Ancient Gods Sanctuary 13

Chapitre Treize : Familiarités


Le soleil n'allait pas tarder à se coucher quand Éland revint à Olympias. Murio le fit apparaître à quelques pas des limites de la demeure de Shao Paï afin d'éviter de se faire voir par la déesse.

« Quand un dieu n'est pas de bonne humeur, inutile de le chercher davantage, précisa le chevalier. D'ailleurs, passe le mot à tes camarades : surtout ne provoquez votre maître. En ce moment, la situation est explosive.

– Mouais, marmonna Éland, surtout avec une maîtresse comme la nôtre. »

Murio se raidit.

« Arrête un peu de te plaindre. Tu veux savoir pourquoi je suis venu ?

– C'était pour voir si tu pouvais nous aider à retrouver la mémoire, non ? »


La bouche de Murio se tordit en un fin sourire.

« En partie. Je t'ai dit que Silène devait être punie pour avoir osé lever la main sur un dieu. D'ordinaire, ce sont les chevaliers qui gèrent les problèmes de discipline interne mais là... comme elle s'en est prise à maître Shao Paï, c'est notre maître qui se charge de la punir en ce moment même. J'avais besoin de sortir pour ne plus entendre ses hurlements de douleur... »

Éland se figea, hésitant à comprendre. Murio poursuivit, le regard concentré sur un point dans le vide :

« Si cela avait été un autre dieu que maître Shao Paï, le châtiment n'aurait pas été aussi terrible... »

Le chevalier se reprit soudain et détourna les yeux.

« Dépêche-toi de rentrer, fit-il. J'espère que lorsque nous nous reverrons, dans deux jours, tu seras redevenu un opposant digne de ce nom. Ne compte pas sur moi pour te faire de cadeaux !

– Murio... »

Mais le chevalier avait déjà disparu.


Éland rejoignit les jardins de la demeure de sa maîtresse, la tête remplie de toutes ces révélations. Il trouva ses compagnons encore à l'extérieur, assis autour de la fontaine. Ils avaient l'air d'avoir passé un bon bout de temps à cet endroit alors qu'ils étaient supposés s'entraîner. Indigné, Éland s'approcha d'eux. Ils ne parurent même pas penauds en le voyant.

« Ah ça y est, tu es revenu, » l'accueillit Ménestan.

Le chevalier aux cheveux noirs s'arrêta près d'eux, l'air sévère et les bras croisés.

« Je vois qu'on s'entraîne dur, » insinua-t'il.

Ses compagnons se contentèrent de soupirer.


« On a essayé, protesta Alinda. Ensemble, séparément, puis ensemble de nouveau... Rien à faire. Pas l'ombre d'une étincelle.

- Alors on s'est arrêté pour manger, reconnut Vanien, vu que notre entraînement ne donnait aucun résultat. Et là, ben on est fatigués. »

Éland secoua la tête, désespéré.

« Au fait, qu'est-ce que tu as fait de beau avec ce type ? s'enquit Alinda.

- Il... m'a raconté beaucoup de choses sur les chevaliers. Ce que nous sommes censés faire, la fidélité envers notre maître... Ç'a été assez instructif mais toujours aucun souvenir.

- Bon, alors c'est bien ce que je disais, fit Vanien. Nous ne sommes pas ses chevaliers. Elle s'est complètement trompée et maintenant elle est trop fière pour reconnaître son erreur. C'est tout. »

Éland allait protester quand une vague d'obscurité s'abattit soudain sur eux. Subitement séparés les uns des autres, ils paniquèrent rapidement.


De son côté, Éland invoqua une boule de feu afin de percer les ténèbres. Mais ces dernières engloutirent sa lumière en un rien de temps. Il serra les poings et recommença de plus belle.


Alinda était en train de se noyer. Entourée d'eau, cela fait déjà un moment qu'elle retenait son souffle mais les bulles d'air s'échappaient peu à peu de ses narines et de sa bouche. En désespoir de cause, elle plaqua ses deux mains contre sa bouche afin de retenir son dernier souffle. En vain...


Une véritable tempête se déchaînait autour de Ménestan. Ballotté dans tous les sens, se heurtant à des rochers acérés, il sentait les os de son corps se briser un à un tandis que sa peau se couvrait de coupures sanguinolentes. Il ne parvenait pas à reprendre pied ne serait-ce qu'un instant.


Le sol se fissurait aux pieds de Vanien et la terre tremblait avec un grondement sourd. Il évita quelques crevasses qui fleurissaient sous lui avant de se prendre le pied dans une fissure et de trébucher. Aussitôt la terre chercha à l'avaler et il se débattit tant bien que mal pour ne pas se laisser enterrer, repoussant les mottes de terre à mains nues.


Les quatre chevaliers se démenèrent pendant ce qui leur parut être une éternité, puis...


Ils furent tout à coup de retour dans les jardins de leur maîtresse, le souffle court et les yeux écarquillés.

« Que... ? » fit Éland en se frottant les yeux à cause de la vive clarté.

Alinda inspira l'air avec reconnaissance, toussant et crachant un peu. Vanien et Ménestan tâtèrent aussitôt leurs membres, vérifiant qu'ils n'étaient pas blessés. Rien. Tout cela ne semblait avoir été qu'une illusion.

« Ce n'est guère brillant, » fit la voix de leur maîtresse.

Elle se dirigeait vers eux d'un pas tranquille. Éland guetta le moindre signe de fureur en elle mais n'en trouva aucun : elle paraissait s'être résignée à leur condition. Vêtue d'une longue tunique verte fendue sur les côtés, ses longs cheveux blonds retenus en une queue-de-cheval haute, elle les toisa du regard.


« Après tout un après-midi, vous n'arrivez toujours à rien, constata-t'elle. Vous avez pourtant compris comment créer des salles ou des objets par mon biais...

- Ah, elle l'a donc bien senti, songea Éland avec un sourire crispé.

- ... mais vous ne savez toujours pas comment utiliser vos pouvoirs. C'est désespérant. »

Alinda se redressa soudain, furieuse.

« Vous avez manqué de nous tuer ! répliqua-t'elle. Vous croyez vraiment que c'est comme ça que nos souvenirs vont revenir ?! »

Se rappelant de l'histoire que Murio venait de lui conter, Éland s'interposa entre les deux femmes avant que cela ne dégénère. Il était déjà un peu trop tard, hélas.


« Petite, si j'avais vraiment voulu vous tuer, vous seriez morts avant même de vous en rendre compte. Je vous ai simplement montré ce que vous êtes censés savoir faire avec vos pouvoirs. J'ai pensé que cela pourrait vous rafraîchir la mémoire. »

Dûment impressionnés, Ménestan et Vanien semblaient toutefois incrédules. Contrairement à Éland, ils n'avaient pas encore eu l'occasion de voir le pouvoir des chevaliers à l'œuvre.

« Mais c'est un pouvoir terrifiant ! s'écria Ménestan. Tous les chevaliers sont capables de ça ?

- Le degré de puissance d'un chevalier est variable, expliqua Shao Paï. Vous... vous êtes mes chevaliers alors bien évidemment, vous n'êtes pas des minables. »

Le compliment — car ils choisirent de le prendre ainsi — leur alla droit au cœur. Seule Alinda resta boudeuse.


Shao Paï tapa soudain dans ses mains, comme pour rappeler des enfants à l'ordre.

« Allez, fit-elle, vous avez trente minutes pour manger. Après quoi nous allons reprendre votre entraînement. Cette fois je vais vous superviser et vous motiver si nécessaire. »

Les chevaliers déglutirent dans un bel ensemble, à l'exception d'Éland qui était soulagé de savoir déjà utiliser son pouvoir du feu. Mais sa joie fut de courte durée car la déesse lui envoya un regard acéré :

« Pour toi Éland, ce sera renforcement des pouvoirs. Tu n'espères quand même pas vaincre les chevaliers de Myst Nail avec ta force de débutant ?! »

Il se rembrunit.


« Mais... il va bientôt faire nuit, protesta Alinda. Quand va-t'on dormir ? »

Shao Paï lui jeta un regard dégoûté.

« Dormir est un besoin de mortel. Si vous vous sentez fatigués, vous n'avez qu'à demander de l'énergie, c'est tout. Le sommeil est un luxe qu'on ne peut pas se permettre en ce moment.

- Ah bon ? parce que vous ne venez pas de passer toute l'après-midi à dormir, vous ? répliqua la jeune femme d'un ton cassant.

- C'est pas vrai ! » se dit Éland, catastrophé.

Apparemment, la mauvaise langue d'Alinda n'avait pas changé avec les millénaires ! L'histoire de Murio semblait se répéter, hélas.

« Alinda ! » la tança-t'il sèchement.


Mais Shao Paï avait déjà rétréci les yeux en fixant la jeune chevalière aux cheveux mauves.

« Quand on ne sait pas ce qu'on raconte, on ferait mieux de se taire, siffla-t'elle dangereusement. Ce n'est certainement pas moi qui ai passé des heures à me prélasser autour de la fontaine... »

Les trois chevaliers fautifs baissèrent la tête.

« ... ou à bavarder autour d'une bière dans une taverne avec Murio, » poursuivit-elle en se tournant vers Éland.

Ce dernier en resta bouche bée. Alors elle savait ?! Shao Paï croisa les bras en redressant le menton.

« Un dieu sait en permanence où se trouvent ses chevaliers et ce qu'ils font. N'imaginez pas être en mesure de me cacher quoi que ce soit. »


Un silence terrifié suivit ses paroles. Shao Paï regarda chacun d'entre eux dans les yeux jusqu'à ce qu'ils baissent la tête. Alinda fut la dernière mais elle céda tout de même. Satisfaite, la déesse de la destruction répéta ses instructions :

« Allez manger et je vous revois dans vingt-cinq minutes. Ne vous avisez pas d'arriver en retard. »

Les chevaliers hochèrent la tête et se dirigèrent vers la demeure en silence. Shao Paï les regarda partir avant de lâcher un soupir de lassitude.

« Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire d'eux ?! »


~*~


Héra, reine des déesses grecques, finissait d'écouter le rapport de ses chevalières, les Furies. Les trois femmes avaient repris leur apparence humaine — elles ne se transformaient que pour un combat. Mégère s'était chargée de relater leur éveil précipité ainsi que le combat entre les chevaliers de Shao Paï et de Myst Nail. La déesse aux cheveux noirs écoutait en silence, ses yeux multicolores baissés en signe de réflexion. Quand l'aînée des sœurs eut fini, leur maîtresse resta un long moment sans rien dire.


Finalement, elle leva les yeux vers elles.

« Vous m'avez fidèlement servie, les félicita-t'elle, et les informations que vous m'apportez me sont très précieuses. »

Les chevalières se rengorgèrent. La puissante Héra ne complimentait jamais sans raison.

« Ainsi d'après vous, l'éveil du chevalier Éland n'est pas complet ? »

Mégère hocha la tête.

« Il était déjà étrange qu'il n'accélère pas sa croissance, nota-t'elle, alors même que sa maîtresse était en conflit avec maître Myst Nail. Il n'a eu aucun contact avec les trois autres chevaliers de maîtresse Shao Paï et ne l'a même pas reconnue tout de suite quand elle s'est présentée à notre porte.

- Comme c'est étrange, murmura la déesse du mariage. Je n'arrive décidément pas à comprendre ce que Shao Paï a dans la tête. De plus elle s'est de nouveau réincarnée en femme ? Elle veut délibérément provoquer Myst Nail, ma parole ! Elle sait pourtant mieux que quiconque à quel point il est dangereux de déclencher la fureur du dieu du mal... »

Héra se replongea dans ses pensées.


Au bout d'un moment, Mégère s'éclaircit la gorge.

« Il... il y a autre chose, maîtresse. Avant de partir, maîtresse Shao Paï nous a demandé de transmettre un message à maître Zeus. »

Les yeux perçants de l'épouse du roi des dieux grecs se posèrent de nouveau sur la jeune femme.

« Elle a dit... que maître Zeus ne devait plus se mêler de ses affaires sinon elle le lui ferait payer très cher. »

Héra lâcha un rire bref.

« Ces deux-là n'arrêtent pas de se mêler des affaires de l'autre depuis le début, commenta-t'elle. Je ne vois pas pourquoi ils arrêteraient. De toute façon mon époux n'est pas encore réincarné... ou alors il traîne parmi les mortels en ignorant ses devoirs de souverain, comme à son habitude ! »


Zeus avait une réputation de coureur de jupons et de séducteur de mortelles. Pourtant rien n'était plus faux. Toutes les histoires que se racontaient les mortels avaient été inspirées par Héra. La déesse avait trouvé là un moyen efficace et jouissif de faire payer à son époux tout ce qu'elle pouvait bien lui reprocher : le manque d'attention et d'affection, les absences longues et répétées, les décisions qu'on n'avait pas le droit de contester, les secrets qu'il niait ardemment... La liste était bien longue. Le fait que le dieu du ciel soit parfaitement au courant des agissements de son épouse et qu'il la laisse faire sans chercher à se défendre n'aidait pas. Elle aurait préféré qu'il lui fasse une scène en public plutôt que de tolérer sa vengeance. Du coup, elle apparaissait comme mesquine et cela la rendait d'autant plus furieuse.


En desserrant les poings, la déesse reprit pour ses chevalières :

« Dès demain, vous reprendrez contact avec Éland. S'il n'a pas encore retrouvé ses souvenirs, n'hésitez pas à user de votre position de "sœurs" pour obtenir toutes les informations sur Shao Paï, que ce soit à propos de son combat contre Myst Nail ou de l'absence des autres dieux antiques, en particulier Hane Lath. La moindre information peut s'avérer capitale. Vous me transmettrez tout ce que vous aurez appris.

- Oui, maîtresse ! » répondirent les Furies en s'inclinant.


Quand elles eurent quitté la grande salle, les trois femmes échangèrent des regards gênés.

« Vous pensez qu'Éland se souvient maintenant de sa véritable identité ? » demanda Alecto.

Tisiphone secoua la tête.

« C'est la première fois que je vois une telle amnésie chez un chevalier. C'était amusant au début car il était très différent de l'Éland que nous connaissions, mais maintenant c'est plutôt inquiétant. »

Mégère soupira lourdement.

« Maîtresse Shao Paï attire décidément les ennuis. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est si cette amnésie est contagieuse... »


Les trois chevalières furent parcourues d'un frisson d'effroi. Si les chevaliers venaient à oublier qui ils étaient ainsi que leur mission... ce serait vraiment terrible.

« Inutile de s'affoler pour le moment, reprit Tisiphone pour la rassurer. Après tout, Éland a quand même pu faire appel à ses pouvoirs en se battant contre Silène. Si ça se trouve, il a recouvré ses souvenirs et nous nous inquiétons pour rien. Il ne faut pas perdre espoir. Dans tous les cas, nous en saurons plus demain. »

Mais leur cœur était bien lourd.


Restée seule dans la grande salle de sa demeure, Héra scrutait les ombres qui l'entouraient de ses yeux multicolores. Le message de Shao Paï avait fait remonter de mauvais souvenirs en elle.

« Depuis le début, depuis le tout début, murmura-t'elle, il n'y en a jamais eu que pour Shao Paï... »

Elle avait dépassé le stade de la jalousie et de la colère depuis un moment déjà mais cela ne voulait pas dire qu'elle avait pardonné à Zeus son intérêt plus que curieux pour cette déesse antique. Elle avait essayé d'en savoir plus, de questionner son époux, mais il éludait ses questions ou bien faisait mine de ne pas comprendre. C'était frustrant. La reine des déesses grecques battit des cils tandis que les souvenirs de leur première rencontre surgissaient devant ses yeux.


C'était également le jour où les dieux grecs étaient apparus en ce monde.


~*~


Derrière ses yeux clos, Héra pouvait sentir une forte lumière ainsi qu'une brise tiède qui caressait sa peau. Quelque chose lui chatouillait le cou et les bras... de l'herbe ? Elle était allongée dans une clairière et seuls les sons de la nature lui parvenaient. Comment était-elle arrivée là ? Où se trouvait-elle auparavant ? Tout cela n'avait que peu d'importance ; elle désirait seulement rester ainsi, en paix.

« C'est vraiment incroyable ! fit une voix mâle juste à côté d'elle, la faisant sursauter. Il faut que tu voies ça, Héra ! »

Sans pouvoir se l'expliquer, elle sut que c'était son nom.


À regret, elle ouvrit les yeux et la première chose qu'elle vit fut le visage de profil d'un homme se découpant contre le ciel bleu. Les cheveux bruns flottaient librement au vent, mi-longs, son nez bien arqué et ses pommettes hautes, un sourire émerveillé aux lèvres tandis qu'il contemplait ce qui les entourait... Héra sentit quelque chose se serrer en elle, une reconnaissance indéniable de l'autre personne.

« N'est-ce pas merveilleux ? » demanda l'homme en se tournant vers elle.

Ses yeux gris étincelaient de joie et elle se sentit fascinée par lui. Quand une main se posa familièrement sur sa joue, elle ne broncha pas.

« C'est notre monde désormais, reprit plus doucement l'homme. Nous pouvons le façonner comme bon nous semble. »

Sa voix se réduisit à un murmure, de même que s'était réduite la distance entre leurs visages. Quand leurs lèvres s'effleurèrent, Héra ferma les yeux et se laissa entraîner sans réfléchir.


L'extase vint trop rapidement à son goût et elle aurait aimé rester allongée dans ses bras plus longtemps. Mais déjà il se relevait, faisant apparaître de nouveaux vêtements. Son esprit semblait être passé à autre chose.

« Bien, fit-il, les autres sont arrivés.

- Les autres ? » songea-t'elle.

Effarée, elle se redressa et constata que d'autres personnes étaient apparues dans la clairière. Elle cacha sa nudité avec ce qu'il restait de sa robe, seulement pour se rendre compte qu'une nouvelle était apparue sur elle.

« Oh, comme c'est pratique, se dit-elle avant de froncer les sourcils. Cette couleur mauve est horrible ! »

En un instant, le tissu pâlit pour passer à un blanc pur. Héra eut un sourire satisfait : c'était beaucoup mieux ainsi !


Elle se leva, repoussant son ancienne robe sur le côté, et se concentra sur les nouveaux venus. Ils lui semblaient tous familiers, bien que ce ne soit qu'une vague sensation dans un recoin de son esprit. Ils étaient environ une quarantaine, tous arborant un air désorienté qui rassura Héra : personne ne semblait avoir remarqué les ébats qui venaient de se produire. Ce n'était pas qu'elle regrettait son union, c'était juste qu'il n'était pas correct de se comporter ainsi en public. Mais apparemment son honneur était sauf et elle pouvait garder la tête haute.


« Mes enfants, écoutez-moi ! » fit soudain l'homme aux yeux gris.

Comme par enchantement, tous les regards se tournèrent vers lui. Il souriait à pleines dents, euphorique.

« J'imagine que vous devez tous vous sentir un peu désorienté, poursuivit-il avec chaleur. Je ne vais pas avoir le temps de tout vous expliquer tout de suite alors je vais faire court : je m'appelle Zeus et voici mon épouse, Héra. »

Il tendit la main vers elle. Rougissante, elle le rejoignit.

« Comme vous avez pu en être témoins, nous sommes très amoureux ! »


Un rire parcourut l'assemblée tandis que le visage de la jeune femme se vidait de toute couleur. Ainsi ils avaient vu ! Humiliée, elle ravala sa bile et serra un poing derrière les plis blancs de sa robe immaculée. Zeus se pencha vers elle pour déposer un baiser sur sa tempe.

« Allons, mon cœur, il ne faut pas de te sentir gênée, lui murmura-t'il. Après tout, nous faisons tous partie de la même famille ! »

Cela ne suffit pas à la dérider. Zeus soupira discrètement avant de reprendre pour les autres :

« Vous n'allez pas tarder à vous souvenir de vos noms et fonctions. Certains d'entre vous sont des dieux — ils se reconnaîtront — les autres sont des chevaliers. Pour le moment — car j'ai un rendez-vous très pressant — restez ici et discutez entre vous. Refaites connaissance en attendant. Héra et moi reviendrons très vite ! »


Surprise d'être impliquée, elle leva la tête vers lui.

« Où allons-nous ? » demanda-t'elle dans un souffle.

Il lui sourit.

« Il y a quelqu'un que je rêve de rencontrer depuis très longtemps. »

Puis il releva la tête et héla cinq personnes non loin d'eux, trois femmes et deux hommes.

« Vous, vous êtes nos chevaliers alors suivez-nous ! »

Les interpelés ne protestèrent pas. Les deux êtres divins disparurent de la clairière, suivis par leurs chevaliers.


~*~


« Comme ce monde est étrange, murmura Héra en regardant autour d'elle.

- Sur quoi te bases-tu pour dire cela ? s'enquit Zeus. Ce n'est pas comme si nous avions connu un autre monde avant celui-ci, pas vrai ? »

Elle acquiesça distraitement. Il avait raison, pourtant ce sentiment d'étrangeté ne la quittait pas. Ils se trouvaient dans la ramure d'un arbre. Sur les conseils de son époux, Héra avait changé de tenue pour adopter une tunique courte, des bottes de cuir souples et un pantalon fin. Leurs... chevaliers attendaient plus loin, postés dans un autre arbre.

« Qu'est-ce que nous attendons au juste ? » demanda Héra avec un soupçon d'impatience.

Zeus ne lui avait rien dit de plus durant le trajet, se contentant de commenter la nature qui les entourait ou bien les animaux qu'ils pouvaient apercevoir.

« Chut, » lui fit-il, il ne va plus tarder.

Ils surveillaient un sentier mais personne n'était encore passé. Héra commençait à s'ennuyer ferme.


Soudain des bruits de conversation leur parvinrent. Inaudibles au départ, ils prirent de l'ampleur alors que les personnes se rapprochaient jusqu'à devenir bientôt visibles. Il s'agissait de deux femmes suivies par deux hommes qui portaient de lourds parchemins sans se plaindre. Héra fronça les sourcils et se pencha en avant.

« ... croire que tu m'aies accompagnée, » fit l'une des femmes.

Elle était la plus petite des deux et avait la peau mate ainsi que de longs cheveux noirs bouclés. Sa compagne était plus claire de peau, les yeux verts et les cheveux noirs.

« Tu as vu sa tête quand tu t'es proposée ? » reprit la première femme.


Sa compagne eut un sourire satisfait.

« Si je ne le surprenais pas de temps en temps, notre vie serait bien morose, renchérit-elle.

- En tout cas, je te remercie de t'être dévouée. Je ne savais plus quoi faire avec Myst Nail. Comme il peut être borné des fois ! C'est vraiment insupportable. Bref, je ne dis pas que cela change quoi que ce soit entre nous mais... merci quand même. Et merci aussi de me laisser prendre l'air au lieu de rentrer directement à Babelhu. J'en avais bien besoin.

- Eh bien, espérons seulement que tes vieux manuscrits en valent la peine. Ce n'est pas trop lourd, Rhyll ?

- Non maîtresse, fit l'un des hommes derrière elle, un grand gaillard aux cheveux roux. Merci de vous en soucier.

- Laisse, Hane Lath, intervint la première femme, c'est un chevalier, alors il peut bien se rendre utile. »


La dénommée Hane Lath s'arrêta et plissa les yeux.

« Je te signale que tout le monde ne traite pas ses chevaliers comme tu le fais ! Quand je pense que tu as ordonné à ce pauvre garçon de se tuer juste pour une expérience... C'est bien pour cela que nous ne pourrons jamais nous entendre, Shao Paï : nous sommes bien trop différentes ! »

Les deux femmes se firent face, leurs yeux lançant des éclairs. Prudemment, les deux chevaliers étaient restés en retrait, n'osant même plus respirer. Shao Paï fut la première à rompre le silence. Avec un sourire mauvais, elle lança à sa compagne :

« Ne t'imagine pas non plus que je me plais en ta compagnie. Et puisque ma présence t'est aussi désagréable, rien ne t'empêche de convaincre Myst Nail de me libérer. J'ai fini par abandonner tout espoir de vous faire quitter Babelhu mais je ne tiens pas pour autant à y passer le reste de mes jours ! »


Hane Lath se figea. Elle aurait bien aimé être en mesure de convaincre son mari de laisser partir cette fauteuse de troubles mais ce dernier paraissait bien déterminé à ce qu'elle reste avec eux à tout prix.

« Maintenant qu'il a rassemblé tout son troupeau, songea-t'elle, il ne veut plus voir une seule brebis s'égarer. »

Elle ne voyait que cette seule raison pour justifier autant d'acharnement.


À côté d'Héra, Zeus s'agita soudain.

« C'est bien lui, murmura-t'il.

- Qui ça ? demanda-t'elle, son regard se portant sur les deux hommes plus bas.

- Tu t'occupes de distraire celle qui s'appelle Hane Lath, ordonna son époux. Nos chevaliers vont s'occuper des deux autres chevaliers. Je compte sur vous tous !

- Mais... »

La protestation d'Héra se perdit dans les airs. Zeus bondit de la branche où il se trouvait et elle le suivit sans réfléchir.


Ils atterrirent juste devant les deux femmes tandis que leurs chevaliers se réceptionnèrent derrière les deux hommes, encerclant efficacement leurs cibles.

« Qui êtes-vous ? s'écria la dénommée Hane Lath. Comment osez-vous barrer notre route, misérables mortels ?!

- Hane Lath, voulut la prévenir la femme à côté d'elle.

- Je ne permettrai pas à de stupides voleurs de s'en prendre à nous. Ils vont payer leur audace de leur vie !

- Ce ne sont pas des mortels, » poursuivit Shao Paï, son regard sombre passant de Zeus à Héra.


Mais l'autre déesse ne l'écouta pas et lança une sphère d'énergie sur les deux inconnus devant elle. Héra cligna des yeux, un instant effrayée, puis un instinct venu du plus profond de son être prit le dessus et elle leva la main droite. La sphère s'écrasa soudain sur un mur invisible. Hane Lath partagea son air choqué.

« Comment a-t'elle pu ? »

Shao Paï se renfrogna.

« J'ai bien peur qu'il ne soit trop tard, fit-elle d'un air grave. Les nouveaux dieux sont déjà là. »

Incrédule, Hane Lath se tourna vers les deux nouveaux venus.

« Ce seraient eux, les nouveaux dieux ? » murmura-t'elle avec effroi.


Profitant de ce moment d'inattention, Zeus donna un légère tape dans le dos de sa compagne.

« Maintenant ! » fit-il également à l'intention de leurs chevaliers.

Ces derniers passèrent aussitôt à l'action, entraînant les deux hommes dans un combat. Rhyll et Ménestan lâchèrent les parchemins qu'ils tenaient pour se défendre mais les attaques répétées de leurs opposants les éloignèrent rapidement de leurs maîtresses. Héra s'attaqua à son tour à Hane Lath, parvenant à la séparer de Shao Paï. Cette dernière ne fut pas dupe du manège et fixa Zeus avec méfiance, tout en gardant un œil sur les deux déesses.

« Qui es-tu ? » lui demanda-t'elle d'un ton hostile.


Ce dernier parut déçu.

« Tu ne me connais pas ? Peu importe, sache que c'est pour moi un honneur et une immense joie de te rencontrer, Shao Paï. »

Elle se tendit alors qu'il prononçait son nom et le fixa plus attentivement.

« Tu es un nouveau dieu, déclara-t'elle. Tu es venu pour nous détruire ?

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'étonna-t'il.

- Toutes les prophéties l'affirment. »


Zeus agita la main d'un air négligeant.

« Il ne faut pas croire tout ce que disent les prophéties, tu sais. Nous sommes des dieux et c'est nous qui forgeons notre propre destin ! Au fait, je me nomme Zeus, et la femme là-bas qui se bat comme une tigresse est Héra, mon épouse.

- Il n'y a que vous deux ?

- Il y a aussi nos chevaliers pour commencer, mais j'ai cru comprendre que tu t'en souciais peu. »

Il en soupira de déception.

« À part eux, nous sommes toute une grande famille, révéla-t'il. Nous venons à peine d'arriver alors j'ai préféré laisser les autres prendre leurs marques dans un endroit tranquille. Si tu veux, je serai ravi de te les présenter ! »


Shao Paï observa son sourire comme s'il venait de lui présenter du poison. Il la dévisagea à son tour avec une fascination non dissimulée.

« C'est curieux, fit-il comme pour lui-même. Tu as su reconnaître que nous étions des dieux mais tu ne nous reconnais pas. C'est dommage mais je vais faire avec ! »

La déesse aux cheveux noirs ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais si figea soudain.

« Il arrive, » murmura-t-elle en pâlissant.

Au même moment, Hane Lath lui cria au loin :

« Shao Paï, j'ai contacté Myst Nail ! Il va venir !

- Myst Nail ? répéta Zeus en souriant de plus belle et en s'avançant. Je serai ravi de le rencontrer lui aussi ! »


Shao Paï lui agrippa le bras alors qu'il se trouvait à sa hauteur.

« Non, » lui souffla-t'elle.

Le sourire du dieu s'effaça en constatant son inquiétude non feinte.

« S'il vous voit maintenant, poursuivit-elle, cela va devenir une catastrophe. »

Zeus la fixa avec gravité puis lui sourit doucement.

« Et tu t'inquiètes pour nous parce que... ? »

Elle prit un air contrarié et lâcha son bras.

« Ne va pas t'imaginer des choses, Zeus. Écoute plutôt mon conseil et pars tant qu'il en est encore temps. »

Il l'attira soudain vers lui et lui souffla à l'oreille :

« Alors trouvons un autre moment pour discuter, rien que toi et moi. Cette nuit à cet endroit-là. »


Une image surgit soudain dans l'esprit de Shao Paï qui recula, effarée.

« Que... ? »

Zeus lui sourit.

« Notre lieu de rendez-vous. Tu n'auras qu'à évoquer cette image pour t'y rendre. »

L'atmosphère s'assombrit soudain et l'air se fit lourd.

« Je t'attendrai, » conclut Zeus en pressant ses mains une dernière fois avant de la lâcher.

Il appela ses compagnons et tous disparurent aussitôt.


À ce moment Myst Nail se matérialisa, suivi par ses chevaliers ainsi que les deux autres chevaliers de Shao Paï. Ses yeux dardaient des éclairs rubescents. Hane Lath se précipita aussitôt vers lui, échevelée et arborant quelques blessures mineures.

« Oh, c'est horrible ! s'écria-t'elle. Ils étaient là, ces nouveaux dieux ! »

Myst Nail ne lui prêta que peu d'attention, ignorant sa demande implicite de réconfort pour s'avancer vers la seconde déesse.

« Que voulaient-ils ? » demanda-t'il sans ambages.

La femme ne répondit pas directement, perdue dans ses réflexions.

« Shao Paï ! l'appela-t'il en la secouant rudement par les épaules.

- Je ne sais pas, fut la réponse.

- Elle ment ! intervint Hane Lath derrière eux. Pendant que je défendais chèrement ma vie, figure-toi qu'elle bavardait tranquillement avec ce nouveau dieu. Et ils avaient l'air de très bien s'entendre ! »


Shao Paï retint un juron tandis que la prise de Myst Nail sur ses épaules se durcit.

« Est-ce vrai ? » lui demanda-t'il.

Intérieurement Hane Lath s'offusqua du fait que son époux mette sa parole en doute mais cela ne l'empêcha pas de jubiler en voyant sa colère contre Shao Paï. C'était un peu mesquin mais elle s'en moquait complètement !

« J'ai préféré essayer de lui soutirer des informations plutôt que de me battre inutilement, » répliqua Shao Paï qui avait retrouvé tous ses esprits.

Se sentant visée par cette remarquer, Hane Lath se défendit aussitôt :

« Cette folle m'a sautée dessus immédiatement ! »

Shao Paï lui lança un regard noir.

« C'était après que tu aies tenté de la tuer, précisa-t'elle.

- Que... ? »


Indignée, la déesse fit un pas vers Shao Paï mais Myst Nail s'interposa entre les deux femmes.

« Il suffit ! ordonna-t'il. Nous avons des choses bien plus importantes à discuter ! »

Hane Lath baissa la tête, contrite. Elle ne devait pas laisser sa rancœur contre Shao Paï ternir son image auprès de son époux. Si elle voulait qu'il la considère comme fiable et utile, alors elle devait faire ses preuves pour se montrer digne du titre de reine des déesses.

« Rassemblez vos chevaliers, reprit Myst Nail. Nous rentrons à Babelhu. »


Hane Lath chercha Rhyll du regard et grimaça en découvrant qu'il avait été un peu blessé. Elle le rejoignit et lui prit la main.

« Tu t'es battu bravement, » le félicita-t'elle en invoquant son pouvoir afin de guérir ses plaies.

Le chevalier roux rayonna de plaisir. Ménestan quant à lui se rapprocha de sa maîtresse en s'inclinant avec honte :

« Maîtresse, pardonnez-moi mais les manuscrits ont été endommagés pendant le combat. J'ai bien peur qu'une grande partie d'entre eux ne soit illisible à présent. »

Il ferma les yeux, prêt à recevoir son châtiment. Quand rien ne vint, il leva la tête, surpris.

« Aucune importance, fit la déesse d'un ton las. Maintenant que les nouveaux dieux sont là, il est trop tard. »

Ne sachant pas s'il devait se montrer reconnaissant de la clémence de sa maîtresse ou inquiet de son état d'abattement, le chevalier s'inclina plus bas.



Note de Karura : Encore un flash-back, je sais. Mais il faut connaître le passé pour bien comprendre le présent !






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