Partie 8 : Tuer cette beauté
Chapitre 258
Shen Jue fut réveillé par la douleur, comme si son corps tout entier était rongé par les flammes. Le feu ardent brûlait ses os et la forte douleur l’obligea à rouvrir les yeux.
Et quand il ouvrit les yeux, la première chose qu’il vit, ce fut une fresque délavée. On ne pouvait plus voir les couleurs d’origine sur la peinture au plafond, on pouvait juste vaguement distinguer les personnages peints : il y avait toutes sortes de beautés délicates avec des sourcils de saule et des lèvres rouges comme des cerises. Sous leurs pieds de jade se trouvaient des ossements.
Il y avait beaucoup d’os, comme une montagne de squelettes. La beauté et la mort, cette combinaison était à la fois macabre et splendide. Shen Jue contempla fixement cette peinture un bon moment, puis il leva une main pour la poser sur son torse. La douleur l’empêchait presque de rester paisiblement allongé. Il se tourna sur le côté en haletant, son autre main presque livide saisissant fermement le matelas en-dessous. En même temps, une expression de douleur apparut sur son visage très pâle.
Ce monde…
Il était devenu un fantôme à la peau peinte. Ce genre de fantômes avait toujours adoré la beauté et dans ce monde, il ne faisait pas exception à la règle. Il y avait beaucoup de beautés dans le monde mortel, alors il ne voulait pas quitter ce monde. Il n’entra donc pas dans le cycle des réincarnations. Comme il n’avait jamais fait de mal à qui que ce soit et que son Qi fantomatique était faible, il n’avait attiré aucun garde fantôme venu pour l’arrêter.
Après tout, il y avait bien assez d’esprits maléfiques dans ce monde, alors les gardes fantômes avaient déjà fort à faire pour les capturer. Comment auraient-ils pu avoir le temps de venir s’occuper de lui ?
Ce fut ainsi que Shen Jue s’était caché dans le monde des mortels et était resté là plus d’une centaine d’années. Tout ce temps passé en tant que fantôme lui avait fait oublier son passé comme son avenir. Il ne pouvait pas se rappeler qui il était de son vivant ou de quoi il était mort, il ne se souciait que de la beauté. Il se rendait tous les jours dans le monde mortel pour chercher des beautés et quand il en trouvait une, il revenait et se peignait pour prendre l’apparence de cette personne. Puis il se tenait devant un miroir en bronze volé, penchait la tête sur le côté et prenait des poses, admirant le visage qu’il avait copié.
Mais cela attirait forcément des ennuis de voler un visage.
Une fois, Shen Jue avait rencontré deux beautés en même temps. Ces deux hommes splendides se tenaient côte à côte au bord d’un étang, formant presque une superbe peinture. Shen Jue n’avait jamais vu des gens aussi beaux et en plus, il en voyait deux en même temps, alors il était resté un peu ébloui. Il s’était caché derrière un arbre pour les observer attentivement. Quand les deux beautés étaient parties, il avait détourné le regard avec réticence.
Une fois de retour, il avait rapidement retiré sa peau fraîchement peinte, mais quand il avait étalé la peau blanche et bleue sur le bureau, il avait hésité car il ne savait pas lequel des deux hommes peindre. La beauté de gauche était splendide, la beauté de droite aussi. C’était comme la paume ou le dos d’une même main, c’était difficile de choisir entre eux.
Il avait mordillé la pointe de son pinceau et réfléchi un bon moment, puis avait finalement décidé d’alterner : un jour, il peindrait la beauté de gauche. Cette beauté avait une apparence pure et rafraîchissante. Son visage était aussi agréable que des montagnes et un torrent, ses sourcils étaient telle une montagne et ses yeux étaient comme de l’eau. L’autre jour, il peindrait la beauté de droite. Cet homme était si splendide que même les fleurs les plus belles, comme les pivoines, ne pouvaient se comparer à lui.
Shen Jue avait longuement observé ces deux beautés. Il avait pu voir le moindre de leurs gestes, de leurs froncements de sourcils et de leurs sourires, alors quand il transcrivit tout cela sur sa peau peinte, il pouvait presque devenir cette personne.
Une nuit, il se peignit comme la beauté de gauche et se rendit dans les rues pour trouver de nouvelles beautés. Ce fut alors qu’il tomba sur la beauté de droite. Ils se retrouvèrent nez à nez au détour d’une rue. Shen Jue n’eut même pas le temps de se cacher qu’il se fit saisir le poignet.
« Chuyan, tu n’avais pas dit que tu allais brûler de l’encens hors de la ville avec ta mère et que tu ne serais pas rentré ce soir ? »
Les lèvres rouge vif de l’autre homme s’ouvrirent et se refermèrent, prononçant une phrase qui plongea Shen Jue dans la confusion.
Qui était ce Chuyan ?
L’homme dont il avait peint l’apparence ?
Mais malgré sa panique, il se fit de nouveau enchanter par la beauté de cet homme en face de lui. Non seulement il ne put dire un mot, mais il ne put même pas émettre le moindre son. Il se contenta de regarder bêtement l’autre homme.
En le regardant d’aussi près, il songea que cet homme était vraiment splendide, magnifique en tout point. Il se dit que la grande Nuwa La déesse qui a créé les hommes selon la mythologie chinoise. (1) avait dû soigneusement réfléchir avant de le créer, contrairement aux autres personnes pour qui elle avait juste pris une poignée de glaise, l’avait jetée par terre et avait ainsi fabriqué un être humain.
Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !
En le voyant en transe, l’autre homme ne se fâcha pas mais eut un léger rire.
« Qu’est-ce qui t’arrive aujourd’hui ? Pourquoi tu as l’air si stupide, toi qui es d’habitude si éloquent ? Peu importe. Puisque tu es libre ce soir, et si tu venais chez moi ? J’ai acquis un nouveau pot de chrysanthèmes de la meilleure qualité qui soit. Je voulais justement t’inviter à venir les voir et me dire ce que tu en penses. »
Ce fut ainsi que Shen Jue se fit entraîner dans la demeure de l’autre pendant qu’il restait hébété, tout ça pour admirer les fameux chrysanthèmes. Le problème, c’était qu’il ne savait admirer la beauté que chez les humains, pas les plantes. Alors quand l’autre lui demanda ce qu’il pensait du chrysanthème, il se creusa la tête et finit par murmurer :
« Les algues émeraudes sont comme des fleurs légères et les charmants pompons flottent dans les ombres… »
Il avait récité ce vers uniquement parce qu’il contenait le mot fleur, mais le regard de l’homme à côté de lui se modifia après avoir entendu cet ancien poème qu’il récita. Puis l’homme entraîna Shen Jue dans sa chambre pour boire du thé. Toutefois, Shen Jue était un fantôme, donc il ne pouvait pas manger de la nourriture humaine. Il regarda avec inquiétude le thé fumant devant lui, puis hésita un long moment avant de se lever.
« Je ferais mieux de rentrer.
– Attends. »
Une main de jade se posa sur l’épaule de Shen Jue et la voix de l’autre homme se fit douce et équivoque :
« Chuyan, le poème que tu as récité tout à l’heure me dit quelque chose, mais je n’arrive pas à me rappeler de la suite. Tu veux bien bien me le réciter de nouveau ? »
Quand Shen Jue vit qu’il n’avait pas besoin de boire le thé, juste de réciter un poème, il s’empressa d’accepter.
Quand il arriva à “sur le matelas de soie s’est déjà ouverte la couverture brodée de canards mandarins, les ceintures de raisin recouvrent les vêtements somptueux”, il se fit conduire au lit. Quand il récita “des restes de rouge et de rose se reflètent sur la tenture”, le fantôme à la peau peinte était déjà tiré dans le lit. Au moment où l’autre homme se plaça derrière lui, il ne fut plus capable de continuer sa récitation. Ça faisait si mal qu’il ne pouvait plus dire un mot.
Il ne savait pas ce que faisait l’autre, il ne ressentait que de la douleur. Le visage de l’autre homme s’agitait devant lui, tandis que par la fenêtre, la nuit s’éclaircissait peu à peu. Malgré la douleur, Shen Jue savait qu’il était temps pour lui de s’en aller. Alors il se redressa rapidement et murmura :
« Il… Il se fait tard. Je ne… Je ne veux plus admirer les chrysanthèmes et je ne veux plus réciter de poème. Je veux rentrer. »
Mais la beauté devant lui eut un léger rire et murmura quelques mots à son oreille :
« Des gouttes d’un rouge profond Tous ces vers sont issus d’un poème de Shangguan Yi. Plus de détails à la fin du chapitre. (2), Chuyan. »
Ce n’était pas que Shen Jue ne supportait pas le soleil — après tout, il était tout de même un fantôme qui avait plus d’une centaine d’années — mais il avait conservé des habitudes de fantôme. Il avait l’habitude de redouter le soleil et quand il était sous ses rayons, il ne pouvait pas se rendre invisible et sa peau, qui avait une teinte normale durant la nuit, devenait cadavérique durant le jour. En plus, il n’avait pas d’ombre, alors les gens se rendraient tout de suite compte de sa vraie nature.
Paniqué, il s’enfuit donc de la demeure de l’autre homme. Il dut mettre les vêtements de l’autre car les siens n’étaient plus en état d’être portés.
Il ne fallut pas longtemps à Shen Jue pour regagner sa demeure fantomatique, alors que le soleil illuminait le ciel. Il eut encore mal pendant plusieurs jours et finalement, quand il fut rétabli, que les cicatrices furent guéries et qu’il avait oublié la douleur, il reprit ses sorties.
Contre toute attente, il rencontra de nouveau la beauté de droite et fut de nouveau fasciné par sa splendeur. Il le suivit une fois encore dans sa demeure, en transe. Cette fois, le poème qu’il dut réciter fut bien plus long que l’autre et il eut si mal qu’il ouvrit la bouche, incapable d’en supporter davantage. Il n’osa pas non plus parler trop rudement, de peur que l’autre ne découvre qu’il était un fantôme, alors il ne put que murmurer et bafouiller d’un ton raisonnable :
« Je, je… J’ai vraiment trop mal, je pourrais… arrêter… arrêter de réciter ? »
Mais quand il eut dit ça, ça fit encore plus mal.
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Cette fois, le soleil était déjà bien haut dans le ciel avant qu’il ne puisse rentrer chez lui en toute hâte. Il n’eut pas d’autre choix que d’endurer la douleur en évitant le plus possible les passants. Quand il rentra enfin chez lui, il se dépêcha de retirer sa peau pour la jeter dans le bassin de la cour.
Il pencha son crâne et quand il vit un liquide inconnu sortir de sa peau, il se tourna et se rendit dans sa chambre.
Par la suite, il croisa encore deux fois cette beauté de droite. Ces deux fois ne furent guère différentes des deux premières. Il avait toujours aussi mal et il devait toujours se dépêcher pour rentrer dans son manoir avant l’aube. Mais après la quatrième fois, il eut un grave problème physique.
Il avait l’impression que tout son corps était en train de rôtir. Le feu brûlait ses os et le faisait rouler de douleur sur le lit. Il avait l’impression que tout son squelette s’éparpillait pour se rassembler. S’il n’avait pas porté une peau, ses os auraient roulé Dieu sait où.
Cette douleur agonisante avait déclenché l’activation du miroir à souvenirs dans le corps de Shen Jue. Il avait donc retrouvé la mémoire.
Les lèvres bleuâtres de Shen Jue frémirent et ses mains qui agrippaient le matelas faillirent le déchirer, retirant le coton à l’intérieur. Ses yeux étaient profonds et sombres, regardant droit devant lui.
Après avoir retrouvé la mémoire, il n’était naturellement plus aussi ignorant qu’avant. Il savait pourquoi il avait si mal.
Dans ce monde, il était un fantôme, et quand un fantôme couchait avec un humain, il absorbait le Qi Yang de son partenaire. Cela ne poserait aucun problème s’il s’agissait d’une personne ordinaire, mais cet homme n’était pas ordinaire : il était né à une heure Yang d’un jour Yang d’un mois Yang d’une année Yang. Si cela n’avait été qu’une fois, ça aurait pu aller, mais il avait déjà absorbé quatre fois le Qi Yang de cet homme. Comment un fantôme comme lui avec un faible Qi fantomatique aurait-il pu supporter ça ? C’était naturellement en train de le tuer.
Bien sûr, s’il survivait à ça, cela augmenterait significativement ses pouvoirs, mais cela voudrait aussi dire que son Qi fantomatique allait devenir plus dense. Et si ce Qi fantomatique était trop puissant, cela attirerait l’attention des gardes fantômes.
Cependant, dans les vies précédentes de ce monde, sa fin n’avait pas été de se faire capturer par les gardes fantômes.
La beauté de droite se nommait Xie Zhi, son nom de courtoisie était Xie Shengyi. Après que Shen Jue ait eu plusieurs fois affaire avec lui, son identité de fantôme fut découverte. Sauf qu’après que Xie Zhi s’en soit rendu compte, il ne demanda pas pourquoi il avait peint l’apparence de quelqu’un d’autre, tout comme il ne lui fit aucun reproche. Cependant, il lui posa plusieurs questions précises, puis il lui parla de la beauté du nom de Chuyan :
« Il a offensé sa Majesté et maintenant, il est détenu dans la prison céleste, condamné à se faire décapiter. Je sais que tu as de grands pouvoirs en tant que fantôme et que tu peux prendre son apparence. Même moi, je ne m’étais pas rendu compte que tu n’étais pas lui. Peux-tu prendre sa place pour l’exécution ? De toute manière, tu ne vas pas mourir si tu te fais décapiter. »
Shen Jue n’allait certes pas mourir, mais il avait toujours grandement chéri la peau qu’il portait et il faisait très attention à chaque fois qu’il la peignait. S’il se faisait couper la tête, la peau de son cou serait déchirée et il devrait ensuite la coudre. Dans ce cas, cela allait se voir et ce serait difficile de cacher ça, même s’il peignait par dessus.
Mais Xie Zhi ne cessait de le supplier et en plus, il repensa de nouveau au visage de Chuyan. Il ne pouvait pas supporter l’idée qu’un si splendide visage disparaisse, alors… il pouvait bien les aider, non ?
« Je peux faire semblant de saigner, mais je n’ai pas d’ombre sous le soleil. Les gens ne vont pas remarquer ça ? » demanda-t’il d’un ton inquiet.
Xie Zhi garda le silence un moment, puis assura :
« C’est bon, je vais m’en occuper. »
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Shen Jue n’aurait jamais pensé que Xie Zhi ne voulait pas seulement sauver son ami, mais aussi l’éliminer.
Il engagea un maître céleste en cachette qui jeta un sort à Shen Jue pour lui créer une fausse ombre. Xie Zhi soudoya également le bourreau pour remplacer le sabre qui devait être utilisé lors de l’exécution par une arme magique employée par les maîtres célestes pour éliminer les fantômes. Avec un coup de lame, plus le maître céleste qui jeta un sort en même temps, Shen Jue, un fantôme à la peau peinte qui avait vécu pendant plus de cent ans, n’eut même pas le temps de se débattre. Son âme se dissipa aussitôt.
Durant son siècle d’existence en tant que fantôme, Shen Jue n’avait fait que peindre des beautés. Il n’était même pas capable de reconnaître les armes magiques capables de détruire les fantômes. Alors jusqu’au dernier moment avant son extermination, il n’avait pas su que Xie Zhi avait l’intention de le tuer. Il s’était agenouillé sur la plate-forme et avait lancé un regard angoissé à l’autre homme, espérant obtenir du réconfort de sa part.
Mais Xie Zhi le haïssait, chose qu’il ignorait aussi.
En tant qu’humain, Xie Zhi avait plusieurs fois fait l’amour à un fantôme à la peau peinte, qui avait en plus pris l’apparence de son bien-aimé. Rien que d’y penser, ça le rendait malade. Il haïssait Shen Jue d’un, pour l’avoir trompé et de deux, pour être un misérable fantôme.
Il ne savait même pas si la peau que portait Shen Jue provenait d’un autre cadavre ou pas. Dans tous les cas, c’était la peau d’un mort et les traits du visage étaient simplement peints dessus. Cette idée lui donnait tellement la nausée que naturellement, il devait faire payer Shen Jue. Et le meilleur prix étaient bien sûr de faire disparaître Shen Jue à tout jamais de ce monde.
Un fantôme aussi méprisable ne méritait même pas de se réincarner.
La parole à l’auteur : En fait, je comptais terminer cette histoire mais j’étais un peu réticent. Alors j’ai voulu écrire cette histoire de fantôme pour m’amuser. Je vais continuer à m’acharner un peu sur mon petit Jue.
et les charmants pompons flottent dans les ombres
…
Sur le matelas de soie s’est déjà ouverte
la couverture brodée de canards mandarins,
les ceintures de raisin recouvrent les vêtements somptueux
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Des gouttes d’un rouge profond
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Deux poèmes des Huit Odes
de Shangguan Yi [Dynastie Tang]
Je suis désolé, Shangguan Yi.
Note de Karura : Le poème indiqué peut être interprété comme la nuit de noces d’un couple.
Sinon, je suis contente pour ma part que l’auteur ne se soit pas arrêté là — même si je suis super impatiente de voir Shen Jue retourner dans le vrai monde et entamer sa vengeance ! En effet, cette partie est l’une de mes préférée ~
Non seulement ça parle de fantômes, mais on va y retrouver un peu de la cruauté qui m’avait tellement attirée dans cette œuvre.
Je pense que vous avez clairement deviné qui vont être les deux gongs. L’un d’eux est déjà une ordure finie, voyons ce que donnera le deuxième.
En tout cas, que ce soient les gongs ou Shen Jue, chacun est au top de sa forme avec l’expérience de tous les mondes précédents, alors que la bataille sanglante commence !
Notes du chapitre :
(1) La déesse qui a créé les hommes selon la mythologie chinoise.
(2) Tous ces vers sont issus d’un poème de Shangguan Yi. Plus de détails à la fin du chapitre.
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