Chapitre 85
Qiao Jiangyuan employa une certaine force, comme s’il ne voulait pas que l’autre se libère.
« Viens par ici, j’ai à te parler. »
Après tout, c’était un casino et il y avait des nobles autour. Qiao Jiangyuan avait donc baissé la voix pour dire ça et il saisit le poignet de Shen Jue pour l’entraîner vers une terrasse.
Shen Jue se renfrogna mais puisqu’il était venu parler affaires ce soir, il ne voulait pas que Kong Fan, un partenaire d’affaires, puisse avoir une mauvaise impression de lui. Alors il n’eut pas d’autre choix que de suivre Qiao Jiangyuan sur la terrasse.
D’épaisses tentures noires séparaient la terrasse et la salle de jeux, comme s’il s’agissait de deux mondes différents. Dès que Shen Jue arriva sur la terrasse, il voulut libérer sa main mais Qiao Jiangyuan refusa de la lâcher. Il allait même jusqu’à s’avancer et presser Shen Jue contre la rambarde.
La rambarde fit pression contre sa taille. Les lampadaires plus bas n’éclairaient pas jusque là. Le beau visage de Qiao Jiangyuan avait donc l’air un peu flou dans la nuit.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
Shen Jue fixa l’homme devant lui avec agacement et il tenta de nouveau de libérer ses mains. Toutefois, Qiao Jiangyuan refusa encore de le lâcher et il était bien plus fort que Shen Jue.
« C’est plutôt à moi de te demander ça, fit Qiao Jiangyuan à voix basse, comme s’il craignait que des étrangers l’entendent. Tu ne veux même plus me parler à présent ? Nous avons tout de même grandi ensemble alors si tu veux t’éloigner de moi, donne-moi au moins une raison.
– Il n’y a pas de raison particulière, fit Shen Jue en fronçant les sourcils. Qiao Jiangyuan, lâche-moi. »
L’autre homme se contenta de fixer Shen Jue en entendant ça. Les marques de morsure dans le cou de Shen Jue étaient si évidentes qu’il ne pouvait pas les rater, et il y en avait plus d’une. Il se dit alors qu’il savait qui avait fait ces marques, c’était celui qu’il aimait. À présent, celui qu’il aimait était avec son ami, le même ami qui était amoureux de lui il y avait encore un mois.
Il sentait qu’il allait devenir fou : en à peine plus d’un mois, son monde semblait avoir connu des changements radicaux.
Qiao Jiangyuan ferma les yeux un moment et quand il les rouvrit, un doux sourire apparut sur ses lèvres.
« Je sais que tu es en colère contre moi, tu m’en veux parce que j’ai prétendu être naïf, pas vrai ? Mais ce n’est pas une raison pour tenter de me rendre furieux en te servant d’un autre. Xiao Jue, j’ai eu tort. Tu veux bien me pardonner ? »
Après ça, il prit de force Shen Jue dans ses bras et lui tapota le dos d’une main.
« Xiao Jue, je sais bien qu’en grandissant, nous avons forcément nos propres idées et notre propre vie, mais sache que j’ai toujours eu énormément d’affection pour toi. Si je n’ai pas voulu comprendre tes allusions avant, c’était parce que j’avais peur de te faire du mal, alors je n’ai pas osé répondre. Mais je sais à présent que je ne peux pas supporter que tu m’ignores, alors même si tu ne m’aimes plus, peux-tu au moins cesser de m’ignorer ? »
Sentant la personne se débattre dans ses bras, Qiao Jiangyuan augmenta la force de son étreinte sans trop le laisser paraître. Pendant ce temps, Shen Jue était vraiment agacé. Il n’aurait jamais cru que Qiao Jiangyuan se montrerait aussi persistant. Il avait cru qu’à partir du moment où il le rejetterait, Qiao Jiangyuan aurait le bon sens de cesser de l’importuner mais il semblait que les sentiments de Qiao Jiangyuan pour Yu Qing étaient assez importants pour lui faire perdre tout amour-propre. Même si Shen Jue faisait la tête, il était capable de lui parler et de jouer les amis irréprochables.
Néanmoins quand on y pensait, c’était tout à fait normal. Qiao Jiangyuan était bien arrivé à acheter en secret toutes les propriétés de Shen Jue dans les vies précédentes, et ce sans jamais laisser naître la moindre rumeur à ce sujet. Cela prouvait bien que cet homme était extrêmement calculateur et prudent. Il n’était donc pas impossible qu’il renonce à présent à sa fierté et qu’il lui fasse des excuses.
Cependant, Shen Jue sentait que s’il montrait la moindre indulgence et qu’ils revenaient à leur relation de départ, Qiao Jiangyuan en profiterait alors pour continuer à se rapprocher de Yu Qing.
« Lâche-moi d’abord. »
Shen Jue n’avait rien mangé depuis son réveil et la nourriture ici ne l’attirait franchement pas. En effet, pratiquement tous les plats contenaient du sang et comme il était noble, les cuisiniers n’avaient pas lésiné sur le sang. Au début, quand il était arrivé au Pavillon de la Convergence des Talents, il avait bu un verre avec Kong Fan et son estomac n’avait pas du tout apprécié. À présent que Qiao Jiangyuan le tenait dans ses bras, il avait juste envie de vomir et son visage était encore plus pâle que d’habitude.
L’autre homme parut entendre dans sa voix que quelque chose n’allait pas. Il hésita puis le lâcha. Voyant que l’autre n’avait pas l’air dans son assiette, il s’enquit d’une voix douce :
« Tu ne te sens pas bien ? »
Shen Jue repoussa Qiao Jiangyuan. Une autre chose qui lui donnait envie de vomir était l’odeur complexe sur le corps de l’autre homme. Qiao Jiangyuan sentait l’alcool, le tabac et le parfum. Tout ça mélangé ensemble, cela donnait une odeur horrible et répugnante.
Quand l’autre homme fut repoussé plus loin et que la brise nocturne dissipa l’odeur dans ses narines, Shen Jue se sentit nettement mieux.
Qiao Jiangyuan avait attentivement observé son visage et quand il fit les sourcils de l’autre se détendre, il reprit la parole :
« Tu ne te nourris pas correctement ? Tu ne sais toujours pas bien prendre soin de toi. Et si tu séjournais chez moi quelques jours ? J’ai récemment embauché un diététicien qui s’y connaît très bien. »
Shen Jue secoua la tête et leva les yeux sur lui.
« Je vais te le redire une bonne fois pour toutes : je ne veux plus être ami avec toi. Ne viens plus me voir ou me parler.
– Pourquoi ? »
Qiao Jiangyuan sentait qu’il ne pouvait pas accepter ça. Il ne pouvait pas accepter que Shen Jue ait changé radicalement en une nuit. Ses sourcils s’agitèrent et il sortit soudain un papier plié de sa poche.
Il le déplia et il y avait un portrait de lui dessiné dessus. L’œuvre était signée du nom de Shen Jue et il y avait aussi la date dessus, cela remontait à quelques mois à peine.
Shen Jue avait dessiné ça quand il était resté chez lui une fois et il l’avait même délibérément glissé dans le livre que Qiao Jiangyuan lisait. À l’époque, Qiao Jiangyuan avait trouvé son comportement ridicule et agaçant, pourtant il n’avait pas jeté ce dessin. Ces derniers jours, il s’était souvenu de ce portrait et l’avait pris avec lui.
« Regarde un peu ce portrait, Shen Jue. Tu es vraiment sûr que tu veux mettre un terme à notre amitié comme ça ? »
Qiao Jiangyuan le regarda fixement, ses lèvres légèrement pincées.
Le regard de Shen Jue se posa sur le portrait et ses yeux prirent tout à coup un air songeur. Il avait sincèrement aimé Qiao Jiangyuan dans ce monde mais cette personne avait tourné le dos à sa sincérité et lui avait même menti pour lui faire signer un contrat d'esclavage.
Qiao Jiangyuan remarqua l’air songeur de Shen Jue et une faible lueur de joie parcourut son regard, cependant elle ne dura pas bien longtemps. Shen Jue lui prit le dessin et le déchira en morceaux juste sous ses yeux.
Il ne déchira pas le papier très vite, il prit son temps, comme s’il voulait vraiment que Qiao Jiangyuan regarde bien ça et s’en souvienne pour de bon.
Dans la nuit, les mains de Shen Jue était d’une pâleur étincelante et Qiao Jiangyuan en resta un moment perplexe : qu’est-ce qui était le plus blanc, les mains de Shen Jue ou bien le papier qu’il tenait ? Les mains fines et pâles déchirèrent lentement le papier en petits morceaux, comme si c’étaient leurs souvenirs ensemble qu’il réduisait ainsi en miettes.
Quand Shen Jue eut fini de déchirer le portrait, il fit un pas vers Qiao Jiangyuan.
Il lui adressa un léger sourire, ses lèvres rouges s’étirèrent légèrement mais son regard restait très indifférent.
« Comme il n’y a pas de poubelle ici, je ne peux que te le rendre. »
Il ouvrit la poche de chemise de Qiao Jiangyuan et fourra dedans les bouts de papier.
S’il n’avait pas retrouvé la mémoire, il aurait naturellement été ému par les paroles de son ami mais s’il n’avait pas retrouvé la mémoire, il n’aurait jamais pu non plus entendre ces paroles. Qiao Jiangyuan faisait juste semblant pour le tromper et se servir de lui.
Après que Shen Jue lui ait remis les bouts de papier, il quitta la terrasse.
Les gens étaient toujours comme ça : ils regrettaient toujours ce qu’ils avaient perdu tandis qu’ils moquaient bien de ce qu’ils avaient.
Shen Jue retourna dans le casino. Kong Fan avait fini de s’amuser et il le cherchait aussi.
Kong Fan était assez content de cette soirée. En partant, il précisa qu’il voulait continuer à préciser les détails de leur coopération d’ici quelques jours. Shen Jue raccompagna Kong Fan à sa voiture avant de se diriger vers la sienne. Toutefois, il se retourna avant de monter dans le véhicule.
Quelqu’un était en train de l’observer.
Shen Jue regarda donc derrière lui et eut la surprise de voir qu’il y avait encore une silhouette sur la terrasse où Qiao Jiangyuan et lui s’étaient trouvés tout à l’heure. Comme il n’y avait pas de lumière sur cette terrasse, Shen Jue ne vit qu’une forme vague mais cela semblait être Qiao Jiangyuan.
Il était resté là.
Shen Jue ne lui adressa qu’un regard avant de détourner les yeux. Il se pencha et monta dans la voiture.
Cinq jours plus tard, Shen Jue avait signé un contrat préliminaire avec Kong Fan qui l’invita à inspecter la mine. Shen Jue accepta après y avoir réfléchi.
Pour ce voyage, il prit seulement Yu Qing et son garde du corps avec lui. Il n’avait pas besoin de son chauffeur car le voyage se ferait en train.
Quand Xiang Wen apprit que Shen Jue allait voyager loin et sans le prendre avec lui, il en fut déprimé un bon bout de temps mais il n’osa pas trop le montrer devant son maître. Tout ce qu’il put faire, ce fut lancer quelques remarques mesquines à Yu Qing. Toutefois, ce dernier se montra très avisé, ne se disputa pas avec lui et écouta tout ce qu’il disait. Après une paire de fois, Xiang Wen perdit tout intérêt et ne put que lancer des regards de ressentiment à Yu Qing.
Le jour du départ, Xiang Wen souleva les bagages de Shen Jue pour les poser dans le coffre et dès qu’il eut fini, il vit Yu Qing sortit avec une petite valise.
Yu Qing n’avait jamais voyagé loin du manoir. Cette petite valise était celle avec laquelle il était arrivé il y avait plusieurs années, et elle était bien usée sur les bords.
« Qu’est-ce que tu fais avec une valise miteuse ? Quand les autres vont la voir, ils s’imagineront que le duc ne te traite pas bien. »
Quand Xiang Wen vit Yu Qing avec une valise en si piètre état, il ne put s’empêcher de le critiquer :
« Tu n’as pas eu une augmentation de salaire récemment, non ? Et tu n’as même pas fait l’effort de t’acheter une valise ? Tu veux vraiment faire honte au duc. »
Yu Qing ne sut que dire et dut baisser la tête.
Shen Jue se trouvait près de la voiture et il écouta les paroles de Xiang Wen. Il jeta un coup d’œil à la petite valise dans les mains de Yu Qing. Après réflexion, il se tourna vers Xiang Wen et fit :
« Je crois me rappeler que j’ai encore d’autres valises. Va en chercher une pour Yu Qing. »
Xiang Wen émit un son d’assentiment et s’approcha de Yu Qing.
« Tu viens avec moi. »
Dix minutes plus tard, les deux serviteurs ressortirent. Yu Qing rangea sa nouvelle valise dans le coffre et montra dans la voiture. Shen Jue était déjà installé, les yeux fermés et en train de se reposer. Ils devaient d’abord rouler jusqu’à l’hôtel où se trouvait Kong Fan puis prendre le train pour la ville de A avec lui.
Dès que Kong Fan vit Yu Qing, ses yeux s’illuminèrent. Dans le train, il s’accapara Yu Qing et lui parla énormément. Yu Qing en fut un peu gêné alors il se tourna vers Shen Jue, mais ce dernier n’avait pas l’air à son aise. Il s’était endormi dès qu’il était montré dans le train et comme il s’appuyait contre la fenêtre, sa tête cognait souvent la vitre.
Yu Qing posa alors soigneusement la tête de Shen Jue sur son épaule puis porta un doigt à ses lèvres à l’intention de Kong Fan. En voyant ça, ce dernier n’osa pas continuer à parler.
Le trajet dura huit heures. Shen Jue semblait ne pas très bien avoir supporté le long trajet. Il ne dit rien à son réveil mais se redressa sur son siège, les sourcils froncés. En voyant ça, Yu Qing prit quelques bonbons de sa poche. Durant cette période où il servait Shen Jue, il avait découvert que le duc aimait manger des bonbons alors il avait demandé à quelqu’un d’acheter pour lui des bonbons haut de gamme à l’extérieur.
Ces sucreries coûtaient très cher et cela lui avait coûté presque un mois entier de salaire.
« Mon seigneur, prenez donc un bonbon, » fit doucement Yu Qing en déballant un bonbon.
Shen Jue regarda la sucrerie d’un air las mais ne bougea pas.
Yu Qing regarda les autres personnes dans le compartiment. Tout le monde était un peu fatigué. Kong Fan et son serviteur dormaient tandis que le garde du corps était assis près de la fenêtre et regardait le paysage dehors.
Yu Qing réfléchit un moment puis mit le bonbon dans sa bouche. Il posa une main sur l’épaule de Shen Jue et l’embrassa de son propre chef, tandis que son autre main saisit le chapeau sur la table et s’en servit pour bloquer la vue du garde du corps.
Du bout de la langue, il poussa le bonbon dans la bouche de l’autre homme.
La douceur disparut de sa bouche et Yu Qing recula. Mais quand il vit Shen Jue le fixer, il ne put s’empêcher de l’embrasser à nouveau.
En général, les gens semblaient trouver plus excitant de faire ce genre de chose en public. Yu Qing ne fit pas exception à la règle. Bien qu’il ait caché leurs visages avec le chapeau, si le garde du corps regardait dans leur direction, il se rendrait compte facilement de ce qu’ils faisaient. Ce genre de stimulation excita davantage Yu Qing.
Il donna ainsi tous les bonbons à Shen Jue qui ne refusa pas, ce qui rendit Yu Qing un peu heureux. Quand ils descendirent du train, ce sentiment de joie persistait encore dans son cœur. Mais quand ils arrivèrent à l’hôtel où ils séjourneraient, Yu Qing ne put rester heureux.
En tant que bon hôte, Kong Fan avait remarqué que Shen Jue avait l’air fatigué alors il lui proposa un bain dans les sources chaudes, vu que cet hôtel en proposait. Kong Fan n’était pas du genre à se passer de femmes. Dans les sources d’eau chaude, il commanda quelques femmes pour les servir. En tant qu’esclave, Yu Qing n’était pas qualifié pour entrer dans l’eau mais quand il vit Shen Jue dans la source et qu’une belle femme était assise à côté de lui pour le masser, son regard s’assombrit de manière visible.
Shen Jue ne voulait pas se faire masser mais Kong Fan avait insisté. Du coup, il n’avait pas pu refuser et dû se résigner. En fait, il n’avait jamais eu que très peu de contact avec les femmes. Que ce soit au Ciel ou durant les mondes de ses réincarnations, son entourage était principalement constitué d’hommes et même s’il y avait des femmes, il n’avait rien à faire avec elles.
C’était donc la première fois qu’une femme le touchait de manière si intime.
Les mains d’une femme n’offraient pas du tout les mêmes sensations que celles d’un homme. Elles étaient petites et douces, et il aurait été bien en peine de décrire clairement ce qu’il ressentait. Assis dans le bassin, même si Shen Jue fit de son mieux pour ignorer les mains sur ses épaules, il rougit tout de même.
Kong Fan s’en rendit compte et ne put retenir un léger rire.
« Ah, tu es bien comme ton père, tu rougis dès que tu vois une femme. Au fait, j’ai une nièce qui a toujours rêvé de connaître la différence entre la capitale impériale et la ville de A. Mais comme je ne suis pas de la capitale, je ne peux pas lui dire. Et si vous sortiez dîner une fois ? Comme ça, tu pourras tout lui dire. Qu’en penses-tu ? »
Il s’aspergea d’eau et sourit.
« Elle a une dizaine d’années de moins que toi et elle est à peine devenue majeure cette année. »
Shen Jue en resta interloqué. Au moment où il allait refuser, il entendit la voix de Yu Qing derrière lui.
« Tu as massé si longtemps et durement, laisse-moi te remplacer un peu, » murmura Yu Qing à la femme qui massait Shen Jue.
La servante en fut stupéfaite un moment puis se retira. Yu Qing s’agenouilla à l’endroit où la femme s’était tenue. Tout en massant les épaules du duc, il écouta attentivement la conversation entre Shen Jue et Kong Fan. Quand il entendit le refus de Shen Jue, il étira les lèvres sans un mot et pressa ses mains un peu plus bas le long du dos.
« Ai, oublie ça. »
Voyant que Shen Jue refusait, Kong Fan n’insista pas.
Ils restèrent dans les sources un moment puis en sortirent pour prendre une douche avant de retourner dans leurs chambres. Kong Fan avait une demeure dans la ville de A, donc il quitta l’hôtel après avoir convenu avec Shen Jue de venir le prendre demain soir pour aller à la mine.
Shen Jue se sentit bien mieux après ce bain dans la source d’eau chaude. Il alla se coucher après avoir bu un demi-verre de sang. Sa chambre se trouvait au troisième étage tandis que celles de Yu Qing et du garde du corps se trouvaient au second. Peu de temps après qu’il se soit couché, Shen Jue entendit toquer à la porte.
Deux coups très légers.
Shen Jue rouvrit les yeux et se tourna vers la porte. Après un moment, il sortit du lit pour aller ouvrir.
La personne dans le couloir était Yu Qing.
Il venait de finir de prendre sa douche. Ses cheveux étaient encore humides, son visage était pâle et ses lèvres extrêmement rouges.
« Mon seigneur, je peux dormir avec vous ? »
Shen Jue le fixa puis fit demi-tour et retourna au lit.
C’était comme un accord tacite. Les yeux de Yu Qing s’illuminèrent. Dès qu’il entra, il se tourna pour refermer la porte.
Il ne tenta rien en réalité. Il s’allongea sur le lit et ne bougea plus.
Bien que Kong Fan ait réservé les chambres dans un très bon hôtel de la ville de A, l’isolation phonique n’était pas très bonne. Yu Qing avait le sommeil léger et il fut aussitôt réveillé. Il fut un peu gêné en entendant les bruits qui venaient de l’autre côté du mur à la tête du lit. Le lit dans la chambre voisine devait être de leur côté avec juste le mur pour les séparer. Du coup, ils pouvaient entendre clairement les craquements du lit et quand il cognait contre le mur.
La dernière fois que Yu Qing avait entendu ce genre de bruits, il était sous l’effet de l’aphrodisiaque alors il avait été très mal à l’aise. Comment aurait-il eu le temps de faire attention aux cris et gémissements des autres ? Mais cette fois, il allait très bien alors ses oreilles parurent devenir très sensibles.
En écoutant ces voix, Yu Qing ne put s’empêcher de regarder Shen Jue à côté de lui. L’autre homme avait les yeux fermés et ses longs cils se dressèrent légèrement tandis que ses yeux s’agitaient sous ses paupières. Yu Qing se dit que Shen Jue devait lui aussi avoir entendu ça et effectivement, quand un cri aigu s’éleva de l’autre côté du mur, les sourcils de Shen Jue se froncèrent.
Yu Qing réfléchit puis se rapprocha de son côté. Il fit à voix basse :
« Mon seigneur, vous voulez que j’aille toquer à la porte ? »
Shen Jue ouvrit brusquement les yeux et il y avait encore une pointe de sommeil dans son regard.
« Tu as vraiment besoin d’aller toquer à la porte ? L’isolation sonore est très mauvaise. Si tu parles à voix haute ici, ils vont forcément t’entendre dans la chambre voisine. »
Yu Qing se pinça les lèvres et sourit.
« Alors je toque simplement au mur ? »
Shen Jue le fixa un bon moment puis l’attira soudain près de lui. Il mordilla presque son oreille et murmura :
« Non, et si tu poussais plutôt des cris de plaisir ? »
Les lobes d’oreille de Yu Qing devinrent rouges et sa voix se fit encore plus faible :
« Je… je vais essayer. »
Il fallut reconnaître que Yu Qing se montra plutôt très doué dans ce domaine. Bien qu’il était clairement le seul à crier, il semblait crier comme si deux personnes étaient en train de le faire. Shen Jue s’assit contre la tête du lit et l’observa en train de rougir. Le couple de l’autre côté tenta de rivaliser avec lui au début mais ils durent vite reconnaître leur défaite. Shen Jue entendit même l’un d’eux jurer :
« Putain, c’est qui ce type ? Comment on peut crier avec une telle extase ? »
Shen Jue ne put retenir un rire. Il put se recoucher en voyant que leurs voisins de chambre avaient arrêté leurs activités. En voyant que Yu Qing restait assis, il lui fit signe.
En voyant ça, Yu Qing se pencha immédiatement vers lui.
« Mon seigneur ?
– Bon travail, le complimenta doucement Shen Jue.
– J’ai droit à une récompense ? » s’enquit Yu Qing dont le visage s’illumina.
Shen Jue haussa un sourcil.
« Non. »
Il roula sur le côté et s’endormit mais après un moment, une main supplémentaire se posa sur sa taille.
Yu Qing était en train de tester ses limites pas à pas. Il semblait vouloir savoir jusqu’où Shen Jue allait le tolérer.
Et Shen Jue autorisa tacitement Yu Qing à faire ça. On pouvait dire que les deux étaient en train de tester l’autre. C’était comme danser le tango : tu avances et je recule, puis tu recules et j’avance. Aucun des deux ne saurait qui était la proie tant qu’ils n’étaient pas à la fin.
Quand ils se levèrent le lendemain et sortirent de la chambre, Shen Jue et Yu Qing tombèrent sur leurs voisins de chambre dans le couloir. C’était un couple, un homme et une femme. Quand ces gens les virent, ils ne purent s’empêcher de rire et la femme fit même à Yu Qing :
« Tu as une jolie voix. »
Yu Qing toussota et ne dit rien.
Quand ils descendirent ensemble, Shen Jue et Yu Qing firent comme si de rien n’était et marchèrent naturellement et sans difficultés. Quand le couple les vit descendre les escaliers si vite, ils firent claquer leur langue d’étonnement.
Yu Qing rougit en entendant ça. Il se tourna inconsciemment vers Shen Jue et eut la surprise de voir que les lobes d’oreille du duc étaient aussi un peu rouge. Cela le surprit un peu, comme s’il venait de découvrir un des secrets de Shen Jue.
Heureusement, le couple quitta l’hôtel cette nuit-là et afin d’empêcher qui que ce soit de le réveiller à nouveau, Shen Jue réserva simplement les deux chambres voisines de chaque côté.
Yu Qing fut très satisfait de ce court voyage car il avait eu l’impression d’avoir au Shen Jue complètement pour lui, contrairement à d’ordinaire avec Xiang Wen. Le temps du séjour de Shen Jue dans la ville de A, Yu Qing s’occupait des petites et grandes affaires. Le garde du corps n’était là que pour assurer la protection de Shen Jue et ne venait jamais l’ennuyer comme le faisait Xiang Wen.
De la même manière, quand Yu Qing et Shen Jue se rendirent à la mine, Yu Qing découvrit aussi que Shen Jue veillait sur lui : quand ils descendirent, le duc lui prit la main de son propre chef. Kong Fan remarqua que ce geste et une lueur de lucidité parcourut brièvement son regard. Tandis qu’il avait encore parlé de sa nièce pendant l’aller, il n’en toucha plus un mot au retour.
Après avoir visité la mine, Shen Jue signa officiellement le contrat avec Kong Fan et retourna à la capitale impériale en train le jour même.
De retour à la capitale, Yu Qing changea d’expression en voyant Xiang Wen et le chauffeur attendre à la gare.
Quand Xiang Wen vit le duc, il s’avança avec un sourire très joyeux sur les lèvres et il bouscula aussitôt Yu Qing sur le côté. Le jeune homme dut ainsi reculer. Il se mordit les lèvres et suivit en silence. Quand il arriva à côté de la voiture, Xiang Wen fit monter le duc puis se tourna et le fixa.
« Il n’y a plus de place dans la voiture. Rentre par tes propres moyens, ce n’est pas très loin. Tiens, voici un peu d’argent. Si tu rencontres quelqu’un de serviable, tu peux toujours lui demander de te déposer en chemin. »
Il sortit une pièce d’argent de sa poche pour la tendre à Yu Qing. Quand il vit que le jeune homme ne répondit pas, il renifla et lui fourra directement la pièce dans la main. Il poursuivit d’une voix très basse :
« Ne va pas t’imaginer que ta situation a changé juste parce que tu es parti en voyage avec le duc. Tu peux aller te plaindre au duc que j’ai refusé de te ramener, on verra bien ce qu’il en dira. »
Yu Qing serra la pièce dans sa main et une lueur sombre apparut dans son regard. Elle disparut bien vite, à tel point que Xiang Wen ne se rendit compte de rien.
Yu Qing recula de deux pas et baissa la tête.
« Frère Xiang Wen, je comprends. Je vais rentrer tout seul. »
En voyant Yu Qing si calme, Xiang Wen ne s’embêta plus à le railler et retourna dans la voiture.
Cependant, Yu Qing gardait espoir dans son cœur. Il espérait que Shen Jue allait prendre l’initiative de lui demander de monter de monter dans le véhicule. Il était vrai qu’avec trois personnes à l’arrière, ce serait un peu serré. Malgré tout, Shen Jue n’en fit rien et la voiture démarra devant Yu Qing avant de s’éloigner.
Yu Qing regarda le véhicule disparaître au loin. Son poing se resserra plus fort sur la pièce qu’il tenait et après un moment, il se mit en route d’un pas lourd.
Le temps qu’il retourne au manoir, Shen Jue et les autres étaient arrivés depuis longtemps et Xiang Wen avait déjà servi le duc pendant son bain. Quand il vit Yu Qing arriver, il fit mine de se couvrir le nez.
« Pouah, c’est quoi cette odeur ? Yu Qing, tu es monté dans une autre voiture ou quoi ? Pourquoi ça sent si mauvais ? »
Il lança un regard de dégoût au jeune homme.
« Tu ferais mieux de prendre un bain avant de revenir. »
Le visage de Yu Qing alterna entre le rouge et le blanc en entendant ce que dit Xiang Wen. Il était effectivement monté dans le véhicule d’une bonne âme charitable mais ce camion servait en général à transporter des poulets et des canards. Du coup, l’odeur était un peu forte.
Yu Qing n’eut donc pas d’autre choix que de quitter la chambre de Shen Jue pour aller d’abord se laver.
Quand il eut fini, Shen Jue était de nouveau sorti et il avait pris Xiang Wen avec lui.
Dès qu’il apprit ça, Yu Qing cassa des objets dans sa chambre pour la première fois de sa vie.
Il haïssait la capitale impériale et il haïssait Xiang Wen. Il eut tout à coup l’étrange idée que s’il allait dans un endroit où il n’y aurait que Shen Jue et lui, tout irait bien mieux.
Note de Karura : Le caniche Xiang Wen continue de montrer les dents !
Quant au pauvre Yu Qing, il est déjà totalement sous le charme de Shen Jue. La tragédie ne fait pourtant que commencer. Accrochez-vous !
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