Chapitre Seize : Juste un rêve
« Seiryū, réveille-toi ! »
Seiryū marmonna une vague protestation : il était si bien, alors pourquoi le secouait-on ainsi ? Il aurait préféré rester dans son rêve… Une petite minute. Seiryū ouvrit les yeux et vit Kenshirō penché sur lui, son beau visage irrité.
« Que… »
Il se redressa et la vue familière de sa chambre s’offrit à lui. Un moment confus, il finit par passer une main sur son visage et soupira :
« Ce n’était qu’un rêve.
– Humph, tu pourras cacher un peu ta déception. »
Le ton fâché le ramena à la réalité et il observa plus attentivement son amant.
« Kenshirō, je rêvais de…
– Yama, bien sûr, compléta ce dernier pour lui. Tu n’as pas arrêté de gémir son nom.
– Oh. »
Seiryū changea de position dans le lit et se sentit terriblement embarrassé en se rendant compte que du sperme chaud coulait entre ses jambes. Impossible de le dissimuler vu qu’il était nu sous les couvertures.
« Mmm, c’était un rêve… printanier, » avoua-t’il en rougissant un peu.
Ce n’était pas son premier rêve érotique, loin de là. Après tout, c’était normal pour un adolescent de faire ce genre de rêves, mais cela disparaissait peu à peu à l’âge adulte, surtout une fois qu’on pouvait le faire en vrai. Techniquement, Seiryū n’avait donc aucune raison d’être gêné, sauf qu’il comprenait pourquoi Kenshirō était irrité. C’était leur seconde nuit ensemble et Seiryū venait de rêver d’un autre homme. Il y avait de quoi se sentir vexé.
« Je m’en doutais, rétorqua froidement Kenshirō. Tu étais assez… démonstratif.
– Désolé.
– Pourquoi ? C’est naturel, non ? »
Kenshirō ne voulait vraiment pas lui faciliter les choses.
« Écoute, tu sais ce que je ressens pour Yama. Je ne te l’ai jamais caché.
– C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de le voir ! » s’écria l’autre jeune homme en s’emportant soudain.
Son éclat de voix rendit Seiryū soucieux.
« Kenshirō, quel est le problème en réalité ? »
Le concerné se mordit les lèvres. Jamais il n’avouerait à Seiryū que le fait de l’entendre gémir le nom d’un autre sur un ton que Seiryū n’avait jamais eu durant leurs unions avait attisé la jalousie dans son cœur. »
« Yama est mort, fit-il brutalement. Tu rêves que tu couches avec un mort !
– Dans ce rêve, il était vivant et… oh ! »
Seiryū se remémora soudain le début de son rêve. Il se redressa, enfila une fine tunique en hâte pour se couvrir et se précipita à la fenêtre. La cour était embrumée, comme dans son rêve. Il plissa les yeux et tendit l’oreille, cherchant une silhouette solitaire et le bruit de sabots sur les pavés.
« Seiryū, nous n’avons pas fini de parler ! le héla Kenshirō, médusa par son comportement.
– Chut ! lui intima le jeune homme. Par les Dieux, j’ai dû le manquer ! »
Ignorant son amant, il s’habilla rapidement, prenant quand même soin de ressuyer le sperme entre ses jambes. Puis il enfila ses bottes.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kenshirō avait les yeux écarquillés.
« Seiryū, que…
– Je dois y aller, c’est comme dans mon rêve !
– Quel rêve ?
– Le rêve où je retrouve Yama en vie ! »
Kenshirō le fixa comme s’il était devenu fou.
« Mais Yama est mort ! répéta-t’il.
– Pas dans mon rêve.
– Tu… tu ne vas pas te fier à un rêve quand même ?! C’est stupide ! »
Vexé, Seiryū lui lança un regard noir.
« C’est peut-être stupide pour toi mais moi, je dois en avoir le cœur net.
– Seiryū !
– Ne m’attends pas, » fit froidement le Firal en quittant les lieux.
Kenshirō en resta bouche bée un long moment.
Il était encore trop tôt pour que les servants soient actifs, sauf ceux des cuisines. Seiryū ne croisa donc personne sur le chemin des écuries. Là, un garçon d’écuries de garde à moitié endormi prit un air ébahi en le voyant et encore plus lorsque Seiryū demanda à ce que sa monture soit préparée. Avec visiblement beaucoup de réticence, l’homme alla chercher le cheval que l’Empereur venait d’offrir à Seiryū pour sa majorité, une magnifique jument qu’il n’avait pas encore eu le temps de nommer. L’animal était bien dressé et Seiryū l’avait déjà monté la veille. Il interrogea le garçon d’écurie qui finit par aller voir et lui confirma que la stalle du Second Prince était vide.
« Je le savais ! » songea Seiryū d’un ton triomphant.
C’était exactement comme le début de son rêve : le Second Prince partait en douce à l’aube.
Le cœur battant, Seiryū monta sur son cheval et le fit aller au trot vers les portes du palais. Une fois là-bas, il se renseigna auprès des soldats de garde qui lui confirmèrent que le Second Prince était sorti un quart d’heure plus tôt. Ils lui indiquèrent également la route prise par le garçon.
« Il y a un problème, Firal Seiryū ? demanda l'un d'eux en notant son empressement.
– Non, aucun problème, » affirma le jeune homme avant de reprendre la route.
Il put enfin s'élancer au galop et espéra rattraper le Second Prince avant que ce dernier ne quitte la route principale.
Après un virage, il arrêta net sa monture en voyant le garçon planté au beau milieu de la route sur son étalon, l'attendant visiblement. Évidemment, Seiryū n'avait pas pris la peine de se montrer discret mais même sans ça, le Bâtard Hikari avait toujours eu le don de repérer d'éventuels poursuivants envoyés par Kenryū pour l'espionner. C'était de la magie, à n'en pas douter !
« Firal Seiryū, fit froidement Haruni. Vous me cherchiez ? »
Il aurait été vain de nier. Seiryū se morigéna intérieurement : en rattrapant le Second Prince trop tôt, il avait dévié de son rêve ! C'était rageant.
« Oui, vous… Les festivités pour mon anniversaire ne sont pas encore terminées. Vous ne pouvez pas partir comme ça. »
Ce fut tout ce qu'il trouva à dire, et même lui sentait que cette excuse était bien faible.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
D'ailleurs, Haruni lui lança un regard clairement incrédule.
« Le dernier jour ne concerne que la famille et les amis proches dont je ne fais pas partie, répliqua-t'il. De plus, j'ai la permission de l'Empereur. »
À vrai dire, Seiryū ne pouvait rien lui reprocher mais son rêve le tiraillait toujours. Comment se rattraper ?
« Euh… Maintenant que je suis là, et si nous faisions un bout de chemin ensemble ? » suggéra-t'il d'un ton qui se voulait naturel.
Sa proposition était tout sauf crédible. Jamais il n'avait recherché la compagnie du garçon avant. Un brin d'agacement apparut sur le visage de Haruni qui demanda directement :
« Qu'est-ce que vous voulez ?
– Pouvez-vous me dire où vous allez ? se risqua le Firal.
– Non. »
La réponse était sèche et brutale, très impolie. En même temps, à quoi d'autre s'attendre du Bâtard Hikari ?
Malgré la situation désespérée, Seiryū persista :
« C'est important.
– Pourquoi ? »
Le Firal soupira, sachant qu'il serait vain d'espérer une réponse. Il ferait mieux de rentrer à Kurojū, de faire la paix avec Kenshirō et d'oublier toute cette histoire de fou…
« J'ai fait un rêve, » déclara-t'il soudain.
Les mots sortirent de sa bouche à son insu, ce qui montrait à quel point il ne voulait pas renoncer. S'il y avait la moindre chance de retrouver Yama, aussi insensé que ce soit, il devait tout risquer. Haruni ne dit rien mais le fixa avec attention et peut-être un soupçon de curiosité. Cela encouragea Seiryū à poursuivre :
« Dans ce rêve, vous partiez à l'aube et je vous suivais jusqu'à un pavillon abandonné. Et là… »
Il marqua une hésitation avant d'avouer :
« Et là se trouvait Yama. »
Il s'attendait à un rire ou une exclamation, mais le Second Prince prit simplement un air songeur.
« Yama, hein ? Et alors ?
– Hé bien, je veux vous suivre pour savoir si ce rêve dit vrai ou pas. »
Haruni secoua la tête.
« C'est la pire excuse que j'ai jamais entendue, » décréta-t'il.
Seiryū s'indigna.
« Je vous assure que c'est la vérité !
– C'est tout ce que vous avez trouvé pour justifier le fait que vous me suivez ?
– J'ai vraiment fait ce rêve ! Je ne serai pas là sinon !
– Vous pourriez au moins faire preuve de plus d'imagination. »
Seiryū se mordit les lèvres. Ils étaient en plein dialogue de sourds et cela ne les avancerait à rien.
« Écoutez, votre Altesse, fit-il d'un ton conciliant, dites-moi simplement si vous allez dans un pavillon abandonné ou pas. S'il vous plaît ? »
Haruni le fixa un moment avant de daigner répondre — enfin !
« Non, je me rends dans une forêt. »
Il n'y avait aucun moyen de savoir si c'était la vérité, mais Seiryū décida de ne pas s'engager sur cette voie. Il demanda plutôt :
« Vous savez s'il y a des pavillons de chasse dans la forêt où vous comptez vous rendre ? Peut-être sur le chemin ou bien…
– Chut, » lui intima le Second Prince en fermant les yeux.
Il visualisa la carte de son trajet dans sa tête et chercha d'éventuelles habitations isolées.
« Il y a un ancien pavillon de chasse à deux heures d'ici, trouva-t'il. Il n'a plus servi depuis des années et…
– C'est sûrement là ! » s'enthousiasma aussitôt Seiryū.
Il était fort possible que Yama ait occupé cet endroit depuis sa disparition.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« Où est-ce précisément ? demanda-t'il avec empressement.
– Suivez cette route jusqu'au village de Naru, puis prenez au sud. Une fois dans la forêt de Kōhama… Mmm, ça se complique un peu, là. Il faudra que vous demandiez à des gens du coin. »
Cependant, Seiryū avait une autre idée en tête.
« Vous ne pourriez pas me montrer le chemin, votre Altesse ? C'est sur votre route, de toute façon, ajouta-t'il en voyant le visage du garçon se fermer, signe d'un refus imminent.
– Je crois que je vais aller ailleurs, » répliqua sèchement Haruni.
Le Firal retint une imprécation excédée. Le Second Prince ne risquait vraiment pas de se faire des amis avec une telle attitude ! Bon, ce n'était pas qu'il voulait devenir son ami, mais l'usage voulait qu'on se montre aimable avec les gens, sauf si on avait vraiment des choses à leur reprocher !
Seiryū inspira profondément et se força au calme. Ce n'était pas en se fâchant qu'il obtiendrait ce qu'il voulait. Il se rappela soudain que Haruni s'était montré sensible à la mention du rêve, alors il s'appuya de nouveau dessus :
« Dans mon rêve, vous étiez aussi présent. Enfin, votre cheval était attaché devant le pavillon.
– Mais vous ne m'avez pas vu, non ?
– Non, c'est vrai…
– Alors qui vous dit que c'était mon cheval ?
– Je l'ai reconnu ! »
Haruni secoua la tête.
« Les rêves ne sont pas toujours fiables, fit-il d'un ton docte. Vous avez vu un cheval et vous avez associé son image à celle de Yaji, c'est tout.
– Pas seulement, protesta Seiryū dans son bon droit. Je vous suivais et je savais que vous étiez dans le pavillon ! »
Ces arguments pseudo-logiques ne semblèrent pas impressionner le Second Prince. En désespoir de cause, Seiryū dut avoir recours à son arme ultime : l'attendrissement.
« Je vous en prie, votre Altesse, c'est très important pour moi ! Je sais que nous ne sommes pas amis et que vous n'avez aucune raison de m'aider mais si vous acceptez de m'accompagner, je… je… »
Alors qu'il avait si bien commencé, il ne sut comment finir. Que pouvait-il bien offrir à l'autre garçon ? Alors il conclut tant bien que mal :
« Je vous serai redevable. »
Son père aurait été furieux d'entendre ça. Cependant, Seiryū était réellement désespéré.
Haruni garda le silence un moment avant de faire claquer sa langue.
« Je ne veux rien de vous. »
Les épaules du Firal s'affaissèrent : c'était fini.
« Suivez-moi. »
Surpris, les yeux émeraude se relevèrent. Haruni avait remis son cheval au trot et Seiryū le suivit presque machinalement.
« Mais…
– C'est sur ma route, de toute façon, » répliqua le Second Prince.
Perdu à cause de ce revirement inattendu, Seiryū sentit ensuite un large sourire lui monter aux lèvres.
« Merci, votre Altesse ! » fit-il d'un ton joyeux.
Haruni ne lui répondit pas, mais cela ne le dérangea pas du tout. Il était bien trop excité à l'idée de pouvoir vérifier la véracité de son rêve. Et s'il s'agissait d'une vision envoyée par les Dieux pour qu'il retrouve Yama ? Ce serait si fantastique ! Cela dit, il n'allait certainement pas lui sauter dessus comme à la fin de son rêve ! Ou peut-être que si ?
« Racontez-moi votre rêve en détail, demanda soudain Haruni en se tournant vers lui.
– Pourquoi ? répondit Seiryū, tiré de ses pensées.
– Vous m'avez rendu curieux. »
C'était de bonne guerre, alors Seiryū se lança dans son récit. Un peu hésitant au début, des détails lui revinrent au fur et à mesure et il se rappela quasiment de tout. Il omit simplement la fin par pudeur.
« Et c'est là que je me suis réveillé, » fit-il simplement.
Ses fantasmes ne regardaient que lui ! Après un moment de réflexion, Haruni fit :
« Vous savez que vous ne retrouverez pas Yama là-bas. »
Le ton était calme et pas critique, contrairement à Kenshirō. Du coup, Seiryū soupira simplement.
« Vous aussi, vous allez me dire que c'est stupide ? »
Les paroles de Kenshirō lui faisaient encore mal. Il aurait espéré plus de soutien de la part de son amant !
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« Ce n'est pas stupide, le surprit le garçon. Ce rêve vous a fortement marqué, au point que vous vous êtes lancé sur les routes aux aurores. Si vous avez ressenti le besoin de suivre votre rêve, alors vous avez bien fait. »
Seiryū en resta sans voix. Haruni était bien la dernière personne de qui il aurait attendu de la compréhension !
« Au pire, vous aurez juste perdu du temps, » conclut le garçon.
Cela fit rire le Firal et lui donna l'impression que l'atmosphère s'était détendue entre eux.
« Vous avez déjà fait des rêves étranges, votre Altesse ? s'enquit-il aimablement.
– Quelque fois, répondit Haruni en lui lançant un regard étonné.
– On dit que les rêves expriment toutes sortes de choses : désirs, regrets, espoirs…
– Dans tous les cas, les rêves sont un message. Mais le plus souvent, nous le déchiffrons mal. »
Seiryū fut ravi de cette conversation sur les rêves. Il n'aurait pas pensé que Haruni serait si ouvert sur ce sujet, alors il poursuivit avec enthousiasme :
« Un message de qui, d'après vous ?
– De son inconscient ou bien peut-être d'une force extérieure, allez savoir. »
Haruni songea brièvement au Pape qui croyait avoir rêvé d'anges alors qu'il s'agissait en réalité des Hikari. Est-ce que les Hikari avaient vraiment eu le pouvoir de communiquer par le biais des rêves ou bien s'étaient-ils servis de leurs portails pour se présenter au Pape tout en lui faisant croire que ce n'était qu'un rêve ? Avec eux, tout était possible.
« Le Grand Sage a rêvé une fois qu'il était un papillon. À son réveil, il s'est demandé s'il n'était pas plutôt un papillon qui rêvait qu'il était un homme.
– Il n'avait rien de mieux à faire, de toute évidence, » commenta Haruni.
Seiryū eut un léger rire. Il ne s'attendait pas à ce que Haruni fasse de l'humour — sauf que le garçon avait été très sérieux dans sa critique !
Le reste du trajet se déroula dans la même ambiance amicale, du moins du point de vue de Seiryū. Haruni les guida jusqu'au pavillon de chasse à l'abandon sans se perdre, sa bonne mémoire lui servant une fois de plus.
« Nous y sommes, annonça-t'il un peu inutilement.
– C'est ça ! s'écria Seiryū en écarquillant les yeux. C'est exactement cet endroit !
– Hum, tous les pavillons de chasse sont construis sur le même modèle, » nuança le garçon.
Mais Seiryū ne prêta pas attention à ses paroles, trop absorbé par son rêve qui se concrétisait peu à peu.
« Votre Altesse, fit-il, vous voulez bien attacher votre cheval à cet anneau là-bas ?
– Et ensuite, j'entre ? »
Le Firal plissa le front pour se souvenir.
« Mmm, je ne vous ai pas vu ensuite, alors restez plutôt à l'extérieur et sans que je ne vous voie. »
Haruni soupira mais s'exécuta sans plus discuter. Il attacha Yaji selon les instructions du Firal, puis lui lança un dernier regard avant de s'enfoncer dans la forêt autour. Seiryū attendit un moment, observant les lieux avec attention pour s'assurer que tout était bien conforme à son rêve. Il manquait la brume car vu que la matinée était bien avancée, elle s'était dissipée. Tant pis, il ferait sans. Il descendit de sa monture et le cœur battant, il s'approcha de la demeure. Le panneau coulissant à l'entrée eut bien du mal à s'ouvrir mais il finit par céder et Seiryū put entrer dans le pavillon, rempli d'espoir.
L'endroit était abandonné depuis des années et cela fut visible dès l'entrée. Le parquet était sec et pas ciré, des taches d'humidité ornaient les murs, il y avait même de la moisissure par endroits. Certains panneaux étaient déboîtés ou enfoncés. Une odeur d'humidité et de renfermé imprégnait désagréablement l'air. Seiryū toussa, les larmes aux yeux à cause de la poussière. Il persista néanmoins et arpenta le couloir, une main sur son sabre, guettant le moindre bruit. Le parquet craqua sous ses pas et une lame s'enfonça même, le faisant sursauter.
« D'ici peu, cet endroit tombera en ruines, » se dit-il en reprenant son souffle.
Il poursuivit son chemin jusqu'à entendre des grattements dans une pièce voisine. Son cœur s'arrêta un instant avant de s'emballer violemment. Il fit coulisser le panneau d'un coup sec et…
Un renard s'enfuit à travers une grosse fissure dans le mur. À part ça, la pièce était vide et clairement inhabitée depuis longtemps. Seiryū resta figé un moment, puis la déception l'envahit. Jusqu'à présent, son rêve s'était réalisé en tout point mais cet instant, l'instant le plus important n'était pas devenu réalité. Rageur, il ouvrit toutes les autres portes, fouillant le pavillon de fond en combles. Il refusait d'admettre sa défaite. Ce rêve devait forcément dire quelque chose, le conduire quelque part…. à quelqu'un ! Mais le bâtiment était désespérément vide. Il avait visiblement servi de refuge à des voyageurs ou des bandits car il trouva des restes de feu récents dans certaines pièces, mais c'était tout. Les animaux de la forêt s'en servaient également, vu les traces de déjections un peu partout et les ossements ou cadavres de proies. Mais pas de Yama.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Seiryū s'accroupit contre un mur et baissa sa tête, laissant ses larmes couler. C'était ridicule et pourtant, il y avait cru. Il avait sincèrement cru qu'il retrouverait Yama ici, ou du moins une trace de lui. Mais Yama était mort depuis neuf ans, son corps réduit en cendres qui reposaient à Madare. S'il avait encore été en vie, il serait retourné à Hanajū depuis longtemps pour y rejoindre son fils et… le seigneur Mitsuhide. Pourquoi aurait-il attendu sur Seiryū qui ne représentait rien pour lui ? Au bout d'un moment, Seiryū se releva et sécha ses larmes. Il se moucha dans un carré de soie et se décida à quitter les lieux. Il regrettait vraiment d'avoir voulu suivre son rêve. S'il était resté au palais, il aurait encore pu conserver ses doutes et ses espoirs, ce qui aurait été mille fois mieux que cette horrible certitude et cette déception amère.
« Je suis trop bête, » se morigéna-t'il.
Son ventre se mit soudain à gargouiller et il posa une main dessus pour le calmer. Il n'avait rien mangé depuis la veille car il était parti précipitamment dès le matin au réveil. L'heure du déjeuner était passée, il était donc normal qu'il ait faim. Cependant, il était loin de Kurojū et en plus, il était si bouleversé que malgré la demande de son corps, il n'avait aucune envie de se nourrir. À quoi bon ? lui soufflait la partie défaitiste de son être. À quoi bon vivre si Yama était mort et ne reviendrait plus ? Le jeune homme se ressaisit. Ce n'était pas la première fois que ce genre de pensées l'assaillaient. Il refusait de se laisser aller au désespoir car ce ne serait pas digne d'un guerrier.
« Je dois vivre pour Yama, se répéta-t'il mentalement. Ainsi, mon amour pour lui ne disparaîtra pas de ce monde, tout comme son souvenir. »
Seiryū sortit du pavillon abandonné après un long moment passé à se reprendre. Aussitôt dehors, ses narines furent envahies par l'odeur du feu et de la viande grillée. Son appétit revint d'un coup et il suivit malgré lui l'odeur alléchante. Il découvrit à l'orée de la forêt le Second Prince en train de faire rôtir un bon gros lapin. De toute évidence, Haruni n'avait pas perdu son temps, lui au moins ! Seiryū se dit que s'il devait lui aussi aller chasser son repas puis le cuire, cela mettrait trop de temps.
« Vous avez fini, Firal Seiryū ? lança Haruni en se tournant vers lui.
– Hum… oui. »
Seiryū n'entra pas dans les détails, réticent à l'idée de dévoiler son échec. Il resta sur place, à distance du garçon.
« Alors venez, le lapin est prêt. »
Le jeune homme le fixa avec stupeur et incrédulité. Haruni avait… cuisiné pour lui aussi ? C'était si attentionné que cela ne ressemblait pas au Second Prince ! Malgré tout, Seiryū avait bien trop faim pour hésiter longtemps. Il s'avança et vit Haruni sortir deux bols de son sac de voyage.
« Vous voyagez toujours avec deux bols ? » s'enquit Seiryū, notant aussitôt ce fait curieux et suspect.
Haruni lui lança un regard plutôt patient.
« Oui, au cas où j'en casserai un… ou bien si je croise un Firal qui est parti sans manger et sans vivres ! »
Seiryū prit un air penaud et ne dit plus rien. Haruni avait aussi chauffé un bouillon de riz et il lui servit une bonne portion. Ils se partagèrent le lapin qui était délicieux. La nourriture revigora le Firal et chassa ses idées noires pour de bon.
Après le repas, Haruni ne fit pas mine de partir, mais il ne disait rien non plus. Ce silence n'était pas oppressant pour autant, il était presque… réconfortant. En tout cas, cela incita le Firal à se confier :
« Yama n'était pas là… mais vous vous en doutiez déjà !
– Mmm.
– Je ne sais vraiment pas ce que j'espérais en venant ici. Ce n'était qu'un stupide rêve ! fit-il en reprenant les mots de Kenshirō.
– Vous croyez ? »
Seiryū leva vivement les yeux vers lui, étonné par cette réplique.
« Oui, je n'ai rien trouvé. Comme vous l'avez dit, j'ai juste perdu du temps. »
Haruni agita les braises avec un bâton.
« Les rêves sont étranges et ne veulent pas toujours dire ce qu'ils disent.
– Comment les interpréter alors ? s'enquit Seiryū, un brin frustré.
– Souvent, c'est après coup qu'on les comprend. Quand l'événement annoncé est passé, on se dit : “Ah, voilà ce que voulait dire mon rêve.”
– Une fois qu'il est trop tard, donc. »
Haruni haussa les épaules.
« Ce qui doit arriver arrivera, rêve ou pas rêve, » déclara-t'il d'un ton fataliste.
De l'avis de Seiryū, son rêve n'annonçait rien de bon, à part une immense déception !
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Il était temps de se séparer. Après avoir éteint le feu, récupéré les bols et mis le reste du lapin dans une boîte pour le conserver, Haruni se dirigea vers sa monture. Seiryū l'appela avec une légère hésitation :
« Votre Altesse ? »
Haruni se tourna à moitié vers lui.
« Vous… vous pourriez ne parler à personne de ce qui s'est passé aujourd'hui ? S'il vous plaît ? »
Si cette histoire humiliante venait à se savoir au palais, il ne s'en remettrait pas. D'un autre côté, pourquoi le garçon accepterait-il de lui rendre ce service ? Ils n'étaient pas amis, loin de là !
« D'accord, » fit Haruni en acquiesçant.
Une fois de plus, le Firal en resta bouche bée.
« Vrai-vraiment ?
– Oui, je ne dirai rien. »
Peut-être qu'en fait il rêvait encore car c'était bien la première fois que Haruni se comportait de façon aussi sociable et gentille avec lui ! Il en devenait presque… amical.
Une fois qu'ils eurent tous les deux récupéré leurs montures, ils regagnèrent la route principale.
« Vous connaissez le chemin pour rentrer au palais ? s'enquit Haruni.
– Oui, merci de vous en soucier, Votre Altesse. Et vous, vous allez reprendre votre voyage ?
– Oui, comme c'était prévu. »
Seiryū ne chercha pas à en savoir plus cette fois, estimant que le Second Prince avait bien droit à ses secrets.
« Alors je vous souhaite bonne route, votre Altesse, fit-il avec un sourire.
– Merci. Bon retour à vous, Firal Seiryū. »
Chacun partit dans une direction différente.
Lorsqu'il revint au palais en fin d'après-midi, Seiryū fut aussitôt convoqué chez son père. Ce dernier n'avait pas du tout apprécié son escapade improvisée.
« C'est le troisième jour des festivités pour ta majorité ! lui rappela-t'il inutilement. Et toi, tu te sauves on ne sait où sans prendre la peine de me prévenir ! Tu as pensé aux invités qui ont fait le chemin pour venir te voir aujourd'hui, hein ?
– Désolé, Père, je ne savais pas que cela me prendrait autant de temps. »
Kenryū décoléra un peu devant l'attitude repentante de son fils aîné.
« Mais où es-tu allé à la fin ? Kenshirō m'a parlé d'un rêve bizarre que tu as fait, les gardes m'ont dit que tu avais suivi le Second Prince… Seiryū, que s'est-il passé ? »
De toute évidence, Kenryū s'était tellement inquiété qu'il s'était renseigné un peu partout pour comprendre ce qui était arrivé à son fils.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Cela aggrava le sentiment de culpabilité de Seiryū qui baissa la tête.
« Rien d'important, Père. J'ai effectivement suivi le Second Prince parce que… j'étais curieux de savoir où il se rendait de si bon matin ! Je n'ai pas pensé à vous avertir car j'ignorais que je reviendrais aussi tard. Pardonnez-moi. »
Seiryū ne dit pas toute la vérité mais il ne mentit pas non plus. En tout cas, Kenryū accepta son explication sans chercher plus loin.
« Et alors ? Où est allé le Bâtard Hikari ?
– Il est parti camper dans la région de Kōhama.
– Mmph, » grommela le général, peu convaincu.
Il resterait toujours persuadé que ces prétendues sorties cachaient autre chose, même s'il n'en avait encore jamais eu la preuve.
« Bon, reprit-il, tu es au moins de retour pour le banquet de clôture. Ne me fais plus jamais une frayeur pareille, Seiryū ! »
Le jeune homme s'excusa une fois de plus avant de prendre congé.
Lorsqu'il regagna ses appartements pour se rafraîchir, il s'inquiéta un moment de devoir faire face à Kenshirō. Heureusement, l'autre jeune homme n'était pas là. Soit il n'était pas au courant de son retour, soit il ne souhaitait pas revoir Seiryū tout de suite, ce qui serait bien compréhensible vu la façon dont Seiryū était brusquement parti. Il fallait cependant régler ce malentendu entre eux avant que cela ne s'aggrave. Voilà pourquoi une fois propre et changé, Seiryū partit à la recherche de son amant dans le palais. Il le trouva en compagnie de leurs amis dans la bibliothèque, sans surprise. Kenshirō fit une drôle de tête en le voyant et les autres, sentant l'atmosphère un peu tendue, partirent rapidement en prétextant l'heure du thé.
Les deux amants se retrouvèrent seuls et Kenshirō faisait tout pour ne pas regarder Seiryū. Ce dernier soupira et se lança :
« Kenshirō, je voulais m'excuser pour mon attitude de ce matin. J'étais… complètement absorbé par mon rêve et je ne distinguais plus vraiment la réalité des choses. Je n'aurais pas dû te parler aussi rudement. Pardonne-moi. »
Kenshirō ne dit pas un mot durant la tirade et même si son air fermé ne se détendit pas, il apprécia tout de même les excuses de son amant. C'était la moindre des choses.
« Et alors ? fit-il ensuite en se tournant enfin vers lui.
– Alors quoi ? demanda Seiryū, confus.
– Tu as retrouvé ton Yama ? »
Seiryū retint un soupir.
« Tu penses bien que non. Yama est mort.
– Ce matin, tu n'en avais plus l'air très sûr. »
Les yeux gris de Kenshirō le fixaient avec attention, comme pour rechercher quelque chose chez lui. Seiryū retint un autre soupir.
« Ce matin… j'étais encore imprégné de mon rêve, reconnut-il. N'en parlons plus, c'est du passé. »
Kenshirō se mordit la lèvre inférieure, dubitatif. Seiryū n'en aurait jamais terminé avec Yama. Cependant pour le bien de leur relation, ils prétendraient tous les deux le contraire.
Kenshirō s'approcha de son amant qui n'était pas encore certain d'être pardonné. Il passa les bras autour de son cou et l'embrassa longuement. Seiryū eut un moment de surprise, puis il répondit au baiser avec enthousiasme en le serrant fort contre lui.
« Fais-toi pardonner ce soir, murmura Kenshirō en s'écartant un peu.
– Pourquoi attendre ce soir ? »
Les yeux gris s'écarquillèrent, puis Kenshirō partit d'un léger rire avant d'acquiescer. Main dans la main, les deux jeunes gens quittèrent la bibliothèque pour se rendre dans les quartiers du Firal.
Note de Karura : Seiryū ferait mieux d'écouter ses rêves !
Commentaires :