Extra 2
1. Les vilaines pêches
Au début du mois de mars, les pêchers étaient en pleine floraison sur le Pic du Yang Vermillon.
Le Dieu du Printemps fit fleurir une première branche afin de servir de guide aux autres. Dès que le voile du printemps fut levé, les pêchers qui recouvraient la montagne se mirent à fleurir l’un après l’autre, formant des nuages empourprés et répandant l’odeur enivrante de la pêche. En mai, quand les pêches furent bien mûres, Qu Chi envoya aux trois autres sectes une invitation pour goûter les pêches. Il invita les trois autres maîtres de secte à venir discuter de l’amour du printemps et des écritures sacrées, ce qui était une occasion raffinée.
Mais d’après les propres mots de Xu Xingzhi, si on se mettait à penser comme un vieux prêtre, autant éviter. Il valait donc mieux boire et faire la fête.
Tous les participants, que ce soient Xu Xingzhi, Qu Chi ou Zhou Beinan, avaient tous étudié de très nombreux textes sacrés. S’ils devaient vraiment “s’asseoir et discuter du Daoïsme”, ils seraient tous aussi compétents que des érudits Daoïstes experts qui auraient étudié le Dao toute leur vie au milieu des vieux livres. S’il y avait eu de nombreux disciples présents, ils auraient dû se comporter de manière plus sérieuse. Mais puisqu’ils étaient entre vieux amis, il était inutile de trop parler à en avoir mal à la tête : il suffisait de boire du thé et de la liqueur, de se rappeler du bon vieux temps et admirer les fleurs.
L’Assemblée de Dégustation de Pêche de Qu Chi n’était certes pas comparable à l’Assemblée de la Pêche d’Immortalité du Neuvième Ciel, mais c’était beaucoup mieux que tous ces préparatifs. L’assemblée était suffisante et réchauffait les cœurs : la discussion avait lieu dans une petite salle à l’arrière de la montagne, un endroit reculé et paisible. Cela permettait aussi à Zhou Beinan d’éviter la lumière du soleil qui le faisait souffrir. Les bols et coupes de Xu Xingzhi étaient placés à sa gauche pour que ce soit plus pratique pour lui. Non seulement il y avait du bon thé et de la délicieuse liqueur, mais ils avaient droit à la vue splendide des milliers d’arbres en fleurs dès qu’ils ouvraient les fenêtres. Les pêches servies venaient toutes d’être tout juste cueillies.
Alors que tout le monde prenait place, Qu Chi parcourut l’assemblée du regard et s’enquit :
« Yuan Ruzhou n’est pas venue ? »
Xu Xingzhi déplaça la tasse de la gauche à sa droite. Après avoir retiré le voile de protection et siroté le thé, il fit d’un ton de fierté :
« Ruzhou est désormais à la tête du pavillon de médecine de maître Tian Fei et dirige tous les alchimistes et médecins. Récemment, j’ai trouvé par hasard dans un vieux livre une méthode secrète pour régénérer les muscles et la peau, ce qui permet de rendre à un squelette son ancienne apparence. C’est parfait pour la situation de Ruzhou. Je lui ai donc donné la méthode et tous les ingrédients nécessaires, mais sans lui dire à quoi ça allait servir. Elle y attache une énorme importance et vu qu’il faut rapidement raffiner l’onguent, elle n’a pas eu le temps de venir. »
Tout en écoutant attentivement son récit, Qu Chi observait les mouvements de Xu Xingzhi. Il parut sur le point de dire quelque chose, mais se ravisa.
Derrière son masque, les yeux de Lu Yujiu s’écarquillèrent.
« … Vraiment ? Grande sœur martiale Yuan… »
Xu Xingzhi prit la coupe de sa main droite pour siroter un peu la liqueur. Une lueur amusée apparut dans ses yeux.
« L’an prochain à la même période, je la ferai venir aux portes principales. Comme ça, toutes les nouvelles recrues pourront bien voir l’apparence splendide de la beauté n°1 des quatre grandes sectes. Ils verront aussi ce que ça veut dire qu’une personne est aussi belle qu’une fleur de pêcher. »
Qu Chi n’interrompit pas son beau discours et l’écouta sagement. Il le félicita :
« Que voilà une bonne nouvelle. »
Cependant, son cœur était bien clair à ce sujet : Xingzhi a dit qu’il a trouvé cette méthode par hasard, mais qui sait combien de nuits il a passé à faire brûler les chandelles et l’huile des lanternes, tout ça pour trouver cette méthode secrète. Il se peut même qu’il ait consulté plusieurs livres et fini par créer sa propre méthode, allez savoir.
Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !
« Ça peut se faire si facilement ? » s’étonna Zhou Beinan en haussant un sourcil.
Xu Xingzhi agita la main droite.
« Ce maître est un veinard. »
Zhou Beinan fixa le bras gauche qui ne bougeait pas et qui était posé sur le bord de la table basse.
« Alors j’aimerais bien demander au maître veinard ce qui est arrivé à ton bras gauche ?
– Gros Zhou, c’est si ennuyeux d’essayer de tout savoir, ah, le critiqua Xu Xingzhi sans changer d’expression. Regarde un peu grand frère martial Qu, il n’a pas dit un mot à ce sujet. »
Cela fit rire Qu Chi.
Par contre, Lu Yujiu prit un air inquiet.
Il s’était concentré uniquement sur ce que Xu Xingzhi racontait. Du coup, il n’avait pas du tout remarqué que le jeune homme avait pris sa coupe de la main droite, ce qui n’était pas du tout facile à utiliser pour lui !
Au moment où Lu Yujiu allait se lever pour l’aider, Zhou Beinan, qui était assis à côté de lui, posa une main sur son genou pour lui faire signe de rester assis.
Il jeta un regard à la personne assise à côté de Xu Xingzhi, puis indiqua à Lu Yujiu de regarder à son tour :
« … S’il était vraiment si gravement blessé, tu crois que Meng Chongguang le laisserait sortir ? »
Meng Chongguang, qui était assis à côté de Xu Xingzhi, resta silencieux, concentré sur le fait de peler le fruit, de découper des morceaux savoureux et juteux de pêche, puis de les placer un par un sur une assiette en porcelaine blanche pour Xu Xingzhi.
Mais il n’y avait pas de sourire sur son visage et il semblait abattu. Il se concentrait sur le fait de couper la pêche, comme s’il boudait.
Xu Xingzhi agita son éventail et fit :
« … Ce n’est pas grand-chose. Je me suis juste battu contre un zhuyan Une bête féroce dans la mythologie chinoise. C’est un gorille avec la tête blanche et les pieds rouges. (1). Il a failli m’arracher le bras, je lui ai arraché le cœur et son noyau interne. On peut dire que ce n’est pas trop cher payé. »
Zhou Beinan renifla avec incrédulité :
« Un simple macaque peut te mettre dans cet état ? »
Xu Xingzhi aurait bien voulu continuer à se vanter, mais Meng Chongguang fit d’un ton morne :
« Grand frère martial a consulté plein de livres de médecine et a travaillé dur pendant des mois pour inventer une formule permettant à la chair d’être régénérée sur des os. Pour ça, il faut le cœur et le noyau interne d’un zhuyan pour fabriquer la pommade. Une fois appliquée, il faut encore la peau du ventre d’un kuiniu Une sorte de bison géant. (2) encore en vie pour recouvrir tout le corps afin d’obtenir le meilleur effet. Grand frère martial m’a confié toutes les affaires de la Montagne de la Tombe du Vent et il a pris le Pinceau Libre pour partir sur les traces du légendaire kuiniu. Il s’est battu rudement et s’est déjà blessé. Mais il a refusé de s’arrêter et il est tout de suite reparti combattre le zhuyan… »
Xu Xingzhi lâcha un hé et fit :
« Tu parles de trop. Tu cherches à me rabaisser ou quoi ? »
Meng Chongguang fit d’un ton boudeur :
« Chongguang n’oserait pas. »
En voyant que le visage et les lèvres de l’autre étaient un peu pâles, Xu Xingzhi sentit son cœur s’adoucir. Il ouvrit son éventail pour dissimuler leurs visages et fit à voix basse :
« … J’ai passé deux jours à t’amadouer, pourquoi tu es encore fâché ? »
Meng Chongguang ne répondit pas.
« Laisse-moi un peu de dignité, » insista Xu Xingzhi.
Cela dit, il n’était pas du genre à se soucier de sa dignité. Il ouvrit de nouveau la bouche et fit à Meng Chongguang :
« J’ai du mal avec mes mains. Nourris-moi. »
Meng Chongguang avait beau être très fâché, il ne pouvait pas résister aux yeux rieurs de l’autre jeune homme. Il prit un bâtonnet de bambou pour l’enfoncer dans deux bouts de pêche et les porta à sa bouche.
Xu Xingzhi mangea calmement et alors qu’il se penchait vers lui, il fit doucement :
« … Tu veux que je t’amadoue de nouveau cette nuit quand on rentrera ? »
Meng Chongguang garda le silence, mais le coin de ses lèvres frémit. Visiblement, il avait bien du mal à ne pas sourire.
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Ayant calmé pour le moment ce gamin irritable, Xu Xingzhi referma son éventail d’un air rafraîchi. Il vida une autre coupe de liqueur et fit claquer sa langue.
« Cette liqueur de fleur de pêcher est vraiment délicieuse, complimenta-t’il. Rappelez-moi d’en ramener une jarre après, je la ferai goûter au maître. »
Qu Chi accepta naturellement et l’Assemblée de Dégustation de Pêche se poursuivit.
Au bout d’un certain temps, Zhou Beinan remarqua autre chose qui n’allait pas.
Il contempla un moment les pêches devant lui, puis jeta un regard discret à l’assiette de fruits devant Qu Chi. Il fit d’un ton soupçonneux :
« … Qu Chi, je sais que tu préfères les choses simples, mais tu ne devrais pas autant te priver, hein ? »
Les pêches fraîches servies aux invités étaient toutes juteuses et bien rondes. Le jus en coulait dès qu’on les coupait, ce qui donnait envie rien qu’en les regardant. Au contraire, les pêches devant Qu Chi étaient aussi rouge vif, mais elles étaient petites et moches. Leur apparence n’avait vraiment rien de remarquable. On pouvait même en voir deux ou trois de tordues, ce qui avait l’air miteux.
Qu Chi prit un des fruits de manière nonchalante et quand il l’ouvrit avec un couteau, son expression et ses gestes étaient quelque peu solennels et doux.
« … Ça n’a l’air de rien, mais c’est très bon. »
Il mordit un bout de pêche. C’était aussi doux que du miel et le coin de ses lèvres s’étira légèrement en un sourire.
Qu Chi avait été emmené tout petit sur la montagne par son maître Ming Zhao. Il n’avait rien bu d’autre que de la rosée et rien mangé d’autre que des fruits spirituels. Bien que la rosée était insipide et que les fruits spirituels n’avaient aucun goût, on finissait par s’y habituer quand on en mangeait beaucoup.
Il n’avait donc jamais su à quel point la nourriture pouvait être délicieuse mais heureusement, il n’en avait pas non plus la moindre envie.
Après toutes ces années où il était devenu simple d’esprit, il avait subitement retrouvé la lucidité et son Palais de l’Esprit s’était rouvert. Qu Chi ne se restreignait donc plus et était prêt à expérimenter toutes les saveurs du monde.
Et la première chose qui lui avait permis de connaître la beauté du goût le plus suave au monde, c’était ce petit pêcher qui poussait devant sa fenêtre.
En regardant l’expression de son ami, Xu Xingzhi avait déjà deviné d’où venaient ces affreuses pêches. Il le taquina exprès en disant :
« Puisque ça a l’air si bon, et si tu partageais avec moi ? »
Qu Chi, qui était pourtant toujours très généreux avec les autres, changea tout à coup de discours :
« … Ce n’est pas si bon que ça. »
Sous les regards suspicieux de Zhou Beinan et Lu Yujiu, Xu Xingzhi éclata de rire et agita son éventail.
« Ce qui est à toi est à toi. »
Une fois que tous les invités se furent bien divertis, Qu Chi retourna dans son pavillon. Dès qu’il entra dans sa cour, il aperçut justement le petit pêcher auquel il avait songé. L’arbre s’agitait faiblement, les branches et les feuilles bruissaient.
Il n’y avait pas de vent. Ce qui faisait trembler ainsi l’arbre, c’était deux abeilles qui voletaient et s’amusaient parmi ses branches fleuries.
Il faisait pousser chacun de ses fruits avec une très grande attention. La forme était effectivement peu attirante, mais les fruits étaient encore plus délicieux et sucré que les autres. Le parfum de ces pêches attirait inévitablement les abeilles et les papillons. Et l’arbre avait très peur des abeilles. Même en sachant qu’il ne serait pas piqué, il ne pouvait s’empêcher d’avoir peur quand les ailes des abeilles l’effleuraient. Dans une telle situation, le petit pêcher était en train de trembler de toutes ses feuilles.
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Qu Chi s’approcha et chassa les abeilles avec son fouet.
L’arbre cessa de trembler. Il étira ses branches et ses feuilles, puis sortit deux pêches cachées dans son feuillage. Il les tendit à son grand frère martial Qu.
… Mes pêches, les voici pour vous.
Qu Chi ne fut pas pressé de cueillir les fruits. Il alla chercher de l’eau dans la mare spirituelle et l’arrosa en premier. Puis il nettoya patiemment la poussière sur ses feuilles.
« Tu es fatigué de faire pousser des fruits ? »
Le petit pêcher s’agita d’un côté, puis de l’autre pendant un moment.
« Tant mieux, fit Qu Chi. Tu n’es pas obligé de te forcer. Je peux manger une pêche par jour, c’est amplement suffisant. »
Le petit pêcher s’agita de nouveau de droite à gauche.
Même en privé, Qu Chi restait poli et respectueux.
« Tes pêches sont très sucrées, merci. »
Tout joyeux, le petit pêcher tendit une branche fleurie pour effleurer la paume de Qu Chi. Les étamines jaune clair frottèrent et chatouillèrent les lignes de la paume du jeune homme. Finalement, le petit arbre étourdi se rappela de sa timidité. Il referma ses branches avec un bruissement et recouvrit les pêches grotesques qu’il faisait pousser avec tant de mal, les cachant parmi les fleurs et les feuilles.
« Ne te cache pas, fit Qu Chi en levant la main pour caresser les feuilles. Ce ne serait pas confortable que je vienne me percher sur tes branches. Sois sage. »
Le petit pêcher s’agita de nouveau de gauche à droite, très sérieusement.
— C’est uniquement pour que vous seul les mangiez. Les autres n’ont pas le droit de les voir, alors je dois les cacher.
Qu Chi soupira avec un léger rire.
« Toi. »
… Mais il n’était guère qualifié pour faire la morale à Xiao Tao. Après tout, lui aussi avait eu un rare moment d’égoïsme tout à l’heure. Il désirait juste avoir le monopole de ces pêches affreuses et refusait de les partager avec d’autres.
Xiao Tao cacha soigneusement ses fruits, comme s’il cachait un secret qu’il ne voulait pas que les autres apprennent.
Il avait bien l’intention de prendre bien soin de son corps une fois la saison des pêches passée. Comme ça l’an prochain, il produirait des fleurs et des fruits magnifiques pour les montrer à son grand frère martial Qu.
Note de Karura : Mmm, voilà une relation bien compliquée avec un arbre…
Notes du chapitre :
(1) Une bête féroce dans la mythologie chinoise. C’est un gorille avec la tête blanche et les pieds rouges.
(2) Une sorte de bison géant.
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