Chapitre 28
Ni Xinyan éclata aussitôt de rire.
« C'est délicieux, tu veux essayer ? »
Shen Jue baissa légèrement les yeux, prenant un air déçu.
« Mais les esclaves n'ont pas le droit en général de boire dans le palais sauf si c'est une récompense du maître.
– Où est le problème ? Je peux apporter de l'eau-de-vie en douce au palais et nous irons boire ensemble en cachette sans rien dire à personne. Comme ça personne n'en saura rien, » répondit Ni Xinyan.
Shen Jue réfléchit un moment avant d'acquiescer.
En voyant ça, le jeune homme demanda :
« Tu es libre demain ? »
Il regarda tout autour et aperçut un pavillon dans le coin nord du jardin. C'était l'endroit parfait pour se cacher et boire : il n'y avait pas grand-monde et la vue était jolie.
Murong Xiu était occupé récemment. Il devait donner des cours à l'idiot de huitième prince tous les après-midi dans le palais de la concubine Jing. Le huitième prince ne pouvait plus fréquenter le Collège Impérial de l'Apprentissage Suprême dans sa condition alors il avait commencé à recevoir des cours privés avec Murong Xiu. Quant à la raison pour laquelle c'était Murong Xiu qui lui donnait des cours, c'était parce que la concubine Jing ne voulait pas que d'autres voient l'état d'abrutissement du huitième prince.
La concubine Jing voulait garder la face et refusait encore plus d'admettre sa défaite devant des étrangers.
« Demain cet esclave devrait être libre, » murmura Shen Jue comme s'il craignait qu'on l'entende.
Coopératif, Ni Xinyan baissa à son tour la tête et la voix :
« Alors je t'attendrai ici demain. »
Shen Jue contempla le beau visage tout proche et sourit.
« Cet esclave sait. »
Ni Xinyan eut un léger rire et fit :
« Au fait, tu ne m'as toujours pas dit ton nom. Tu viens de quel palais ? »
Shen Jue lui révéla seulement son nom mais refusa de donner son palais, et Ni Xinyan n'insista pas.
Les deux convinrent ainsi d'un rendez-vous puis Shen Jue récupéra aussitôt son panier de fleurs et retourna au palais de Qizhang afin de ne pas tarder trop longtemps dehors et de ne pas attirer les soupçons. À son retour, Murong Xiu n'était pas encore revenu du palais de la concubine Jing. Avec son panier, Shen Jue comptait se rendre auprès de Lu Li mais il croisa alors Feng Qingbao en chemin.
Quand Feng Qingbao l'aperçut, ses yeux s'écarquillèrent. Il portait le manteau de Murong Xiu.
Quand Shen Jue vit l'autre eunuque, son expression ne varia pas. Il se mit sur le côté pour le laisser passer le premier mais Feng Qingbao ne bougea pas. Il le regarda plutôt et lui murmura :
« Pourquoi son Altesse te déteste autant ? »
Shen Jue réfléchit un moment puis lui lança :
« Ce ne sont pas tes putain d'affaires ! »
Feng Qingbao en fut choqué. Il n'aurait jamais cru que Shen Jue se montrerait aussi grossier. Il tendit son petit doigt tout blanc et tout tendre pour le pointer vers le garçon.
« Tu... tu... »
Il ne parvint pas à compléter sa phrase même après un long moment.
Feng Qingbao songeait encore à ce qu'il pouvait dire quand, à sa stupeur, l'autre garçon l'ignora et poursuivit directement son chemin.
Feng Qingbao : « ... »
Ce type est vraiment trop horrible ! Pas étonnant que son Altesse ne l'aime pas ! Bien fait ! Il n'aurait plus aucune compassion pour lui.
Cependant Feng Qingbao était tellement choyé par Murong Xiu dans cette vie qu'en sa présence, il avait encore une expression furieuse sur le visage. Le prince lui jeta d'abord un regard indifférent puis s'enquit :
« Pourquoi tu fais une tête pareille ? Qui t'a fait du mal ? »
Feng Qingbao baissa la tête.
« Personne n'a fait de mal à cet esclave. »
Murong Xiu fronça les sourcils mais continua à insister avec patience :
« Si personne ne t'a fait de mal, alors pourquoi tu fais une tête pareille ? Parle. »
Feng Qingbao se tortilla un peu de manière efféminée puis fit :
« Cet esclave a croisé Shen Jue dans le palais de Qizhang tout à l'heure et cet esclave l'a salué, mais il m'a ignoré. »
En entendant cela, l'air agacé de Murong Xiu s'apaisa énormément. Ses yeux de phénix s'écarquillèrent légèrement et le coin de ses lèvres frémit, dévoilant un sourire dont lui-même n'avait pas conscience.
« Vraiment ? Il ose te traiter ainsi ? Je dirai à Lu Li de le punir plus tard.
– Ce n'est pas la peine ! fit aussitôt Feng Qingbao en secouant la tête. Il était peut-être de mauvaise humeur. »
Le regard de Murong Xiu redevint glacial.
« Pourquoi tu lui cherches des excuses ? Ne t'en fais pas, je vais te laisser ton mot à dire dans cette histoire. »
Feng Qingbao aurait bien voulu dire qu'il ne voulait pas avoir son mot à dire mais quand il croisa le regard de Murong Xiu, il n'osa plus ouvrir la bouche.
Ce soir-là, Shen Jue reçut cinq coup de planche sur les mains en guise de punition et ce fut à Feng Qingbao d'administrer personnellement le châtiment.
Feng Qingbao n'avait encore jamais frappé quelqu'un de sa vie et la main qui tenait la planche trembla légèrement. Il lança un regard embarrassé à Lu Li.
« Intendant Lu, cet esclave... cet esclave n'ose pas.
– Ce sont les ordres de son Altesse, fit Lu Li en le fixant du regard. Fais-le, c'est tout. »
Comparé à Feng Qingbao qui était effrayé, Shen Jue était bien plus calme. Il avait levé ses mains paume vers le haut. Voyant que Feng Qingbao restait immobile, il ne put s'empêcher de le regarder.
Feng Qingbao était incapable de bouger. À le voir, on aurait cru que c'était lui qui se faisait battre.
Shen Jue détourna légèrement le regarder puis baissa la tête et l'ignora.
Au final Feng Qingbao finit par le frapper, juste un peu. Lu Li craignit que Murong Xiu ne se fâche parce que le châtiment était trop léger alors il prit la planche et frappa durement les paumes de Shen Jue deux fois. La punition était terminée.
La force de Lu Li, un adulte, n'était évidemment pas comparable à celle de Feng Qingbao. L'homme n'asséna que deux coups et les paumes de Shen Jue furent enflées. Le lendemain, cela n'avait toujours pas désenflé alors Ni Xinyan vit cela.
Ni Xinyan était arrivé très tôt au pavillon du jardin fleuri et aujourd'hui il avait spécialement apporté un alcool fruité qui convenait aux enfants. L'alcool fruité était différent d'un alcool ordinaire. Il avait le goût riche et moelleux de l'eau-de-vie cependant il ne nuisait pas à la santé comme l'alcool ordinaire. Il avait un goût sucré et de nombreuses femmes aimaient en boire.
Sa petite bouteille d'eau-de-vie fruitée était de haute qualité ; une bouteille coûtait une pièce d'or.
Quand il vit Shen Jue, ses yeux s'illuminèrent et il s'empressa d'ouvrir la bouteille.
« Cet alcool est délicieux, goûte. »
Shen Jue n'osa pas s'asseoir alors il resta debout. Ni Xinyan nota cela et après avoir servi le vin, il tira Shen Jue par la main pour le faire s'asseoir. Dès qu'il tira, Shen Jue inspira brusquement et Ni Xinyan se rendit également compte que l'aspect de sa main était différent au toucher.
Il regarda la main qu'il tenait et ouvrit soudain la paume du garçon. Il vit la chair rouge et enflée.
Le regard de Ni Xinyan se figea un instant, ses sourcils épais se froncèrent davantage.
« Que t'est-il arrivé ? »
Shen Jue voulut retirer sa main mais n'y parvint pas. Il se pinça les lèvres et refusa de parler.
Ni Xinyan dévisagea le garçon et fit soudain :
« C'est ton maître qui t'a battu ? »
Shen Jue baissa davantage la tête et ne dit toujours rien.
Ni Xinyan s'indigna.
« Mais pourquoi t'a-t'il battu ? Il faut toujours une raison pour battre quelqu'un.
– Son Altesse a dit... que je me suis montré impoli envers son eunuque personnel alors je devais être puni et recevoir des coups sur mes paumes. »
Shen Jue leva alors les yeux et les plissa en regardant Ni Xinyan.
« Cela ne fait vraiment pas mal, en fait. Cet esclave a l'habitude. »
Ni Xinyan en resta stupéfait. Quand il se faisait battre par son père petit, il n'avait jamais dit qu'il avait l'habitude de ça. Shen Jue l'avait intrigué au début parce qu'il n'agissait pas du tout comme un enfant. Il semblait à présent que c'était le maître maléfique de Shen Jue qui l'avait forcé à grandir trop vite.
Pendant que l'expression sur le visage de Ni Xinyan était incertaine, Shen Jue renifla soudain et eut un sourire mielleux.
« Votre Excellence, l'odeur de cet alcool est tellement sucrée, ah.
– D'accord, buvons d'abord. Goûte-moi cette eau-de-vie fruitée. Elle a une odeur sucrée et aussi un goût sucré. »
Ni Xinyan versa une coupe d'alcool pour Shen Jue.
Ni Xinyan n'avait pas menti pour cette eau-de-vie fruitée : elle avait un goût sucré, pas aussi clair et âpre que le goût du thé mais elle avait vraiment une saveur particulière. Shen Jue n'avait jamais bu ce genre d'alcool quand il était au Ciel. Il y prit goût et se réjouit un moment. Inévitablement il but plus de quelques coupes. Cependant Ni Xinyan ne fit pas du tout attention à ce que buvait Shen Jue. Ce ne fut que lorsqu'il n'arriva plus à se servir une coupe qu'il réalisa que la bouteille était vide.
« Toi... »
Ni Xinyan lança un regard au garçon en face de lui.
« Combien de coupes tu as bues ? »
Shen Jue étendit ses doigts et compta, s'arrêtant à six.
Ni Xinyan siffla doucement.
« Oups, quand tu rentreras, fais attention à bien éviter les gens sinon ils vont sentir l'alcool sur toi. »
Il leva les yeux vers le ciel, se rendit compte qu'il se faisait tard et fit :
« Je dois aller au terrain d'entraînement militaire. Je te laisse. »
Après que Ni Xinyan soit parti, Shen Jue resta assis sous le pavillon avec une main sous son menton et il se mit à rêvasser. Ce peu de vin ne suffisait pas à le rendre ivre et pourtant il devait être ivre, alors il resta simplement sous le pavillon à faire la sieste. Quand il se réveilla, le crépuscule était déjà tombé et il faisait sombre.
En voyant le ciel, Shen Jue se leva sans se presser et sans remettre de l'ordre dans sa tenue. Il se dirigea lentement vers le palais de Qizhang. Non loin de son but, il pressa délibérément le pas et fit comme s'il avait couru tout au long du chemin. Il entra dans le palais ainsi mais ne vit personne. Shen Jue réprima sa surprise et se rendit dans sa chambre. Dès qu'il entra, il sentit une odeur familière.
Cet encens à la prune sucrée était le préféré de Murong Xiu.
Murong Xiu aimait l'utiliser depuis qu'il était prince et même une fois Empereur, il aimait que ces vêtements soient parfumés à cet encens à la prune sucrée.
La pièce était sombre. Bien que Shen Jue ait senti l'odeur et savait que quelqu'un se trouvait dedans, il fit semblant de ne rien savoir et tâtonna pour trouver la lanterne. Dès qu'il l'alluma, il vit un jeune homme assis à côté de son lit —
C'était Murong Xiu.
Murong Xiu contemplait Shen Jue d'un air sombre.
Shen Jue croisa le regard du prince et s'agenouilla rapidement en bafouillant :
« Cet esclave... salue... son Altesse. »
La chambre fut silencieuse, on n'entendait que la respiration de Shen Jue.
Murong était assis au bord du lit, son corps tout entier aussi exquis qu'une marionnette sans vie. Il ne dit pas un mot et Shen Jue n'osa pas parler. Il ne pouvait que pencher la tête et rester gentiment agenouillé.
Au bout d'un long moment, les jambes de Shen Jue étaient ankylosées. Il entendit alors le prince faire :
« D'où tu viens comme ça ? Tu empestes l'alcool. »
Murong Xiu avait toujours eu le nez sensible et de toute façon, Shen Jue ne comptait pas lui cacher ça. Il avait même décidé de s'en servir pour le rendre furieux alors il frissonna simplement et ne dit rien. Sans surprise, Murong Xiu se fâcha. Ses yeux redevinrent froids et sa voix donna l'impression qu'il se mordait les lèvres de rage :
« Bien, tu es un esclave mais tu oses ne pas répondre à une question de ton maître. Je crains fort que dans ton cœur, tu ne me considères pas comme un maître. »
Il poussa un long soupir comme s'il était très en colère.
« Retire tes vêtements. »
Quand ses paroles sonnèrent, il vit que Shen Jue ne bougeait pas et il répéta avec un peu plus de rage :
« Retire-les. Si tu ne le fais pas, je te ferai écorcher vif pour apaiser ma colère. »
Ces derniers mots furent pratiquement hurlés, et les serviteurs du palais qui se cachaient dehors en tremblèrent de peur.
Shen Jue baissa la tête et leva lentement les mains pour dénouer sa ceinture. Quand il retira sa couche supérieure de vêtements, Murong Xiu se leva brusquement du lit et un fouet apparut dans ses mains. Il saisit le fouet et s'avança vers Shen Jue pour l'abattre sur le dos nu du garçon.
Murong Xiu grinça des dents et n'y alla pas de main-morte. À chaque fois qu'il le frappait, il entendait Shen Jue lui murmurer à l'oreille —
« Je suis fatigué alors finissons-en ici. »
Pourquoi Shen Jue pouvait-il tout oublier tandis que lui ne pouvait pas oublier ?
Shen Jue n'était qu'un esclave déloyal, il aurait dû le tuer depuis longtemps mais pourquoi son cœur n'arrivait pas à s'y résoudre ?
Et comment se faisait-il que Shen Jue passait du temps avec Ni Xinyan ? Shen Jue le prenait vraiment pour un idiot qui ne savait rien de ce qui se passait ?
Le regard de Murong Xiu se modifia peu à peu. Il contempla le dos strié de marques rouges devant lui mais en lui-même il songeait que si Shen Jue l'avait tué dans la vie précédente, se pouvait-il que ce soit à cause de Ni Xinyan ?
Était-il possible que celui que Shen Jue aimait vraiment soit en réalité Ni Xinyan ?
Quand cette hypothèse surgit dans l'esprit de Murong Xiu, il se figea aussitôt. Il jeta le fouet loin de lui et se couvrit les oreilles.
Impossible, comment Shen Jue aurait-il pu tomber amoureux de Ni Xinyan ? Le régent s'était montré si horrible avec lui !
Mais si la personne que Shen Jue aimait était bel et bien Ni Xinyan, alors cela expliquait tout.
Shen Jue avait défiguré son visage non pas pour son bien mais dans le but que Ni Xinyan soit répugné par Murong Xiu.
Si Shen Jue avait risqué sa vie pour protéger son maître, c'était uniquement par jalousie.
Shen Jue l'avait donc tué afin de —
Venger la mort de Ni Xinyan !
À cette pensée, Murong Xiu sentit son cœur devenir lourd. Il serra les dents et secoua la tête désespérément.
Impossible, absolument impossible.
Son regard se modifia légèrement et il vit Shen Jue agenouillé par terre. Il le serra soudain dans ses bras et murmura :
« Tu ne peux pas aimer Ni Xinyan, n'est-ce pas ? Je pense à tort, hein ? »
Il était désireux d'obtenir la confirmation de la bouche du garçon mais le corps de Shen Jue devint tout à coup mou et tomba directement ses bras.
Légèrement surpris, Murong Xiu regarda le garçon qui était dans ses bras. Ses yeux s'assombrirent peu à peu puis il éclata de rire.
Il était si stupide, Shen Jue n'avait aucun souvenir de cette autre vie et il n'était à présent encore qu'un enfant. Comment un enfant pouvait-il comprendre l'amour ? Même si le Shen Jue de la vie précédente avait vraiment aimé Ni Xinyan, alors il n'avait qu'à tuer Ni Xinyan une fois de plus.
Et cette fois il allait complètement anéantir Ni Xinyan de telle sorte que Shen Jue ne songe même plus à être avec l'autre homme.
Il n'allait pas laisser Shen Jue faire à sa guise. Même si Shen Jue mourait, il posséderait son fantôme.
Après que Ni Xinyan ait quitté le palais ce jour-là, il songea de nouveau tout à coup à Shen Jue. Il contempla la lune brillante dans le ciel et s'inquiéta un peu pour ce petit eunuque dans le palais. Les jours suivants, il ne parvint pas à revoir Shen Jue alors il demanda à un eunuque de l'aider à se renseigner discrètement sur un jeune eunuque du nom de Shen Jue.
Il se trouvait que cet eunuque connaissait bien Liu Anshun des cuisines impériales. Quand Liu Anshun apprit qu'un prince s'intéressait à Shen Jue, ses yeux s'illuminèrent et il demanda prudemment pourquoi cette Excellence s'intéressait au garçon. L'eunuque devina son souci et répondit :
« Ce n'est sûrement pas pour une mauvaise raison. Le prince de Ning est un homme bien. Je pense que Shen Jue a eu la bonne fortune d'attirer le regard du prince de Ning. »
Cela rendit Liu Anshun encore plus heureux. Il se disait sans cesse que le garçon avait une vie trop rude dans le palais de Qizhang. Quelques jours plus tôt, il avait appris que Shen Jue avait reçu une autre correction au fouet et ne pouvait toujours pas quitter le lit. Shen Jue n'avait que dix ans, pourtant le sixième prince Murong Xiu pouvait se montrer aussi brutal. Si Shen Jue continuait à servir au palais de Qizhang, il risquait d'y laisser la peau.
« Va dire au prince de Ning que Shen Jue est l'eunuque du sixième prince. J'ignore ce qu'il a fait de mal il y a quelques jours mais il a reçu des coups de fouet et maintenant encore, il est alité, » fit Liu Anshun à l'autre eunuque.
Ce dernier fit demi-tour et alla rapporter ces propos à Ni Xinyan.
Quand Ni Xinyan apprit que Shen Jue avait été battu, il garda le silence un moment. Il décida ensuite de rencontrer en personne ce sixième prince si violent mais jamais il n'aurait cru qu'il ferait face à des portes fermées et que le sixième prince ne voulait non seulement pas le voir mais refusait même de le laisser entrer dans son palais.
Ni Xinyan n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi impoli. Il en fut très furieux. Quelques jours plus tard, le roi de Ning reçut l'ordre de diriger les troupes pour une expédition. Ni Xinyan devait l'accompagner en tant que général adjoint. L'Empereur demanda au roi de Ning et à son fils s'ils avaient besoin de quoi que ce soit. Ni Xinyan réfléchit un moment et sortit des rangs.
« Votre Majesté, ce sujet souhaiterait vous demander une personne, » déclara-t'il d'une voix forte et claire.
Le roi de Ning tourna aussitôt la tête pour regarder fixement son fils.
L'empereur en fut ravi pour sa part. Comparé à un officiel obséquieux qui ne réclamait jamais rien, il préférait encore un officiel franc qui demandait quelque chose.
« Intéressant. Ni Xinyan, qui veux-tu ? Se peut-il que tu sois tombé amoureux de la fille d'un prince ou d'un ministre ?
– Non, répondit Ni Xinyan d'un ton sérieux. Ce que ce sujet souhaite demander, c'est un jeune eunuque du nom de Shen Jue qui sert le sixième prince. Ce sujet l'a rencontré à plusieurs reprises et a découvert que ce garçon est doué pour les arts martiaux, alors ce sujet souhaite l'emmener au front ! »
L'Empereur en resta stupéfait. Il avait toujours su que ces rustres de généraux ne comprenaient rien à l'étiquette. Durant ses premières années au pouvoir, il avait vu des gens le supplier pour des beautés, de l'or et des bijoux mais jamais on ne l'avait supplié pour un eunuque.
Ce prince héritier de Ning était vraiment étrange.
Le roi de Ning fut choqué en entendant les propos de son fils. Il s'avança rapidement et fit :
« Votre Majesté, mon chien de fils Ce n'est pas une insulte, c'est une habitude dans les pays asiatiques de dévaloriser ses enfants en signe d'humilité. (1) est mal élevé alors votre Majesté ne devrait pas prendre ses paroles au sérieux. »
Ni Xinyan garda le dos droit.
« Ce sujet ne plaisante pas, je veux vraiment demander cette personne à votre Majesté. »
Voyant que le roi de Ning était à deux doigts de battre son fils à la Cour, l'Empereur se hâta de dire :
« Ce n'est un eunuque, je peux t'en donner autant que tu veux. Qui sait, nous aurons peut-être un autre général plus tard ? Ha ha. »
Murong Xiu ne put savoir ce qui s'était passé à la Cour car il se trouvait au Collège à ce moment-là. Quand il eut fini ses leçons, c'était déjà fait. Shen Jue avait suivi Ni Xinyan hors du palais tôt dans l'après-midi et ils étaient partis pour la frontière aussitôt.
Ce jour-là, Murong Xiu brisa tous les objets dans le palais.
Quand Shen partit avec l'armée, il en fut aussi un peu confus. Il n'aurait jamais cru que Ni Xinyan l'emmènerait pour de bon à la frontière afin de combattre. Il contempla la cité impériale qui s'éloignait de plus en plus et son cœur fut rempli de toute sorte de sentiments. Ni Xinyan, assis près de lui, le vit regarder en arrière l'air hébété alors il ne put s'empêcher de sourire et de dire :
« Ne t'en fais pas, ton maître vicieux ne nous rattrapera pas. Tu es libre. Dorénavant, l'océan est assez vaste pour que les poissons sautent et le ciel est assez haut pour que les oiseaux volent C'est une citation de La Pérégrination vers l'Ouest. Cela veut dire que les talents d'un individu peuvent s'épanouir en liberté. (2). »
À peine eut-il prononcé ces mots qu'il vit Shen Jue se pencher à moitié par l'ouverture du carrosse.
Le jeune homme en resta stupéfait puis le tira rapidement en arrière.
« Qu'est-ce que tu fais ? »
L'armée était en plein déplacement. Si Shen Jue tombait accidentellement du carrosse, il allait assurément mourir sous les sabots des chevaux.
Shen Jue se tourna vers lui et fit subitement :
« Il est là.
– Qui ? » demanda Ni Xinyan.
À ce moment, il y eut de l'agitation dehors.
« Qui va là ?
– Le sixième prince Murong Xiu. »
Murong Xiu montait un cheval alezan et avait galopé tout du long. Quand il se rapprocha de l'armée en marche, il arracha la plaque de jade La plaque est gravée avec son nom et son rang, c'est comme une carte d'identité pour les nobles. (3) de sa ceinture et la leva bien haut. Le soleil couchant tomba lentement sur lui. Il avait quatorze mais il était déjà extrêmement grand. Il portait une tenue de cavalier qui rendait sa taille plus fine et ses jambes plus longues. Son visage de la taille d'une paume d'adulte était aussi beau qu'une pêche et une prune, aussi brillant qu'un bégonia.
Les soldats proches de Murong Xiu le dévisagèrent d'un air hébété et même le soldat féroce qui l'avait interrogé à l'instant restait cloué sur place, ne sachant comment réagir.
Murong Xiu balaya du regard les visages de la troupe. Son visage s'assombrit, ses lèvres rouges se pincèrent fortement. Il remit sa plaque de jade en place puis ramena en arrière d'un geste négligeant les longs cheveux qui tombaient sur son torse. Il fit froidement :
« Le prince héritier du roi de Ning est-il là ? »
Ni Xinyan avait naturellement remarqué ce qui se passait dehors. Il ne voulait pas de retard alors il souleva le rideau de la voiture et lança un regard indifférent à Murong Xiu. C'était peut-être parce qu'il avait déjà une mauvaise impression de lui ou bien parce que le Murong Xiu de quatorze ans n'était pas assez beau, mais alors qu'ils se rencontraient plus tôt cette fois, non seulement Ni Xinyan ne tomba pas amoureux de Murong Xiu au premier regard mais quand il vit l'autre homme habillé de manière si splendide au coucher du soleil, comme une petite fille, son dégoût augmenta de 30 %.
« C'est moi. Y a-t'il un problème, votre Altesse ? » fit poliment Ni Xinyan.
Murong Xiu rétrécit légèrement ses yeux de phénix.
« Je suis venu pour mon petit esclave désobéissant. J'espère que le prince peut me rendre cette personne. »
Les lèvres de Ni Xinyan s'étirèrent en un sourire moqueur sur son visage magnifique.
« Si je refuse, que ferez-vous ? C'est sa Majesté qui m'a offert cette personne en récompense. Pourquoi vous être donné tant de peine ? Il y a bien assez d'esclaves dans ce monde mais celui-ci, vous ne pouvez pas y toucher, votre Altesse. »
Dès qu'il eut fini de parler, il tapa dans ses mains et fit :
« Allons-y ! »
Ils étaient la dernière troupe. Les soldats dirigés par son père étaient déjà partis tôt ce matin. Si ses troupes arrivaient en retard, Ni Xinyan craignait fort de se faire passer un savon alors il était hors de question qu'ils soient retardés par une tapette.
Quand Murong Xiu vit les troupes se mettre de nouveau en route, il enfonça ses ongles dans ses paumes. Il grinça des dents et trembla de rage.
Quand l'armée eut pratiquement disparu de sa vue, Murong Xiu se mordit soudain le poing et éclata d'un rire dément.
Il ne les laisserait pas s'en tirer comme ça.
Ces deux salauds ne seraient jamais ensemble.
La parole à l'auteur :
Le beau Murong est en train de passer dans le côté obscur en silence...
Ni Xinyan est toujours encore au stade de la jeune femme douce et naïve.
Ni Xinyan : N'aie pas peur, je vais te protéger.
Shen Jue : Je crois que nous allons tous les deux mourir.
Note de Karura :
Un beau trou noir est en train de se former dans l'esprit de Murong Xiu, ou bien est-ce la vérité ?
En tout cas, c'est fou de se dire qu'en à peine six ans, Ni Xinyan est passé du stade de la jeune femme douce et naïve au pervers sadique. Qu'a-t'il bien pu se produire ?!
Notes du chapitre :
(1) Ce n'est pas une insulte, c'est une habitude dans les pays asiatiques de dévaloriser ses enfants en signe d'humilité.
(2) C'est une citation de La Pérégrination vers l'Ouest. Cela veut dire que les talents d'un individu peuvent s'épanouir en liberté.
(3) La plaque est gravée avec son nom et son rang, c'est comme une carte d'identité pour les nobles.
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