Chapitre Dix : Libération
Les chevaliers se firent rapidement une place auprès des dieux. Ils les accompagnaient en permanence, occupant les fonctions de serviteurs, messagers, confidents... De nouvelles conventions sociales virent le jour parmi les dieux : il était désormais inconvenant de se déplacer sans un de ses chevaliers. De plus un dieu en visite devait toujours s'annoncer au travers d'un chevalier. Un chevalier n'obéissait qu'à son maître mais il devait également le respect aux autres dieux. Les dieux se rendirent également bientôt compte qu'à travers le lien avec leurs chevaliers, ils pouvaient aussi leur prêter le pouvoir de création. Tout cela rendit les chevaliers indispensables aux yeux des dieux si bien qu'ils oublièrent rapidement l'époque où ils n'étaient pas à leurs côtés.
Ce fut le début de la scission : jaloux de l'influence et de la popularité grandissantes des chevaliers, les prêtres cherchèrent à monter les dieux contre eux. Le grand prêtre alla même jusqu'à souffler à l'oreille de Myst Nail que les chevaliers étaient en réalité de nouveaux dieux qui voulaient les supplanter, attendant d'avoir gagné leur confiance pour mieux les frapper ensuite dans le dos. Le souverain des dieux éprouvait la même méfiance pour les deux camps mais l'idée du prêtre lui parut si ridicule qu'il n'en tint pas compte. Pourtant quand les autres dieux en eurent vent, ils firent bloc pour protéger leurs chevaliers et Myst Nail les suivit. Les prêtres tentèrent alors une manœuvre désespérée : ils s'en prirent aux chevaliers par traîtrise en les empoisonnant. Mais dès que les premiers d'entre eux suffoquèrent, leurs maîtres prirent conscience de ce qui se tramait et sauvèrent les mourants grâce à leurs pouvoirs illimités. Ensuite, ils contre-attaquèrent violemment les prêtres malgré les appels au calme de Myst Nail. Tous les mortels ne furent pas tués mais les survivants s'enfuirent à toute vitesse, préférant affronter le désert autour plutôt que les dieux eux-mêmes.
Ce fut à ce moment que les dieux prirent la décision de se séparer des prêtres à tout jamais.
« Nous n'avons pas besoin d'eux ! s'écrièrent-ils vivement. Ils ont fini par croire qu'ils pouvaient nous manipuler à leur guise et nous dicter notre conduite. De quel droit ont-ils osé ?! »
Myst Nail avait caché un sourire amer en entendant cela car c'était exactement ce que Shao Paï avait voulu leur faire comprendre autrefois.
Bien entendu, l'empire ne laissa pas ses prêtres se faire chasser et tuer sans réagir : de grandes armées se rassemblèrent autour de Babelhu. Deux générations s'étaient écoulées depuis la bataille contre Shao Paï. L'empereur actuel ne croyait pas que de véritables dieux résidaient en ce lieu malgré les histoires insensées de son grand-père, celui qui avait rencontré Myst Nail. Les dieux se chargèrent de lui montrer son erreur de façon brutale en anéantissant des milliers de soldats en un clin d'œil. Puis Myst Nail se rendit à la capitale, accompagné uniquement de ses chevaliers, et détruisit le palais impérial. En voyant cela le jeune empereur fut contraint d'abdiquer et de s'exiler dans un lointain monastère, jurant de ne plus jamais aller à l'encontre des dieux.
Après cela le calme revint à Babelhu. Plus personne n'osait s'en approcher et les dieux reprirent leur train de vie habituel, avec l'ajout des chevaliers qui exécutaient volontiers les mêmes tâches que les prêtres à leur service. Tout en rongeant son frein, Myst Nail attendit encore quelques décennies puis il estima que le moment était enfin propice.
Un soir il organisa une grande fête. Curieux car ce n'était pas dans les habitudes de leur souverain de prendre ce genre d'initiative, les dieux et leurs chevaliers vinrent en grand nombre. Hane Lath ne connaissait pas non plus les raisons de son époux — ils se parlaient de nouveau et la déesse était impliquée dans les décisions importantes mais au niveau privé, c'était toujours le grand froid — et elle se sentait un peu anxieuse. Dans un premier temps les dieux se restaurèrent. Ce ne fut qu'après une heure que Myst Nail se leva et réclama le silence. Attentifs, ses semblables le regardèrent.
« Mes amis, commença-t'il, les choses ont beaucoup changé en quelques décennies. Nos chevaliers sont apparus pour notre plus grande joie... »
Les dieux approuvèrent bruyamment.
« ... nous avons fini par nous séparer des prêtres et de l'empire qui nous vénérait. En tant que votre souverain, votre bien-être est ma priorité alors je vous le demande : êtes-vous satisfaits de notre existence actuelle ? »
Les dieux hochèrent vigoureusement la tête. Clairement aucun d'entre eux ne souhaitait revenir en arrière.
« Vous m'en voyez ravi, poursuivit Myst Nail. Pour que tout soit parfait, il nous reste encore une dernière chose à accomplir, une décision que nous n'avons que trop longtemps laissé en suspens. »
Il fit un signe de tête et les quatre chevaliers de Shao Paï apparurent. Éland tenait la boîte de Pandore avec précaution. Ils remontèrent le long de la grande table où étaient assis les dieux, de sorte que chacun put voir la boîte. Un murmure stupéfait les parcourut. Cet incident leur revint brusquement en mémoire et malgré les années qui s'étaient écoulées, les vieilles craintes ressurgirent en même temps. Quand les chevaliers s'arrêtèrent devant le couple royal et s'agenouillèrent devant eux en tendant la boîte, Hane Lath tressaillit.
« Écoutez-moi, fit Myst Nail en élevant la voix afin de se faire entendre. Vous vous souvenez tous de la terrible bataille qui a eu lieu voilà près de trois siècles. Durant tout ce temps Shao Paï est restée prisonnière de la boîte de Pandore. Vous ne croyez pas qu'il est temps de la libérer ? »
Les dieux paraissaient dubitatifs. Aucun d'eux ne semblait désireux de s'exprimer en premier. Finalement le dieu Thin Far se risqua :
« Nous n'avons pas oublié cette bataille et nous n'avons pas oublié non plus pourquoi elle a mérité d'être enfermée ! Elle voulait tous nous détruire.
– Non, contra Myst Nail, ce n'était pas son but. Rappelez-vous, que voulait-elle de nous ? »
Avec réticence, les dieux tâchèrent de se souvenir bien que ce soit flou dans leur esprit. Le regard acéré de Myst Nail ne les quittait pas.
« Alors ? insista-t'il. Bel Then, dis-moi ce dont tu te souviens. »
Le dieu concerné sursauta, il ne s'attendait pas à être pris à partie.
« Euh... je crois bien qu'elle voulait qu'on se libère de l'influence des prêtres...
– Excellent, le félicita son souverain. Et n'est-ce pas ce que nous avons fini par faire ? »
L'argument fit mouche. De ce fait la déesse rebelle n'avait plus de raison de s'attaquer à eux. Après trois cents ans les dieux avaient fini par adopter d'eux-mêmes son point de vue. La source de discorde n'existait plus.
Sentant le vent tourner, Hane Lath ne pouvait rester sans réagir :
« Ce n'est pas tout ! intervint-elle. Je vous rappelle que Shao Paï voulait également que nous quittions Babelhu pour vivre parmi les mortels ! Sur ce point nous sommes toujours en désaccord, me semble-t'il. »
Myst Nail lui lança un regard polaire.
« Shao Paï saura se montrer raisonnable, affirma-t'il. Nous avons fait un pas vers elle, elle en fera un vers nous.
– N'est-ce pas aussi ce que tu avais dit la dernière fois, mon époux ? railla la déesse. C'était juste avant qu'elle manque de te tuer. Sans notre intervention ce serait elle notre reine, à l'heure qu'il est et qui sait alors dans quelle misère nous vivrions ? »
Des murmures semblèrent appuyer les dires d'Hane Lath. Les yeux de Myst Nail lancèrent des éclairs. Sa compagne poursuivit :
« Je reste persuadée que Shao Paï est une semeuse de troubles. Quelle soit notre façon de vivre, elle trouvera à y redire et voudra encore une fois nous imposer son point de vue par la force. Maintenant que nous vivons enfin en paix et en harmonie, pourquoi voudrions-nous risquer de perdre tout cela juste pour une déesse ?
- Justement parce qu'elle est des nôtres, rétorqua Myst Nail. Elle a sa place malgré nous quoi que nous puissions en penser. »
Hane Lath croisa les bras et le toisa.
« Tu es bien le seul à penser cela, mon cher. »
Myst Nail eut un sourire.
« Non, je ne suis pas le seul. La preuve en est que ces quatre chevaliers que voici lui sont destinés. Cela fait un siècle qu'ils attendent sa libération afin de pouvoir la servir. Si elle n'était pas des nôtres alors pourquoi aurait-elle tout de même des chevaliers ? »
L'argument porta ses fruits. Hane Lath ne put le contrer. Les chevaliers étant apparus pendant la captivité de la déesse, elle ne pouvait pas avoir manigancé cela. Les dieux étaient devenus très attachés à leurs chevaliers et le fait que Shao Paï en possède aussi leur donnait le sentiment qu'elle était des leurs malgré tout.
« Cela ne coûte rien de la libérer, intervint tout à coup le dieu Ande Ros. Au pire si elle recommence ses histoires, on l'enfermera de nouveau et cette fois pour de bon. »
Hane Lath lui lança un regard trahi. Elle scruta les autres dieux et fut atterrée de voir qu'ils paraissaient en majorité de l'avis d'Ande Ros. Elle serra les poings. Myst Nail avait guetté la réaction de son épouse.
« Alors, Hane Lath ? demanda-t'il.
– Je refuse ! s'écria-t'elle alors. Vous faites tous une belle erreur en voulant la libérer et je ne vous laisserai pas faire ! Vous ne pouvez pas m'y forcer ! »
Un silence stupéfait suivit ses paroles. Les regards braqués sur la reine des déesses se firent réprobateurs et incrédules. Myst Nail demanda d'une voix faussement douce, masquant son triomphe :
« Hane Lath, es-tu en train de dire que tu t'opposes à une décision prise à la majorité ? Que tu veux "nous imposer ton point de vue par la force" ? »
Ce fut exprès qu'il reprit ses propres mots alors qu'elle décrivait Shao Paï. Hane Lath se rendit compte du piège qui s'était refermé sur elle et devint très pâle. Dans un silence de mort, elle se mordit les lèvres avant de répondre d'une voix étouffée :
« Non, bien sûr que non. Mais je vous supplie tous de me croire : je sens en mon for intérieur qu'elle est toujours dangereuse et qu'elle va nous conduire à notre ruine ! Il ne faut pas la libérer ! »
Ses mots se perdirent dans le silence. Myst Nail se redressa.
« Bien, est-ce que quelqu'un d'autre s'oppose à la libération de Shao Paï ? »
Personne n'osa se manifester. Hane Lath chercha un soutien quelconque mais n'en trouva pas, hormis chez son chevalier. Cela ne suffisait pas malheureusement.
Myst Nail se leva soudain et Éland déposa la boîte à terre avant de reculer de deux pas. Le roi des dieux tendit une main vers son épouse.
« Ma chère, à toi l'honneur. »
Résignée, Hane Lath posa les yeux sur la boîte de Pandore. Les chevaliers de Shao Paï la regardaient avec une hostilité à peine voilée malgré le respect qu'un chevalier devait à un dieu. Cependant il y avait aussi de l'espoir dans leurs yeux. La déesse soupira lourdement et dans un silence expectatif, elle leva une main vers la boîte. Cette dernière s'anima aussitôt, reconnaissant sa créatrice, et s'éleva légèrement au-dessus du sol. Les gravures argentées s'illuminèrent doucement tandis que la boîte tournait sur elle-même en attendant un ordre. Hane Lath ferma les yeux et murmura :
« Ouvre-toi... »
Elle n'y mit aucune conviction, espérant au fond de son cœur que cela ne fonctionnerait pas. Mais la boîte se mit à tourner de plus en plus vite. Elle s'agrandit soudain et devint transparente. Un tourbillon secoua les tables et les dieux s'agitèrent. Les chevaliers se portèrent à leurs côtés, prêts à les protéger si nécessaire.
Peu à peu une silhouette se dessina au centre : une forme humaine dressée, les bras au-dessus de sa tête comme si elle était enchaînée. Un éclair illumina la scène et le vent cessa soudain. Dans un sifflement aigu la boîte disparut et un bruit flasque se fit entendre lorsque le corps de la prisonnière tomba lourdement à genoux. Shao Paï était restée telle qu'au jour de son emprisonnement. Ses yeux sombres étaient écarquillés, sa bouche ouverte en un cri silencieux, elle restait figée. Soudain elle prit une brusque inspiration et son corps se détendit. Cherchant à inhaler de grandes bouffées d'air, elle gardait les yeux baissés à terre, une main posée au sol pour se soutenir tandis que l'autre agrippait son cou.
Les dieux poussèrent une grande clameur et la déesse sursauta, se rendant soudain compte qu'elle était entourée. Comme un animal acculé elle regarda tout autour d'elle afin de chercher désespérément une sortie. Quand elle regarda en arrière, ce fut pour voir ses chevaliers — des inconnus pour elle. Quand elle regarda devant, elle croisa le regard de Myst Nail et ce qu'il vit dans ses yeux le bouleversa profondément.
« Shao Paï, » murmura-t'il.
La déesse tressaillit soudain et s'effondra d'un coup. Ses chevaliers se précipitèrent vers elle. Éland la retourna délicatement pour voir son visage. Pâle et tourmentée, elle respirait encore.
« Elle est vivante ! s'écria le chevalier. Elle est juste inconsciente. »
Les dieux en furent soulagés. Hane Lath seule fixait la déesse comme si elle voulait la désintégrer sur place.
« Cela suffit, fit Myst Nail entre ses dents. Tu lui as fait assez de mal comme ça. »
La reine des déesses lui lança un regard blessé. Le dieu se leva pour s'adresser à ses semblables :
« Mes amis, je pense que Shao Paï a besoin de repos pour le moment. Éland, fit-il au chevalier, porte-la dans mes appartements. Toi et les tiens, veillez sur elle jusqu'à ce qu'elle reprenne connaissance. »
Hane Lath avait sursauté.
« Tes appartements ? » répéta-t'elle avec incrédulité.
Myst Nail ne répondit pas tout de suite.
« Oui, fit-il, il faut bien qu'elle aille quelque part. Que je sache, elle ne possède aucun endroit à elle ici. »
C'était un argument imparable mais cela n'arrangea pas l'humeur de la reine des déesses surtout quand elle remarqua les murmures spéculatifs de la part des autres dieux. Écœurée, elle se leva et quitta la salle sans un mot suivie uniquement par son chevalier. Myst Nail la regarda partir avec indifférence puis ramena son attention sur ses semblables. Tous ces événements les avaient plutôt agités.
« Que se passera-t'il quand elle se réveillera ? s'inquiéta la déesse Mari Kal, assise non loin de Myst Nail. Elle n'avait pas l'air ravi qu'on la libère...
– Mari Kal, fit le roi des dieux avec un sourire rassurant, je me charge d'elle. Je suis sûr qu'elle va rapidement comprendre que la situation a bien changé.
– Je te fais confiance, répondit la déesse avec empressement. Mais je n'aimerais pas être là à son réveil !
– Moi si, songea Myst Nail, j'ai des choses à me faire pardonner... encore... »
Il soupira. L'histoire ne pouvait être réécrite.
Il jeta un regard vers le couloir où avaient disparu les chevaliers de Shao Paï, en route pour ses appartements.
« Buvez et mangez, fit-il aux autres dieux, puis allez vous reposer en paix. Ce soir nous sommes enfin au complet et cela ne peut pas être une mauvaise chose. »
Cela servit à rassurer les réticents. Ils reprirent la célébration. Myst Nail s'apprêta à patienter un long moment : dès que ce serait convenable, il quitterait la fête pour se rendre au chevet de Shao Paï. Il tenait à être présent à son réveil.
Quand il put enfin les rejoindre, les chevaliers avaient déjà allongé leur maîtresse dans le grand lit après avoir retiré ses bottes et les pièces de son armure de cuir mauve, ne laissant qu'une tunique de la même teinte. Le visage de la déesse était pâle et son sommeil était troublé. Myst Nail s'installa dans un fauteuil que son chevalier Murio venait d'apporter près du lit et accepta le verre de vin que lui tendit Silène. Une longue veille silencieuse s'ensuivit. De temps à autres le visage de la déesse endormie se tordait et ses mains s'agitaient comme si elle voulait se défaire de quelque chose. Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi sans aucune amélioration.
« Maître, fit soudain Silène à son oreille, maîtresse Hane Lath est là. »
Cela fit réagir le dieu. Il se leva et quitta la pièce. Accompagnée de son chevalier, Hane Lath non plus ne semblait pas avoir eu une nuit paisible. Elle portait les mêmes vêtements que la veille et son visage était défait. Elle lança un regard implorant à son époux lorsqu'elle le vit.
« Alors, comment va-t'elle ? » demanda-t'elle.
Myst Nail prit le temps de répondre.
« Elle n'a toujours pas repris connaissance. Elle s'agite dans tous les sens mais à part ça, je pense qu'elle va bien. Physiquement. »
La reine des déesses hocha la tête.
« Je... »
Elle se tut aussitôt, ne sachant que dire.
Myst Nail attendit un peu en masquant à peine son impatience puis fit froidement :
« Si tu n'as rien de plus à dire, je vais retourner à son chevet. »
Elle le rappela subitement alors qu'il se détournait.
« Dis-moi, pourquoi tu t'en fais autant pour elle ? »
Il la regarda par-dessus son épaule, interloqué :
« Je ne fais rien d'exceptionnel. C'est l'une des nôtres et elle a subi une expérience traumatisante. Je ne veux pas qu'elle se réveille au milieu de parfaits étrangers car souviens-toi qu'elle ignore tout des chevaliers. »
Hane Lath se mordit la lèvre.
« Dans ce cas laisse-moi la veiller pour que tu puisses te reposer. »
Cette fois, Myst Nail prit un air franchement cynique.
« Parce que tu crois que ça l'aidera que le premier visage qu'elle voie au réveil soit justement celui de la déesse qui l'a enfermée ? À quoi penses-tu donc, Hane Lath ?! »
La remarque était pertinente. La déesse soupira.
« Écoute, je... je reconnais que j'ai eu tort d'utiliser la boîte de Pandore contre elle. Mais elle était sur le point de te vaincre ! Elle était bien plus puissante que prévu et elle allait toujours détruire ! J'ai paniqué, c'est tout ! »
Myst Nail se retourna afin de lui faire face complètement. Son visage était songeur.
« Je comprends ce que tu as fait à cette époque, lui assura-t'il. Ce que je comprends moins, c'est pourquoi tu t'es tellement opposée à sa libération ! »
Hane Lath se tendit. Objectivement elle n'avait aucune raison si ce n'était la terrible jalousie inexplicable qui rongeait son cœur. Et cela, elle ne pouvait en parler à Myst Nail de crainte qu'il ne confirme ses doutes.
« Je... je croyais qu'elle allait recommencer si je venais à la libérer. Et comme je ne suis pas certaine de pouvoir utiliser la boîte une seconde fois... »
Cela parut rappeler quelque chose à Myst Nail car son regard rouge se fit acéré.
« La boîte. Où est-elle ? »
Hane Lath écarta les mains.
« Tu l'as vu comme moi, elle a disparu juste après avoir libéré Shao Paï. Je n'ai aucune idée de l'endroit où elle se trouve. Elle est peut-être repartie de là d'où elle venait ? Tu sais bien que ce n'est pas moi qui l'ai créée, pas volontairement en tout cas. »
En effet, Myst Nail et elle étaient les seuls à connaître l'origine de la boîte de Pandore : un rêve mystérieux qu'Hane Lath avait fait.
Murio arriva soudain, le visage soucieux.
« Maître, elle se réveille, » annonça-t'il.
Le roi des dieux se précipita aussitôt dans sa chambre. Après un bref moment d'hésitation, Hane Lath le suivit mais resta sur le pas de la porte. Shao Paï était en train d'ouvrir les yeux avec difficulté et cherchait à se redresser. À distance respectueuse ses chevaliers l'observaient avec soulagement. La déesse ne semblait pas rassurée de se trouver en leur compagnie.
« Qu'est-ce que vous êtes ? » marmonna-t'elle.
Elle vit alors arriver le dieu aux yeux rouges et son visage se détendit en partie.
« Myst Nail, s'écria-t'elle, qui sont ces gens ?! »
Le dieu s'approcha et l'aida à se redresser, ignorant le fait qu'elle se raidit à son contact.
« Ce sont nos chevaliers, répondit-il. Mais je t'expliquerai ça plus tard. Le plus important est : comment te sens-tu ? »
Un sourire amer barra le visage de la déesse.
« Comme quelqu'un qui vient de passer dix mille ans dans la plus horrible des prisons. »
Les épaules de Myst Nail s'affaissèrent.
« Tu... Tu étais consciente ?
– Et pas qu'un peu ! »
Les yeux noirs tombèrent soudain sur Hane Lath et l'ancienne prisonnière se crispa. Myst Nail suivit son regard et retint une exclamation furieuse en voyant sa compagne.
« Je t'avais dit de ne pas te montrer ! » aboya-t'il.
Hane Lath ne parut pas désolée. Elle fixa Shao Paï droit dans les yeux.
« Je ne m'excuserai pas, décréta-t'elle, même si c'était horrible. Tu as mérité ce sort parce que tu étais et que tu restes encore une menace pour nous tous. »
Shao Paï lâcha un rire bref.
« Tu as peur pour tes précieux petits prêtres et ta jolie prison dorée, Hane Lath ? Ne t'en fais pas, siffla-t'elle, vous pouvez rester ici à pourrir jusqu'à la fin des temps. Je ne lèverai même pas le petit doigt pour vous désormais ! »
Myst Nail grimaça en entendant la ferme résolution de Shao Paï. Ce n'était pas du tout ce qui était censé se produire.
« Hane Lath, fit-il d'un ton glacial, tu peux te retirer. Maintenant. »
Avec un reniflement de dédain la déesse obéit, suivie de son chevalier Rhyll.
Myst Nail soupira avant de se tourner vers la femme alitée.
« Tu dois avoir faim, » suggéra-t'il avec sollicitude.
Elle ne se départit pas de son air lugubre.
« Je veux juste m'en aller. »
Myst Nail secoua la tête.
« Tu es encore sous le choc. De plus il y a de nombreuses choses dont je dois te parler. »
Elle lui lança un regard furieux.
« Je suis encore prisonnière, c'est ça ? »
Elle serra les draps un peu plus fort.
« Dis-moi vite ce que tu as à me dire, que je puisse partir rapidement ! Je ne supporterai pas de rester enfermée ici une minute de plus ! »
Le souverain des dieux la regarda avec compassion ainsi qu'un pincement au cœur.
« Que t'est-il arrivé dans cette boîte ? » demanda-t'il doucement.
Elle serra les dents, fixant furieusement un point du lit.
« Shao Paï, insista-t'il, dis-moi tout. »
Elle inspira deux ou trois fois puis se força à se décrisper. Au lieu de répondre à Myst Nail, elle jeta un regard scrutateur aux gens qui l'entouraient.
« Qui êtes-vous ? leur demanda-t'elle directement. Vous n'êtes pas des mortels mais vous n'êtes pas non plus des dieux. »
Ses quatre chevaliers s'agenouillèrent devant elle.
« Maîtresse, fit Éland avec émotion, nous sommes vos chevaliers et nous n'existons que pour vous servir.
– C'est une blague ? » répliqua la déesse en se tournant vers Myst Nail en quête d'explications.
Ce dernier soupira tandis que l'enthousiasme des chevaliers était franchement refroidi.
« Non, cela fait partie de ces choses dont j'ai à te parler. »
Shao Paï fronça les sourcils.
« Alors commence tout de suite, parce que j'ai l'impression que ça va être très long.
– Tu es sûre que tu ne veux rien manger ? »
La déesse aux cheveux noirs lui lança un regard écœuré.
« Tu ne vas pas me lâcher avec ça, pas vrai ? Très bien mais tu me parleras pendant le repas. »
Satisfait, Myst Nail envoya ses chevaliers préparer un rapide repas dans la pièce principale. Shao Paï décréta qu'elle pouvait se lever seule, ce qu'elle parvint à faire au bout de deux essais seulement quoiqu'elle titubait encore un peu. Elle insuffla ensuite une énergie nouvelle dans ses jambes pour pouvoir gagner la table sans l'aide de qui que ce soit. Une fois installée devant les fruits frais, le pain, le beurre et l'eau, elle fixa Myst Nail avec attention.
« Dis-moi tout, » ordonna-t'elle.
Il s'exécuta pendant qu'elle entamait son premier repas depuis trois cents ans. Il commença par l'arrivée des chevaliers qui entraîna la guerre contre les prêtres.
« Bien fait pour eux, » commenta la déesse quand elle apprit comment ils furent chassés de Babelhu.
Myst Nail poursuivit en soulignant ses efforts pour obtenir sa libération plus rapidement même si au final il fallut attendre un siècle de plus. Shao Paï ne fit aucune remarque mais il sentait bien qu'elle lui en voulait. Il acheva son histoire et attendit sa réaction.
Shao Paï termina la grappe de raisins dans son assiette puis contempla la table un moment. Finalement elle leva les yeux pour croiser le regard rubis de l'autre dieu. D'un ton prudent elle demanda :
« Cette boîte... de Pandore dans laquelle j'ai été enfermée... c'est toi qui l'as conçue ?
- Non, répondit-il avec empressement, c'était l'œuvre d'Hane Lath. »
Le visage de Shao Paï se durcit.
« Ne me mens pas ! Je sais aussi bien que toi qu'elle ne possède pas un tel pouvoir. Jamais elle n'aurait pu faire ça toute seule. »
Myst Nail hésita : devait-il accabler davantage la déesse en lui révélant l'origine de la boîte ou bien valait-il mieux la laisser croire qu'il avait participé à l'élaboration de ce redoutable piège ? C'était un choix difficile mais au final, il n'aurait pas pu supporter que Shao Paï le haïsse davantage.
Il lui avoua tout, y compris le rêve étrange de la reine des déesses. Shao Paï l'écouta sans broncher, ses grands yeux noirs s'écarquillant au fur et à mesure du récit. Quand il eut terminé, elle resta ainsi un long moment sans respirer.
« Je vois, fit-elle dans un souffle. Je comprends à présent. »
Elle ne dit pas un mot de plus mais paraissait très abattue, voire consternée. Myst Nail en profita pour lui demander de nouveau :
« Shao Paï, que t'est-il arrivé dans la boîte ? Qu'y a-t'il à l'intérieur ?
– Seulement moi, répondit-elle d'un ton morne. Rien que moi... Cela n'a duré vraiment que trois siècles ? J'ai eu l'impression qu'une éternité s'était écoulée... »
Elle pressa ses mains.
« Je ne pouvais ni bouger, ni parler, ni voir. Je n'entendais rien. Je ne pouvais que... réfléchir. Face à mes souvenirs, à mes choix... J'ai revu toute mon existence dans le moindre détail, toutes les erreurs que j'avais commises. Crois-moi, il n'existe rien de pire dans tout l'univers. »
Myst Nail baissa les yeux, repentant.
« Si j'avais su ce qu'elle préparait, fit-il dans un souffle, j'aurais tout fait pour l'en empêcher, tu le sais. Je voulais que tu gagnes ce combat. J'avais tout arrangé et... cela ne devait pas se passer comme ça ! J'ai ensuite tenté d'ouvrir cette boîte mais impossible de la faire réagir ! Je l'aurais bien détruire sauf que j'ignorais ce que cela te ferait...»
Shao Paï se ressaisit et ignora les aveux de l'autre dieu.
« Peu importe, fit-elle froidement. Je sais à présent que j'ai fait fausse route. Je m'en tiendrai désormais à ce que j'ai dit à Hane Lath : je ne m'occuperai plus de vos affaires. Je ne désire que retrouver ma liberté. »
Myst Nail la fixa avec stupeur comme s'il n'en croyait pas ses oreilles.
« Cela ne peut être vrai, murmura-t'il. Tu ne peux pas penser ce que tu dis, pas après tout ce que tu as fait... »
La déesse le fixa d'un air déterminé.
« Crois ce que tu veux, je m'en moque. Si tu as fini ton histoire, je vais maintenant m'en aller. Je te souhaite bonne chance pour t'occuper des autres, tu vas en avoir besoin. »
Elle se leva et se dirigea vers la porte mais s'arrêta soudain et lança un regard noir par-dessus son épaule aux quatre chevaliers qui lui avaient silencieusement emboîté le pas.
« Vous, vous restez ici, leur ordonna-t'elle.
– Maîtresse, protesta Éland, si vous partez, notre devoir est de vous suivre. »
Elle plissa les yeux.
« Au temps pour votre prétendue obéissance. Peu importe. »
Elle tendit la main et fit apparaître une épée. Silène et Murio s'interposèrent aussitôt entre elle et Myst Nail mais ce dernier n'était pas la cible. Shao Paï regarda froidement ses chevaliers.
« Soit vous restez ici et vous trouvez quelqu'un d'autre à servir, soit je vous déchiquette en morceaux ! »
Les chevaliers déglutirent mais ne pouvaient pas renoncer. Shao Paï eut un sourire cruel et fit un pas en avant.
« Tant pis pour vous...
– Shao Paï ! s'écria soudain Myst Nail. Tu as oublié quelque chose ! »
La déesse s'immobilisa, perplexe.
« De quoi parles-tu ?
– Nous avions conclu un accord avant notre combat : si tu me battais, nous devions te suivre. Sinon tu resterais parmi nous. »
Shao Paï fronça les sourcils en se rappelant de ce jour.
« Cet accord est non avenu : personne n'a battu l'autre et ce grâce à l'intervention de ton épouse, précisa-t'elle.
– Ce n'étaient pas les termes précis de notre accord. C'était à toi de me battre et tu ne l'as pas fait... »
Un silence stupéfait s'ensuivit. Shao Paï le fixa avec incrédulité puis horreur tandis qu'elle prenait lentement conscience qu'il avait parfaitement raison.
« Espèce... espèce de fumier ! » explosa-t'elle soudain.
L'air se chargea d'électricité.
« Tu savais que cela allait arriver ! Tu avais tout prévu ! » l'accusa-t'elle.
Myst Nail reçut calmement ses exclamations.
« Non, crois-le ou non, je n'en savais rien.
– Tu mens !
– Je ne mens pas ! » s'écria-t'il en la regardant droit dans les yeux.
Cela coupa la parole à la déesse. Son épée disparut et elle se retrouva figée, désemparée.
« Alors... je dois rester ici ? Encore enfermée ?! »
Myst Nail baissa les yeux.
« À moins que tu ne veuilles revenir sur ta parole... »
Shao Paï se mordit les lèvres. C'était absolument hors de question et Myst Nail le savait pertinemment. La parole d'un dieu était sacrée.
« Combien de temps ? » demanda-t'elle d'une voix plaintive.
Myst Nail soupira... puis une idée lui vint.
« Je dirais... aussi longtemps que nos compagnons resteront ici. »
La déesse lâcha un rire bref.
« Oh ! Autant dire l'éternité alors...
– Sauf si... »
Il capta aussitôt son attention.
« Sauf si tu parviens à les convaincre de s'aventurer dans le monde extérieur.
– J'ai déjà essayé et vois où cela m'a menée !
– Non, rectifia-t'il, tu as voulu les forcer à partir. Je parle de les convaincre. Ce sera sans doute plus long mais nettement moins risqué. Maintenant que les prêtres ne sont plus là, je pense que le moment est propice. »
Elle le fixa d'un air écœuré.
« Tu oublies que j'ai pris la ferme résolution de ne plus me mêler de vos affaires.
– Sois des nôtres et cela deviendra tes affaires. »
Elle plissa les yeux.
« Je vois, marmonna-t'elle. Finalement, tu obtiens toujours ce que tu veux. Ça n'a pas changé. »
Myst Nail prit un air surpris.
« Je ne vois pas ce que tu veux dire.
– C'est ça, c'est ça... »
Malgré cette remarque incongrue, Myst Nail sentit qu'elle était sur le point d'accepter. Cachant son excitation, il joua son dernier atout :
« En plus, si c'est pour accompagner un autre dieu, tu pourras sortir. »
Il entendit sa brusque inspiration et sut qu'il avait gagné.
Malgré les dires rassurants de Myst Nail, une fois que les dieux furent laissés seuls ils cogitèrent sur les conséquences du retour de Shao Paï. Quand la rumeur de son réveil se répandit, l'inquiétude augmenta en proportion. Les dieux se rassemblèrent instinctivement dans le couloir près des appartements de leur souverain. Sans aller jusqu'à coller leur oreille contre la porte, ils étaient très attentifs à ce qui se passait de l'autre côté. Ils frémirent en entendant des éclats de voix incompréhensibles mais le calme qui s'ensuivit fut encore plus angoissant. Hane Lath s'était retrouvée face à eux quand elle était sortie des appartements de Myst Nail. Elle ne leur avait pas dit un mot, ils n'avaient pas osé l'interroger en voyant son air effaré et depuis elle se tenait un peu en retrait, la mine sombre.
La porte s'ouvrit soudain et Shao Paï en surgit, encadrée par ses chevaliers. Elle n'était plus vêtue de son armure mais d'une simple robe bleue pâle. Elle s'arrêta sur le pas de la porte et contempla la foule assemblée. Les dieux lui renvoyèrent des regards effarés. Sans doute s'attendaient-ils à ce qu'elle les massacre sur-le-champ. Shao Paï s'attarda sur le visage de chaque dieu en ignorant les chevaliers. Un lourd silence régnait seulement entrecoupé par des raclements de gorge. Myst Nail apparut derrière la déesse et le soulagement fut perceptible.
« Mes compagnons, fit-il aux dieux assemblés, notre camarade qui fut séparée de nous pendant si longtemps va enfin reprendre sa place. Je vous demande de lui faire bon accueil. »
Visiblement il était le seul à se réjouir de cette nouvelle.
Shao Paï fit un pas en avant et ferma les yeux en inspirant profondément. Quand elle les rouvrit, un sourire aimable éclairait son visage :
« Je sais que nous sommes partis du mauvais pied, fit-elle sans ambages, mais je vous assure que vous n'avez plus rien à craindre de moi. J'espère que nous aurons l'occasion de faire plus ample connaissance.
– Mais certainement, intervint Myst Nail, puisque tu vas vivre avec nous désormais. »
Un murmure consterné parcourut les dieux. Hane Lath s'avança.
« Et où logera-t'elle ? lança-t'elle. Il n'y a aucun appartement de libre pour elle. Cela dit il reste toujours l'aile inférieure, autrefois réservée aux prêtres.
– Hors de question, objecta le roi des dieux. Elle reste avec nous. Nous allons bien pouvoir lui faire de la place.
– Parce que l'un d'entre nous devra partager ses appartements avec elle ? Je présume que tu te portes volontaire ? »
Sentant l'orage venir, Shao Paï secoua la tête et soupira bruyamment.
« Non mais est-ce que vous vous entendez parler ? Nous sommes des dieux ! Ces stupides problèmes d'espace sont réservés aux mortels, pas à nous ! »
Elle s'avança parmi la foule qui se fendit en deux à son approche. Surpris, Hane Lath et Myst Nail la regardèrent s'éloigner avec ses chevaliers avant de se regarder bêtement puis de se précipiter à sa poursuite. Par curiosité les autres dieux et chevaliers lui emboîtèrent le pas. Shao Paï marcha un moment dans les couloirs jusqu'à arriver à une intersection. Un grand pan de mur lui faisait face.
« Là, décida-t'elle, cela fera l'affaire. »
Tandis que les autres dieux arrivaient à leur tour, elle posa une main sur le mur.
« Que compte-t'elle faire ? chuchota Hane Lath à son époux. Il n'y a que le vide de l'autre côté ! »
Ce dernier ne répondit rien, fixant le dos de la déesse. Il y eut un grand tumulte provenant de l'autre côté du mur puis une porte se dessina rapidement. En à peine quelques instants ce fut réglé. Shao Paï ouvrit la porte avec satisfaction.
« Et voilà, fit-elle. Il était inutile d'en faire toute une histoire ! »
Avec stupeur les dieux qui se trouvaient au premier rang virent que la porte donnait désormais sur une grande pièce entièrement meublée. Des cris d'admiration s'élevèrent.
« Elle a créé tout cela en un instant ?!
– Chaque détail a l'air parfait... c'est stupéfiant ! »
Consciente de l'intérêt — positif pour une fois — qu'elle suscitait chez les dieux, Shao Paï se permit un sourire satisfait. Elle se tourna vers les curieux.
« Bon, si vous voulez bien m'excuser, je souhaiterais me rafraîchir. J'espère avoir bientôt l'occasion de bavarder avec chacun d'entre vous. »
Les dieux se retirèrent aussitôt, prenant conscience de leur attitude un peu rude. Le couloir se vida rapidement sauf pour Myst Nail, Hane Lath et leurs chevaliers.
La déesse aux yeux verts était autant surprise que les autres.
« Tu... tu as vraiment créé tout cela à l'instant ?
– Puisque cela ne se trouvait pas là avant, oui, je l'ai créé de toute pièce. Je ne vois pas en quoi c'est si surprenant, nous sommes des dieux après tout. »
Hane Lath fronça les sourcils mais ne répliqua rien. Elle ne connaissait aucun dieu capable de créer aussi rapidement et aussi précisément. Quant à Myst Nail, il eut un sourire amusé.
« Shao Paï, fit-il, j'ai l'intention d'organiser un banquet en ton honneur ce soir. Je compte sur ta présence.
– Bien entendu, accepta-t'elle. Je ne manquerai ça pour rien au monde. »
Il acquiesça puis se tourna vers sa compagne.
« Hane Lath, nous devrions nous aussi lui laisser un peu d'intimité. »
Elle obéit, encore un peu sonnée par les événements.
Shao Paï les regarda s'éloigner dans le couloir suivis par leurs chevaliers. Son visage aimable disparut alors comme un masque qui tombait et elle entra dans ses nouveaux appartements. Elle n'avait pas besoin de les étudier car c'était elle qui les avait créés dans le moindre détail. Elle savait où se trouvaient les choses. Presque timidement, ses chevaliers la suivirent.
« Fermez la porte, » leur ordonna-t'elle.
Elle se tourna alors vers eux et les toisa.
« Qui êtes-vous ? demanda-t'elle d'une voix grave. D'où venez-vous ? »
Éland prit la parole :
« Maîtresse, nous sommes vos chevaliers. Je me nomme Éland. Voici Alinda, Ménestan et Vanien.
– Ce n'est pas ce que j'ai demandé. D'où venez-vous et qui vous a envoyés ici ?
– Nous n'en savons rien, maîtresse. Nous sommes apparus en ce monde et il y avait cette idée implantée en nous : trouver les dieux et nous mettre à leur service.
– Et pourquoi avoir choisi de me servir, moi ?
– Cela n'a pas été notre choix... mais cela ne veut pas dire que nous regrettons de vous servir ! » ajouta-t'il précipitamment.
Shao Paï le scruta longuement comme si elle voulait entrer au plus profond de son esprit afin d'en extirper la vérité. Il soutint son regard sans gêne apparente, seulement avec candeur. Finalement elle renifla de doute.
« Admettons, » fit-elle.
Elle leur tourna le dos et ils purent respirer à nouveau. Leur maîtresse ne semblait pas si commode que ça !
« Vous trouverez par là vos propres chambres, annonça-t'elle en désignant d'un air nonchalant une porte sur le côté. J'ignore si les chevaliers sont censés résider avec leurs dieux ou bien dans une aile à part...
– Nous restons auprès de nos maîtres, assura Éland. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pensé à nous.
– Hmph, c'est juste que si je dois me faire accepter par les autres dieux, je n'ai pas d'autre choix que d'agir comme eux. Et maintenant je compte me prélasser dans un bon bain brûlant. Vous comptez me suivre là aussi ? »
Éland conserva un visage neutre.
« Non, maîtresse, sauf si vous avez besoin de nous.
– Non, ça ira. »
Une fois qu'elle eut disparu dans la salle d'eau, les quatre chevaliers se regardèrent avec la même expression dépitée. Les mots étaient inutiles entre eux, ils se comprenaient très bien. Au bout d'un moment Éland soupira.
« Allons, la situation n'est pas aussi terrible, fit-il pour rassurer ses compagnons.
– Explique-moi un peu en quoi elle pourrait être pire ? lança Alinda d'un ton écœuré. Nous sommes certainement les chevaliers les plus mal traités ici !
– Tu oublies un peu que nos frères et sœurs ont connu la même chose au départ. Nous avons cent ans de retard sur eux alors on ne peut pas comparer nos situations.
– Elle est soupçonneuse envers nous, nota Ménestan, ses sourcils blancs froncés.
– Pas plus que les autres dieux au départ, insista Éland. C'est passé pour eux, cela passera pour elle aussi.
– Moi, je la trouve intéressante, intervint Vanien avec un grand sourire. Elle ne ressemble pas aux autres dieux et elle a l'air drôlement puissante. Elle me plaît bien !
– Au moins un qui est de mon avis, soupira Éland. Quoi qu'il arrive, rappelez-vous : elle est notre maîtresse et nous devons obéir au moindre de ses ordres. Il ne faut pas contrarier sa volonté. Ce n'est que de cette manière que nous lui prouverons que nous sommes dignes de sa confiance. »
Les autres chevaliers acquiescèrent mais ils se doutaient que la tâche ne serait pas aisée.
Lorsque Shao Paï eut fini la version expurgée du récit de l'apparition des dieux puis des chevaliers, le soleil était déjà bien haut dans le ciel. Elle avait donné le maximum de détails possibles dans l'espoir de raviver leurs souvenirs mais cela n'avait pas eu l'effet escompté. Les quatre chevaliers semblaient toujours aussi ignorants de leur identité qu'au départ. Shao Paï se rembrunit. Il ne restait plus que trois jours avant la fin du délai imparti et bien que la déesse de la destruction ait retrouvé ses chevaliers, ceux-ci seraient parfaitement inutiles dans la bataille à venir tant qu'ils ne se rappelleraient pas de leurs pouvoirs. Shao Paï grimaça. La partie serait serrée mais elle avait toujours une chance de l'emporter. Myst Nail et elle s'étaient déjà affrontés deux fois pour cette affaire : la première fois ce fut elle qui l'avait tué. La seconde fois ce fut lui le vainqueur. Ils étaient par conséquent ex æquo, voilà pourquoi le combat à venir allait être décisif. Si Myst Nail finissait par gagner... non, elle ne pouvait pas y songer. Elle devait gagner pour Hane Lath et pour elle-même !
Notes de Karura : Voici qui clôt le premier long flashback. Cela dit, vous en avez appris des choses. Shao Paï a commencé à martyriser ses chevaliers dès le premier jour !
Prochain chapitre : les chevaliers amnésiques (re)découvrent Olympias et doivent commencer leur entraînement.
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