Ancien Gods Sanctuary 38

Chapitre Trente-Huit: Après


Myst Nail contemplait la femme endormie dans ses bras. Shao Paï ne dormait pas vraiment en réalité : elle avait fermé les yeux, la tête posée sur la poitrine de son amant. Myst Nail appréciait ce moment. Il avait aussi grandement apprécié les moments qui avaient précédé. Le fait qu'il soit en charge avant tout changé. Jamais il n'aurait pu imaginer que cela aurait un tel impact. Il se rendait compte à présent qu'il y avait une énorme différence entre donner et recevoir ; il avait toujours su que c'était différent mais il ne pensait pas que ce serait à ce point !


Être l'homme, le dominant, était un acte qui n'impliquait que peu d'émotion. Il s'agissait de donner du plaisir à son partenaire en d'en retirer de la satisfaction. Par contre recevoir, être dominé, demandait une acceptation totale de son partenaire, une soumission sans condition, et c'était donc émotionnellement plus significatif. Myst Nail avait toujours été de ce côté alors il avait cru naïvement que Shao Paï ressentait plus ou moins la même chose de son propre côté. Il se rendait compte à présent de son erreur. Plus encore, il réalisait ce que Shao Paï venait de lui offrir en acceptant qu'il soit en charge.


Quand il avait appris qu'elle s'était à nouveau réincarnée en femme dans cette vie, il avait cru tout d'abord que c'était un message destiné à le repousser. À présent il comprenait que c'était tout le contraire. D'une façon ou d'une autre, Shao Paï avait anticipé sa défaite et s'était mise dans une position où elle ne pourrait que se donner à lui. C'était quelque part une façon de lui prouver son amour, bien plus qu'avec des mots, et Myst Nail sentit la joie l'envahir à cette idée. Ce n'était pas une émotion à laquelle il était habitué, aussi la testa-t'il avec circonspection, ne sachant pas trop quoi en faire.


Shao Paï remua et ouvrit les yeux. Myst Nail ne la quitta pas du regard, inquiet malgré tout qu'elle revienne sur sa décision, plaide l'amnésie ou l'ivresse, ou toute autre excuse de son crû. À son grand soulagement, elle se contenta de lui rendre calmement son regard, pleinement consciente de ce qui s'était produit et acceptant les faits.

« Nous avons beaucoup de choses à faire et à discuter, » fit-elle seulement.

Myst Nail acquiesça mais ne put retenir plus longtemps la question qui lui brûlait les lèvres depuis vingt mille ans et à laquelle Shao Paï s'était toujours dérobée :

« Est-ce que tu te souviens de tout ? »

Les yeux mauves s'assombrirent. Elle s'était attendue à cette question mais pas si tôt.


Elle soupira légèrement : ce n'était plus le moment d'éluder.

« Je me souviens d'Éden, reconnut-elle enfin. Et vu que tu poses la question, toi aussi. »

Il hocha la tête mais parut attendre une suite. Comme elle ne dit rien de plus, il prit un air légèrement déçu.

« Quoi ? demanda-t'elle en notant son changement d'expression.

– Non, rien. »

Il ne voulait pas la presser. Elle n'insista pas et changea de sujet :

« Bon, il va falloir maintenant s'occuper des nôtres à Babelhu. Zeus va nous assister. Tu te sens capable de supporter sa présence sans en venir aux mains ? »

Le dieu du mal prit un air détaché.

« Et quelle raison aurais-je de me battre avec lui ? demanda-t'il. Je n'ai plus aucune querelle avec lui désormais. »

Shao Paï eut un petit rire mais ne commenta pas.


Myst Nail se redressa, se séparant d'elle à regret.

« Avant Babelhu, déclara-t'il, je vais libérer Hane Lath. »

Il eut la satisfaction de voir Shao Paï en rester bouche bée.

« Tu… tu veux vraiment ? » demanda-t'elle sans trop oser y croire.

Il haussa les épaules.

« Je n'ai plus aucune querelle avec elle non plus. Et je suis sûr qu'elle a retenu la leçon et qu'elle ne tentera plus jamais de s'en prendre à toi. »

Sans un mot, Shao Paï se jeta dans ses bras et le serra contre elle.

« Merci, murmura-t'elle.

– Mmph, je ne comprends toujours pas pourquoi tu lui cèdes tous ses caprices. »

Shao Paï recula un peu et lui lança un regard de désapprobation.

« Tu te souviens alors tu sais pourquoi ! Elle a perdu Gilé Dan par notre faute, alors c'est le moins que je puisse faire pour elle. »

Myst Nail n'était clairement pas d'accord, toutefois Shao Paï savait que ce n'était qu'une façade.

« D'ailleurs, reprit-elle en souriant, n'est-ce pas aussi pour cette raison que tu l'as gardée à tes côtés durant tout ce temps ? Ne réponds pas, je sais que j'ai raison. »

Il détourna les yeux, un peu embarrassé, et elle eut un rire argenté.


~*~


Dès que les deux dieux quittèrent la chambre, leurs chevaliers se précipitèrent à leur rencontre, attendant leurs ordres, mais rien ne vint. Myst Nail n'adressa qu'un bref regard à ses deux chevaliers qui s'inclinèrent, avant que Shao Paï et lui ne s'avancent dans le couloir. Les chevaliers étaient plus que perplexes mais aucun n'aurait osé poser directement la question qui leur brûlait à tous les lèvres : qui avait gagné ? La réponse fut encore moins évidente lorsque Shao Paï conduisit le dieu du mal dans la pièce où se trouvait la Boîte de Pandore. Rhyll avait repris sa place coutumière dans ce jardin d'intérieur et il jouait de la harpe, une mélodie lancinante qui exprimait les tourments de son âme.


Le chevalier roux ne tourna pas la tête à l'arrivée de Shao Paï mais réagit à celle de Myst Nail. Il laissa tomber son instrument dans un bruit discordant et se jeta aux pieds du roi des dieux antiques, ses yeux noirs écarquillés, tiraillé entre l'espoir et la déception. Myst Nail, lui, ne jeta même pas un regard au chevalier de Hane Lath. Il s'approcha plutôt de la Boîte qui bourdonnait doucement et il tendit une main.

« Ouvre-toi, » commanda-t'il simplement.

Les symbole gravés sur le métal argenté s'illuminèrent et le cube s'éleva dans les airs en intensifiant son bourdonnement. Il se mit à tourner sur lui-même, prenant graduellement de la vitesse et grandissant en même temps. Il devint aussi transparent et on put bientôt distinguer une silhouette féminine qui se tenait debout, les bras tendus le long du corps.


La Boîte explosa dans une lumière argentée et la femme se posa lentement sur le sol de marbre orné de végétaux. Elle ouvrit peu à peu les yeux, son expression confuse comme au réveil d'un long sommeil, et le premier visage qu'elle vit fut celui de Myst Nail. Les souvenirs lui revinrent aussitôt et elle recula d'un pas, la bouche ouverte sur un cri silencieux, les yeux verts écarquillés.

« Maîtresse ! » s'écria Rhyll en s'interposant entre les deux dieux.

Hane Lath reprit peu à peu son souffle, ses yeux balayant les visages autour. Elle s'arrêta sur celui de Shao Paï, tout d'abord perdue, puis la reconnaissance se fit.

« Toi ! siffla-t'elle. Tu t'es réincarnée en femme de nouveau ! »


Shao Paï soupira. La rancœur de son ancienne amie était toujours aussi vive.

« C'est une longue histoire, éluda-t'elle. Deux cents ans ont passé depuis ton emprisonnement et…

– Humph, l'interrompit l'autre déesse en croisant les bras. Je suppose que tu es ravie d'avoir enfin eu ta vengeance contre moi. Dommage que tu n'aies pas réussi à empêcher Myst Nail plus longtemps de me libérer !

– Tu te trompes, intervint le concerné. Si cela n'avait tenu qu'à moi, tu serais encore dans cette boîte. C'est Shao Paï qui a tout fait pour me convaincre de te libérer. »


Hane Lath se rembrunit : la vérité ne lui plaisait clairement pas. Elle secoua la tête et se changea d'une pensée pour revêtir une tunique assortie à ses yeux tandis que ses longs cheveux violets étaient désormais nattés.

« Cela n'a plus aucune importance, déclara-t'elle. Je ne veux plus rien avoir à faire avec vous deux. Je ne servirai plus de pion dans votre relation tordue !

– En fait, reprit Shao Paï en s'avançant, nous avons éclairci la situation et réglé une bonne partie des problèmes. »

Cela retint l'attention de la déesse de la musique, malgré ses dires.

« Et donc ? demanda-t'elle d'un ton de défi. Je dois toujours attendre que Myst Nail revienne vers moi en rampant ? »

Shao Paï secoua la tête.

« Il ne reviendra pas, » déclara-t'elle fermement.


La bouche de l'autre déesse se tordit en un pli amer. De son côté, Myst Nail était plus que ravi d'entendre Shao Paï assumer ainsi leur relation. C'était tout ce qu'il avait toujours souhaité. Il passa un bras autour de la taille de son amante.

« Raison de plus pour que je parte, reprit Hane Lath en détournant le regard. Je m'en vais trouver une meilleure compagnie que la vôtre ! »

Elle fit un signe de tête à son chevalier qui n'avait d'yeux que pour elle et tous deux disparurent. Myst Nail voulut la retenir mais Shao Paï lui prit le bras et secoua la tête.

« Laisse-la, elle a besoin de temps pour se remettre de tout ça.

– Mais si elle cherche à voir les autres, elle va se rendre compte de…

– Alors elle reviendra à ce moment pour nous demander ce qui se passe. »

Myst Nail ne protesta pas.


Shao Paï balaya la pièce du regard un moment, les souvenirs pénibles lui revenant à l'esprit, puis décida :

« Bon, cet endroit n'a plus lieu d'être. »

D'un coup, tout le monde se retrouva dans le hall d'entrée. Dans sa demeure, Shao Paï contrôlait l'espace à sa guise.

« Je vais aller voir Zeus, annonça-t'elle alors en revêtant une courte tunique blanche ornée de motifs noirs. J'ai quelques questions à lui poser.

– Sur Babelhu ? » devina Myst Nail.

Elle acquiesça et il ajouta aussitôt :

« Je viens avec.

– Je préfère le voir seule dans un premier temps. »

Le dieu du mal se renfrogna. Il semblait que sa vieille rivalité avec le dieu grec n'avait pas encore entièrement disparu, malgré ce qu'il avait assuré à Shao Paï tantôt.


La déesse blonde cacha un sourire amusé et posa une main sur la joue de son amant.

« Tu l'as un peu traumatisé durant notre duel, expliqua-t'elle.

– Tant mieux, marmonna-t'il d'un ton content.

– Je préfère qu'il soit en état de parler alors je vais d'abord m'assurer qu'il aille bien, puis nous discuterons tous ensemble de Babelhu, d'accord ? »

Il fut tenté de refuser cependant il ne voulait pas se lancer aussi tôt dans une dispute avec elle. Il préférait continuer à baigner dans le bonheur récent de leur couple, aussi hocha-t'il la tête et fut récompensé d'un sourire et d'un bref baiser au coin de sa bouche. Shao Paï se détourna ensuite de lui pour s'adresser à ses chevaliers :

« Vous venez avec moi. »

Ils lui emboîtèrent le pas avec empressement, laissant Myst Nail et ses chevaliers derrière.


~*~


La demeure de Zeus occupait une des places les plus élevées d'Olympias. Shao Paï choisit de s'y rendre à pied, traversant le quartier grec sans aucune crainte. D'ailleurs il n'y avait pas beaucoup de dieux présents — ou bien ils restaient dans leurs demeures sans se manifester. Éland sentit pourtant des regards peser sur eux, toutefois personne ne leur barra la route.


Ils arrivèrent devant l'immense demeure, trois fois plus grande que celle de la déesse de la destruction — vue de l'extérieur en tout cas.

« C'est immense, commenta Éland à l'adresse de ses compagnons.

– C'est la demeure du roi des dieux grecs, fit Alinda. Elle se doit de refléter le statut de son occupant. »

Vanien, lui, regardait encore plus haut, là où de la brume se rassemblait pour masquer le sommet de la montagne.

« Il y a encore quelque chose là-haut ? demanda-t'il en tendant le bras dans cette direction.

– Qui serait plus haut que maître Zeus ? répliqua la chevalière. Même maître Myst Nail a sa demeure à niveau égal. »

Vanien n'insista pas, pourtant il était persuadé qu'il y avait quelque chose au sommet d'Olympias.


Shao Paï s'engagea sans hésiter dans l'allée qui traversait les jardins jusqu'à l'entrée de la demeure. Héraklès et Ganymède l'y attendaient et s'inclinèrent devant elle.

« Darius, mon cousin ! » s'écria joyeusement Vanien en désignant Héraklès.

Ce dernier lui lança un regard méfiant et un peu interloqué. Zeus avait envoyé ses chevaliers se réincarner dans les familles de Vanien et Alinda afin de les surveiller. Vanien avait été trop ébahi pour réagir lorsqu'il avait revu Héraklès/Darius juste après le combat entre Shao Paï et Myst Nail, mais cette fois il le reconnut aussitôt.

« Maître Shao Paï, fit Ganymède en ignorant l'intervention, notre maître vous attend. »

Shao Paï entra avec un petit sourire satisfait. Cela faisait du bien de ne pas avoir à courir derrière Zeus pour une fois ! Il avait fini de se cacher d'elle.


Le dieu du ciel la reçut dans son salon luxueusement meublé et décoré. Contrairement à Shao Paï et Myst Nail, Zeus ne se privait pas des richesses matérielles. Il n'avait pourtant pas de manières pompeuses et ne semblait pas imbu de lui-même. C'était un peu contradictoire.

« Shao Paï, la salua-t'il quand il entra. C'est toujours une joie de te recevoir !

– Tu as fini de vadrouiller ? répliqua-t'elle en prenant place dans un fauteuil en face de lui. Héra doit être ravie de ton retour. »

L'expression du dieu grec ne varia pas.

« Mon épouse et moi nous sommes retrouvés, effectivement. En parlant de conjoint, je suis surpris que Myst Nail ne t'ait pas accompagné.

– Il voulait venir mais je lui ai dit que je devais d'abord te parler seule à seul.

– Mmm, tu n'as pas nié le mot conjoint, nota-t'il avec un sourire entendu. Voilà qui répond à une de mes questions.

– Tu aurais pu simplement me demander.

– Oh, et depuis quand réponds-tu à une question si personnelle ? se moqua-t'il en haussant un sourcil.

– Les choses changent, » répondit-elle sereinement.


Zeus se pencha en avant, le menton soutenu par son poing.

« Donc maintenant que Myst Nail et toi êtes officiellement ensemble, il ne reste plus qu'à libérer les autres dieux antiques de Babelhu, je me trompe ?

– C'est la raison de ma venue. Je ne veux plus que tu viennes jouer les trouble-fêtes, c'est bien trop important.

– Alors je ne dois pas m'approcher de Babelhu ?

– Au contraire, le surprit-elle. Mais nous allons agir ensemble, pour une fois. »

Zeus accueillit la suggestion avec un large sourire.

« Je ne demande pas mieux ! Mais cela veut dire que tu devras partager une partie de tes secrets. Tu t'en sens capable ?

– Quels secrets ? fit-elle d'un ton innocent. Voyons, Zeus, nous avons tous nos secrets. La vie ne serait pas intéressante, sinon.

– Certes mais certains secrets sont plus importants que d'autres. Les garder peut s'avérer fatal parfois. »


Shao Paï ne commenta pas. Les chevaliers de Zeus avaient ramené des rafraîchissements sur la table basse en marbre, ainsi qu'une collation légère. Elle prit une grappe de raisins noirs et en mangea deux ou trois par pure politesse.

« Avant de parler de Babelhu, reprit-elle en éludant la question de l'autre dieu, nous avons d'autres choses à régler.

– Comme la façon dont tu as survécu à l'attaque de Myst Nail ?

– Comme la façon dont tu as manipulé un de mes chevaliers, répliqua-t'elle en fronçant les sourcils. Je sais très bien que c'est toi qui as aidé Ménestan à retrouver ses pouvoirs, et aussi que c'est toi qui les avais bloqués, à la base. »

Le chevalier de l'air ne put s'empêcher de sursauter à la double révélation. Il se tourna vers Zeus qui ne nia pas les faits.

« Tu croyais que je n'allais pas réagir à ce que tu tentais de faire ? répliqua-t'il. À ma place, tu aurais fait exactement la même chose : tu n'aurais laissé personne briser le lien entre toi et ce que tu as créé !

– Je ne risque pas d'être à ta place un jour, rectifia-t'elle.

– À d'autres ! Même si tu te refuses à le reconnaître, tu aurais agi comme moi !

– Non, reprit-elle avec un sourire assuré, je dis que personne ne pourra jamais briser le lien entre moi et la Création. »

Un silence intense s'ensuivit, durant lequel les chevaliers confus ne purent que spéculer sur ce qui venait de se dire. Est-ce que Zeus venait de reconnaître qu'il avait créé les chevaliers ? Et ce que Shao Paï avait avoué…


Le roi des dieux grecs lâcha un rire ravi.

« Enfin, on parle ouvertement ! Je commençais à en avoir assez de tous ces sous-entendus et non-dits. Je préfère une communication franche et directe ! »

Shao Paï fronça les sourcils.

« Ce n'est pas non plus une raison pour le crier à la cantonade. Cela ne ferait aucun bien aux autres de tout savoir… pour le moment.

– Je suis d'accord avec toi, approuva Zeus avec un clin d'œil, mais entre nous, nous n'avons pas de raison de nous retenir. Bon, concernant Ménestan, rassure-toi : je n'ai conservé qu'un léger lien avec lui. Tu ne t'en apercevras même pas ! Mais dis-moi juste pourquoi tu as voulu briser ce lien. Ça te dérangeait vraiment ?

– Tu parles du fait que tu puisses connaître la position des chevaliers à tout moment ? Que tu sentes leur réincarnations ? Que tu puisses entendre leurs conversations mentales si tu le souhaites ? Mais non, cela ne me dérangeait pas du tout, voyons. »


Sentant la pointe d'ironie dans les propos de la déesse, Zeus eut tout de même l'impression qu'il y avait autre chose.

« Alors pourquoi ? insista-t'il.

– Je leur ai proposé d'être libres. C'était risqué, j'ignorais s'ils survivraient au fait de rompre le lien avec leur créateur mais ils ont accepté. Ils ont voulu leur liberté. »

Éland eut un vision à ces mots : c'est un souvenir qui dansait aux frontières de sa conscience. Il pouvait presque se rappeler cet instant, la question de leur maître et leur réponse unanime. Puis Shao Paï leur avait souri et son regard contenait… de la fierté. Jamais encore il ne les avait regardés ainsi.

« Je crois que j'ai la réponse à ma question, » songea le chevalier du feu.

Il se tourna vers Alinda qui hocha la tête.


Pendant ce temps, Zeus avait rétorqué :

« Tu te trompes, Shao Paï, ils n'ont pas accepté pour être libres. Ils ont accepté pour être à toi, afin que tu leur accordes enfin ton entière confiance. C'est leur plus grande aspiration, tu sais.

– Pense ce que tu veux, » répondit la déesse de la destruction, sûre de son interprétation.

Zeus ferma les yeux.

« Je peux te garantir que le lien qu'il me reste va seulement me permettre d'avoir conscience de leur présence, c'est tout. Je ne pourrai plus ni les localiser, ni écouter ce qu'ils se disent. »

Comme elle lui lançait un regard circonspect, il assura :

« Je t'en donne ma parole, c'est la pure vérité ! »


Elle renifla mais ne mit pas ses mots en doute. Elle changea plutôt de sujet :

« Concernant Babelhu, je vais m'en occuper avec Myst Nail, alors tu peux retirer ta barrière. Elle ne sert à rien, au fait. »

Zeus prit un air dubitatif.

« J'ai vu dans quel état se trouvent les dieux antiques à l'intérieur, fit-il. Ça m'a paru assez dangereux.

– Ils ne vont pas quitter Babelhu, assura Shao Paï.

– Ce n'est pas pour eux que je m'inquiète, contra Zeus, mais pour mes enfants. Tu connais leur curiosité. La barrière sert surtout à les empêcher d'entrer. »

La déesse dut reconnaître la validité de cet argument.

« Alors tu la retireras au dernier moment, concéda-t'elle.

– Quand avez-vous prévu d'intervenir ? »


Shao Paï réfléchit.

« Dans trois jours, fit-elle. Ce sera le moment idéal.

– Idéal pour quoi ? »

Elle ne répondit pas et il soupira lourdement.

« Allons, et moi qui croyais que nous en avions fini avec les secrets !

– Ce secret-là est très important, reconnut-elle. J'y travaille depuis vingt mille ans. »

Surpris, il l'examina pour tenter de percer à jour ses pensées sans y parvenir. Il soupira de nouveau.

« Tu peux au moins m'expliquer comment tu as fait pour survivre à l'attaque de Myst Nail ? Je n'arrête pas de me repasser ce moment en mémoire et je ne comprends toujours pas. Tu aurais dû mourir… non, tu aurais dû cesser d'exister. Tu as cessé d'exister pendant un moment, puis tu es revenue. C'est strictement impossible ! »

Shao Paï eut un sourire mystérieux.

« Impossible pour toi, fit-elle d'un ton taquin.

– Non, même pour toi, répliqua Zeus très sérieusement. Après tout, Myst Nail est le seul capable de te détruire. »

Le sourire de la déesse retomba. Il semblait que Zeus en savait plus long qu'elle ne le pensait. Mais quelque chose en elle l'empêcha de poursuivre cette pensée, comme une protection sur ses souvenirs.


Elle repoussa cette pensée déplaisante et s'apprêta à révéler un autre de ses grands secrets. De toute manière, elle comptait le dévoiler sous peu au principal intéressé.

« L'attaque de Myst Nail n'avait aucune chance de détruire mon essence pour la simple et bonne raison que… »

Elle marque une pause dramatique, amusée de voir Zeus suspendu à ses lèvres.

« … mon essence ne se trouve pas dans ce corps, conclut-elle. Elle ne l'a jamais été. »

Zeus se figea, les pensées défilant à toute allure dans sa tête avant d'être frappé par une illumination.

« Depuis le début… depuis le tout début, en déduisit-il, ça n'a jamais été ton vrai corps, c'est ça ? »

Shao Paï acquiesça. Les chevaliers ne purent masquer leur stupeur en entendant cela.


Zeus éclata soudain de rire.

« Ah, je me suis toujours dit qu'il y avait quelque chose de bizarre chez toi…

– Merci, marmonna-t'elle.

– … mais j'avais mis ça sur le compte de ce nouveau monde. Myst Nail a dû se dire la même chose. Mais au fait, et les neuf mois entre chaque réincarnation… ?

– J'attendais dans un endroit caché, ni vu ni connu.

– C'est aussi pour ça que tu arrives si facilement à changer d'apparence et de genre ! Un dieu n'est pas censé en être capable.

– Il faut dire que personne n'a vraiment essayé.

– C'est faux, j'ai essayé ainsi que plusieurs de mes enfants, mais sans succès. Tu as vu le désastre avec Hermès. Les dieux étant très fiers, ils n'ont pas ébruité leurs échecs.

– C'est impossible de changer radicalement votre apparence car cela fait partie de votre identité, votre essence.

– Je sais, tu me l'as déjà dit autrefois, » fit doucement Zeus.


Ah oui, ils ne se cachaient plus leurs souvenirs à présent. Shao Paï ne savait pas si elle devait se sentir soulagée ou ennuyée. Un mélange des deux, peut-être… En tout cas, c'était l'occasion ou jamais d'éclaircir quelques points :

« Nous n'étions plus censés nous revoir, d'ailleurs, fit-elle en rebondissant sur le sujet. Comment se fait-il que vous soyez finalement apparus dans le même monde que nous ? »

Zeus la fixa un moment d'un air scrutateur puis répondit :

« Tu devrais t'en douter un peu : quand Myst Nail a détruit Éden, il a fallu terminer de créer ce monde-ci rapidement. De ce fait, il n'y avait plus assez d'énergie et de temps pour le monde qui nous était destiné, alors c'était plus facile de nous réunir.

– Mais tu as envoyé les chevaliers bien avant vous, rappela Shao Paï.

– C'était pour créer un pont entre nous, une similitude. Je pensais que cela faciliterait notre intégration.

– Ce n'était donc pas pour nous espionner et jauger la situation ? » insinua la déesse blonde en haussant un sourcil.


Zeus eut un rire embarrassé.

« Peut-être un peu aussi, je te l'avoue. Et surtout, je voulais savoir ce qui t'était arrivé. Avec Pas-Père qui nous avait abandonnés... »

La déesse de la destruction tressaillit sous le regard attentif de l'autre dieu.

« Il a fait ça ? Bizarre, ce n'est pas le genre de Père.

– Mmm, je crois que tu te fais une idée complètement fausse de lui…

– Peu importe, le coupa-t'elle. Ce n'est pas tout, mais j'ai des choses à faire. Ah, j'ai une mission très importante pour toi. »

Le dieu grec se redressa, ravi de cette marque de confiance. Shao Paï détailla :

« Tu vas devoir occuper Myst Nail pendant trois jours. Il ne devra pas partir à ma recherche. Je ne plaisante pas, Zeus, il est capital qu'il ne me dérange pas durant ce temps. »


Le roi des dieux déchanté quelque peu devant l'ampleur de la tâche.

« Euh… tu ne peux pas simplement lui parler ? suggéra-t'il l'air de rien.

– Ce n'est pas le bon moment. Je lui expliquerai tout dans trois jours en personne. »

Zeus nota l'inflexion particulier sur ces derniers mots. Il écarquilla les yeux.

« Ai-je bien compris ? demanda-t'il avec espoir. Tu seras vraiment là ? »

Elle acquiesça.

« C'est essentiel pour ce que je dois accomplir. Alors tu comprends pourquoi Myst Nail doit être tenu à l'écart, dans tous les sens du terme.

- Je crois. Entendu, je vais trouver quelque chose, » fit-il avec doute.


Shao Paï se leva avec un sourire satisfait.

« Je compte sur toi, insista-t'elle. Oh, je te laisse aussi mes chevaliers. Ils vont m'encombrer plus qu'autre chose dans les jours à venir.

– Maîtresse ! » protestèrent les quatre concernés en chœur.

Mais Zeus avait compris ce qu'elle voulait dire.

« Tu ne veux pas que j'apprenne quoi que ce soit de tes agissements à travers eux, c'est ça ? Pourtant, je t'ai dit que…

- Ce n'est pas que ça, l'interrompit-elle. Je vais sérieusement avoir besoin de toute ma concentration. »


Zeus acquiesça tandis que les chevaliers prirent un air dépité.

« Maîtresse, insista Éland, vous êtes sûre que…

– Ce n'est que pour trois jours, fit-elle en soupirant. Vous allez survivre. »

Mais le chevalier du feu n'était guère enchanté. Shao Paï se tourna de nouveau vers Zeus.

« N'oublie pas pour Myst Nail. Je pense qu'il va venir d'ici… trente secondes.

– Quoi ?! s'écria le dieu grec. Mais comment tu veux que je trouve…

– À dans trois jours ! » le coupa-t'elle joyeusement.

Sur ce, elle disparut… Mais ce n'était pas une simple dématérialisation : elle disparut vraiment comme lors du duel contre Myst Nail. Ses chevaliers ressentirent le vide inquiétant de sa présence et eurent l'impression qu'on leur avait arraché une partie d'eux-mêmes. Néanmoins il restait toujours un mince filament de leur lien avec la déesse, si ténu qu'il donnait l'impression de menacer de se rompre à tout instant.


Zeus se gratta la tête, bien embêté.

« Ah là là, soupira-t'il, il n'en fait qu'à sa tête. »

À ce moment, Myst Nail se matérialisa juste devant lui au mépris de toutes les règles de politesse. Son visage faisait peur à avoir, bien qu'il n'en était pas au stade avancé de fureur où Zeus l'avait vu la dernière fois. Pas encore en tout cas.

« Où est-il ? » demanda-t'il d'une voix lourde de sens.

Zeus devina que toute hésitation lui serait fatale.

« J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, » commença-t'il, ne pouvant s'empêcher de cabotiner.


Note de Karura : Shao Paï commence à dévoiler ses secrets mais elle en a encore en réserve. En plus Zeus semble aussi cacher des choses...






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