Chapitre Quatorze : Les Enfants Perdus
Kurojū, année 2448
L'incident fut rapidement classé et la vie reprit normalement à Kurojū. Malgré l'enthousiasme qu'il avait affiché, Chiharu ne demanda pas à accompagner à nouveau son frère en sortie, sauf pour des promenades à cheval de quelques heures. Ce n'était pas à cause de ce qui s'était passé, c'était juste que Chiharu semblait amplement satisfait de rester au palais. Haruni n'insista pas car cela lui convenait également d'être seul et libre pour ces voyages. Un fait le réjouit énormément : il avait enfin grandi de dix centimètres en deux ans. Même si cela ne changeait que peu de choses — il se trouvait toujours trop petit — il fut au moins rassuré sur l'état de son corps et reprit espoir. Ses tenues furent ajustées en conséquence et il se fit refaire des bottes de voyage.
Par contre, Kaname se désolait toujours de le voir aussi efflanqué.
« Comment veux-tu bien grandir si tu te nourris mal ? lui fit-elle une fois. Les garçons doivent d'abord s'élargir pour pouvoir s'affiner en grandissant. Ça a été le cas avec Chiharu et aussi pour… mon frère. »
Kaname ne mentionnait que rarement sa famille disparue tragiquement, même après leur voyage à Towa. La douleur était encore présente dans son cœur.
« Kaname, au sujet de Kahiro, commença Haruni.
– Dōmoru, rectifia-t'elle. C'est son nom posthume, merci de le respecter.
– Dōmoru, » acquiesça le garçon sans en dire plus.
C'était compliqué pour lui d'utiliser les noms posthumes de Kahiro et de Hōkuro puisqu'il les savait en vie — si on pouvait appeler ça comme ça. L'existence des vampires restait un sujet interdit pour bien des raisons.
Alors que Chiharu ne tarderait plus à être en âge de se faire courtiser, son père décida d'avoir LA conversation avec lui ainsi qu'à avec Haruni, comme il l'avait promis à Kaname. Haruni ne cacha pas son manque d'intérêt. Ils prenaient le thé au pavillon de jasmin en cette belle journée d'automne.
« La période des cours est un moment capital dans la vie de tout jeune homme, » commença Tegami avec un doux sourire.
Chiharu l'écoutait avec attention, tandis que Haruni préférait songer à autre chose.
« C'est l'occasion de nouer des liens plus intimes que l'amitié. Il existe différentes cours, de la plus sérieuse à la plus légère. Chiharu, quel cadeau offre-t'on pour une cour légère ?
– Une fleur.
– Exact. Et pourquoi ça ?
– Parce qu'elle se fane vite, comme la cour qui ne doit pas durer. »
Pour une cour plus sérieuse, on offrait un bijou de cheveux ou un ornement visible, mais qui ne devait pas entrer en contact avec la peau. Si la personne acceptait la cour, elle devait porter constamment le cadeau bien en vue.
« Haruni, comment tu ferais pour refuser une cour ? »
Sachant que ce sujet serait bien plus utile à son cadet, Tegami choisit cette question pour lui. Haruni haussa les épaules.
« Je rendrai le cadeau ? » hasarda-t'il.
Tegami le fixa avec perplexité :
« Ça, c'est quand tu veux mettre un terme à une cour. Je te parle de refuser une demande. »
Ce fut au tour de Haruni d'être perplexe.
« Oui, c'est bien ce que je dis. Quelqu'un vient et me tend son cadeau. Je prends le cadeau, il me sort son discours insipide, puis je lui rends son cadeau et je refuse. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Chiharu secoua la tête à côté de lui et Tegami se massa l'arête du nez. Haruni comprit que sa réponse n'était pas correcte, mais il ne voyait pas quel était le problème.
« Tu ne dois pas prendre un cadeau que tu n'as pas l'intention d'accepter, expliqua Tegami.
– Ah bon ? Mais s'il me tend son cadeau, je dois faire quoi ?
– Tu ne le prends pas ! Tu laisses ce jeune homme te tendre son présent mais tu ne bouges pas ! Ce sont des règles élémentaires de savoir-vivre ! »
Tegami était souvent consterné de l'ignorance de son cadet dans ce domaine et cela l'inquiétait grandement pour l'avenir.
« Bon, reprit Haruni en roulant des yeux, j'ai compris : je ne dois pas prendre le cadeau.
– C'est ça, approuva son père. Mais que diras-tu à l'autre personne pour refuser sa cour ?
– Non merci, je ne suis pas intéressé. »
Chiharu ne put s'empêcher de grimacer en entendant cette réponse. Tegami se retint de soupirer : Kaname avait vraiment vu juste en disant que ce garçon n'avait aucun respect pour les sentiments d'autrui.
« C'est un peu brutal comme réponse, » se permit de commenter Chiharu.
Haruni soupira.
« J'ai dit 'non merci, pas juste 'non'. »
De toute évidence, cela ne semblait pas suffire. Haruni réfléchit pour adapter ses paroles :
« Désolé, je ne suis pas intéressé ? » fut le mieux qu'il put proposer.
Son grand frère et son père échangèrent des regards horrifiés.
« Chiharu, fit Tegami, que dirais-tu, toi ? »
L'adolescent se lança aussitôt avec assurance :
« Je suis touché par ta demande. Malheureusement, je ne partage pas tes sentiments. J'espère de tout cœur que tu trouveras quelqu'un digne de recevoir ton amour. »
Cette fois, ce fut Haruni qui grimaça devant la réponse ampoulée. Pourtant, Tegami hocha la tête avec approbation.
« C'est bien, Chiharu. Haruni, tu ne te rends pas compte qu'émettre une demande de cour implique de se rendre vulnérable. Si tu n'es pas plus soucieux que ça de la délicatesse de l'autre personne, tu risques de le blesser.
– En même temps, répliqua le garçon, quel est l'intérêt de proposer une cour si on sait qu'elle va se faire refuser ?
– Il faut garder espoir et si on ne risque rien, on n'aura rien au final.
– Celui qui craint d'être blessé n'a qu'à éviter de se rendre vulnérable. »
Le ton catégorique du garçon fit tiquer Tegami.
« Mais on ne choisit pas de qui on tombe amoureux, intervint Chiharu.
– Sauf que Père a bien dit dès le début que toutes les demandes cours ne sont pas forcément motivées par l'amour.
– C'est vrai, reprit Tegami, agréablement surpris et ravi que son cadet ait quand même retenu ce qu'il avait dit. Malgré tout, des sentiments sont impliqués. Tu ne vas pas proposer une cour à quelqu'un que tu n'apprécies pas du tout, et inversement.
– Et puis, on ne sait pas toujours au début si on est vraiment amoureux. Il arrive qu'on le découvre pendant la cour. »
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Haruni retint les yeux au ciel face à cette conversation sur les sentiments. Dans quel monde était-il tombé ?!
« C'est comme les demandes d'amitié, » reprit l'Empereur.
Le Second Prince se leva brusquement, excédé par tout ceci.
« Franchement, je ne vois pas en quoi cette conversation me concerne. C'est Chiharu qui va bientôt avoir quarante-cinq ans, pas moi !
– Tu seras à sa place dans quelques années et cela se prépare jeune.
– Il n'y a rien à préparer pour moi. Je n'ai pas l'intention de m'engager dans une cour.
– Et si quelqu'un te fait une demande ? »
Haruni jeta un regard à son frère.
« Je ressortirai les jolies phrases de Chiharu, cela fera l'affaire. Maintenant, Père, si vous voulez bien m'excuser, je vais occuper mon temps plus utilement. »
Sans tout à fait attendre l'autorisation de son père, le garçon quitta le pavillon sous le regard désolé de son frère et son père.
« Haruni va créer des ennuis plus tard, pas vrai ? » s'inquiéta le Premier Prince.
Tegami se massa les tempes tout en se disant que cela s'était plutôt bien passé : Haruni n'avait pas explosé et avait tout de même retenu deux ou trois choses importantes.
« Ta mère et moi allons faire en sorte que non, » répondit-il.
Même si Kaname semblait vouloir lui confier cette tâche, il était hors de question qu'il soit seul à tenter de faire entendre raison à cette tête de mule qu'était son fils cadet. Kaname avait sous-entendu qu'il devrait avoir plusieurs conversations avec Haruni au sujet des cours dans le but qu'il finisse par comprendre le plus important. Rien qu'à l'idée de devoir recommencer, Tegami avait presque envie de pleurer. Alors il ferait tout pour que son épouse l'aide dans cette tâche, et pourquoi pas Chiharu aussi ?
« Bon, reprenons, » fit-il avec un grand soulagement à cette idée.
Chiharu secoua la tête devant le sale caractère de son frère avant de ramener son attention sur cette conversation qui l'intéressait au plus haut point.
Les troubles à Dekita étaient bien loin de s'arranger malgré le plan suggéré en secret par Haruni. Dans un premier temps, le seigneur Tadeoru avait accepté sans sourciller de quitter le giron de l'Empire mais après la deuxième année, il avait peu à peu commencé à réaliser tout ce que cela impliquait. Il avait envoyé des émissaires à la Cour pour négocier les points les plus épineux — la taxe d'import-export, la radiation de son clan des Archives, la présence armée aux frontières — mais l'Empereur s'était montré intransigeant, soutenu indépendamment par Kenryū et Haruni.
« Votre Majesté, la moindre concession serait catastrophique, ne cessait de répéter le général.
– Les gens comme Tadeoru guettent les faiblesses de leur ennemi pour mieux le détruire, Père, expliquait le Second Prince. Si vous reculez, autant vous enfuir en courant. »
Grâce à cela, Tegami campait fermement sur ses positions mais c'était difficile pour lui. Il n'avait pas l'esprit en paix durant cette crise.
Voyant que l'Empereur ne montrait aucun signe de fléchissement, le seigneur de Dekita se fit plus virulent : il envoya des messages à tous les seigneurs pour expliquer les raisons de sa rébellion, à l'instar de Mitsuhide autrefois. Dans ces pamphlets, il critiquait ouvertement Tegami et chaque moment de son règne désastreux. Le message arriva jusqu'à Kurojū et fut lu devant le Conseil. Tegami fut clairement affecté par les remarques cinglantes, même s'il tenta de dissimuler son émoi devant ses conseillers. Une fois seul dans son étude, il relut le texte et eut l'impression d'être le pire empereur qui avait jamais existé.
« Le Second Prince demande audience, le prévint son servant Kufu.
– Fais-le entrer, » répondit machinalement l'Empereur.
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Haruni venait l'informer qu'il allait partir une semaine mais il fronça les sourcils en le voyant si abattu.
« Que se passe-t'il, Père ? s'enquit-il.
– Rien, » répondit ce dernier, peu désireux de subir en plus les réflexions de son cadet.
Il ne manquerait plus que Haruni donne raison à ces critiques ! Ce serait le coup fatal pour Tegami. Cependant, Haruni ne fut pas dupe de l'humeur de son père. Son regard se posa sur le document resté en vue sur le bureau de l'Empereur et il reconnut le sceau de Dekita. Tegami tenta de le dissimuler mais il était trop tard.
« Qu'est-ce donc ? » demanda Haruni.
Comme Tegami ne faisait pas mine de lui répondre, le garçon, sans aucun respect pour la propriété, saisit le parchemin et le lut rapidement. Il haussa les sourcils à un ou deux endroits et émit des rires brefs à d'autres, tout cela sous le regard anxieux de son père.
Le document prit soudain feu. Tegami poussa un cri de stupeur tandis que Haruni tint le papier entre deux doigts jusqu'à ce qu'il soit complètement réduit en cendres.
« Ha-Haruni ! » fit l'Empereur d'un ton choqué.
Il était difficile de savoir ce qui le choquait le plus : que Haruni ait ouvertement usé de ses pouvoirs ou bien qu'il ait détruit un document officiel. Sans doute un peu des deux.
« C'est du gâchis de papier, répliqua le Second Prince avec nonchalance. Oubliez ça.
– Mais…
– Ce ne sont que des conneries, fit crûment le garçon. Tadeoru est prêt à écrire n'importe quoi pour se justifier.
– Pourtant, ce qu'il a dit des Hikari… le fait que je les ai laissés agir impunément…
– Les Hikari vous ont manipulé et aveuglé comme ils l'ont fait avec tout le monde. C'est fou comme les gens ont tendance à oublier ce fait. »
Jamais Tegami ne se serait attendu à de l'indulgence de la part de son fils, lui qui était si intransigeant par nature. Il sentit les larmes lui monter aux yeux et céda à son impulsion de se lever pour prendre son fils dans ses bras, ignorant le fait que l'autre se raidit un peu.
« Merci, mon fils, » murmura-t'il avec reconnaissance, sans le lâcher.
Haruni tenta de détourner son attention.
« Vous devez envoyer un message pour répliquer à cela, vous savez.
– Tu crois ?
– Bien sûr, » fit le garçon d'un ton d'évidence.
Tegami consentit alors à le lâcher mais il garda les mains sur ses épaules.
« Tu penses que je dois me défendre de ces accusations ?
– Surtout pas ! Ce serait admettre qu'elles sont fondées. Écrivez plutôt quelque chose du genre… »
Le garçon pencha la tête sur le côté pour réfléchir.
« Mmm… Tadeoru prétend rester loyal envers l'Empire de l'Aube et n'avoir de grief qu'à votre encontre. Répondez alors que… celui qui sert l'Empire n'est pas obligé d'être d'accord avec l'Empereur mais celui qui se révolte contre l'Empereur se révolte contre l'Empire tout entier. Quelque chose dans le genre. »
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Tegami resta impressionné par cette formulation et cette rhétorique très complexe et subtile de la part d'un enfant. Lui-même n'aurait pas trouvé mieux. Il se remit tout de suite à son bureau pour prendre une feuille de parchemin vierge et tremper son pinceau dans l'encre noire. Il nota les mots tant qu'il s'en souvenait encore. Bien entendu, il rajouterait quelques formules d'usage avant et après, mais cela formait le cœur de son message et c'était plutôt… percutant ! Cela lui plaisait énormément.
« Merci, Haruni, fit-il en se détachant de sa contemplation. Au fait, tu venais me parler de quelque chose ?
– Oui, je vais partir demain et je compte m'absenter une semaine pour…
– Bien sûr ! Tu as raison de profiter du beau temps ! »
Haruni n'en revint pas. D'ordinaire, il devait batailler plus pour obtenir la permission de quitter le palais. Jamais l'Empereur n'avait accepté aussi vite.
« Il ne faut pas grand-chose pour le mettre de bonne humeur, » songea-t'il avec amusement.
Le message de l'Empereur fut largement diffusé dans tout l'Empire et eut un fort impact. Les Conseillers le félicitèrent de sa démarche audacieuse et affirmée ! À Madare, Mitsuhide eut un sourire ravi en reconnaissant la patte de Haruni dans ce message.
« Il s'occupe enfin des affaires de l'Empire, fit-il à son fils. Voilà qui est de bonne augure pour l'avenir. »
De son côté, Tadeoru déchira le message avec rage et ordonna à ses vassaux de faire de même. Il sentait que son influence diminuait et l'indépendance de sa province, qu'il avait cru facile à obtenir au départ, lui apparaissait de plus en plus comme une mauvaise décision. Mais il ne déshonorerait pas ses ancêtres en reculant et en s'aplatissant devant cet Empereur faible et geignard.
Peu avant son trente-troisième anniversaire, Haruni reçut un message inattendu de Madare : Mitsuhide lui écrivait que la délégation envoyée au royaume des Vites était enfin revenue… avec une vingtaine d'enfants. Le garçon en resta un moment figé avant de s'écrier :
« C'est pas vrai ?! »
Son servant Doko qui l'accompagnait pour rejoindre la famille impériale au petit-déjeuner sursauta un peu et s'enquit :
« Maître, il y a un problème ? »
Il n'était pas séant de lire tout en marchant, mais Haruni venait de recevoir le message et il n'avait pas voulu attendre avant d'en découvrir le contenu.
« Au contraire, Doko, c'est une excellente nouvelle ! »
De très bonne humeur, Haruni entra dans la salle de repas et s'attira aussitôt des regards médusés.
« Bonjour, Haruni, l'accueillit Kaname après qu'il les ait salués. Tu m'as l'air de bien bonne humeur ce matin.
– Tu souris, » compléta Chiharu en l'observant comme s'il était une créature rare.
Tegami, pour sa part, était à court de mots. En temps normal, Haruni se serait fâché de leurs réactions disproportionnées mais là, rien ne pouvait entacher sa joie.
« Mitsuhide m'a écrit, » fit-il en prenant place.
Tegami se renfrogna à la mention de cet homme comme à chaque fois.
« Nous en parlerons après le repas, » décréta-t'il.
Haruni ne répliqua pas et entama ses plats avec appétit, chose rare.
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Une fois le petit-déjeuner terminé, sans même attendre qu'on l'y invite, le garçon expliqua :
« Ils ont retrouvé les enfants ! »
Il ne vit que des visages perplexes et fit claquer sa langue.
« C'est vrai, vous n'êtes pas au courant. Hum… »
À cause de la présence de Chiharu, il ne pouvait pas s'exprimer librement sur sa première vie.
« Je vous raconterai plus tard, » dut-il se résoudre à dire à ses parents.
Chiharu se vexa d'être mis à l'écart, surtout que ce n'était pas la première fois !
« Moi aussi, je veux savoir ! protesta-t'il.
– Chiharu, tu ne dois pas être en retard pour tes leçons, intervint Tegami qui avait compris le problème.
– Haruni aussi a des leçons, que je sache, rétorqua l'adolescent.
– Chiharu ! » s'écria Kaname, outrée par sa réplique insolente.
Le Premier Prince planta ses baguettes dans son bol avec brusquerie, puis il se leva et les salua raidement.
« Je ne dois pas être en retard à mes leçons, » répéta-t'il d'un ton à la fois boudeur et sarcastique.
Il quitta la pièce sous les regards inquiets de ses parents. C'était la première fois que le jeune adolescent se révoltait de la sorte, lui qui était d'un tempérament si paisible. Tegami se massa les tempes et se dit que c'était sans doute Haruni qui lui montrait le mauvais exemple. Si désormais ses deux fils devenaient aussi caractériels l'un que l'autre, il n'y survivrait pas ! Haruni, lui, commenta simplement :
« Chiharu commence à être assez âgé à présent. Père, vous ne croyez pas qu'il serait temps de lui dire la vérité sur moi ?
– Non ! » répondit fermement Tegami.
Haruni haussa les épaules sans insister. Sur ce point, L’Empereur restait intraitable. Il leur raconta plutôt la situation avec les enfants. Kaname était déjà au courant car Yama lui en avait parlé à l’époque, mais Tegami tomba des nues.
« Des enfants de notre peuple chez les Vites ?! s’ébahit-il.
– Les Hikari avaient des activités variées. D’ailleurs, comment vous croyez que j’ai fini là-bas ? »
L’Empereur déglutit, clairement ébranlé par cette révélation.
« Mitsuhide a collaboré avec l’évêque de Yasara, dont l’aide a été indispensable pour réussir cette mission, » insista Haruni.
Il aurait été suicidaire d’envoyer des humains au royaume des Vites, alors que des prêtres Vites circuleraient plus facilement et pourraient entrer en contact avec les monastères. Pour récupérer le plus d’enfants possible, la délégation avait même offert des récompenses — Mitsuhide avait fourni l’argent car de l’or restait de l’or, quel que soit le royaume où on se trouvait. Quant aux enfants recueillis par l’Église, certains avaient certainement voulu rester dans un environnement familier, mais d’autres avaient été tentés par la perspective de retrouver leurs origines et peut-être leurs familles. Il fallait pas non plus oublier que bien des enfants avaient été brûlés par des villageois apeurés — les fanatiques intolérants, comme les appelait Lucius. Du coup, le nombre d’enfants ramenés par la délégation semblait peu, mais c’était déjà extraordinaire.
« Que vont devenir ces enfants ? s’enquit Kaname.
– Certains sont presque adultes, rectifia Haruni. Mitsuhide souhaite que la nouvelle se répande dans tout l’Empire afin que leurs familles puissent les reconnaître et les récupérer. Il aurait besoin de votre aide pour cela, Père.
– Mmph, s’il veut de mon aide, pourquoi est-ce à toi qu’il a envoyé le message ? grommela Tegami.
– Il sait que cette histoire me tient à cœur, répliqua le garçon en prenant un air mélancolique. Et puis, c’est moi qui suis à l’origine de cette initiative, après tout.
– Tu aurais dû me parler de ces enfants depuis longtemps ! répliqua l’Empereur avec irritation. Si cette histoire fait le tour de l’Empire, des gens comme Tadeoru ne manqueront pas de me le reprocher en plus du reste ! »
Haruni cligna des yeux devant ce mouvement d’humeur.
« Je vous l’aurais volontiers raconté, mais c’est vous qui ne voulez rien entendre de mon ancienne vie ! Souvenez-vous, vous m’avez dit de tout oublier, comme dans un mauvais rêve. »
Haruni n’avait jamais accepté ces paroles qui étaient une insulte à ses souffrances et ses sacrifices. En plus, il refusait d’oublier les bons moments qu’il avait connus. C’était inconcevable pour lui.
« Tegami, fit doucement Kaname, ce qui compte, c’est que ces enfants retrouvent leur famille, tu ne crois pas ?
– Bien sûr, approuva-t’il un peu vite. Mais cela ne doit pas se faire n’importe comment ! »
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Kaname préféra faire dévier la conversation :
« Haruni, est-ce que Yatsu sera présenté comme un de ces enfants ?
– Mmm, Mitsuhide et moi-même n’avons jamais réussi à retrouver sa famille, alors… Si Yatsu le souhaite, ce sera l’occasion de relancer les recherches. »
Il souhaitait plus que tout au monde que Yatsu soit heureux. Le garçon avait beau s’être fait une place à Hanajū, il ressentait peut-être le besoin de connaître ses origines. Haruni avait été dans la même situation au tout début de son existence et maintenant qu’il savait qui il était — même si la réponse n’était pas à son goût — il devait avouer que cela lui avait enlevé un poids de la conscience.
« Je dois réfléchir à tout cela, déclara soudain Tegami.
– Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas, » proposa Haruni.
L’Empereur posa le regard sur son fils avec surprise, puis son visage s’adoucit un peu.
« Je… Je te le ferai savoir, Haruni, » accepta-t’il.
Le Second Prince partit pour ses leçons, laissant son père ravi. Cela servit à adoucir la nouvelle des enfants.
Mitsuhide avait joint une copie du rapport de la délégation à son message. Haruni le lut avec empressement, désireux d’avoir des nouvelles de son ancien royaume. Il fallait dire que beaucoup de choses avaient changé. Après l’échec cuisant de la Croisade, le Pape avait été destitué, fait inédit dans l’histoire de l’Église. Son successeur ne voulait rien entendre des démons et les recrutements d’enfants “particuliers” avaient par conséquent cessé. Nombre de monastères et couvents s’étaient ainsi retrouvés avec leurs ouailles particulières sur les bras, sans la moindre instruction. Du coup, quand la délégation était venue leur proposer de récupérer ces enfants, les prêtres supérieures et abbesses avaient accepté avec enthousiasme.
Haruni avait bien spécifié le nom de Akemi, la petite fille aux cheveux rouges qu’il avait sauvée de la Géhenne et qui devait se trouver au Couvent des Sœurs Voilées. Il fut déçu de lire qu’elle ne s’y trouvait plus. D’après la mère supérieure, un prêtre était venu la chercher il y avait plusieurs années de cela. Haruni espéra qu’elle avait connu un sort favorable. Il avait également demandé des nouvelles du duché de Prost : Grisèle avait épousé un noble local et ils avaient trois enfants. Dame Faye régnait officieusement sur le duché qui était plutôt prospère. Haruni eut une sensation étrange en lisant ces renseignements, comme si cela concernait de parfaits étrangers. Mais d’un autre côté, il n’avait passé que peu de temps avec eux, cela s’expliquait donc. C’était la vie de Lyrel, pas la sienne.
« Je n’ai pas pour autant accepté la vie de Haruni, se dit-il. Enfin… pas entièrement. J’ai encore tendance à penser comme un Vite par moment. »
Mais il refusait d’abandonner cette particularité, même si cela lui aurait facilité l’existence sur de nombreux points.
« Cela dit, ce n’est pas non plus comme si cette existence était totalement enviable. »
Dernier descendant des Hikari, méprisé et considéré comme malfaisant par une bonne partie de la Cour, traité comme un enfant impotent… Haruni soupira en se disant que quelle que soit la vie, la facilité ne semblait pas être faite pour lui.
Tegami fit réunir le Conseil en urgence dans la matinée. Kaname y fut exceptionnellement invitée en tant que témoin. La nouvelle des enfants perdus horrifia tout le monde.
« Les Hikari auraient fait ça ?! s’écria le seigneur Hatochi, les yeux écarquillés.
– Mmph, disons plutôt que les Hikari ont aussi fait ça, réagit Kenryū, le visage sombre. Qu’est-ce qui vous étonne encore de leur part ?
– Tout de même, des enfants… »
Les enfants étaient sacrés dans l’Empire de l’Aube. Celui qui osait leur faire du mal se faisait appeler ‘dégénéré’. Même les hors-la-loi ne s’en prenaient pas aux enfants.
« Yama avait émis l’hypothèse que les Hikari avaient commencé par se débarrasser de leurs bâtards car par ce moyen, ils ne les tuaient pas directement, expliqua Kaname. Ensuite, ils s’en sont servis pour affaiblir leurs ennemis potentiels. »
La perte d’un enfant était effectivement une épreuve horrible.
« Votre Majesté, s’enquit le ministre Kimora, il est difficile de concevoir que les Hikari aient pu non seulement enlever des enfants, mais en plus leur faire traverser tout l’Empire pour les déposer chez les Vites. »
Il n’était pas le seul à éprouver des doutes. Kaname redressa les épaules.
« Vous savez que les Hikari pouvaient ouvrir des portails pour franchir de grandes distances. C’est en traversant l’un d’eux que je me suis retrouvée avec Yama de Hanajū à Kurojū en un instant.
– Oui, c’est ce que vous nous avez dit à l’époque, mais… »
Sans le dire clairement, ce qui aurait été une insulte, le ministre faisait référence à la réputation d’affabulatrice de l’Impératrice, réputation créée de toutes pièces par le seigneur Shumē. C’était fou de constater que les mensonges des Hikari continuaient de circuler alors même que l’ignominie du clan avait été dévoilée.
« Je l’ai vu, intervint Tegami en volant au secours de son épouse. Dans le Pavillon Principal, j’ai vu Shumē s’enfuir par un de ces portails devant mes yeux. »
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Sans un mot, Kimora s’inclina devant l’Empereur mais n’était pas convaincu pour autant : tous avaient pu constater l’attitude presque hallucinée de Tegami durant le temps des Hikari. Ce n’était pas non plus un témoin fiable.
« J'ai retrouvé le corps du général-héros Yama à Shirojū, alors qu'il se trouvait à Madare quelques jours plus tôt, intervint Kenryū. Malgré leur nom, les Vites ne sont pas si rapides que ça ! »
Là, personne ne pouvait remettre en question l'avis du général. L'idée restait cependant difficile à concevoir.
« Peu importe comment c'est arrivé, fit l'Empereur en fronçant les sourcils. Ce qui compte, c'est la manière dont nous allons gérer cette affaire.
– Hum, ne pourrions-nous pas laisser le seigneur Mitsuhide s'en charger ? suggéra Hatochi. Après tout, c'est son entreprise.
– Ces faits gravissimes se sont produits durant mon règne ! insista Tegami. Je dois réagir et faire un geste pour ces malheureux enfants ! »
Tous comprirent que l'Empereur était encore affecté par les accusations de Tadeoru dans son pamphlet. Dans un accord tacite, ils décidèrent de le soutenir.
« Faisons-les venir au palais jusqu'à ce qu'ils retrouvent leurs familles, suggéra le ministre Mekkoshi.
– Mais s'ils ne les retrouvent pas ? »
C'était fort possible. Dans un tel cas, il fallait songer à ce que deviendraient ces enfants. Malheureusement, Tegami n'avait pas eu l'occasion de discuter de ça avec son fils cadet et aucune idée pertinente ne lui vint. Il fronça les sourcils.
« Nous aviserons lorsque le cas se présentera, temporisa-t'il.
– Et pour le seigneur Mitsuhide ? s'enquit Kenryū. Il a sa part de mérite dans l'histoire. »
Beaucoup de conseillers hochèrent la tête pour approuver.
Tegami retint un soupir.
« Le seigneur de Madare sera dûment récompensé, cela va de soi.
– Le clan Uegari peut vraiment s'enorgueillir de son représentant, commenta Hatochi l'air de rien. Le seigneur Mitsuhide ne cesse de faire parler de lui depuis une décennie. »
Le ton du seigneur un peu replet oscillait entre l'éloge et la jalousie. Kenryū eut un reniflement de mépris et d'amusement. Hatochi le foudroya du regard avant d'agiter son éventail devant lui pour se donner une contenance. Une note fut envoyé au Maître des Pavillons pour prévoir les accommodations afin de loger une vingtaine d'enfants de tous âges. Un message fut également écrit pour avertir Mitsuhide des dispositions prises. La réunion prit fin sur ces bonnes décisions.
Tegami déchanta vite lorsqu'il informa Haruni de ces dispositions.
« Mais qu'est-ce qui vous a pris ?! » s'écria le garçon.
Exceptionnellement, ils prenaient tous les deux le déjeuner dans l'étude de Tegami. Ce denier ne comprit pas les raisons de l'emportement de son fils.
« Quel est le problème ? s'enquit-il.
– Le problème, c'est que ces enfants ont grandi chez les Vites. Ils ne connaissaient pas vos coutumes, ils ne parlent même pas votre langue…
– Nos coutumes, notre langue, rectifia sèchement Tegami.
– Et vous voulez qu'ils viennent vivre au palais où on les dévisagera et où on se moquera d'eux ?! »
L'Empereur s'indigna.
« Je ne laisserai jamais une telle chose se produire !
– Vous ne pouvez pas contrôler tous les ragots. C'est le passe-temps préféré des gens d'ici, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. »
Tegami se sentit un peu stupide. Effectivement, il connaissait l'ambiance de la Cour mais cela ne lui semblait pas si horrible que ça, lui qui avait passé toute sa vie ici.
« Parce qu'ils seraient sans doute mieux à Madare ? fit-il avec une pointe de colère.
– Il y a des Vites à Madare, argua Haruni. La transition y serait plus simple. »
Tegami devait avouer qu'il n'avait pas envisagé les choses sous cet angles. Il était vraiment dommage que Haruni ne puisse pas participer aux réunions du Conseil car son aide aurait été fort utile… L'Empereur se reprit soudain : un enfant au Conseil ? Décidément, il n'avait plus les idées claires !
« La décision a été prise, je ne peux pas revenir dessus. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Haruni plissa le front, tentant de trouver une solution.
« Et si… vous n'avez pas précisé de date pour les accueillir, non ? »
L'Empereur secoua la tête. Soulagé, Haruni poursuivit :
« Alors annoncez que vous les accueillerez dans quelques mois, le temps qu'ils soient un peu plus éduqués pour vivre au palais.
– C'est… acceptable, en convint Tegami. Certains auront peut-être rejoint leurs familles d'ici là.
– Ce serait l'idéal. »
L'Empereur héla son servant pour rédiger un message correctif sous l'œil attentif de son cadet.
« Vous ne réunissez pas le Conseil pour demander leur avis ? demanda Haruni.
– Le Conseil est le Conseil, mais je suis l'Empereur, » déclara Tegami d'un ton assuré.
Haruni sourit, appréciant cette marque d'autorité. À force de vouloir se faire pardonner ses agissements du temps des Hikari, Tegami avait tendance à se montrer trop docile et conciliant avec les conseillers. Il était temps qu'il assoit de nouveau son autorité, sinon Chiharu aurait fort à faire quand il lui succéderait.
« Tant que j'y pense, reprit Tegami, que pourrons-nous faire si certains enfants ne retrouvent pas les leurs ?
– Mmm, rien n'est prévu ici pour accueillir les orphelins, » se souvint Haruni.
À son arrivée dans l'Empire avec un bébé, il avait naïvement cru qu'il pourrait le confier aux démons pour qu'ils s'en occupent. Il avait vite déchanté car sans famille, personne n'acceptait d'élever un enfant qui n'était pas de son sang. Voilà comment il s'était retrouvé à élever Yatsu.
« Il y a bien les temples, mais… »
On lui avait parlé des garçons de temple, élevés dans l'unique but de satisfaire les désirs des prêtres une fois majeurs. Il ne savait toujours pas si c'était vrai ou pas, mais il ne voulait prendre aucun risque.
« Oui, fit Tegami, frappé par l'illumination, les prêtres ont l'habitude de recueillir les orphelins.
– … Gardons ça en dernier recours, nuança Haruni. Laissons à ces enfants le choix de leur vie. »
Il continua à réfléchir et trouva une idée :
« Et s'ils devenaient pupilles de l'Empire ?
– Quoi ? » tiqua Tegami en entendant ce mot de Vite.
Haruni chercha un équivalent, en vain. Il essaya ensuite d'expliquer la notion :
« L'Empire leur fournirait une éducation et un logement. En retour, ils travailleraient pour vous à leur majorité.
– Les Vites font ça ?
– On sait gérer les orphelins, c'est sûr. »
Tegami prit un air de réprimande.
« Pas “on”. Tu n'es pas un Vite. »
Haruni ne répliqua pas. Cela lui arrivait encore souvent de s'identifier aux Vites, surtout quand il parlait d'eux. Il ne voulait pas renier son passé mais il ne pouvait plus vraiment se considérer comme un Vite.
« Bref, éluda-t'il, c'est une bonne solution. »
L'Empereur acquiesça. Les choses était plus claires à présent pour lui et il se réjouit que son fils ait pu le conseiller sur cette question épineuse. Cela dit, il se reprochait en même temps de s'appuyer sur un enfant. Il était le premier à dire que Haruni devait profiter de son enfance retrouvée et pourtant, il lui demandait conseil comme à un adulte.
« Mais ça le rend heureux, constata-t'il mentalement. Alors où est le mal ? »
Il soupira discrètement.
Haruni était sorti à cheval l'après-midi. Yaji avait beau commencer à être âgé, il restait vigoureux et appréciait aussi peu l'oisiveté que son maître.
« Nous allons bientôt repartir en voyage, lui promit Haruni en flattant son encolure après un bon galop. J'attends juste que cette affaire des Enfants Perdus se règle. »
Étant donné tout ce qui le liait à ce projet, il voulait s'assurer que tout s'arrange pour les enfants.
« Est-ce que Yatsu voudra retrouver sa famille ? » se demanda-t'il distraitement.
Le garçon était si bien intégré à Hanajū qu'il refuserait de partir, quoi qu'il arrive. Mais il aurait peut-être envie de découvrir ses origines.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Le galop d'un cheval tira Haruni de ses pensées. Il se retourna aussitôt sur la selle, guettant la route derrière lui. Il ne masqua pas sa surprise en voyant Chiharu le rejoindre. Le Premier Prince sortait souvent à cheval lui aussi, mais toujours en compagnie de ses amis. Là, excepté cinq gardes impériaux plus loin derrière, il était seul et qui plus est, il avait l'air de chercher spécifiquement Haruni.
« Chiharu, l'accueillit-il, tout va bien ? »
Au lieu de son habituel visage souriant, le jeune adolescent avait la mine bien sombre.
« Haruni, c'était quoi cette histoire de ce matin ?
– Ce matin ? Oh… »
De toute évidence, Chiharu n'avait pas digéré le fait de se faire congédier comme un enfant, surtout que son petit frère avait eu le droit de rester, lui !
« Ah, le palais sera bientôt au courant, alors… »
Pendant que leurs montures avançaient au trot, Haruni lui résuma l'histoire sans mentionner son rôle. Chiharu écouta en silence, mais cela n'eut pas l'air de l'apaiser.
« Si ce n'est que ça, pourquoi je n'ai pas eu le droit de rester ? » demanda-t'il d'un ton de colère retenue à la fin du récit.
C'était une question légitime, mais Haruni ne pouvait pas y répondre sans trahir sa promesse de ne rien dire de son passé.
« C'est… j'ai promis à Père de ne pas en parler.
– Mmph, ravi de constater que vous avez vos petits secrets tous les deux ! »
Chiharu était vraiment vexé. C'était l'accumulation de tout ce qu'il avait remarqué depuis l'arrivée de son cadet. Il en avait plus qu'assez de se sentir à l'écart et jaloux de l'attention de leurs parents envers Haruni. Autrefois, il ne s'était pas attardé sur cette impression mais là, ça commençait à faire beaucoup et cela ne semblait pas vouloir s'arrêter !
Haruni soupira.
« Franchement, j'ai dit à Père que tu avais le droit de savoir, mais il ne veut rien entendre. Et après, on dit que c'est moi qui suis têtu ! »
Cela parut tout changer pour Chiharu. Sa mine sombre se dissipa un peu et il lança un regard surpris à son petit frère.
« Tu… tu voulais que je sois au courant ? C'est vrai ?
– Bien sûr, tu es assez grand pour connaître la vérité.
– Et donc, c'est juste Père qui ne veut pas que je sache ?
– Il dit qu'il veut te protéger, mais si tu veux mon avis… »
Il ne put achever sa phrase car Chiharu le serra subitement dans ses bras, faisant sursauter leurs montures.
« Alors tu ne veux pas me mettre à l'écart ? s'écria l'aîné.
– Euh… non, bien sûr que non… »
Cela lui valut une plus forte étreinte, bien qu'il ne comprenait pas du tout la réaction de son frère.
Quand Chiharu le lâcha enfin, il avait retrouvé le sourire.
« Je suis content, petit frère, déclara-t'il.
– Mmm… tant mieux… »
Haruni ne comprenait vraiment pas le revirement de Chiharu, mais peu importait.
« On fait la course ? » suggéra soudain Chiharu redevenu insouciant.
Haruni acquiesça et les deux chevaux s'élancèrent à toute vitesse le long de la route.
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