Partie Cinq : Ambivalence
L'an de grâce 146
Plus tard dans la nuit
Château Varga, Roumanie
Nicolae regrettait de ne pas avoir eu un moment pour parler à Elizabeta après le banquet car il était pressé de savoir ce qu'elle pensait de son prétendant. Mais le seigneur Varga s'était assuré que ce ne soit pas possible. Il fit sortir sa plus jeune fille de la salle dès que le prince fut parti, fronçant les sourcils en direction de son fils b& acirc;tard.
Elizabeta et Nicolae étaient nés le même jour, à quelques heures d'intervalle. Le seigneur Varga ne pouvait toujours comprendre ce qui lui avait pris d'autoriser le garçon à être élevé dans sa propre demeure. Peut-être que sa mère avait été une sorcière ? Ç'aurait été bien de penser ainsi car il n'aurait plus à ressentir une quelconque obligation envers le garçon si sa présence permanente dans le château était due à un sort.Il pourrait alors oublier la promesse qu'il avait faite sur un crucifix et jeter le garçon dehors sans risquer la damnation. D'une façon ou d'une autre, Dame Christina, la cousine et dame d'honneur de son épouse, lui avait fait promettre de prendre soin du garçon. Sur son lit de mort, en présence de nombreux témoins, Christina lui avait arraché le serment que le petit Nicholae aurait toujours une place chez lui. Alors le seigneur Varga était coincé avec son bâtard, à moins qu'il ne trouve au garçon une position stable ailleurs.
Nicolae n'avait pas eu une enfance très heureuse. L'abus actuel, bien qu'occasionnellement extrême, n'était rien comparé à ce que d'autres dans son cas subissaient tous les jours. Il le savait et remerciait consciencieusement Dieu dans ses prières. Mais cela avait été... solitaire.
Le seigneur Varga était indifférent au sort de l'enfant qu'il avait refusé de reconnaître publiquement. Son épouse haïssait Nicholae comme la preuve vivante de l'infidélité de son époux et les serviteurs soit ne pouvaient s'embêtger avec le garçon, soit avaient peur de provoquer le déplaisir de leur dame en se montrant amicaux avec lui.. Les seuls qui étaient gentils avec lui étaient les frères religieux employés pour éduquer sa demi-sœur Elizabeta et lui.
Elizabeta était la seule personne à avoir jamais exprimé un amour ouvert et personnel envers Nicolae, mais Nicolae devait admettre qu'en comparant les deux, il était celui qui aimait le plus. Il essayait de ne pas lui jeter la pierre, mais ça le faisait parfois souffrir. Tel était le monde dans lequel ils étaient nés, se disait-il. Le monde fonctionnait d'après une hiérarchie stricte, partant de Dieu au Ciel, passant par les êtres célestes, les Hommes, les Bêtes et se terminant au Royaume des Rampants. Ceux appartenant à un ordre supérieur étaient toujours conscient de la différence entre les classes. Toute relation, même une aussi bénigne que l'amour d'une sœur, n'était pas vraiment permise entre une dame bien née et un bâtard, même un dont les deux parents étaient nobles. Aux yeux du monde, un bâtard non reconnu n'était rien d'autre qu'un bâtard. Il regarda tristement sa sœur quitter la pièce, entourée de son entourage qui gloussait. Elle semblait heureuse. Il s'en réjouit.
Il resta assis encore un moment, se servant dans les assiettes de pâtisseries devant lui. C'était l'une des choses qui lui avaient manqué au monastère. La nourriture y était d'habitude abondante, à moins qu'on ne décrète un jeûne, mais si simple qu'elle ne paraissait guère appétissante, même lorsqu'on avait très faim. Nicolae craignait que l'un de ses péchés secrets ne soit la gourmandise. Il ne pouvait tout simplement pas résister aux gâteaux, tartes et autres pâtisseries que les cuisiniers d'Ernestu avaient si bien réussis.
Nicolae ignorait à quel point il paraissait charmant et tentant, fourrageant parmi les amandes sucrées et les fruits confits. Plusieurs femmes, et pas seulement quelques hommes, le regardèrent subrepticement. Il était très séduisant, si jeune, beau et innocent. Mais il avait toujours la défaveur du seigneur Varga, et personne ne voulait prendre le risque d'essayer ses charmes. Quelques-uns remarquèrent cependant que peut-être le Prince en visite ne serait pas rebuté par la réprobation d'Ernestu. Il avait certainement gardé le jeune homme assez près de lui pendant les divertissements.
Nicolae finit son repas, refusant toujours toute offre de vin. Cela avait été chaudement discuté au monastère, si on pouvait ou non consommer le vin en dehors du Saint Sacrement. Certains évoquaient la complète abstinence. D'autres parlaient du miracle de notre Seigneur changeant l'eau en vin lors du mariage. Sûrement, Il n'aurait aucune objection ? Nicolae, comme dans beaucoup d'autres matières, préférait errer du côté de la retenue. Il n'avait pas vu grand-chose du monde mais il savait que les boissons fortes pouvaient conduire les hommes à agir de manière très peu sainte.
Il se souvint d'un certain incident peu de temps avant qu'il ne soit obligé de quitter son monastère pour retourner au château. L'un des laïcs qui aidaient occasionnellement les frères avait mis la main sur le brandy à usage médical que leur guérisseur gardait dans la réserve. Nicholae avait trouvé l'homme ivre à terre. La meilleure chose à faire aurait été d'alerter tout de suite un frère supérieur mais l'homme, environ dix ou quinze ans plus vieux que lui, avait toujours été gentil. Il avait traité Nicolae avec une bonne humeur rude, faisant quelques plaisanteries un peu crues qui avaient fait rougir Nicolae de confusion et amusé l'homme encore plus.
Nicolae l'avait regardé étendu sur le sol de pierres froides dans une stupeur d'ivrogne. Sa tunique était remontée sur sa hanches, exposant des jambes musclées et poilues, et une peau pâle marquées ici et là par une cicatrice récoltée dans son travail. Il doit avoir froid, à découvert comme ça, avait songé Nicolae. Il doutait de pouvoir aider l'homme à se lever et à gagner son lit mais peut-être pouvait-il le mettre plus à l'aise.
Il s'accroupit près de l'homme et tira gentiment sur le bas de son habit, essayant de le recouvrir pour qu'il ait chaud et au nom de la décence. Il avait été choqué lorsqu'une main dure et couverte de callosités s'était refermée sur son poignet. Le travailleur n'était pas si saoul que ce que Nicolae pensait, semblait-il.
Ou bien si ? Nicolae regarda dans des yeux injectés de sang et l'homme lui sourit lentement.
« Hé bien, bonjour mon mignon, » marmonna-t'il.
Nicolae fit doucement :
« C'est bon. Je vais vous aider à vous lever.
– Oh oui, mon gars, oui. T'peux bien m'aider à me lever. »
Nicolae fut pétrifié de surprise lorsque l'homme remonta sa tunique encore plus haut et tira la main de Nicolae jusqu'au chaume de poils bouclés à son aine. Il enroula les doigts du garçon autour du solide tube de chair qui commençait juste à s'éveiller là.
« J'me demandais quand tu viendrais à moi, mais tu vaux la peine qu'on attende. »
Nicolae frémit violemment de répulsion et le laïc ivre crut apparemment que c'était de passion. Il avait espéré que le beau garçon aux yeux noirs qui se déplaçait parmi les simples frères comme un poulain de bonne race parmi des bêtes sauvages serait consentant. Il semblait à présent que ses souhaits avaient été exaucés.
« Oui, mon gars, j'ai attendu que tu me remarques. T'es le plus beau morceau, homme ou femme, qu'j'ai vu dans ma chienne de vie.
- Non, je vous en prie, murmura désespérément Nicolae. Vous ne comprenez pas. »
La main de l'homme était à présent sous la bure de Nicolae, courant le long de sa cuisse.
« C'est bon, mon mignon. J'comprends. Un joli comme toi, enfermé ici avec ces couilles sèches. Normal que t'veux goûter à un vrai homme. »
Nicolae fut horrifié de sentir un élancement dans son aine. Cela lui venait normalement tard la nuit, ou alors il se réveillait ainsi. Il commença à sentir sa tête devenir légère alors que le sang commençait à pulser dans ses veines, semblant se ruer directement vers cet endroit entre ses jambes, en dépit de son inquiétude face aux actions de cet homme.
Il bougeait à présent la main de Nicolae, l'utilisant pour se caresser. La chair sous la paume de Nicolae paraissait chaude et elle gonflait de minute en minute. Nicolae sentit l'autre main de l'homme tourner pour chatouiller la peau sensible de l'intérieur de sa cuisse, les doigts rampants vers le centre de sa chaleur. Il gémit une faible protestation contre ce qui se passait et l'autre homme eut un léger rire, un son parfaitement diabolique venant de quelqu'un qu'il considérait comme un homme bon.
« C'est ça, mon mignon. Ah, si seul'ment tu avais des seins, t'serais parfait. »
Ce fut comme de l'eau froide jetée à la figure de Nicolae. Que faisait-il ? Il retira sa main, tombant en arrière, atterrissant sur ses fesses. L'autre homme protesta en gémissant et essaya de ramper vers lui. Son pénis était maintenant engorgé, solide et long et un filet clair de liquide coulait de son sommet. Il se balança comme un pendule alors que l'homme rampait vers le jeune homme qui était en train de reculer, le visage exprimant de la peur et de la révulsion, mais l'homme ne parut pas les remarquer, ou peut-être juste qu'il ne s'en rendait pas compte dans son état d'ivresse.
« Reviens, mon mignon. J'te ferai pas de mal, juré. Je serai gentil... »
Nicolae se remit sur ses pieds et s'enfuit. Il courut à la chapelle et s'accroupit devant l'autel en supplication frénétique. Il était bouleversé, plus effrayé qu'il ne l'avait jamais été de toute sa vie, car une partie de lui aurait voulu rester là-bas sur le sol de la réserve, aurait voulu autoriser l'homme ivre et libidineux à ramper vers lui et aurait voulu découvrir exactement ce qu'il avait voulu dire par être gentil.
Nicolas se prosterna, posant sa tête contre la pierre froide, les bras étendus de chaque côté, et il essaya de prier. Mais il était trop conscient de la chaleur de son sexe, érigé et vibrant, pressé entre son estomac et le sol. Il ne pouvait même pas réciter un seul Je vous salue, Marie, ou un Notre Père. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était murmurer encore et encore :
« Je vous en prie, mon Dieu. Je vous en prie, mon Dieu. Je vous en prie, mon Dieu. »
Finalement, l'enflure insistante de son sexe décrut et si sa chair refroidit, on ne pouvait pas en dire autant de son esprit. Il se mit à genoux et passa l'heure d'après à prier pour être pardonné de ses pensées impures, puis alla se coucher avec fatigue, se refusant le moindre confort en dormant par terre sur la pierre froide, sans oreiller ni couverture. Mais quand vint le moment de sa confession, il n'osa pas avouer au prêtre ses pensées impures. Il ne put que les confesser à la Vierge Marie. Il espérait qu'elle comprendrait et pria sans cesse pour qu'elle le délivre des images qui avait commençé à hanter ses rêves. Car il continuait à voir ce membre de chair enflé qui se balançait fièrement, scintillant, et cela l'affecter, même s'il tentait de le dénier.

Nicolae secoua la tête, regardant autour de lui la salle du banquet. Elle était presque vide à présent, la plupart des fêtards partis se coucher, que ce soit dans leur propre lit ou bien celui d'un autre. Il était largement temps pour lui aussi d'aller au lit. Le Prince voudrait peut-être venir à la bibliothèque de bonne heure le matin.
Nicolae arpenta les couloirs tournants, de plus en plus bas dans les profondeurs du château. Il essayait souvent de se consoler en se disant que puisque sa chambre était en-dessous de la terre humide, cela voulait dire qu'il serait le mieux protégé si jamais le château était attaqué. Il aurait cependant aimé avoir une fenêtre pour sentir la brise ou bien voir autrement qu'avec une lampe et une bougie, mais il ne pouvait se résoudre à se plaindre à Elizabeta. Il savait pertinemment qu'il devait être reconnaissant de ce qu'il avait et qu'il ne devait pas en demander plus. Il craignait souvent que sa vie ne devienne encore plus misérable lorsque sa chère sœur serait partie avec un prétendant prospère. Elle lui manquerait énormément, plus qu'il n'allait lui manquer, il le savait bien. Ou plus exactement, il ne lui manquerait pas beaucoup face à sa nouvelle vie excitante de maîtresse de maison.
Dans sa petite chambre qui n'était pas si différente de sa cellule au monastère, il alluma seulement son unique chandelle. Il n'avait pas besoin de plus pour ses dévotions du soir et pour aller se coucher, bien qu'elle crépite, décline bien trop souvent et qu'elle empestait le suif, une odeur qui avait imprégné la petite chambre de façon définitive puisqu'il n'y avait aucune aération pour l'en chasser.
S'asseyant au bord de son lit de camp simple et étroit, Nicolae lut un chapitre de sa Bible, choisissant les Proverbes. Il aimait ce livre, des instructions simples et claires pour la vie. Puis il s'agenouilla sur le sol de pierre froide et égrena son chapelet, laissant la monotonie des mots et le cliquement des perles le calmer, comme cela le faisait toujours.
Il était un peu honteux que son esprit ne reste pas toujours fixé sur les Mystères Divins alors qu'il psalmodiait ses prières. En pénitence, il égréna les perles à nouveau, sentant ses genoux s'engourdir sur le sol dur et un pincement dans un mollet indiquant l'approche imminente d'une crampe. Heureusement, il finit avant que le muscle ne se tende et il se leva à temps pour éviter le pire de la crampe.
Enfin il se défit de sa tunique grossière. Il décida de garder les sous-vêtements en lin qu'Elizabeta lui avait donnés. Elle avait été horrifié d'apprendre qu'il était nu sous sa bure. Il avait été presque mort d'embarras quand elle l'avait interrogé à ce sujet devant ses dames de compagnie. Il semblait que l'une d'elles avait rapporté la rumeur que l'ordre dans lequel il était resté considérait les sous-vêtements comme une vanité inutile. Effectivement, Nicolae pouvait voir à quel point les sous-vêtements pouvaient être considérés comme une tentation pour la chair mortelle. Ils étaient incroyablement sensuels, frais et doux contre sa peau. Il se sentait presque coupable d'en retirer du plaisir et ils lui manqueraient quand le dernier d'entre eux serait usé.
Nicolae souffla sa chandelle et rampa sous sa fine couverture. Il utilisa son bras en guise d'oreiller et finit par trouver un sommeil agité.
Il rêva. Il avait déjà fait de tels rêves auparavant et c'étaient plus des sensations que du sens, plus du ressenti que du pensé. Il se sentait balayé par des vagues de chaleur délicieuse, comme si de fortes mains caressaient tout son corps. Il se tourna sur son ventre en soupirant et son membre à présent gonflé se pressa contre le matelas fin. Ses hanches bougèrent de manière inconsciente, frottant la chair sensible contre la douceur de son sous-vêtement.
Nicolae ronronna dans son sommeil, se tortillant doucement au rythme de son rêve. Il sentait un vide douloureux dans son corps, comme si quelque chose manquait, comme s'il y avait un abîme qui avait besoin d'être rempli. Dans son sommeil, il enfonça son visage contre le matelas, sentant des mains fantômes caresser son dos, ses côtes et son cou. Inconsciemment, ses jambes s'écartèrent...
Et il se réveilla en sursaut, sentant le jet chaud de liquide qui baignait son ventre et commençait à tacher son lit. Il se redressa avec un cri de honte et de détresse.
Se levant, il enleva rapidement ses sous-vêtements. Il y avait de l'eau dans une vasque pour sa toilette du matin et il rinça le vêtement souillé puis l'étendit avec soin pour qu'il sèche sur sa chaise grossière.
Nicolae retourna son matelas, mettant la tache humide de l'autre côté, puis commença à se coucher à nouveau. Mais il s'arrêta, se mordant la lèvre. Le rêve était encore trop récent. S'il dormait maintenant, il pourrait revenir.
Au lieu de ça, il s'agenouilla à nouveau sur les rudes pierres, nu cette fois, et commença à prier. Il essaya de garder son esprit fixé sur les bonnes œuvres, les vertus et les charités. Mais pour une folle raison, il ne pouvait penser qu'à des yeux bleus...
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