Ancient Gods Sanctuary 2

Chapitre Deux : Une revanche longtemps attendue


Une fissure serpenta le long de la route pavée, projetant des débris de pierres tout autour. C’était la conséquence d’une autre attaque d’Athéna. De plus en plus furieuse, la déesse grecque ne contrôlait presque plus ses coups, frappant tout ce qui se trouvait autour. Sa rage était amplifiée par le fait que son adversaire ne répliquait pas et se contentait d’esquiver ses attaques. Elle n’avait toujours pas invoqué son arme non plus, preuve qu’elle méprisait la force d’Athéna. Elle semblait plutôt chercher à fuir. Malheureusement pour elle, Athéna n’allait pas la laisser faire !

« Shao Paï ! s’écria-t’elle en lui bloquant le chemin une fois de plus. Bats-toi sérieusement contre moi, espère de lâche !

– Petite fille, je te déconseille de me retenir plus longtemps, l’avertit la déesse antique, le visage grave. Même si en tant que déesse tu peux te réincarner comme bon te semble, ce n’est pas une raison pour gaspiller ta vie inutilement !

- Je veux me venger de toi, de cette humiliation que tu m’as infligée ! »

Shao Paï s’immobilisa soudain.

« Tout ça parce que je t’ai battue durant la Bataille d’Olympias ? Franchement, qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, » maugréa-t’elle.

Athéna serra les dents encore plus fort, quitte à les broyer, puis elle reprit ses attaques virulentes.


Observant le combat avec impuissance, protégée par son chevalier, Artémis secoua la tête.

« Ce n’est pas seulement pour cette raison, » songea-t-elle.

Mais il était vrai que c’était cette défaite inattendue qui avait tout déclenché pour Athéna. Elle qui s’attendait à vaincre facilement son adversaire qui ressemblait plus à une courtisane qu’à une guerrière avait été terrassée en quelques minutes sans même avoir blessé la déesse de la Destruction. Pire encore, cette dernière avait eu assez de forces pour venir en aide à Hane Lath qui se trouvait en difficulté contre Héra et elle aurait même combattu Zeus si Myst Nail n’avait pas réclamé ce privilège. Au final, elle avait terminé la Bataille avec seulement quelques égratignures — seuls les dieux de plus haut rang pouvaient se vanter d’avoir fait pareil — et en se plaignant que la fête s’était terminée trop vite.


Pour Athéna, l’humiliation avait été terrible. Si encore elle s’était fait battre par Myst Nail ou un autre dieu dont elle respectait la force, elle aurait pu s’en remettre. Mais elle s’était fait tuer par une femme, la personnification même de tout ce qu’elle avait rejeté dans l’espoir de devenir plus forte. C’était comme si on lui avait jeté ses sacrifices à la figure en se moquant d’elle parce que cela n’avait servi à rien. Lors de son incarnation suivante, Athéna s’était entraînée plus durement, la rage au ventre mais — et cela n’avait échappé à personne même si aucun dieu n’avait osé lui en faire la remarque — elle avait laissé ses cheveux pousser un peu. Ce détail anodin était pour elle la marque d’un plus profond changement intérieur, un premier pas vers une féminité qu’elle avait repoussée depuis très longtemps. Par contre elle était toujours aussi peu aimable que coutume envers ceux qu’elle considérait comme faibles.


Dans le laps de temps qu’il lui avait fallu pour s’incarner, les dieux antiques s’étaient installés à Olympias, une trêve méfiante s’était établie entre les deux camps. Athéna attendit encore quelques siècles, le temps de s'entraîner, mais lorsqu'elle se sentit prête à affronter sa némésis, elle n'eut pas de chance : Shao Paï était décédée — personne ne l'avait tuée, elle voulait juste changer de corps comme cela arrivait souvent aux dieux lorsque leur incarnation prenait de l'âge et qu'elle nécessitait trop d'énergie pour la maintenir en vie. Un corps entretenu par les pouvoirs divins pouvait durer des millénaires mais cela ne servait à rien de le garder aussi longtemps. Les dieux préféraient en général changer de corps — rarement d'apparence — tous les cinq siècles environ. Athéna attendit patiemment des nouvelles de la réincarnation de Shao Paï et un beau jour, l’un de ses chevaliers lui apporta enfin la confirmation du retour de la déesse de la destruction. Dès qu’elle en eut vent, la déesse grecque se précipita sans perdre un instant.

~*~

D’après les renseignements de Persée, Shao Paï se trouvait dans une ville de mortels à la taverne. Athéna fronça le nez en entrant. En début de soirée, l’endroit était rempli de soiffards, l’Humanité dans toute sa splendeur.

« Je me demande ce qu’elle peut bien faire dans un tel endroit, songea la déesse de la Guerre. Je ne l’imagine guère ici. »

Pourtant Persée était sûr de son information. Athéna lui fit signe d’attendre l’entrée et elle pénétra bravement dans cet endroit abominable. Quelques mortels levèrent la tête à son arrivé et la reluquèrent sans vergogne. Certains eurent même le culot de la siffler. Athéna serra les poings, à deux doigts de détruire ce lieu d’une simple pensée. Malgré cela, elle se retint car elle souhaitait conserver toutes ses forces pour le combat à venir. Elle pourrait toujours s’occuper d’eux ensuite…


Elle parcourut la salle du regard, cherchant cette personne qu’elle haïssait tant, et son regard tomba sur un homme assis en retrait dans un coin. Son front se plissa.

« Ce n’est pas possible ! » se dit-elle.

Pourtant, elle reconnaissait bien cet autre dieu. Elle s’approcha prudemment et l’homme aux longs et fins cheveux noirs retenus en queue de cheval leva ses yeux rubis sur elle.

« M… Myst Nail, » balbutia-t-elle.

Le roi des dieux antiques fronça les sourcils en la voyant mais ne dit rien. Athéna était perplexe. Que faisait-il dans un tel endroit ? Et surtout, se pouvait-il que Persée ait reçu la bonne information mais sur le mauvais dieu antique ? Athéna déglutit avant de se reprendre. Elle n’allait pas se laisser intimider aussi facilement même s’il fallait reconnaître que le dieu du mal dégageait une aura impressionnante et effrayante.

« Je… Je suis Athéna, déesse de la sagesse. Je cherche Shao Paï. On m’a dit qu’elle se trouvait ici. »

À ces mots, les lèvres de Myst Nail s’étirèrent en un sourire moqueur.

« Voyez-vous ça, » répondit-il simplement.


Au même moment, un second homme arriva à leur table, posa deux chopes de bière et s’assit sans faire attention à la déesse grecque.

« Tiens, dit-il au dieu du mal, mais la prochaine tournée sera pour toi ! »

Sans quitter Athéna des yeux, Myst Nail tourna la tête vers le nouveau venu.

« Shao Paï, cette femme est venue te voir. »

L'autre homme se tourna vers Athéna, l’air interrogateur. Il était plus grand qu’elle, les cheveux bruns coupés court et les yeux gris. Son corps, sans être brutal, dégageait une masculinité évidente.

« Athéna ? la reconnut-il sans hésitation. Qu’est-ce que tu viens faire ici ? »

Elle était consciente qu’elle avait les yeux écarquillés et la bouche bée à la limite du possible mais elle ne pouvait s’en empêcher. Un homme ? Shao Paï était dans un corps d’homme ?! Pourtant, Athéna avait toujours entendu parler d’elle comme d’une femme… La stupeur fut rapidement balayée par l'indignation et la rage : jamais elle n’aurait pu croire que la femme qui l’avait vaincue oserait s’adonner à la perversion de changer de corps ! Elle refusait d’accepter qu’une seconde Hermaphrodite avait pu la battre !

« Je… je suis venue me venger de ma défaite à Olympias ! » lança-t-elle d’un ton de défi, se tenant malgré tout à ses intentions d'origine.


Un grand silence se fit dans l’auberge au mot ‘Olympias’. Les mortels murmurèrent entre eux, agités, suspectant que des dieux se trouvaient parmi eux. Puis l’endroit se vida, lentement mais sûrement car seul un fou resterait à proximité de dieux en colère. D’un air désolé, Shao Paï regarda l’aubergiste partir avec les autres.

« Rah, c’est malin, fit-il en secouant la tête. Tu as fait fuir tout le monde avec tes histoires ! J’aimais bien cette taverne, tu sais. Maintenant je ne vais plus pouvoir y aller.

- Ce ne sera pas plus mal, lança Myst Nail à côté de lui d'un air renfrogné.

- Oh ça va, personne ne t’a obligé à m’accompagner, rabat-joie. »

Le roi des dieux antiques eut un tic à la joue.

« C’est parce qu’on ne peut pas te laisser sans surveillance.

- Ouais, c’est toi qui le dis. Mais bref, revenons-en à toi, Athéna. Tu es venue pour quoi, au juste ? » demanda-t'il en levant la tête vers elle.

Furieuse de se sentir ignorée, la déesse de la sagesse se renfrogna.

« Je suis venue te provoquer en duel, répéta-t’elle. Lève-toi et bats-toi contre moi ! »


Loin d’être impressionné, Shao Paï prit une gorgée de sa bière sans faire mine de se lever.

« Pour quoi faire ? demanda-t’il.

- Pour me venger ! » répliqua-t’elle d’un ton acéré, agacée de devoir se répéter.

Shao Paï posa sa chope en soupirant. Atterrée, Athéna réalisa qu’il n’y avait plus rien de féminin en lui. Il avait parfaitement acquis les habitudes et manières des hommes. C’était plus que troublant et étrangement, cela n’avait rien de pervers.

« Ah, mais à quoi ça servirait ? lança-t’il. Imagine que je te batte encore une fois…

- Cela n’arrivera pas ! le coupa-t’elle. Je me suis entraînée durement depuis la dernière fois et je suis sûre que je vais te battre ! »


Shao Paï soupira bruyamment une fois encore. Il posa un coude sur le dos de la chaise en bois et appuya sa joue contre sa main tandis qu’un sourire impudent éclaira son visage. Il la toisa du regard deux fois et elle se sentit rougir, puis il secoua la tête.

« Nan, ça ne va pas le faire, ma fille. Je vais encore gagner. »

Une veine battit à la tempe de la déesse grecque.

« Comment peux-tu l’affirmer aussi rapidement ? s’offusqua-t’elle.

- Le truc, c’est que j’ai un regard magique, répondit-il en montrant ses yeux gris. Non seulement je peux reconnaître n’importe quel dieu ou chevalier au premier coup d’œil même s'il change d'apparence, mais en plus je peux estimer leur niveau de puissance. T’es pas encore à la hauteur, fillette. Reviens me voir dans deux mille ans… »

Athéna inspira brutalement. Comment osait-il la congédier si cavalièrement ? Et dire qu’elle l’avait admiré… de mauvaise grâce certes, mais durant leur combat, elle n’avait pu s’empêcher d’être fascinée par la grâce, l’élégance et la puissance de son adversaire. Et de se retrouver maintenant face à ça… C’était plus qu’elle ne pouvait en supporter !

« Bats-toi contre moi ! exigea-t’elle. Tu me dois bien ça ! »


Shao Paï prit un air songeur qui ne dura que quelques secondes.

« Naaan, vraiment pas possible.

- Quoi ?!

- Je ne sais pas si tu es au courant mais on a signé un accord avec Zeus : interdiction pour un dieu antique et un dieu grec de se battre, sauf offense sérieuse. Alors pas question. D’ailleurs Myst Nail ici présent serait prêt à m’étriper si je ne respectais pas cet accord, pas vrai ? fit-il avec un sourire moqueur en direction de l’intéressé qui n’avait cessé de l’observer en silence durant tout ce temps.

- Je n’approuverai pas ce combat, affirma le dieu du mal.

- Tu vois, reprit le dieu de la destruction pour Athéna, c’est fichu. Attends la prochaine guerre, je te réserverai mon premier combat, parole d’honneur ! »


Les larmes de colère coulèrent sur ses joues avant qu’elle ne s’en rende compte. Les poings serrés, elle tremblait de rage contenue. Le sourire impudent de Shao Paï disparut aussitôt et il se leva. Avant qu’elle ne puisse réagir, il l’avait déjà prise dans ses bras afin de la consoler comme un père réconforterait sa fille en pleurs.

« Allons, allons, fit-il d’un ton réconfortant, ce n’est pas si grave que ça ! »

Non content de lui refuser sa vengeance pourtant légitime, il la traitait comme une enfant et le pire était qu’elle le laissait faire, qu’elle était même terriblement tentée de se laisser aller dans son étreinte, de poser sa tête contre ce torse ferme et accueillant, de profiter de cette chaleur apaisante…


Les joues rouges, elle le repoussa violemment. Il manqua de trébucher sur la chaise, perdit l’équilibre et serait tombé si Myst Nail ne s’était pas brusquement levé pour le rattraper par derrière.

« Toi… je te déteste ! » hurla Athéna avant de quitter les lieux en courant.

Éberlué, Shao Paï resta figé un moment jusqu’à ce que Myst Nail ne commente à voix basse :

« Encore une qui en pince pour toi…

- Hé ? comment ça, encore une ?! Et puis elle est juste un peu secouée. Ce doit être la crise d’adolescence ou un truc dans le genre… »

Il se redressa en lançant un regard désappointé autour de lui.

« Bon, tu viens ? reprit-il comme si rien ne s'était passé. Je connais une autre auberge pas très loin ! »

Myst Nail soupira lourdement mais cela ne servit qu’à faire sourire l’autre dieu antique. Pour eux, l’incident était déjà clos.

~*~

Artémis soupira : pour Athéna, l’incident était tout sauf clos. Quand elle était revenue à Olympias après cette malheureuse confrontation, elle s’était enfermée dans sa demeure pendant des semaines et même ses deux chevaliers ne pouvaient l’approcher. Finalement ils en avaient fait appel à Zeus qui lui-même avait fait appel à… Artémis.

« Elle a besoin d’une oreille compatissante, avait-il dit en souriant. Une oreille féminine bien sûr, car il y a des choses dont une fille ne veut pas parler à son père. »

Artémis avait nerveusement cherché un moment d’y réchapper.

« Mais… n’y aurait-il pas quelqu’un d’autre qui pourrait aller la voir ?

- Votre mère n’est pas encore réincarnée, et je ne vois personne de plus compétent que toi, ma fille. Tu ne voudrais tout de même pas que j’envoie Aphrodite ? »


Artémis n’avait rien pu répliquer à cela et elle avait obéi à son père, le cœur lourd. Comme elle s’y attendait, Athéna ne lui avait pas parlé la première fois, ni la seconde ou la troisième d’ailleurs. Mais après cinq menaces de mort et deux explosions de colère (une au sens figuré et la seconde au sens propre), la déesse de la sagesse avait fini par craquer. Ce fut le début d’une nouvelle amitié entre elle et il fallut plusieurs siècles pour en arriver là où elles se trouvaient aujourd’hui. Artémis était donc la plus à même de comprendre les sentiments complexes et confus de sa sœur, y compris ceux qu’elle se cachait à elle-même.

« Elle voulait devenir comme Shao Paï quand c’était une femme. Et quand elle l’a vu en homme, elle est tombée amoureuse de lui. »

L’amour et la haine étaient bien proches, d’autant plus quand on refoulait ses sentiments.


En tout cas, il semblait que tous ces siècles n’avaient pas suffi à Athéna pour atteindre le niveau de sa némésis. Elle n’avait pas réussi à la blesser une seule fois alors même que Shao Paï se contentait uniquement d’esquiver les attaques. En retrait, Bellérophon ne pouvait venir en aide à sa maîtresse car les chevaliers ne devaient pas se battre contre les dieux. Une dernière attaque d’Athéna faillit toucher la demeure de Shao Paï, celle dont elle était sortie et ce qui avait permis de l’identifier. Cela parut enfin faire réagir la déesse de la destruction.

« Tu es un vrai danger ambulant, lança-t’elle. Comment espères-tu me vaincre alors que tu n’es même pas capable de diriger tes coups correctement ?

- Répète un peu ?!

- Je ne voulais pas attirer l’attention sur moi mais, avec le raffut que tu es en train de faire, c’est raté. Pour te remercier, laisse-moi donc te montrer la différence de niveau qu’il y a et qu’il y aura toujours entre nous ! »


D’un geste presque négligeant, Shao Paï agita la main… et une énorme sphère de lumière entourée d’éclairs violets s’échappa de sa paume pour filer droit vers Athéna. Par fierté, cette dernière n’esquiva pas et brandit sa lance devant elle pour encaisser le coup.

« Athéna ! » s’écria Artémis tandis que la vive lueur engloutissait sa sœur.

Une explosion violente retentit. Artémis se couvrit le visage, sentant le souffle tenter de la balayer. Heureusement que Hélios était là pour la protéger en grande partie. Quand ce fut plus calme, elle retira ses bras de son visage et rouvrit les yeux. La première chose qu’elle vit fut le corps inanimé de sa sœur qui avait été projeté à ses pieds. Elle resta figée, incapable de détacher son regard d’Athéna.

« Tu… tu l’as tuée ! » s’écria-t-elle à l’intention de Shao Paï.


La déesse antique haussa les épaules. Elle ne paraissait même pas essoufflée après une attaque aussi puissante. Artémis réalisa alors qu’elle était bien plus forte qu’Athéna ne le serait jamais. La véritable puissance de Shao Paï n’avait jamais pu être réellement confirmée — mis à part son incroyable pouvoir de création dont tous avaient pu témoigner à la Bataille d’Olympias — mais de nombreuses rumeurs circulaient à ce sujet. L’une d’elles prétendait qu’elle était l’égale de Myst Nail, voire même… de Zeus. Artémis n’y avait jamais vraiment cru mais il fallait dire aussi qu’elle n’avait jamais été confrontée directement à la déesse de la destruction. Maintenant qu’elle pouvait la voir à l’œuvre, la plus folle des rumeurs ne semblait plus aussi improbable que ça, finalement.


« Elle n’est pas morte, affirma Shao Paï. Mon attaque n’avait pas pour but de la tuer. Celle-ci en revanche… »

Avec un sourire mauvais, Shao Paï agita de nouveau sa main. Sans réfléchir, Artémis se posta devant sa sœur et invoqua son bouclier. C’était une manœuvre désespérée mais elle refusait de rester sans réagir alors qu’Athéna allait se faire tuer devant ses yeux. Hors de question.

« Nnnn… »

Artémis concentra tout son pouvoir dans son attribut afin qu’il encaisse l’attaque. Le bouclier parut résister un moment… puis il lui échappa des mains tandis que le souffle de l’explosion l’envoya valser un peu plus loin. La déesse de la chasse tenta de se relever mais elle n’avait plus de forces. Son bouclier se trouvait non loin d’elle. Elle tendit le bras pour l’attraper mais il était encore hors de portée. Un pied botté se posa dessus.


« Tu es courageuse, ma fille, lança la déesse de la destruction avec un sourire. La plupart des gens aurait fui devant mon attaque. »

Artémis lui lança un regard rempli de venin, ce qui fit rire l’autre femme.

« Du calme ! Finalement, je ne vais tuer personne ce soir. Tant pis pour la discrétion. Par contre je prends ça avec moi. »

Éberluée, Artémis la vit ramasser son bouclier.

« N… non, » protesta-t-elle dans un faible gémissement.

Le bouclier était son attribut tout comme la lance d’Athéna. C’était la manifestation physique de ses pouvoirs, un peu comme un alter ego. Les dieux antiques possédaient tous une épée comme attribut — pas très original — cependant il variait pour les dieux grecs. Si un dieu s’emparait de l’attribut d’un autre, il le privait d’une grande partie de ses pouvoirs. Même pour plaisanter, personne ne s’y serait risqué.

« Rends-le-moi ! supplia-t’elle en tendant la main comme une enfant qui réclamait son jouet préféré.

- Pas question, fit Shao Paï d’un ton intransigeant en agitant le bouclier comme pour la narguer. Je ne repartirai pas les mains vides. Si tu veux vraiment le récupérer, tu peux toujours aller pleurer chez ton père pour qu’il vienne me le reprendre ! »

Artémis gémit. C’était un véritable cauchemar.


Shao Paï leva soudain la tête dans une autre direction et se renfrogna.

« Je dois me sauver, fillette. Ne t’inquiète pas, je prendrai soin de ton attribut en attendant que Zeus vienne me le réclamer. Qu’il ne tarde pas trop sinon je risque d’en faire cadeau à un mortel et qui sait ce qui arrivera alors ! »

Shao Paï disparut sur ce, se transportant instantanément dans un autre endroit comme seuls les dieux et les chevaliers savaient le faire. Artémis se redressa tant bien que mal tandis qu’Hélios se portait à son secours. Les yeux remplis de larmes, il la soutint pour qu’elle ne tombe pas.

« Pardonnez-moi, maîtresse, fit-il en baissant la tête. Je ne pouvais pas intervenir contre une autre déesse !

- Je comprends, » fit Artémis d'un ton résigné.


Un chevalier ne pouvait combattre un dieu même si sa propre vie — ou pire encore, celle de son maître — en dépendait. Les rares qui avaient osé enfreindre ce tabou étaient sévèrement punis par les leurs. De même les dieux ne combattaient pas les chevaliers mais ce n’était pas vraiment une interdiction, c’était plutôt vu comme de très mauvais goût, comme le fait de s'en prendre à plus faible que soi.

« Athéna ! » s’écria Artémis en tournant la tête vers sa sœur.

Son chevalier, Bellérophon, avait déjà accouru à ses côtés et le soulagement sur son visage indiquait qu’elle était toujours en vie quoique inconsciente.

« Quand elle se réveillera, elle ne va pas apprécier ce qui s’est passé, songea Artémis. Mais j’y pense, pourquoi Shao Paï est-elle partie si vite ? »


Artémis eut rapidement sa réponse : deux personnes apparurent soudain sur les lieux du combat, un homme et une femme. La femme aux longs cheveux ondulés d'un vert éclatant s’avança, une main gantée de cuir bleuté sur son sabre.

« Je suis Silène et voici Murio, se présenta-t'elle. Nous sommes les chevaliers de Myst Nail, roi des dieux antiques et dieu du mal. Au nom de notre maître, de quel droit avez-vous osé semer le trouble dans le quartier des dieux antiques, là où vous n’avez rien à faire ? »

L’arrogance avec laquelle parlait cette femme malgré les termes courtois était une preuve évidente de l’animosité entre les dieux grecs et antiques. Artémis se redressa fièrement et tança sévèrement cette insolente avant que son chevalier ne prenne la parole, comme il était normalement d'usage :

« Je suis Artémis, déesse de la chasse, et voici ma sœur, Athéna, déesse de la sagesse et gardienne d’Olympias, et de ce fait habilitée à se rendre dans n’importe quel lieu de la Demeure des dieux si l’ordre est troublé. Nous sommes venues ici car l’une de vos déesses a franchi la Porte. »


Cela retint leur attention. Le dénommé Murio, un homme aux cheveux mi-longs et noirs si ce n’était pour deux mèches grises qui encadraient son visage, fronça les sourcils.

« Tiens donc. »

Il ne montra pas plus que cela sa réaction mais semblait agité. Au contraire, les yeux azur de Silène se plissèrent en entendant cette nouvelle.

« Une déesse antique ? Et qui était-ce ? » exigea-t-elle de savoir.

Artémis grinça des dents devant le manque de respect. Refusant de répondre directement, elle toisa l’autre femme.

« Allez dire à votre maître qu’Artémis porte plainte pour le vol de son bouclier. »


Les deux chevaliers masquèrent difficilement leur amusement devant cette nouvelle.

« Certainement, fit Murio. Notre maître sera très peiné d’entendre cela. Contre qui portez-vous plainte ? »

Ce fut au tour d’Artémis de sourire avec sarcasme. Elle n'avait pas révélé son humiliation sans raison.

« Contre la déesse de la destruction, Shao Paï. »

Les deux chevaliers antiques se figèrent, tout amusement envolé, et Artémis eut un léger rire moqueur.

« Maître Shao Paï, répéta Murio d’un ton songeur.

- Maîtresse Shao Paï, » rectifia Silène en serrant les poings à en faire craquer le cuir.

Artémis était assez satisfaite de son petit effet. Cela la consola presque de s’être fait dérober son bouclier. Presque…

« Zeus n’est pas encore réincarné, songea-t’elle, alors ma seule chance de récupérer mon bouclier est de passer par Myst Nail. Je ne pense pas qu’il lui faille une raison supplémentaire pour attaquer Shao Paï, cela dit. »


Elle soupira lourdement.

« Vous voulez savoir autre chose ? » fit-elle fièrement en fixant les deux chevaliers du regard.

Ceux-ci étaient suffisamment troublés pour ne pas répliquer.

« Non, fit Silène, devenue subitement calme. Nous allons immédiatement transmettre votre plainte à notre maître. »

Artémis hocha la tête, satisfaite. Murio prit tout de même le temps de s’incliner dans une parodie de salut respectueux, faisant sourire l’autre chevalière.

« Ma dame, » fit-il avant de disparaître, imité par Silène.

Artémis tapa du pied par terre, furieuse.

« Décidément, marmonna-t-elle, les dieux antiques ont transmis leur arrogance à leurs chevaliers ! »


À côté d’elle, Hélios était inquiet.

« Maîtresse, maintenant que maîtresse Shao Paï est revenue…

- En effet, Hélios, confirma la déesse de la chasse. Shao Paï et Myst Nail vont à nouveau s’affronter… Humph, je me demande qui tuera qui cette fois-ci. Ce ne sont vraiment que des sauvages ! »

Ne pouvant rien faire de plus, Artémis se dirigea vers Bellérophon afin de l’aider à ramener Athéna chez elle. La déesse de la Guerre se remettrait rapidement des blessures physiques mais elle porterait une nouvelle blessure dans son âme et Artémis se jura d’être là pour l’aider.

« Maudite Shao Paï, songea-t’elle. Elle est comme un poison qui contamine tous ceux qui l’approchent ! »

Sur ce, elle préféra aller s’occuper de sa pauvre sœur.

~*~

Se matérialiser directement devant leur maître aurait été un grave manque de respect, aussi Murio et Silène se transportèrent à l’entrée de la demeure de Myst Nail. Ce n’était pas sa résidence à Olympias : comme tant d’autres dieux antiques, il avait fini par délaisser ce lieu. Il s’agissait de sa résidence habituelle dans les profondeurs de la terre. Aucun accès n’était possible de l’extérieur, il fallait être un dieu ou un chevalier pour pouvoir entrer. De nombreuses cavernes immenses avaient été creusées par son pouvoir, reliées entre elles par de vastes tunnels. Les murs avaient été lissés et décorés de fresques et bas-reliefs. Le sol était tellement poli qu’il reflétait vaguement les objets. La température était idéalement tiède et la luminosité venait des murs, grâce au pouvoir du dieu du mal. Seule l’absence de fenêtre rappelait qu’on se trouvait sous terre, autrement cet endroit possédait tout le luxe d’un palais impérial. Les dieux grecs et antiques avaient en commun leur amour du luxe et de l'opulence.


Les deux chevaliers n’étaient pas encore remis de la nouvelle du retour de Shao Paï.

« Comment l’annoncer au maître ? s’inquiéta Murio, le front plissé.

- Tu ne penses pas qu’il l’a déjà pressenti ? » répliqua cavalièrement Silène.

Sans plus attendre, elle s’avança résolument vers la salle principale, là où leur maître les attendait. Perplexe, Murio fixa son dos. En ce qui concernait Shao Paï, Silène était tout aussi sensible que leur maître. Murio ne put que la suivre. Après quelques couloirs, ils arrivèrent devant leur maître qui était assis dans un fauteuil en train de lire. Quand il vit ses chevaliers, il posa l’ouvrage sur une table basse à côté et ceux-ci s’agenouillèrent devant lui.


Le roi des dieux antiques les fixa un moment. Il faisait partie de cette majorité de dieux qui ne changeaient jamais d’apparence physique, réincarnation après réincarnation. D’une taille d’environ 1m90, il avait de longs et fins cheveux noir qu’il avait l’habitude d’attacher en queue de cheval. Ses traits étaient bien dessinés et conféraient à son visage une beauté froide. Le plus saisissant était ses yeux rouges comme deux feux ardents qui toisaient ce qui l’entourait. Leur brillance était d’ailleurs un indicateur de son humeur : s’il était calme et serein, le rouge était celui d’un pâle soleil levant en hiver. Par contre quand il était furieux et agité, même le rubis le plus étincelant n’aurait pu soutenir la comparaison. De façon générale il dégageait une aura de noblesse mais aussi de danger. Il était le plus puissant des dieux antiques, de là il avait obtenu son titre de roi. Même Zeus traitait prudemment avec lui.


Myst Nail hocha la tête pour indiquer à ses chevaliers qu’ils pouvaient parler. Silène ne dit rien et après un bref regard dans sa direction, Murio comprit qu’il lui revenait d’annoncer la nouvelle.

« Maître, nous revenons d’Olympias. La perturbation a été causée par les déesses Artémis et Athéna. Maîtresse Artémis prétend que son bouclier vient de lui être dérobé par… »

Sa voix lui fit défaut. Il déglutit, baissa la tête et poursuivit :

« … par une déesse antique. Maître, elle affirme qu’il s’agit de maître Shao Paï… »

Il n’osa pas voir l’effet de son message sur son maître, préférant contempler le sol où il pouvait discerner son vague reflet. Myst Nail avait toujours été un maître exemplaire ainsi qu’un roi des dieux compétent. Sage et puissant à la fois, il s’était fait respecter et/ou craindre de tous. Toutefois en ce qui concernait Shao Paï, ce n’était plus le même homme depuis quelques temps.


Ainsi Murio s’attendait à une explosion de colère mais il fut surpris d’entendre un simple « Ah… », suivi d’une pause, puis d’un léger rire. Confondu, il leva les yeux. Le visage de son maître était barré d’un sourire qui exprimait à la fois le soulagement et l’amertume.

« Une femme, répéta-t-il. Shao Paï se réincarne enfin mais il a choisi de me combattre en femme… Stupéfiant. Je ne comprends pas à quoi il pensait en agissant de la sorte. »

Myst Nail se leva soudain de son fauteuil et se dirigea vers une table contre le mur où se trouvait une carafe de vin et un verre finement sculpté.

« Tu dis qu’il s’est emparé du bouclier d’Artémis ? poursuivit-il.

- Oui, maître, » répondit Murio.

Myst Nail se servit du vin et lâcha un lourd soupir.

« Mais pourquoi a-t’il fait ça ? se demanda-t'il.

- Il y avait des traces de combat quand nous sommes arrivés sur les lieux, intervint enfin Silène. Il est raisonnable de supposer que les déesses grecques l’ont attaquée, elle s’est défendue et a pris le bouclier soit pour les punir, soit en guise de trophée. »


Les yeux de Myst Nail se plissèrent.

« C’est assez probable, reconnut-il. Athéna lui en a toujours voulu pour la Bataille d’Olympias. Je suppose qu’elle a dû sauter sur l’occasion pour régler ses comptes. Sait-on où il se trouve en ce moment ?

- Il avait déjà disparu d’Olympias quand nous sommes arrivés, reprit Murio.

- Et ses chevaliers, vous pouvez entrer en contact avec eux ?

- Non maître, répondit encore Murio en secouant la tête. Ils se sont certainement déjà réincarnés mais nous ne pouvons pas les localiser. »

Cela ne parut pas surprendre Myst Nail qui se contenta de sourire.

« Je me charge de trouver sa cachette, assura-t’il. Vous pouvez disposer en attendant. »

Les deux chevaliers s’inclinèrent de nouveau et le dieu du Mal les congédia d’un geste.


Resté seul, il prit une gorgée de vin, le visage songeur et troublé.

« Tu en as mis du temps pour revenir, Shao Paï, » murmura-t'il.

Leur dernier combat s'était achevé par la victoire de Myst Nail. Pendant qu'il avait regardé Shao Paï mourir lentement, voulant graver cette image dans son esprit, ses deux chevaliers avaient également tué deux des quatre chevaliers du dieu de la destruction. Les deux survivants n’avaient guère attendu que quelques jours avant de mettre fin à leurs jours. Puis il n'y avait eux aucune nouvelle d'eux pendant presque cinquante ans. Techniquement un dieu pouvait prendre autant de temps qu'il le voulait pour se réincarner mais Myst Nail aurait cru que Shao Paï serait plus pressé que ça de voir leur duel se finir. Maintenant qu'il s'était enfin réincarné, bien que ce soit en femme, Myst Nail était déterminé à en finir avec lui malgré tout. Il le fallait !






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