin lui-même de sa monture, cadeau de Mitsuhide. L'étalon avait été croisé à des juments de la race de Kurojū et sa progéniture enchantait le Maître des Écuries. Des échanges avaient donc été mis en place avec les écuries de Hanajū. La race hybride était robuste, rapide et endurante, tout en étant agréable à l'œil. Les nobles du palais commençaient déjà à s'y intéresser à leur tour. Cela faisait ainsi un commerce rentable pour le seigneur de Madare.
De leur côté, Kenryū et Kikuchi s'étaient salués. L'Empereur et Kaname remercièrent le Firal d'avoir accompagné leurs enfants, puis ils se retirèrent. Le général fit signe à son fils de le suivre afin d'écouter son rapport. Kikuchi était coutumier de l'exercice et fit un résumé assez complet de leur excursion. Kenryū écouta attentivement sans un mot, les sourcils froncés.
« Quelles sont tes impressions ? demanda-t'il à la fin du rapport.
– De ce que j'ai pu constater, le Second Prince est habitué à camper. Il dit qu'il cherche à s'éloigner de la pression du palais et je ne crois pas que ce soit un mensonge. »
Le Firal était bien au fait des soupçons de son père : Kenryū était convaincu que Haruni profitait de ces sorties sans surveillance pour entrer en contact avec d'autres partisans des Hikari et ainsi augmenter son influence.
« Peut-être qu'une partie de ses sorties est bien dans ce but, concéda le général, ses yeux saphir se plissant.
– C'est possible. »
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À la mention de l'intervention de Haruni contre les bandits, le général lâcha un pff de dédain.
« Avec un peu de chance, le bâtard Hikari se fera un jour tuer par d'autres, » lança-t'il simplement.
En présence de son fils, le général ne se gênait guère pour désigner Haruni comme “le prince bâtard” ou “le bâtard Hikari”, voire d'autres surnoms tous aussi peu respectueux les uns que les autres. Lorsque Kikuchi lui répéta les propos du Second Prince qui avaient suivi, le visage de Kenryū s'assombrit.
« Il a compris ton rôle. Il ne se dévoilera donc pas devant toi. Dommage. Je devrais peut-être faire venir Dokano à la Cour.
– Pourquoi, Père ?
– Il est presque du même âge que le bâtard. Il pourrait sympathiser avec lui. »
Kikuchi comprenait parfaitement que ce serait une amitié feinte dans le but de découvrir les secrets du Second Prince. Kenryū n'avait aucun scrupule à faire usage de tout membre de sa famille dans le but de protéger l'Empire. Tel était le dévouement du clan Inugami envers celui qu'ils avaient choisi de servir.
« Le Second Prince n'est pas stupide, argua le Firal. Il se méfiera aussitôt de Dokano parce qu'il est aussi votre fils. »
Kenryū reconnut la validité de cette objection et se renfrogna.
« Tu aurais dû plus t'appliquer à devenir son ami, mon fils, lui reprocha-t'il pas pour la première fois.
– Jamais je ne serai l'ami d'un Hikari, même pour faire semblant ! » siffla le jeune homme, son visage exprimant le dégoût.
Le général avait bien conscience de la raison de son aversion pour les Hikari : c'était à cause d'eux que Yama avait perdu la vie. Même si Kikuchi avait fini par surmonter son chagrin et s'était ensuite engagé dans diverses cours, cela restait toujours un sujet sensible et douloureux.
« De toute façon, reprit plus calmement Kikuchi, le Second Prince ne veut se faire aucun ami à la Cour. Il n'est absolument pas sociable.
– Il a pourtant réussi à se lier d'amitié avec le Fieur Tetsuō et le Firal Yatsu.
– Je n'y aurais pas cru si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux, avoua Kikuchi.
– Je sais, moi non plus. Même le seigneur Mitsuhide semble l'apprécier. Ils s'écrivent souvent. »
Les yeux de Kikuchi se durcirent à la mention de celui qu'il considérait comme un traître à la mémoire de Yama.
« Kikuchi, qu'as-tu pensé de la relation entre les deux princes ? » s'enquit le général.
Le jeune homme prit un moment pour passer en revue ces deux jours et les analyser.
« Chiharu est très attaché à son petit frère. Le Second Prince... se montre plus amical envers lui qu'envers les autres.
– Ils sont frères, soupira Kenryū. Rien ne peut briser ce lien. Et en terme d'influence ?
– Chiharu s'est plié aux consignes du Second Prince qui s'y connaissait mieux. J'ai vraiment eu l'impression que c'était le Second Prince l'aîné. »
Le souci était que Chiharu avait eu une enfance très protégée. Cela lui avait donné un tempérament doux et confiant. Il avait encore plusieurs illusions à perdre avant de passer à l'âge adulte.
« Le Second Prince s'est montré plutôt protecteur envers Chiharu. Je n'ai pas décelé d'intention malveillante ou de tentative de corruption, Père.
– Les Hikari agissent en douceur et en secret tant qu'ils n'ont pas l'avantage ! fit sombrement Kenryū. Le temps que tu te rendes compte de leurs manœuvres, il est déjà trop tard ! »
Ne sachant que dire, Kikuchi attendit que son père se reprenne. Si Yama était un sujet sensible pour Kikuchi, c'était les Hikari pour son père. Chaque fois que le général évoquait la période passée, on pouvait sentir sa colère et sa frustration pour ne pas avoir su contrer les manigances de ces maudits magiciens.
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Kenryū finit par se calmer et inspira profondément.
« Allez, va te rafraîchir et te reposer, mon fils. Tu as bien travaillé. »
Cela amena un sourire sur les lèvres du jeune homme. Son père le regarda partir avec affection et fierté. Un jour, Kikuchi lui succéderait comme bras droit de l'Empereur et il le servirait avec dignité et loyauté. Le général eut une pensée pour son prince et il espéra qu'il l'observait depuis l'Autre Monde et qu'il voyait comme il respectait bien son serment.
« Harutō, songea-t'il avec un bouffée de tristesse, je protégerai ta famille jusqu'à mon dernier souffle. »
Après un vrai bain chaud et une assiette de douceurs, Chiharu était visiblement ragaillardi en rejoignant sa famille au pavillon du lotus pour le thé. Haruni était arrivé avant lui et l'adolescent se désespéra de voir son petit frère vêtu et coiffé si simplement qu'on avait l'impression qu'il était sur le point de repartir.
« Il pourrait être très beau s'il s'en donnait la peine, » songea-t'il avec regret.
Il savait que leur mère bataillait dans le même sens, en vain. Il n'y avait que pour les anniversaires et autres occasions que Haruni la laissait choisir sa tenue et sa coiffure. Le reste du temps, il s'en moquait totalement, tout comme il se moquait des commentaires dédaigneux et moqueurs sur son passage.
Oubliant ce triste sujet, le Premier Prince salua ses parents et son frère avant de prendre place à côté de ce dernier. Sa mère lui adressa un regard approbateur en voyant sa tenue impeccable et sa coiffure adéquate.
« Cela fait du bien d'être de retour, n'est-ce pas ? lui fit-elle en souriant.
– Oui ! J'ai beaucoup aimé ce voyage, ajouta-t'il vivement pour ne pas blesser son frère, mais j'apprécie d'autant plus le confort du palais ! »
Kaname dissimula son sourire derrière sa manche. Tegami fit signe qu'on leur serve le thé, puis il laissa Chiharu raconter leurs aventures en pleine nature. Ce dernier se lança avec enthousiasme dans son récit, se tournant parfois vers Haruni pour certains détails. Il mentionna la leçon de nage, mais ne dévoila pas que Haruni avait failli se noyer autrefois. Par contre, quand on en vint au retour et aux bandits, Chiharu ne voulait pas mentir mais il ne voulait pas non plus causer des ennuis à son frère. Alors il bafouilla un peu avant de se taire, ce qui fut encore plus suspect.
« Chiharu, s'enquit leur père, y a-t'il un souci ?
– N-non, rien. »
Au supplice, il lança un regard embarrassé à son petit frère qui poussa un lourd soupir.
« Au retour, expliqua Haruni, on a croisé des bandits qui voulaient s'en prendre à une femme. Elle voyageait seule avec ses deux enfants. Je me suis interposé. »
Il avait dit ça l'air de rien, mais un lourd silence suivit sa déclaration.
« Haruni, fit lentement l'Empereur d'un ton significatif, j'espère que tu veux dire que tu es intervenu en tant que Second Prince pour leur ordonner de cesser, c'est bien ça ?
– Pas exactement, » reconnut le garçon.
Il ne dévoilait jamais son identité quand il voyageait, préférant la tranquillité de l'anonymat. De plus, quand il était loin de Kurojū, il ne pensait même pas à lui en tant que Second Prince ou Haruni. Il était simplement lui-même, ce qui lui procurait un sentiment de liberté.
Tegami parut sur le point d'exploser, mais Kaname posa rapidement une main sur son bras pour lui signaler la présence de Chiharu. Il se reprit, bien qu'avec de très grandes difficultés.
« Nous allons en reparler, fit-il entre ses dents. Chiharu, y a-t'il autre chose que tu veuilles nous dire ?
– Non, Père. »
L'adolescent lança un regard désolé à son petit frère qui haussa les épaules. De toute façon, Kikuchi n'allait pas hésiter à en parler à son père qui s'empresserait ensuite de transmettre la nouvelle à l'Empereur. Il était tout bonnement impossible de garder un secret à Kurojū.
« Bon, reprit l'Empereur. Je suis ravi que vous ayez tous les deux passé du temps ensemble et que l'expérience t'ait plu, Chiharu. Si tu veux aller rejoindre tes amis, tu peux. »
Le Premier Prince ne se le fit pas dire deux fois : il termina ses gâteaux et son thé, se leva pour saluer ses parents et partit d'un pas rapide mais sans courir, pas sous le regard de sa mère en tout cas.
Haruni n'essaya même pas de prendre congé, sachant ce qui l'attendait.
« Des bandits ?! s'écria Tegami d'un ton outré. Tu te bats contre des bandits maintenant ?!
– Nous sommes tombés sur eux par hasard, se défendit le garçon. Je n'allais pas laisser cette femme se faire détrousser ! Elle avait ses enfants avec elle !
– Je ne dis pas qu'il ne fallait pas intervenir, mais tu n'avais pas à te battre !
– Je ne me suis pas battu, rectifia Haruni, soucieux de la vérité. Chiharu et Kikuchi sont arrivés et les bandits ont préféré se retirer. »
Cela ne convainquit pas son père. Les sourcils froncés et le visage orageux, il demanda :
« Et si tu avais été seul ?
– Hé bien... Je ne sais pas ! J'aurais sûrement dû me battre. »
En fait, cela avait été la première fois qu'il avait dû intervenir dans ce genre d'incident. Lors de ses autres sorties, il évitait soigneusement les routes fréquentées et ne voyait que peu de gens.
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Contrarié, Tegami siffla entre ses dents. Même Kaname fixa le garçon d'un air alarmé.
« Haruni, fit-elle d'un ton raisonnable, tu n'avais qu'à dévoiler ton identité et leur ordonner de partir. »
Il lui jeta un regard incrédule.
« Tu plaisantes ?!
– Tu es le Second Prince de l'Empire de l'Aube, intervint Tegami d'un ton sévère en détachant bien chaque mot. Tu es le descendant des Dieux ! Aucun bandit ne risquerait la colère de nos ancêtres en osant s'en prendre à toi ! »
Honnêtement, il ne serait jamais venu à l'esprit de Haruni d'user de son statut de la sorte. Après tout, il n'avait jamais voulu être le Second Prince.
L'Empereur se massa les tempes, désespéré.
« Tu n'as aucune conscience du danger ! C'est terminé, je refuse que tu risques ta vie dans ces voyages ridicules !
– Vous ne pouvez pas me les interdire, rappela Haruni en se raidissant. Notre accord...
– Si tu te mets en danger, je me moque de ce stupide accord ! » hurla Tegami.
L'éclat de voix provoqua un grand silence autour du pavillon. Haruni hésitait entre hausser le ton ou bien faire entendre raison à cette tête de mule. Aucune des deux options ne serait facile. Il opta alors pour un mélange :
« Ce “stupide accord” est bien la seule raison pour laquelle je supporte de rester ici ! Si vous revenez là-dessus, je m'en irai sur-le-champ !
– Tu crois sérieusement que tu peux quitter le palais sans autorisation ?! »
Le garçon plissa les yeux et répondit d'un ton suffisant :
« Vous oubliez un peu que j'ai pu quitter cet endroit il y a sept ans.
– S'il faut t'enfermer dans tes appartements...
– Non mais est-ce que vous vous entendez parler ?! »
Tegami se pinça les lèvres, obstiné. En face de lui, son fils cadet partageait le même entêtement. Aucun des deux ne céderait et la situation ne ferait que s'envenimer. Kaname retint un soupir et ni pour la première, ni pour la dernière fois, elle joua les médiatrices :
« Tegami, Haruni, vous devez trouver un terrain d'entente. »
Le problème était toujours le même : Haruni s'estimait adulte et indépendant, tandis que Tegami le traitait comme un enfant.
« Bon, fit le Second Prince en inspirant un grand coup. Je promets de ne pas me battre contre des bandits. Si une situation pareille se reproduit, je dévoilerai mon identité et ferai comme vous avez dit. Cela vous rassure-t-il, Père ? »
Haruni n'employait pas tout le temps cette appellation en dépit de leur accord. C'était donc une marque de bonne volonté de sa part.
Hélas, cela ne parut pas porter ses fruits.
« Comment veux-tu que je sois rassuré lorsque tu voyages seul au milieu de nulle part ? s'écria l'Empereur. Je n'arrête pas d'imaginer qu'il pourrait t'arriver quelque chose et qu'on ne le saurait pas avant des jours ou des semaines ! »
C'était l'inquiétude légitime d'un père. Pour autant, Haruni refusait de vivre en cage. Il ne pourrait pas le supporter.
« Ne vous en faites pas, voulut-il le rassurer. S'il m'arrive malheur, les dieux vous préviendront aussitôt. »
Tegami resta bouche bée devant cette réponse incongrue. Ce n'était pas ça le souci ! Il voulut répliquer mais sentit alors la petite main de son épouse dans la sienne.
« Haruni, tu nous promets de te montrer plus prudent durant tes voyages ? Et de ne pas hésiter à user de ton identité impériale en cas de problème ?
– Oui, c'est promis, Mère. »
Satisfaite, l'Impératrice hocha la tête.
« Alors notre accord tient toujours. Tu peux y aller. »
Enfin congédié, Haruni se leva et les salua.
Tegami le regarda quitter les jardins, puis il se tourna vers son épouse et exprima sa consternation.
« Comment tu as pu lui céder ?
– Nous avons cédé tous les deux, lui comme moi, éclaircit-elle. Haruni ne renoncera pour rien au monde à ces sorties, alors ne le pousse pas dans ses retranchements, tu veux bien ? Cela ne donnerait rien de bon. Il fera très attention à partir de maintenant, tu l'as entendu comme moi.
– Mais il n'est pas à l'abri d'un incident... »
Elle savait qu'il pensait à son frère aîné, mort d'une chute de cheval alors qu'il se trouvait seul au milieu de la forêt. Mais comme l'avait dit Haruni, les Dieux avaient aussitôt prévenu le précédent Empereur, ce qui avait fait que le corps du Premier Prince avait été récupéré au plus vite.
« Tegami, fit-elle d'un ton doux, tu n'arriveras pas à changer sa nature profonde. Fais-lui confiance, il sait se protéger.
– Tu veux dire que je dois cesser de m'inquiéter pour lui ? fit son époux avec un sourire amer.
– Bien sûr que non. C'est normal pour un père de se faire du souci. Par contre, tu ne dois pas l'empêcher de grandir et de prendre son indépendance.
– Pfff, n'est-il pas déjà assez indépendant comme ça ? »
La remarque sarcastique fit rire l'Impératrice. Tegami soupira, reconnaissant qu'elle avait comme toujours raison. Haruni était en bonne voie pour devenir un homme extraordinaire. Malgré cela, ce n'était pas de tout repos d'être son père !
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Comme s'en était douté Haruni, il ne fallut pas longtemps avant que Kenryū ne rapporte les fait à l'Empereur alors qu'ils se trouvaient seuls dans l'étude de Tegami.
« Tegami, loin de moi l'idée de t'inquiéter, mais Kikuchi m'a raconté quelque chose d'inquiétant concernant la sortie des deux princes... »
L'Empereur leva une main pour le faire taire, la migraine le menaçant de nouveau.
« Laisse-moi deviner : les bandits ?
– Ou-oui, » répondit le général, surpris.
Tegami tourna la tête pour regarder les arbres par la fenêtre et il soupira.
« Haruni m'a tout dit. Nous en avons... discuté sérieusement et cela ne doit plus se reproduire... Normalement. »
“Discuté” n'était clairement pas le mot qui convenait ! Tegami ne voulait cependant pas entrer dans les détails.
De son côté, Kenryū ne se serait pas attendu à autant d'honnêteté de la part du Second Prince.
« Ou alors, se dit-il, le Bâtard savait que je l'apprendrais par Kikuchi et que j'en parlerais ensuite à Tegami. Voilà pourquoi il a pris les devants. »
C'était clairement mieux ce qui convenait à un Hikari !
« Je te l'ai déjà dit à l'époque, reprit Kenryū à voix haute, mais ces histoires de voyage pour un enfant aussi jeune, c'est aberrant ! »
Loin de se fâcher, l'autre homme soupira lourdement.
« Mon fils tient à ces voyages, fit-il simplement.
– Tu es son père ! Il doit t'obéir ! »
Cela provoqua un bref rire ironique chez Tegami.
« Haruni a un fort caractère. Il est tout bonnement impossible de le faire obéir.
– Alors punis-le ! Ce n'est qu'un enfant, par les Dieux !
– Tu voudrais que je le dispute ? Que je le prive de gâteaux ? »
Les punitions habituelles des enfants seraient sans effet sur le Second Prince, même Kenryū devait le reconnaître.
« Enferme-le dans ses appartements, suggéra-t'il alors sèchement.
– Cela m'a traversé l'esprit et j'ai menacé Haruni, avoua Tegami, mais il a déclaré qu'il s'enfuirait à nouveau... »
Le visage de Kenryū s'assombrit à ce rappel : c'était lui qui avait dû rechercher Haruni lors de sa précédente fugue jusqu'en Madare et il n'avait aucune envie de recommencer à traverser la moitié de l'Empire !
« Cet enfant est impossible ! lâcha-t'il en osant exprimer une partie de ses pensées.
– Il a le même esprit fougueux que mon grand frère, » reconnut l'Empereur.
Intérieurement, Kenryū s'indigna de la comparaison. Pour lui, Kodōtaro n'avait absolument rien en commun avec le Bâtard Hikari. Mais il masqua soigneusement ses pensées.
« Kodōtaro avait plus de savoir-vivre, nota-t'il simplement.
– C'est vrai, se souvint Tegami avec un léger rire. Il était moins agressif dans ses relations avec les gens mais pour autant, il faisait en sorte que tout se passe selon ses souhaits. Je n'ai pas besoin de te rappeler ce qu'il a fait quand tu as eu quarante-cinq ans. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kenryū ne pourrait jamais oublier ça. Comme Kodōtaro avait deux ans de moins que lui et qu'il ne voulait pas que Kenryū accepte une cour avant qu'il lui fasse sa demande, il avait carrément interdit à tout jeune homme du palais de faire ou d'accepter une demande de Kenryū ! Ce dernier n'avait pas compris ce qui se passait et s'était beaucoup tourmenté pour savoir ce qui n'allait pas chez lui. Quand il avait enfin découvert la vérité, il avait eu une sérieuse conversation avec son ami qui avait abusé. Leur relation n'avait pas été de tout repos, mais Kodōtaro avait su se montrer raisonnable et sensé... après un sérieux sermon. Cela remontait à bien des décennies et tandis que cette histoire avait rendu Kenryū furieux à l'époque, il s'en souvenait à présent avec tendresse et nostalgie.
« Haruni apprendra la subtilité avec l'âge, poursuivit Tegami. Du moins, je l'espère. »
Kenryū ne commenta pas mais pour lui, cela ne ferait que rapprocher le Second Prince des intrigants qu'avaient été les Hikari.
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