Child of the Night 33

Partie Trente-Trois : Préparatifs

L'an de grâce 1462
Château Draculea, Valachie



Nicolae était rapidement redevenu lui-même une fois que Draculea était revenu. Il ne tenta pas de prétendre l'enjouement lorsque Draculea dut à nouveau partir, mais sa calme résignation rendit les choses un peu plus faciles pour son amant.

Le matin du nouveau départ de Draculea, le père Mircea se leva aux aurores pour découvrir Nicolae agenouillé pour prier devant l'autel. Il suppliait déjà la Vierge et tous les Saints d'intercéder auprès de Dieu pour que le prince Draculea voyage en sécurité et revienne sain et sauf. Sa voix faiblit juste un moment lorsqu'il sentit la main du vieil homme se poser sur son épaule. Quand il termina sa prière, Mircea le remit sur pieds.

« Debout, mon garçon. Nous allons dire une messe, hein ? »


Nicolae serra silencieusement le prêtre dans ses bras et Mircea sentit des larmes dans son cou. En donnant une unique petite tape ferme au jeune homme, il fit gentiment :

« Le désespoir est un péché, mon garçon. »

Il y eut un soupir puis Nicolae ressuya son visage en se redressant. Puis ses yeux s'arrêtèrent sur quelque chose derrière Mircea. Le bon père vit s'écarquiller les yeux remplis de larmes. Il y eut de l'interrogation, de l'incrédulité et finalement un bonheur naissant. Mircea se retourna.


Beta descendait le long de l'aile, le riche brocart de sa robe bruissant légèrement. Derrière elle, le prêtre put voir Lena qui se tenait près de la porte de la chapelle avant de s'asseoir sur l'un des bancs du fond. Quand Beta rejoignit les hommes, elle hésita puis s'avança et déposa un baiser rapide et léger sur la joue humide de Nicolae. Quand elle recula, Beta dut résister à l'envie de ressuyer la trace salée sur ses lèvres. Elle fit :

« Mon frère, et si nous disions une messe pour la sécurité du prince et le bien-être de notre pays ? »

Il y eut un regard infinitésimal en arrière à Lena qui fronçait les sourcils, puis elle poursuivit :

« Prieras-tu avec moi chaque jour, au moins jusqu'à son retour ? »

Qu'est-ce que le prince a dit à cette femme ? songea Mircea.


La seconde absence de Vlad ne fut pas aussi difficile pour Nicolae que la première. Il y avait encore de longs moments de solitude mais cette fois il y avait sa sœur, de même que ses autres amis, pour l'aider à repousser ce vide effrayant. Il y avait le cadeau quand le vide était plus physique qu'émotionnel et il s'accrocha à toutes les faibles de traces de son amant qu'il pouvait trouver. Il interdit gentiment aux servantes de changer leurs taies d'oreiller lorsqu'elles apportaient du linge de lit frais. Quand il n'en pouvait plus, il serrait l'oreiller de Draculea contre lui, son visage enfoncé à l'endroit où la tête de son amant avait reposé, respirant profondément l'odeur de Draculea. Il n'était pas heureux mais c'était suffisant. Il découvrit qu'il pouvait survivre à l'absence de son amant, tant qu'il savait que Draculea reviendrait.

Il suffit de quatre voyages pour inspecter toutes les garnisons frontalières, et la plupart de celles à l'intérieur. Après le dernier voyage, Draculea consulta Stefan et ses autres conseillers.

« Nous sommes forts, mais ils le sont aussi et ils sont nombreux. »

Il soupira.

« Je déteste dire ça, fit-il en regardant aigrement Stefan, mais le temps de la diplomatie est peut-être venu. »

Stefan ferma les yeux de soulagement.

« Dieu merci, vous recouvrez enfin la raison, mon seigneur.

– La raison ? »

L'évêque Alfred, représentant de l'Église et l'un des conseillers de Draculea, avait prononcé ce mot comme s'il laissait un goût infect dans sa bouche. Cela peut très bien être le cas, songea Simion avec dédain.


Alfred répéta le mot en lui donnant une inflexion supplémentaire.

« La raison ? Raison de s'incliner devant ces... ces païens, ces corniauds non civilisés ? »

Draculea songea comment les nobles Turcs, dont les lignées pouvaient être tracées des générations avant que la Valachie n'existe, qui qualifiaient d'infidèles les plus sophistiqués de ses compatriotes, réagiraient à la description de l'évêque. Il fit froidement :

« Ai-je mentionné qu'on allait s'incliner devant qui que ce soit, votre Grâce ? S'il doit y avoir la guerre, alors il y aura la guerre, mais je dois à mon peuple de chercher des possibilités de paix si je le peux sans montrer de faiblesse. Stefan, ils proposent toujours d'envoyer des émissaires ?

– Ils n'ont jamais cessé, mon Prince. Dois-je envoyer une invitation ?

– Tu ne l'as pas encore fait ? »


Quand Stefan commença à bafouiller, Draculea se détendit avec un sourire ironique.

« Oui, fais-le. Je vais leur donner au moins une chance de se retirer. Je préférerais ne pas aller à la guerre, mais il me faut de bonnes raisons. »

L'évêque Alfred, visiblement toujours mécontent, fit :

« Prince Draculea, où rencontrerez-vous ces hommes ? »

Draculea fit un geste vague de la main.

« Ici, bien sûr.

– Bien sûr ? bien sûr ?

– Votre Grâce, avez-vous été ensorcelé ? Vous semblez obligé de répéter ce que vous entendez. Oui, ici, bien sûr. Ce pourrait être considéré comme une insulte de les rencontrer dans un lieu de plus bas rang. »


Alfred parla d'un ton rigide :

« Vous allez exposer votre femme à ces barbares ? »

Draculea réfléchit. Cela pouvait être un sujet délicat. Alors que les Turcs ne présenteraient jamais leurs propres femmes ou leurs filles aux occidentaux, considéreraient-ils la même chose comme raisonnable ou comme une insulte ?

Tandis qu'il réfléchissait, l'évêque fit pieusement :

« Mon prince, nous devons protéger les femmes. Laissez-moi suggérer que la princesse Elizabeta et ses dames se retirent dans un de nos couvents. Les Petites Sœurs du Saint Sang sont proches et peuvent fournir des logements confortables, et cela les aidera grandement de recevoir un gage monétaire pour leur hospitalité, bien que," ajouta-t'il rapidement en voyant les sourcils de son hôte se hausser devant cette demande flagrante de paiement, bien entendu, elles le feront gracieusement pour une compagnie si distinguée.

– Cela semble raisonnable. »


Et tout paiement finirait plutôt entre les mains de l'abbesse qu'entre les vôtres, sans garantie qu'on vous la transmette. Il regarda froidement l'ecclésiastique.

« Les Sœurs peuvent-elles accueillir toutes les femmes de ma demeure ? »

Il attendit un moment en regardant la confusion grandir sur le visage de l'évêque.

« Ah, je vois. Vous voulez dire que les dames doivent être protégées, pas les autres femmes. »

L'évêque avait toujours un air d'incompréhension. La chevalerie protégeait férocement les nobles et la famille royale, mais les gens du commun... Bon, parfois ils étaient plus importants que le bétail mais il était parfois plus important de nourrir le bétail que les serfs, surtout en temps de famine... du moins dans la plupart des cas, mais on ne pouvait pas s'attendre à leur accorder la même courtoisie. En vérité, Draculea n'aurait jamais songé au bien-être de ses serviteurs il y a un an, mais Nicolae avait un faible pour les femmes et les filles qui servaient au château.


Draculea fit signe à Stefan de s'approcher.

« Stefan, envoie les servantes au loin pendant cette farce. Remplace-les par des hommes et fais-leur savoir que s'ils râlent parce qu'ils font un travail de femme, je pourrai leur trouver un moyen de passer le temps infiniment moins plaisant. »

Ses autres conseillers échangèrent des regards. Bien que ce soit rarement officiellement admis, dans des cas comme celui-ci, on fournissait d'ordinaire aux diplomates étrangers tout le confort, même des partenaires de lit s'ils le désiraient. Seuls les monarques les plus pieux, et Draculea n'en avait jamais fait partie, interdisaient formellement les plaisirs charnels. Les émissaires devraient-ils pratiquer l'abstinence durant leur visite d'état ? Il serait plus prudent de les garder de bonne humeur mais qui irait suggérer une telle chose au prince ?


Ils se détendirent quand Draculea poursuivit :

« Apporte une femme ou deux du village. Et assure-toi qu'elles aient de l'expérience. Offre-leur de l'argent, de l'or, si nécessaire. Qui sait ce que les Turcs voudront ? »

La plupart des paysans passaient leur vie entière sans toucher plus de quelques pièces de cuivre, et ce genre de générosité ne pouvait qu'entraîner un acquiescement empressé.


L'invitation formelle de Stefan fut rapidement acceptée. Les Turcs la virent comme une chance de gagner des terres et d'autres concessions sans avoir à faire la guerre. Il y eut beaucoup de discussion pour savoir qui irait. C'était un sujet délicat. Des délégués d'un rang trop élevé indiqueraient de l’empressement, tandis qu'un rang trop bas pourrait être vu comme une insulte.


Finalement deux anciens officiers, Mahamoud et Ali, furent choisis. C'étaient des hommes rusés qui avaient survécu à des années d'intrigues politiques. Après un débat mental, le sultan envoya aussi un de ses plus jeunes courtisans. Rahazad n'avait pas encore la trentaine et était en vérité un ancien favori. Rahazad s'était révélé intelligent, du moins suffisamment pour ne pas causer de difficultés lorsqu'il fut supplanté dans l'affection du monarque. Ce voyage apporterait du prestige à sa position à la Cour. On attendait de lui qu'il écoute, reste silencieux sauf pour les civilités tandis que ses aînés négociaient, et qu'il présente une image favorable de la Cour turque avec sa beauté et sa grâce personnelles.


Nicolae n'était pas excessivement triste de l'absence de Beta puisque Draculea resterait. Le soir de la veille de son départ pour le couvent, il lui rendit visite dans sa chambre.

Beta grommelait, comme d'habitude.

« Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas rester et divertir les émissaires. L'une des choses que j'attendais le plus en me mariant, c'était la chance de rencontrer des diplomates étrangers. Je pensais que je serais amusée et divertie par les hommes les plus intelligents de France, de Grande-Bretagne, d'Italie et peut-être même de l'Orient. Jusqu'à maintenant, on a juste eu cette délégation de Russes. »


Son nez se fronça de dégoût.

« Ils ont ressuyé leurs mains sur leurs chiens de chasse et je pense qu'ils ont mis de la graisse d'ours dans leurs cheveux.

– Je ne crois pas qu'il y aura beaucoup de gaieté, ma sœur, offrit Nicolae pour la consoler. Ils souhaiteront se concentrer sur leurs affaires d'état. »

Son ton devint un ton d'excuse à présent.

« Et la politique n'est pas à la portée d'une femme, sauf dans des cas très particuliers. »

Lena renifla. Elle était d'avis qu'elle pouvait très bien comprendre la politique, elle.

« Ce n'est pas pour ça qu'il l'envoie au loin, bibliothécaire. Il craint pour sa chasteté, si ce n'est pour sa vie. »


Nicolae se renfrogna.

« Lena, ce sont des nobles turcs. Ce seront les hommes les plus civilisés et cultivés de leur Cour.

– Peuh. Calugarul, ils viennent d'un pays où un homme peut avoir quatre femmes et posséder autant de catins qu'il peut s'en offrir. »

Elle rit durement lorsqu'il rougit.

« Par les Saints, mon garçon, n'as-tu pas écouté les contes de ce jeune gentilhomme ici, au château ? »

Elle sourit cruellement.

« Non, je pense que tu t'es bouché les oreilles et que tu as couru pour dire un Je vous salue Marie. Tu devrais être éduqué, alors écoute attentivement. »

Ses yeux étincelants, elle s'approcha du jeune homme qui dut résister à l'instinct de reculer.


« Les Turcs sont les bêtes les plus charnelles qui marchent sur Terre. Pour trouver leurs semblables, il faudrait revenir en arrière aux débauches pratiquées à Rome avant que l'Église Sainte ne prenne le pouvoir. Personne n'est à l'abri de leurs outrages — ni les femmes, les hommes, les enfants ou même... »

Elle baissa la voix pour adopter un ton suggestif :

« ... les bêtes dans les champs, ou du moins c'est ce que j'ai entendu. »

Le visage de Nicolae se figea d'horreur.

« Non, pas les enfants ?

– Oh si, les enfants. Bien que je ne pense pas qu'ils s'embêtent d'habitude avec des enfants au sein, comme Tibère l'a fait. »

Lena sourit largement en voyant Nicolae couvrir sa bouche, clairement malade à cette idée.


« Non, je pense qu'ils les laissent d'abord apprendre à marcher puis à parler avant de les prendre. Mais le plus grand prix, à ce que j'ai entendu, c'est un garçon ou une fille au teint pâle qui n'a pas encore ses poils d'adultes. »

Nicolae était si choqué par ces révélations qu'il ne se s'interrogea pas sur la crudité des propos de Lena ou de comment elle avait appris de telles choses.

« C'est une bonne chose alors, que Beta, vous et les autres soyez parties. »

Lena acquiesça puis retourna préparer la malle de Beta, disposant en couches le nombre d'habits qu'elles prendraient. Il n'y avait sans doute personne là-bas à impressionner sauf quelques nonnes qui avaient certainement fait le vœu de pauvreté, mais Beta aurait besoin de se changer au moins trois fois par jour.


« Si j'étais toi, Calugarul, je serais prudent. L'un des Turcs pourrait s'enticher de ton joli visage et de ton corps fin. »

Elle ferma la valise et pencha la tête vers lui, faisant malicieusement :

« Quelqu'un comme toi... pâle, avenant, qui parle bien, tu rapporterais un bon prix dans leurs marchés d'esclaves. Les vieux en baveraient sûrement.

– Lena, ça suffit. »

Beta n'aimait pas le regard de Nicolae. Cette femme essayait clairement de lui faire peur et elle paraissait avoir réussi. Lena haussa seulement les épaules et eut un petit sourire satisfait.


Nicolae alla dans sa chambre, se disant qu'il ne s'agissait que de rumeurs que Lena avait entendues. Ce n'était sûrement que des histoires qui avaient été simplement exagérées et déformées à force d'être racontées. Je n'ai jamais eu de préjugés sur les gens. Je ne dois pas en avoir maintenant. Si j'en avais eu... Il sourit doucement. J'aurais fui Vlad en criant d'horreur après certaines choses que j'ai entendues sur lui.


Une partie de Nicolae savait que les contes qu'il avait entendus sur l'ancienne cruauté et la violence de son amant pouvaient ne pas être tous faux. Il savait aussi que s'il demandait directement, Draculea lui répondrait honnêtement. Mais Nicolae avait compris qu'il ne pourrait jamais demander à son amant, parce qu'il ne voulait pas croire que l'homme qu'il aimait était capable des atrocités qu'on lui attribuait, à ce qu'il avait entendu dire. Mais la raison principale pour laquelle Nicolae ne confronterait jamais Draculea était qu'il savait que peu importait ce que Draculea avait fait, il l'aimerait toujours. Nicolae songeait que cela pourrait très bien le rendre fou.


Les femmes partirent le lendemain matin, Beta et les dames de la Cour allant au couvent ou dans des terres familiales, les servantes allant au village ou dans des fermes voisines. Elles ne reviendraient que lorsque les émissaires seraient partis.


Les Turcs furent accueillis à quelques miles de la frontière par une escorte composée d'hommes de main de Draculea et de courtisans. Le message implicite offert par le groupe mixte était que Draculea ne s'attendait pas nécessairement des problèmes mais qu'il était préparé à opposer la force à la force si nécessaire. En dépit de son âge, Stefan avait fait le voyage. Il salua les trois diplomates qui étaient à la tête de leur propre petit groupe de soldats.

Ils entamèrent leur voyage de retour pour le château Draculea, un voyage qui prendrait au moins une semaine, à cause du rythme seigneurial qu'ils devaient maintenir par respect pour leurs visiteurs. Stefan accueillit ce délai avec joie, espérait établir les bases d’un accord calme. Il connaissait son maître.


Draculea semblait s'être un peu adouci dans l'année. Au moins, il n'y avait plus eu d'empalements publiques en masse. Les exécutions s'étaient déroulées rapidement et proprement, avec un minimum de torture et, avait-il remarqué, beaucoup plus discrètement qu'avant le mariage de son maître. Toujours aveugle sur les inclinations sexuelles de son prince, il s'imaginait que la princesse était la raison pour laquelle Vlad s'était radouci dans sa manière de traiter ceux qu'il punissait. Mais Draculea était un homme férocement fier et vicieusement protecteur de tout ce qui était à lui. S'il pensait que les Turcs le considéraient comme une menace négligeable, s'ils l'insultaient même subtilement... Eh bien, il était fort possible que les émissaires retourneraient auprès de leur sultan dans des sacs de toile bien ficelés et la Valachie serait en guerre.

Deux jours avant que les ambassadeurs n'arrivent, un quatuor de femmes arriva au château Draculea et fut conduit en gloussant dans la grande salle, puis vers les quartiers des domestiques. Comme toujours dans la bibliothèque, Nicolae entendit les voix féminines qui murmuraient par la porte ouverte et il alla se renseigner. Il les trouva regroupées près de la porte de la cuisine et il s'approcha d'elles, curieux. Elles se turent en voyant approcher ce beau jeune homme au sourire amical. Elles se dépêchèrent toutes de faire des révérences maladroites, mais il fit :

« Je vous en prie, mes bonnes femmes, ne vous inclinez pas pour moi. Je ne suis pas un seigneur. Je travaille pour me nourrir en m'occupant de la bibliothèque du prince. »


Les femmes se détendirent légèrement. D'après les vêtements fins de Nicolae et son discours noble, elles en avaient déduit qu'il était noble, mais la noblesse ne cherchait jamais de travail, sauf intendants de ceux d'un plus haut rang.

La plus âgée, Marguerite, une fille de taverne vétéran au visage dur qui approchait des trente ans, lui sourit en retour.

« Eh bien, si vous étiez l'un de ceux que l'on doit servir ici, je dirais que ça compte pas vraiment pour du boulot. »

Toutes les femmes virent l'incompréhension dans les yeux de Nicolae et il y eut des ricanements bon-enfant. L'aînée des femmes reprit :

« Je ne sais pas pourquoi les filles du château ont été envoyées ailleurs mais c'est plus de chance pour nous. Ce que l'homme du Prince m'a offert me permettra de vivre confortablement pendant presque un an, si je fais attention. »

Il y eut des murmures approbateurs.


Comprenant à présent, Nicolae étudia les femmes. L'une pouvait être considérée comme une fille car elle était plus jeune que lui lorsqu'il avait rencontré Draculea pour la première fois. Mais il y avait une certaine conscience chez chacune d'elles. Il ne leur dit pas qu'elles pouvaient refuser leur tâche si elles le souhaitaient parce qu'il pouvait voir que c'était clairement un choix. Il fit plutôt :

« J'ai enseigné aux domestiques. Je suppose que vous ne resterez pas là bien longtemps mais si vous le désirez, je peux prendre le temps de vous apprendre à lire et à écrire votre nom. »

Les femmes échangèrent des regards, puis fixèrent Nicolae avec un doute teinté d'incrédulité. Aucune d'elles ne pouvait se souvenir qu'on les ait encouragées à apprendre autre chose que le simple catéchisme et les prières. Finalement, la plus jeune hasarda :

« Vous êtes bon de nous le proposer, mon sieur, mais je suis beaucoup trop stupide pour apprendre de telles choses.

– Quel est ton nom, ma fille ?

– Jane, monsieur.

– Jane. Viens ici, Jane. »


Il la conduisit à une table dans la cuisine sur laquelle de la pâte était en train de lever.

« J'espère que le cuisinier me pardonnera pour ce désordre. »

Il versa de la farine sur une planche puis l'étala en une fine couche.

« Est-ce que tu as déjà pêché, Jane ? »

Ce pauvre et bel homme doit être fou.

« Oui, mon sieur.

– Peux-tu me dessiner un hameçon ? »

Elle regarda ses compagnes qui haussèrent les épaules comme pour dire : Fais comme qu'il veut. Où est le mal ? Avec hésitation, elle posa son doigt sur la table et le descendit puis courba vers le haut à gauche.


Nicolae lui sourit.

« Tu viens d'écrire la première lettre de ton nom, Jane.

– Mon sieur ! Ne vous moquez pas de moi comme ça !

– Non. C'est de l'écriture simple, pas le style formel de mes manuscrits, mais quelqu'un qui sait lire peut le comprendre facilement. »

Il dessina dans la farine tandis que les autres, curieuses, se rapprochèrent pour regarder.

« a — n — e. Jane. »

La fille toucha délicatement chaque lettre d’un doigt couvert de poussière blanche.

« C'est... C'est moi ? »

Il hocha la tête. Le regard qu'elle lui lança fut si admiratif qu'il en rougit.


Simion arriva dans la cuisine, suivi de deux hommes qui portaient de grandes bassines d'eau. Les hommes versèrent l'eau dans le grand pot pendu sur l'un des foyers de la cuisine puis commencèrent à attiser le feu.

Simion s'approcha et étudia les lettres tracées dans la farine.

« Bibliothécaire, pourquoi ne suis-je pas surpris ? »

Deux autres hommes apportèrent une bassine dans les quartiers des domestiques tandis que Simion tendait aux femmes des serviettes et des morceaux de savon. Il s'inclina légèrement devant les femmes.

« Mes dames. »

Les femmes furent à nouveau surprises. Il n'y avait aucune ironie dans sa voix lorsqu'il utilisait ce terme.

« Votre première tâche sera de vous baigner. »


La femme la plus âgée tenta de lui rendre ses fournitures.

« Pas besoin, mon sieur. Je lave mes mains et mon visage tous les jours et j'ai lavé mes pieds dimanche dernier. »

Simion croisa les bras, refusant de reprendre les objets.

« Ma dame, les Turcs sont particulièrement pointilleux. Vous devez vous mettre dans la baignoire et vous laver intégralement. »

Il y eut des cris étranglés. L'une des femmes déclara :

« C'est indécent ! Une femme mortelle ne devrait se laver intégralement que deux fois, à la naissance et avant qu'on ne la mette en terre. Se laver plus est non seulement immodeste mais — mais pas bon pour la santé ! »


Simion secoua la tête.

« Vous avez de la chance qu'on n'insiste pas pour que vous soyez rasées, comme ils l'apprécient, d'après ce que j'ai entendu. »

Jane parut sur le point de s'évanouir.

« Cela ne vous fera pas de mal et si vous craignez pour votre pureté... »

Là, il y avait une touche d'ironie.

« Le père Mircea entendra votre confession.

– Vraiment, pressa Nicolae, c'est très agréable. »

Il toucha le bout blanc et cireux que Jane tenait.

« Ça s'appelle du savon. C'est remarquable. Ça mousse comme de la bière mais... »



Avec un sourire, Simion retourna préparer le château pour l'arrivée des émissaires. Il ne doutait pas que Nicolae charmerait les femmes et qu'elles seraient bientôt plus propres qu'elles ne l'avaient jamais été ou qu'elles ne le seraient jamais.

J'espère juste que les plus audacieuses ne vont pas l'inviter à les aider. Plus d'un an avec mon seigneur et les roses fleurissent encore sur ses joues à la moindre chose.


Le père Mircea fut un peu surpris lorsque Draculea vint seul à la chapelle et indiqua qu'il souhaiter se confesser, mais le père était plus que désireux de faire cet office. Il prit place dans le confessionnal et fit glisser le panneau lorsque le prince fut assis.

« Bénissez-moi, mon père, car j'ai péché. Cela fait plus d'une semaine que Nicolae m'a ordonné d'aller me confesser, avec du reproche silencieux dans ses yeux. »

Invisible, Mircea sourit. Draculea poursuivit :

« Laissez-moi réfléchir... j'ai évité la paresse, la gourmandise et l'avarice mais je suppose qu'en me vantant de ça, je suis coupable de vanité. J'ai bien peur d'avoir été fier, comme d'habitude. La colère... ? Oui, j'ai été en colère et impatient. J'ai nourri des pensées peu charitables, surtout pour l'une des servantes de ma femme mais cela n'a rien de nouveau. »

Il devint silencieux.


Soupirant avec regret, Mircea fit :

« C'est tout, mon fils ? »

Le silence se poursuivit. À travers l'écran, Mircea pouvait voir le profile sévère et beau du prince. Il redoutait le jour où Draculea choisirait de confesser son infidélité et sa fornication. En fait, Mircea se demandait si Draculea ferait un jour cette confession car il savait que cet homme ne voyait pas sa relation avec Nicolae comme un péché.

Mircea était content de laisser tomber ce sujet s'il pouvait être sûr qu'ils vivraient heureux pendant longtemps, et il pourrait toujours s'occuper de Draculea sur son paisible lit de mort. Il ne doutait pas qu'à ce moment, pour réconforter son gentil compagnon, le prince exécuterait le rituel approprié. Mais comme les affaires d'état n'étaient pas sûres actuellement, il ne pouvait que s'inquiéter et il dut demander :


« Prince, est-ce tout ? »

Draculea regarda à travers le grillage et ses yeux bleus étaient glacés.

« Oui, prêtre. Je n'ai commis aucun autre péché qui ait besoin d'être confessé. »

Car aimer Nicu n'est pas un péché, songea Mircea. Si je pèche en ceci, que Dieu me pardonne mais je ne peux qu'être d'accord avec vous, mon prince. Baissant la tête, le père Mircea commença à prononcer les mots de l'absolution.






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