Chapitre Quinze : Grandir
Kurojū, 2448-2449
L'affaire des Enfants Perdus provoqua une vague d'indignation dans tout l'Empire de l'Aube. Beaucoup regrettèrent que les coupables soient déjà morts car ils auraient mérité un châtiment encore pire pour avoir osé s'en prendre à des enfants et séparer des familles. Quelques-uns, dont Tadeoru, chuchotèrent leur mécontentement contre l'Empereur qui avait laissé faire cela, mais ils se montrèrent plus discrets. Globalement, le geste de Tegami de recueillir et s'occuper des enfants qui ne retrouveraient pas leurs familles fut largement approuvé : c'était la moindre des choses. Toutefois, il n'y eut pas besoin d'en arriver là : sur les vingt-trois enfants retrouvés, les plus jeunes furent reconnus et récupérés avec joie par leurs familles. Il ne resta que quatre personnes non identifiées, dont trois âgés entre quarante-cinq et soixante ans, et le plus jeune ayant trente-deux ans. Ils exprimèrent tous le souhait de rester à Madare où ils pourraient rester en contact avec les Vites, étant donné qu'ils étaient trop imprégnés par cette culture. L'Empereur déclara qu'il respecterait leur décision car ces personnes avaient tellement souffert qu'elles avaient bien mérité de choisir leur vie — discours inspiré par Haruni, bien évidemment. Il leur octroya de l'argent et la possibilité de venir travailler à la Cour s'ils le désiraient un jour.
Quant à Yatsu, il avait fini par accepter avec un peu de réticence qu'on le présente comme un de ces Enfants Perdus. Mitsuhide eut beau transmettre toutes les informations que Yama lui avait données autrefois, y compris le bout de tissu portant des armoiries incomplètes, aucune famille ne se manifesta pour réclamer le garçon. Cela n'avait pas attristé Yatsu qui avait fait :
« Ma famille est ici à Hanajū, et aussi avec Papa. »
Tetsuō lui avait alors assuré une fois encore que Yatsu pourrait toujours compter sur lui. Mitsuhide avait transmis les résultats à Haruni avec un peu de résignation. Il semblait que les origines de Yatsu étaient vouées à rester un mystère à tout jamais.
Les festivités de la Nouvelle Année étaient à peine finies que la palais se préparait déjà à célébrer la majorité de Kikuchi. Le passage à l'âge adulte était un moment-clé dans la vie d'un jeune homme, il fallait donc le fêter dignement. De plus, le clan Inugami jouissait d'un grand prestige à travers l'Empire de l'Aube, alors le cinquantième anniversaire de l'héritier du clan était forcément un événement important. Cela allait de soi qu'il aurait lieu au palais de Kurojū et non dans le domaine familial de Katoru. Trois jours de festivités étaient prévues comme le voulait la tradition.
Haruni, qui avait prévu de s'absenter juste après le Nouvel An, fut agacé d'apprendre qu'il serait obligé de rester.
« Je n'ai jamais été obligé de rester pour les autres anniversaires du Firal, » objecta-t'il.
Il était vrai que d'ordinaire, Kikuchi fêtait son anniversaire avec sa famille et ses amis. Haruni n'était pas donc pas concerné et envoyait simplement un cadeau standard qui finissait sûrement dans un placard poussiéreux… ou bien jeté au feu !
« Cet anniversaire est particulier, insista Tegami. C'est sa majorité, alors tu resteras. »
Haruni roula des yeux.
« Et si je partais le lendemain ?
– Tu resteras les trois jours. Ton absence serait une insulte pour le clan Inugami. »
En son for intérieur, Haruni se dit que ce serait plutôt sa présence qui serait une insulte, vu l'animosité de Kikuchi et la méfiance de Kenryū à son égard. Mais il avait accepté de participer aux événements importants de la Cour et celui-ci en faisait hélas partie. Il était hors de question qu'il revienne sur sa parole.
« Bon, mais je ne me fatiguerai pas à lui trouver un cadeau spécial, » céda-t'il.
Tegami se retint de soupirer. Il savait qu'il ne pourrait pas obtenir plus de sa tête de mule de fils.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Chiharu, lui, attendait cet événement avec impatience car il s'agissait d'un de ses amis proches.
« J'ai trouvé le cadeau parfait pour Kikuchi, raconta-t'il au petit-déjeuner. Cela fait des mois que j'y réfléchis !
– Que vas-tu lui offrir ? demanda Kaname avec un sourire.
– Ah non ! Si je vous le dis, vous allez me piquer l'idée !
– Pas de risque, » marmonna Haruni à côté de lui.
Malgré ses dires, Chiharu était si fier de son cadeau qu'il ne put se taire bien longtemps.
« Comme je sais qu'il est excellent en poésie, je lui ai trouvé un recueil de poèmes écrit par maître Hidashi !
– C'est une très bonne idée, Chiharu, le félicita sa mère. Tu t'es vraiment donné du mal ! »
Pendant que l'Empereur le félicitait à son tour, Haruni tenta de se souvenir s'il avait déjà entendu parler de ce Hidashi.
« Qui est Hidashi ? » finit-il par demander.
Cela lui valut des regards perplexes.
« Maître Hidashi était l'un des plus grands poètes du dixième siècle ! s'étonna Chiharu. Tu as forcément étudié ses œuvres avec nos précepteurs ! »
Ah, un poète. Vu que Haruni ne prêtait guère d'attention à ce qui ne l'intéressait pas, cela expliquait pourquoi ce nom ne l'avait pas marqué.
« Ce qui compte, fit-il, c'est que le Firal Kikuchi le connaisse.
– Bien sûr qu'il le connaît, répliqua Chiharu, un brin offensé. Tout le monde n'est pas ignare comme toi !
– Chiharu ! » s'écria leur père, outré.
Ses deux fils l'ignorèrent. Loin de se vexer, Haruni répliqua avec un petit sourire aux lèvres :
« C'est amusant que tu me traites d'ignorant, étant donné tout ce que toi-même tu ne sais pas.
– Haruni !
– Tu ne sais pas nager, tu ne sais même pas à quoi ressemblent certains animaux que tu manges…
– Les garçons, ça suffit ! » intervint Kaname avec un peu plus d'efficacité que son époux.
Les deux frère s'ignorèrent durant le reste du repas. Ce fut un soulagement pour leurs parents quand ils partirent pour leurs leçons — toujours sans se parler.
« C'est moi ou bien Chiharu commence à se montrer rebelle ? commenta Tegami d'un ton éberlué.
– Il cherche à s'affirmer, soupira Kaname. C'est l'âge qui veut ça.
– Mmm, et ne parlons pas de l'exemple qu'il a, » ajouta l'Empereur en voulant parler de leur second fils.
Kaname posa les baguettes en travers de son bol, signe qu'elle avait terminé son repas. Les servants vinrent débarrasser. La femme se ressuya la bouche derrière sa manche, puis fit :
« J'ai l'impression que Chiharu est un peu jaloux de son frère.
– Jaloux ? Mais de quoi ?! » fit Tegami en tombant des nues.
De son point de vue, Chiharu avait tout pour lui — des amis, une vie paisible — tandis que Haruni était plus à plaindre — surtout à cause de son très mauvais caractère.
« Nous tolérons beaucoup de choses de la part de Haruni par égard pour tout ce qu'il a enduré, expliqua Kaname. Chiharu ne voit que les avantages et les libertés de son petit frère sans en comprendre la raison. »
L'analyse fine de son épouse fit renfrogner Tegami.
« Alors toi aussi, tu estimes que Chiharu devrait être informé au sujet de Haruni ?
– La décision te revient, » fit-elle pour l'adoucir.
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Cela fut efficace. Tegami réfléchit un bon moment à la question et parut hésiter plusieurs fois. Kaname l'observa sans un mot, le laissant débattre avec lui-même. Au bout d'un certain temps, l'Empereur soupira.
« Je pense que ce ne serait profitable ni à Chiharu, ni à Haruni, » décida-t'il.
Kaname masqua sa déception.
« C'est toi qui vois, » fit-elle d'un ton neutre.
Elle était d'un tout autre avis mais elle sentait que son époux avait besoin de support, lui qui devait déjà lutter contre leur fils cadet. Elle ne pouvait qu'espérer qu'il entende raison un jour… ou que quelqu'un lui fasse entendre raison.
Pour son grand soir, Kikuchi était plus que resplendissant. IL portait une riche tunique du même vert que ses yeux et brodée de fils d'or. Ses cheveux de la couleur des feuilles d'automne étaient retenus en un savant assemblage de tresses et de chignons, ce qui avait dû prendre des heures à faire. Son maquillage était visible mais peu outrancier : un peu de noir autour des yeux pour en faire ressortir la couleur et du rouge sur ses lèvres et ses joues. De nombreux bijoux et ornements de cheveux dorés complétaient sa tenue. Jeune, plein de vie et d'élégance, il était l'image parfaite d'un homme au passage à l'âge adulte. La cérémonie eut d'abord lieu dans le Pavillon Principal en présence de tous. Dame Mikato, l'épouse de Kenryū, et ses deux autres enfants, Dokano et Kōtori, étaient venus du domaine de Katoru pour assister à ce grand moment. Ils étaient au premier rang de la grande assemblée.
Avec toute la fierté d'un père, Kenryū observa son fils s'approcher de lui dignement au pied des marches, puis le saluer. Kikuchi s'agenouilla ensuite devant lui.
« Kikuchi, déclara Kenryū de sa voix forte de général, aujourd'hui marque la fin de ton enfance et le début de ta vie d'adulte. Tu es libéré de tout serment antérieur, car ceux-ci ont été prononcés par l'enfant Kikuchi que tu étais. Dorénavant, tu seras connu sous le nom de Seiryū ! »
Ce nom d'adulte serait conservé jusqu'à sa mort. Le nom d'enfant ne devait plus être utilisé, sinon ce serait considéré comme une insulte. Kenryū posa les mains sur les épaules de son fils et poursuivit :
« Relève-toi, Seiryū du clan Inugami, et salue-moi comme un homme salue son père. »
Le Firal s'exécuta. Le salut d'un adulte différait de celui d'un enfant : il était toujours aussi respectueux mais un peu moins soumis.
Kenryū serra son fils contre lui, débordant de joie et de fierté.
« Continue de faire honneur à tes ancêtres, lui fit-il.
– J'en ai bien l'intention, Père, » répondit Seiryū avec un sourire tout aussi heureux.
L'assemblée acclama le nouveau majeur. Le banquet qui s'ensuivit rivalisait avec celui du Nouvel An : en plus de la riche nourriture, il y avait des danseurs, jongleurs, musiciens et chanteurs qui se succédèrent dans le Pavillon des Banquets. Même si les convives avaient déjà bien festoyé quelques jours plus tôt, ils firent tous honneur au repas — sauf Haruni qui eut des nausées rien qu'à la vue des plats très généreux. Il se contenta de riz et d'un simple bouillon.
Seiryū avait exceptionnellement pris place à la table d'honneur aux côtés de son père. Fini pour lui la table des enfants, il pouvait désormais s'asseoir avec les hommes. Et pour ce soir, il avait même droit à la table de l'Empereur comme un invité prestigieux. À tour de rôle, les invités se présentèrent devant lui pour lui adresser leurs vœux et offrir leur présent. Les deux princes passèrent en premier, leurs servants portant les cadeaux.
« Seiryū, fit Chiharu en employant le nouveau nom de son ami avec un large sourire, félicitations pour ta majorité. Je t'offre ce recueil de poésie de la main même du grand maître Hidashi. Que la sagesse et la beauté de ses mots t'accompagnent dans ce nouvel âge qui s'offre à toi.
– Merci pour ce beau cadeau, Chiharu, » répondit Seiryū en lui rendant son sourire.
Haruni s'avança à son tour et le ton fut nettement moins cordial.
« Firal Seiryū, félicitations pour votre majorité. Je vous offre ce set de calligraphie. »
C'était un cadeau des plus impersonnels et Haruni ne l'accompagna même pas d'un compliment. Seiryū retint un reniflement de dédain. Ce n'était pas non plus comme s'il s'était attendu à autre chose de la part du Prince Bâtard.
« Merci, votre Altesse, » répondit-il de façon aussi laconique.
Il refusait de laisser ce gamin lui gâcher sa soirée et décida de ne plus plus lui prêter attention. Les autres convives défilèrent et les cadeaux s'amoncelèrent. Heureusement que les présents standards pouvaient être ré-offerts à d'autres sans offusquer le premier donneur, sinon Seiryū aurait croulé sous les services à thé, les sets de calligraphie, les esquisses et les statuettes ! Il ne garderait que les cadeaux personnels ou ceux qui lui plaisaient.
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Son père lui offrit un jeu de sabres de très belle facture afin qu'il les mette au service de l'Empire de l'Aube comme ses ancêtres avant lui. Sa mère lui avait offert de nouvelles tenues — cadeau que seul un parent ou un amant pouvait faire puisque cela touchait la peau. Son frère et sa sœur avaient choisi pour lui un bel ornement de cheveux qu'il décida de porter aussi pour leur faire plaisir. De la part de l'Empereur, il reçut une jument, l'une des premières descendantes de Yaji croisé avec une jument de Kami. Seiryū fut très impatient de monter cette bête magnifique et se jura d'aller se promener dès le lendemain. Kenshirō, qui le courtisait depuis presque trois ans, lui offrit deux grandes jarres d'un alcool de pêche de la région de Jūka, une liqueur très appréciée du Firal.
Le banquet se poursuivit. Les enfants et les femmes se retirèrent plus tôt et l'ambiance changea alors : l'alcool coula à flot, les hommes se lâchèrent et reluquèrent ouvertement les danseurs et danseuses dont les mouvements se firent plus lascifs. Des rires éclatèrent un peu partout. Seiryū eut droit à sa part de conseils sur l'âge adulte.
« Dis-toi que là, tu es au plus beau moment de ta vie ! déclara le général Modori, qui était passablement éméché. Profites-en bien avant le mariage et les enfants, sinon tu le regretteras. C'est moi qui te le dis !
– Allons, tempéra le seigneur Hatochi dont le visage rondelet était bien rouge. Ce jeune homme a encore tout le temps avant de songer au mariage.
– Il a déjà une fiancée, intervint Kenryū qui pour une fois avait un air détendu et souriant.
Hatochi répondit avec un geste négligeant :
« Comme tout le monde à son âge. Mais Kenryū, tu n'es pas à ce point pressé d'avoir des petits-enfants, non ? »
Le général prit un air songeur en regardant son fils aîné. Ce dernier fit alors une tête épouvantée. Kenryū éclata de rire.
« Non, le rassura-t'il. Mon fils, tu as toute la vie devant toi alors amuse-toi bien !
– Oui, Père, » répondit Seiryū dans un souffle, son soulagement évident.
Les hommes autour de lui rirent de son air penaud et il eut droit à plusieurs claques sur l'épaule.
Ce fut plus tard dans la soirée que vint le moment tant attendu : Seiryū allait se retirer pour la nuit mais il ne serait pas seul. Il allait pouvoir choisir son premier amant. Bien entendu, il n'y avait que peu de doutes sur l'identité de l'heureux élu : ce serait Kenshirō. En effet, les deux jeunes gens étaient en cour depuis quasiment trois ans, sans compter qu'ils étaient amis de longue date. D'ailleurs, Kenshirō gardait depuis un moment les yeux fixés sur Seiryū, impatient que la soirée se termine afin qu'ils puissent passer à des activités plus agréables. Seiryū se leva enfin et salua son père et ses amis. Puis sans surprise, il se dirigea vers Kenshirō et lui tendit la main. Avec un petit sourire satisfait, Kenshirō entrelaça leurs doigts et se leva. Les deux jeunes gens quittèrent le pavillon sous les huées des plus ivres.
Kenryū hocha la tête, bien content que son fils en ait vraiment fini avec son ridicule chagrin d'amour pour un Vite. Le seigneur Hatochi lui resservit du sake.
« Tu peux être fier de ton fils, Kenryū, commenta-t'il. Il est devenu un très bel homme.
– Il n'a pas trop mal tourné, c'est vrai, » se rengorgea le général avec une modestie feinte
Alors qu'il était de mauvais ton de se vanter, on pouvait sans souci accepter les compliments des autres.
« Il est peut-être encore trop tôt pour savoir, mais tu crois qu'il va se mettre au service du Premier Prince ? »
On pouvait faire confiance à Hatochi pour tout ramener à la politique. Cet homme devait sûrement comploter jusque dans son sommeil !
Le visage de Kenryū s'assombrit mais ce n'était pas par agacement. Lui-même se posait la question.
« Hum, il est ami avec le Premier Prince mais je ne crois pas que cela ira jusque là. »
Chiharu était très loin de ce que Seiryū recherchait comme personne à servir.
« Oh, et qu'en est-il avec le Second Prince ? »
Là, Kenryū lui lança un regard noir tandis que Hatochi éclatait franchement de rire. Heureusement que l'Empereur se trouvait plus loin, hors de portée de leur conversation.
« Je plaisante, bien sûr, ajouta Hatochi avec un léger sourire. Mais avoue que ce serait dommage de briser la tradition familiale.
– Les Inugami n'ont pas toujours prêté allégeance à un membre de la famille impériale, objecta Kenryū. Il est souvent arrivé qu'ils servent un autre clan.
– Sauf qu'il s'agissait toujours d'un proche de la famille impériale. »
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Kenryū but une gorgée de sake.
« Seiryū choisira qui il voudra et il aura mon soutien total.
– Sauf s'il s'agit du Bâtard Hikari, murmura Modori.
– Mon fils n'est pas stupide ! répliqua Kenryū. Et surtout, je l'ai élevé bien mieux que ça. »
Hatochi et Modori acquiescèrent. Il faudrait être complètement fou pour vouloir servir le Second Prince. Même sans son ascendance Hikari, ce garçon n'avait aucun charme et aucune qualité de valeur. Il faisait désespérer ses parents et ne souhaitait aucun ami. Son avenir semblait des plus sombres. Plutôt que de penser à des choses déplaisantes, les trois hommes se resservirent du sake et burent à la santé du nouveau majeur.
Pendant ce temps, dans les quartiers de Seiryū, Kenshirō et lui buvaient également. L'ambiance était très détendue et intime. Bien que le clan Inugami possédait le domaine de Katoru qui se trouvait à quelques heures de cheval de la capitale, ils disposaient également de quartiers permanents dans le palais de Kurojū, ce qui était une immense marque de faveur. Les autres nobles de la Cour avaient des demeures en ville ou à proximité. Ils devaient donc quitter le palais le soir à la fermeture des portes et ne pouvaient revenir que le lendemain matin. Les quartiers réservés à Kenryū et son fils étaient assez luxueux, mais pas aussi vaste que le Pavillon Impérial, bien entendu. Depuis quelques années, Seiryū jouissait même d'une certaine indépendance avec des quartiers privés. Comme sa mère et ses frère et sœur restaient à Katoru, Seiryū et son père s'y rendaient un ou deux jours dans la semaine afin de rester en contact. Dame Mikato venait souvent tenir compagnie à l'Impératrice, comme plusieurs autres épouses des membres du Conseil. Du coup, les contacts entre les membres du clan Inugami restaient réguliers malgré la séparation.
Kenshirō remplit de nouveau la coupe de Seiryū. Il s'était également vêtu de manière splendide pour l'occasion, portant une tenue dorée qui faisait ressortir ses cheveux violets. Il était un peu rondelet, mais cela lui donnait un côté adorable et tendre.
« À tes cinquante ans, » fit-il avec un regard sans équivoque en levant sa coupe vers son ami.
Seiryū eut un léger rire.
« Tu les attendais avec impatience, pas vrai ? le taquina-t’il.
– Toi aussi. »
Sans aucune gêne ni hésitation, le nouveau majeur le prit dans ses bras pour l’embrasser. En trois ans de cour, ils avaient été aussi intimes que possible. Ce soir, ils allaient enfin franchir l’ultime étape.
Kenshirō mit fin à leur baiser en riant, sentant les mains de son amoureux lui caresser le dos, son désir plus que manifeste.
« Du calme, fit-il gentiment, nous avons toute la nuit !
– Oui, il nous restera encore toute la nuit après. »
Cela fit rire de nouveau Kenshirō, mais il ne chercha pas à repousser le jeune homme empressé. Après tout, la première fois était toujours un moment précipité. Ils pouvaient prendre tout leur temps une fois la première fièvre passée. Et puis au fond, Kenshirō était aussi impatience que Seiryū de consommer leur amour. Il avait œuvré si dur et longtemps pour ça qu’il méritait bien sa récompense.
Quelques heures plus tard, les deux amants étaient allongés l’un à côté de l’autre, satisfaits pour le moment. Kenshirō se redressa sur un coude et repoussa une mèche violette de ses yeux. Leurs somptueuses tenues étaient négligemment jetées un peu plus loin. Kenshirō observa sans se lasser le corps fin et musclé de son bien-aimé. Ils n’avaient pas pris le temps de nettoyer les traces de leur union car ils savaient tacitement qu’ils allaient recommencer. Sentant le regard concupiscent sur lui, Seiryū rouvrit les yeux avec un sourire amusé.
« La vue te plaît ?
– Grandement, assura Kenshirō. Et toi, cela t’a plu ?
– Mon plaisir n’était-il pas assez clair pour toi ? »
Kenshirō aimait ces joutes verbales entre eux. En plus d’être beau, Seiryū avait un esprit brillant.
« Tu as pensé à lui ? » se risqua-t’il à demander.
Cela gâcha aussitôt l’ambiance. Seiryū se figea un moment, puis se redressa en jurant.
« Kenshirō, franchement…
– Ça ne me gênerait pas, tu sais. J’étais là, souviens-toi. J’ai vu à quel point sa mort t’a affecté.
– Exactement, Yama est mort ! rétorqua Seiryū un peu sèchement. Sans ça… »
Il n’acheva pas sa phrase mais Kenshirō avait compris. Un sourire amer se dessina sur son visage.
« Sans ça, personne n’aurait eu la moindre chance avec toi. »
Il savait qu’une partie du cœur de son amant appartiendrait pour toujours à un autre, même si cela faisait mal. Il avait été bien obligé de l’accepter pour avoir une chance avec le Firal.
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« Si Yama était encore en vie, commença Seiryū avant de soupirer. De toute façon, il ne m’a jamais vu que comme un enfant.
– Cela ne change rien, tu étais prêt à lui donner ton cœur.
– Je lui aurais tout donné, » murmura Seiryū.
Malgré le fait qu’il s’était préparé mentalement, Kenshirō sentit son cœur se serrer. Intérieurement, il se réjouit que l’autre homme soit mort, et ce n’était pas la première fois. Mais jamais il n’avouerait cela à Seiryū.
« Un jour ou l’autre, j’arriverai à te faire oublier ton Yama, » se jura-t’il.
Pour l’instant, il voulait prouver à Seiryū qu’il pouvait se confier à lui sur tous les sujets, même celui-ci. Voilà pourquoi il avait abordé la question. Il nota d’ailleurs que Seiryū ne lui avait pas répondu.
« Yama a peut-être pris ton cœur mais moi, je t’ai offert mon cœur et mon corps, songea-t’il. Et qui plus est, je suis là, bien vivant. Je ne peux que l’emporter sur un mort. »
Fort de cette résolution, Kenshirō embrassa son amant, une main caressant doucement le sexe qui se durcit aussitôt. Avec un sourire secret, Kenshirō s’allongea en attirant Seiryū sur lui pour une nouvelle session. Le Firal répondit avec un enthousiasme grandissant.
Le lendemain, les deux amants prirent leur déjeuner avec la famille de Seiryū, reconnaissant ainsi le statut de Kenshirō. Seiryū reçut encore des cadeaux envoyés par des oncles et des cousins qui n’avaient pas pu faire le déplacement, ainsi que d’autres nobles qu’il ne connaissait pas personnellement mais qui voulaient faire bonne impression sur le général Kenryū. Un second banquet était prévu le soir, cette fois avec uniquement des personnes invitées par Seiryū et son père.
Seiryū était dispensé de cours le temps de célébrations, mais pas Kenshirō. Le jeune homme s’absenta après le repas en commentant que cette séparation éphémère ne rendrait que plus douces leurs retrouvailles le soir. N’étant pas du genre oisif, Seiryū accompagna son père pour le seconder. Maintenant qu’il était adulte, Kenryū allait lui confier de plus en plus de responsabilités puisque Seiryū lui succéderait un jour. Il observait son père depuis sa plus tendre enfance et était désireux de suivre sa voie.
Il rejoignit tout de même ses amis à la bibliothèque durant leur temps de libre. Il surprit Hamoto et Chiharu qui tentaient de faire parler Kenshirō, tout ça sous le regard hilare de Shitaro.
« Seiryū ! s’écria s’écria Kenshirō en s’élançant vers lui. Sauve-moi ! Ils veulent tout savoir de notre nuit d’amour torride ! »
Chiharu et Hamono étaient encore mineurs alors forcément, ce genre de choses d’adulte les fascinaient. Shitaro, lui, avait fêté sa majorité depuis cinq ans alors il ne partageait pas leur curiosité.
« Ah, la jeunesse, » fit-il en riant.
Seiryū eut un sourire amusé et par pure provocation, il embrassa Kenshirō qui poussa une exclamation… mais sans se débattre. Le baiser était nettement plus osé que ce qui se faisait en public. Chiharu fut le premier à se cacher les yeux, rouge comme une tomate.
« Ça suffit, pensez aux plus jeunes ! » s’écria-t’il.
Les deux amants se séparèrent, Kenshirō avec le souffle court. Seiryū lança un regard de défi aux deux plus jeunes de leur groupe.
« Vous avez d’autres questions ?
– N-non, » répondit Hamoto, tout aussi embarrassé.
Malgré ses protestations, une fois que Seiryū fut parti, Kenshirō leur confia tout de même qu’après quelques maladresses, le Firal avait su vite faire un excellent usage de son “quatrième sabre”. Cela provoqua des gloussements et d’autres rougissements.
Au petit matin, vêtu uniquement d’une tunique d’intérieur légère, Seiryū regardait le palais endormi de la fenêtre de ses quartiers. Kenshirō était encore au lit, épuisé après une nouvelle nuit sensuelle. D’ici quelques minutes, le Firal le rejoindrait au lit et tâcherait de le réveiller doucement pour une nouvelle séance mais pour l’instant, il appréciait le calme et le silence. Soudain, son regard fut attiré par une silhouette dans la cour. Une légère brume printanière recouvrait le sol. Malgré ça, Seiryū distingua nettement le visage du Second Prince qui menait sa monture par la bride. Seiryū se renfrogna : le Bâtard Hikari partait encore en sortie. Il ne supportait vraiment pas ce gamin qui se donnait des airs de grand ! Cela dit, sa seule parenté était une raison suffisante pour ne pas l’aimer.
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Seiryū fronça tout à coup les sourcils. Quelque chose dans le comportement du garçon lui parut subitement suspect : pourquoi partait-il à l’aube alors que les portes du palais étaient encore fermées ? Il n’y avait même pas un servant pour l’escorter. Tout cela donnait l’impression d’un départ furtif… donc suspect ! En constatant cela, sûr de son intuition, le Firal n’hésita pas un seul instant et s’habilla rapidement avant de courir aux écuries. Un garçon d’écuries encore mal réveillé lui apporta sa monture d’un air hébété. Seiryū n’avait pas réveillé Kenshirō et ne lui avait même pas laissé un mot, trop pressé de suivre le Second Prince.
Il se retrouva sur une route brumeuse dans la forêt. Sans le voir, il entendait les sabots de la monture du Second Prince résonner dans le silence irréel. Seiryū continua d’avancer sur la route toute droite, jusqu’au moment où il arriva devant un petit pavillon un peu à l’abandon. Le Firal nota que la monture du Second Prince était attachée à un anneau prévu à cet effet. Pourtant, le garçon n’était pas en vue.
« Il a dû entrer, en déduisit le Firal. C’est étrange, cela ne ressemble pas à un voyage pour camper. »
Une idée le frappa soudain :
« Et s’il était venu pour rencontrer des conspirateurs ? »
Voilà qui ne l’étonnerait guère !
Seiryū attacha son cheval à l’orée de la forêt, peu désireux de se faire remarquer. Il s’approcha du pavillon en évitant la partie frontale et contourna le bâtiment vers l’arrière, guettant le moindre bruit, la moindre voix. Il n’y avait pas d’autre cheval dans les environs mais cela ne voulait pas dire pour autant que le Second Prince était seul. Si Seiryū pouvait le surprendre en pleine réunion secrète, voilà qui permettrait au général Kenryū d’exiger et d’obtenir l’exil du bâtard. Le Firal fit coulisser prudemment un panneau et entra dans un long couloir. Il avança doucement sur le parquet, grimaçant à chaque grincement qui semblait s’intensifier dans le silence. Il finit par entendre du bruit dans une pièce devant lui. Sa main serra plus fermement son sabre et il entrouvrit le panneau coulissant.
Le panneau s’ouvrit soudain en grand et on lui agrippa le bras pour le pousser en avant. Déséquilibré, Seiryū tomba par terre mais se retourna aussitôt pour faire face à son agresseur, prêt à injurier le Prince Bâtard.
« Que… »
Les mots moururent sur ses lèvres en voyant l’homme qui lui faisait face : Yama. Seiryū connut un moment de blanc. Yama était mort, c’était certain. Son père avait retrouvé le corps du Vite parmi les décombres de Shiroju et l’avait brûlé. Il était donc bel et bien mort, aucun doute. Pourtant, c’était bien lui qui se tenait en face de lui, aucun doute. Il était tel que dans les souvenirs de Seiryū
« Yama, » murmura-t’il, ne pouvant y croire.
Le général Vite fronça les sourcils.
« Kikuchi ? » le reconnut-il à son tour.
Le jeune homme faillit fondre en larmes et ne songea même pas à rectifier l'usage de son nom d'enfant.
« Oui, c’est moi.
– Tu as changé. Que s’est-il passé ?
– Neuf ans, » répondit-il.
Yama se gratta la joue, guère plus surpris que ça.
« Ah, déjà ? Le temps passe si vite… »
Abasourdi, Seiryū se releva lentement tandis que Yama s’éloignait pour gagner le centre de la pièce, une salle de séjour avec une table basse au milieu. Il y avait du thé de servi, mais une seule tasse.
« Où est le bâ… le Second Prince ? s’enquit Seiryū, se rappelant soudain de ce qui l’avait conduit ici en premier lieu.
– Qui ça ? » répliqua Yama en s’arrêtant près de la table.
Seiryū le fixa avec stupeur avant de se reprendre.
« Le Second Prince Haruni, expliqua-t’il lentement. C’est le fils de l’Empereur et de… la concubine Hikari.
– Je ne sais pas qui c’est, répondit l’autre homme en haussant les épaules. Je suis seul ici. »
Pas un moment Seiryū ne mit sa parole en doute. C’était Yama.
« Yama… général Yama, se reprit-il, que faites-vous ici ? Qui vous a conduit dans ce lieu ? Vous êtes prisonnier ? Vous savez que tout le monde vous croit mort, même votre fils ? »
Une fois lancé, le déluge de question eut bien du mal à se tarir. Yama écouta tout cela avec un sourire amusé et indulgent.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Quand Yama put enfin en placer une, il fit :
« Je me suis réveillé ici après… les Hikari. Je n’ai vu personne, alors j’ignore les raisons de ma présence en ces lieux. Je suppose que… on me garde ici jusqu’au moment où je serai utile.
– Qui vous garde ? » insista Seiryū.
Nouveau haussement d’épaules.
« Pourquoi vous ne partez pas ?
– Je ne sais pas, » répondit le Vite, le regard dans le vague.
Complètement perdu, Seiryū le rejoignit et lui saisit le poignet.
« Venez avec moi, général Yama, décida-t’il. Je vous ramène avec moi ! »
Il se figea soudain lorsque Yama lui sourit tendrement.
« Tu as grandi, Kikuchi, remarqua-t’il.
– C’est que… je viens d’avoir cinquante ans, » balbutia-t’il, pris au dépourvu.
Il se rendit alors compte qu’il dépassait Yama d’une demi-tête, bien que ce dernier ait été un géant parmi eux. Ce n’était pas possible, jamais Seiryū ne pouvait être aussi grand ! N’était-ce pas plutôt Yama qui avait rapetissé ?
« Je sais, nous avons le même âge, répondit le Vite. Alors tu es un homme maintenant.
– Ou-oui. »
Seiryū eut soudain la gorge sèche. La situation lui semblait plus qu’irréelle : non seulement Yama était bien vivant, gardé en grand secret pour une raison ou une autre, mais en plus il avait enfin cessé de voir Seiryū comme un enfant. Des années d’amour tu et de désirs refoulés purent enfin se libérer. Seiryū attira Yama contre lui et l’embrassa avec ardeur. Si Yama tenta de le repousser, ce fut perdu pour Seiryū qui se pressa contre lui, cherchant le moindre contact possible.
« Yama, Yama ! » s’écria le Firal entre deux baisers, juste le temps de respirer un peu.
Ne rencontrant aucune résistance, Seiryū s’enhardit et ouvrit en grand la tunique bleu nuit de l’autre homme. Il le fit s’allonger et défit ses propres vêtements. Il se mit à califourchon sur lui et gémit en sentant le sexe dur contre ses fesses. Le visage de Yama exprimait à la fois de la surprise et du désir, bien que ses traits semblaient flous car Seiryū avait du mal à rester concentré. Il retira rapidement son pantalon ainsi que celui du Vite, et n’hésita pas à s’empaler sur le membre tendu. La vague de plaisir balaya toute douleur.
« Yama… » gémit Seiryū en se mordant les lèvres.
Il sentit des mains sur ses hanches et se mit à se soulever en rythme, le plaisir plus fort à chaque fois qu’il redescendait.
« Yama, gémit-il encore et encore.
– Seiryū !
– Yama !
– Seiryū ! »
Quelque chose n’allait pas, mais Seiryū était si perdu dans le plaisir intense qu’il ne pouvait plus former la moindre pensée cohérente. Il finit par jouir violemment et le monde parut disparaître autour de lui.
Note de Karura : Heureusement que Seiryū est là pour mettre un peu de sexe dans cette histoire ! 😋
Commentaires :
Novel_roman a écrit le dimanche 18 décembre 2022 à 21:37
OUI ! Enfin une scène spicy 😭 je suis si heureuse et l'histoire et passionnante comme d'habitude hâte d'avoir la suite et merci pour ce nouveau chapitre ❤
Karura Oh a écrit le jeudi 22 décembre 2022 à 10:49
Il était temps d'avoir un peu d'action !
Merci de suivre cette histoire !
Koi a écrit le lundi 19 décembre 2022 à 2:05
Vraiment merci beaucoup pour cette histoire, je la suis depuis longtemps et elle est tellement passionnante, j'attend les nouveaux chapitres avec impatiente à chaque fois 😊(Et merci d'avoir renouvelé le calendrier l'avent cette année, un chapitre en même temps qu'un chocolat, il y a rien de mieux )
Karura Oh a écrit le jeudi 22 décembre 2022 à 10:50
Une double douceur pour mieux faire passer le mois de décembre, rien de tel !
J'espère que la suite de l'histoire continuera à te plaire ~