Child of the Night 46

Partie Quarante-Six : Rencontre

L'an de grâce 1698
Budapest, Hongrie


« Pas ce soir, Roland. S'il te plaît.

– Comment t'ai-je dit de m'appeler ? »

Le jeune homme aux cheveux noirs soupira.

« Je suis désolé — Rock. Mais tu m'avais dit que j'aurais ma soirée de libre.

– C'est samedi. »

Rock examina sa veste noire d'un œil critique. Il songeait qu'il avait vu un peu d'usure au niveau du coude. Il avait besoin de la remplacer et il n'obtiendrait sûrement pas d'argent en laissant son petit-frère traîner ses fesses à la maison.

« Mais tu as dit que quand j'aurai vingt-ans, je pourrai choisir une autre nuit de repos en plus du dimanche. Tu as dit qu'à ce moment, nous aurions assez d'argent pour investir dans une taverne. Combien avons-nous ? »


Rock songea à la petite poignée de pièces d'argent qu'il avait dans sa bourse. Il avait vraiment eu l'intention de mettre de côté une partie des gains de Rill, vraiment, mais il y avait le loyer, la nourriture et les vêtements... Il devait s'habiller joliment s'il voulait s'approcher des riches gentilshommes pour offrir les services de son frère. Puis il devait boire de temps en temps dans les tavernes et les autres maisons de joie, ou sinon les autres macs ne le respecteraient plus.

C'était assez dur comme ça de promouvoir proprement Rill. Il y avait eu des gens pour croire qu'ils pourraient prendre le garçon dans leur propre écurie et il avait dû rectifier cette erreur et cela a entraîné une autre dépense. En plus des pots-de-vin usuels aux autorités locales, il avait dû ajouter un supplément pour les aider à regarder ailleurs lorsqu'il avait protégé sa propriété. Cela dévorait les profits.


« Pas assez, pas encore assez, mon gars. »

Il se pencha et ébouriffa les boucles noires de Rill. Rill était un peu lent et il ne fallait généralement pas grand-chose pour lui faire faire ce qui était le mieux selon Rock.

« Allez, ne boude pas. Tu sais qu'il ne te reste pas longtemps à travailler. Les gentilshommes chics ne seront bientôt plus intéressés et les prix baisseront. Quand cela arrivera, il faudra que tu fasses plutôt dans la quantité et cela épuise tellement une personne. Je veux que tu partes au sommet, Rill, alors que tu ne prendras que l'élite. Je ne veux pas que tu finisses à genoux dans une allée à sucer les voituriers et les portiers quand ils auront leur paie. Non, à ce moment, nous aurons notre taverne en face de l'allée et si les catins veulent s'en servir, ils devront nous payer. »

La bouche pleine de Rill était toujours affaissée.

« Peut-être que si tu travaillais aussi... »


Le visage de Rock se durcit et sa voix devint froide et dangereuse.

« Tu dis que je ne travaille pas ? »

Rill comprit qu'il avait commis une erreur. Il aurait dû savoir qu'il valait mieux ne pas suggérer que Rock fasse le sale boulot ou même, à Dieu ne plaise, un quelconque travail manuel.

« Non, Rock, je ne voulais pas dire...

– Tu penses que ce que je fais pour toi est facile, mon petit gars ? Je suppose que tu penses que tout ce que je fais, c'est me prélasser dans les maisons et les tavernes, m'enfiler des verres et avoir la grande gueule ? »

C'est exactement ce que tu fais.

« Non, mais...

– Si je n'étais pas là, où serais-tu ? Je vais te le dire. »


Rill retint un soupir en sachant qu'il devait se montrer prudent. Quand Rock parvenait à ce niveau, il y avait toujours le risque que sa colère éclate. Il faisait attention à ne pas frapper Rill au visage car il savait que cela se répercuterait sur leurs profits mais il ne craignait pas de le marquer aux fesses ou au dos. Quelques clients aimaient ça.

« Si je n'étais pas revenu te chercher, tu serais mort de faim ou bien battu à mort à la ferme. À moins que notre couillon de père ne t'ai vendu en apprentissage où tu aurais connu la même chose. Si je n'avais pas travaillé dur pour te trouver le bon type de clients, tu aurais laissé n'importe qui te monter les fesses pour quelques sous et tout ça pour de la mauvaise nourriture et une chambre encore pire. »


Il désigna leur appartement.

« Regarde ça ! Plus beau que ce que notre famille a jamais eu. Pas de puce, pas de rat ni même une souris. Et propre. Je ne te le fais pas nettoyer, n'est-ce pas ?

– Non, Rock.

– Non. J'ai même fait en sorte que la souillon de l'autre côté du palier le nettoie pour toi. J'ai mis de la nourriture dans ton ventre et des vêtements sur ton dos. »

Tout ça avec l'argent que je gagne sur mon dos et mes genoux. Oh Seigneur, il s'emballe. S'il commence à parler de la façon dont il me protège...

« Et est-ce que je les laisse te maltraiter ? Non. Il y en a qui aurait donné de l'or, de l'or si je les laissais te tailler un bout, mais j'ai refusé. Si je n'étais pas là, un autre mac t'aurait chopé à la seconde où tu es arrivé en ville. Tu aurais été enfermé quelque part et ils auraient fait entrer les hommes un par un, jusqu'à ce qu'ils te brisent. J'ai déjà vu faire ça, mon garçon, et la plupart ne récupèrent jamais vraiment, les tristes petits salauds. Et je ne te fais pas servir une douzaine ou plus par nuit, je ne fais que... »


Il n'y avait qu'un seul moyen de l'arrêter. Rill se leva, s'approcha du visage rouge de colère de Rock en passant ses bras autour du cou de son frère et murmura :

« Oui, mon frère, oui. Je suis désolé. Je suis un ingrat. »

Rock saisit durement son menton. Rill ne fléchit pas et ne se débattit pas. Il regarda droit dans les yeux bleus et chauds de Rock en rendant ses propres yeux noirs aussi humides et suppliants que possible. C'était une ruse de catin — une que Rock lui-même lui avait apprise, et cela marcha. Il ferma les yeux alors que Rock l'embrassait, rendant ses lèvres douces et tremblantes et les ouvrant bien vite après le premier contact avec la langue de son frère. Rock avait été si irrité avec lui la première fois qu'il l'avait embrassé ainsi et que Rill avait craché après. Il avait secoué le garçon de treize ans jusqu'à ce que ses dents claquent, en sifflant qu'il devait 'apprendre, bon sang ! Apprends ton métier !'


Après quelques moments de doux léchements et sucements, la main de Rock s'adoucit jusqu'à ce qu'il caresse le visage de Rill. Quand il se retira, il fit d'un ton bourru :

« J'ai tout fait pour toi, tu sais. J'aurais pu prendre n'importe lequel des autres mais je ne voulais que toi.

– Je sais. »

Ils avaient abandonné deux frères plus jeunes et trois sœurs, tous portant les marques de la colère ivre de leur père, et la plus âgée des filles déjà enceinte de l'enfant de leur père. Oui, ce à quoi Rock l'avait conduit était toujours mieux que ce qu'il avait eu à la maison.

« Je vais te dire. »

Rock caressa sa joue.

« Pourquoi ne t'habillerais-tu pas de ton mieux pour que je t'emmène avec, que tu aies un verre ou deux pendant que je cherche quelqu'un de convenable ?

– Vraiment ? »


Rill s'illumina. Il ne sortait pas beaucoup. Rock avait peur que son teint ne se hâle ou qu'il n'attrape des taches de rousseur s'il restait trop longtemps dehors. Et puis, il était toujours possible qu'une catin jalouse ou qu'un mac l'attrape seul et ne lui arrange le portrait, ou pire. D'habitude, Rill attendait que Rock ramène un client dans leurs quartiers ou bien il l'accompagnait pour un travail.

« Assures-toi de ne pas boire trop, cependant. Juste un verre ou deux. L'homme que je trouverai voudra peut-être que tu travailles.

– Je sais, Rock, fit-il humblement.

– Et ne fricote pas trop avec quelqu'un ou bien il voudra que tu donnes ce qu'on pourrait avoir pour des bonnes pièces. »

Rill commença à soupirer mais se retint. Rock n'aimerait pas ça. Mais je me demande parfois ce que ce serait d'être avec quelqu'un juste parce que je le veux.


Rock glissa la main dans sa veste et tendit à Rill un morceau de soie.

« Fais-moi un de ces nœuds chics, Rill. Tu les fais si bien. »

Il caressa les mains de Rill alors que son frère passait le tissu autour de son cou et commençait à former un nœud élaboré.

« Tu es si doué de tes mains. J'irais chez Theresa ce soir. »

Rill se renfrogna en enfilant un bout dans un trou.

« Mais tu dois la payer pour chercher là-bas.

– Je sais, mais le choix est plus riche. Si on a un bon client, ça remboursera ce que je vais lui payer et nous aurons un superbe profit. »

Il utilisa ses doigts pour peigner les boucles sombres de Rill sur son front.

« Et je te le promets — puisque tu es gentil et que tu abandonnes ton temps libre, pas de vieux bouffis gras pour toi ce soir. Je vais te trouver un bel homme, hein, petit-frère ? »


Cela s'appelait la Maison du Confort Terrestre. Cela amusa Vlad. Un autre maison de joie se serait appelée la Maison des Délices ou la Maison des Plaisirs. Et pour être honnête, le confort semblait être ce que cet établissement s'attachait à offrir. Alors que les rendez-vous étaient nombreux, ils ne sacrifiaient pas le confort à l'opulence. Les meubles étaient garnis de satin soyeux ou de soie douce au lieu du brocart dur et parfois irritant qui était à la mode. Les sièges n'étaient ni trop bas ni trop hauts et leurs dossiers étaient rigides. Il y avait des divans de hauteur commode, recouverts avec juste assez de coussins pour s'allonger mais pas assez pour submerger les occupants.


Le décor n'était ni éclatant ni richement sombre. L'éclairage était suffisant pour permettre aux clients de voir honnêtement le charme du personnel mais assez doux pour créer une atmosphère de détente. Il y avait de la musique mais elle était douce et discrète. Des boissons étaient offertes mais pas imposées. Les dames résidantes n'étaient pas nues mais elles pouvaient montrer rapidement et facilement leurs charmes.


Draculea s'était rendu depuis deux nuits dans cette maison. Il aurait pu facilement accepter un certain nombre d'invitations pour rejoindre des fêtes dans les demeures de la noblesse de Budapest — il y avait toujours un salon une réunion à la mode ou une grande fête dans la soirée (1) ou une comédie musicale un programme de musique joué pour un groupe ou une réunion sociale (2) et les hôtesses rivalisaient dans leurs efforts pour attirer le mystérieux et beau prince valaque. Il avait assisté à quelques événements à son arrivée afin d'empêcher les rumeurs sur sa nature recluse. Malheureusement, ils virent cela comme une exclusivité et il fut encore plus chaudement poursuivi. Il découvrit qu'il préférait les tavernes et maisons de joie de la ville. Leurs habitants étaient plus ouverts sur leur envie, leur avarice et leurs insinuations.


Vlad s'était installé au coin d'un petit salon. Ce n'était pas l'une des pièces principales mais il y avait suffisamment de trafic pour l'amuser. Il avait choisi une chaise car les filles ici étaient suffisamment bien entraînées pour ne pas s'asseoir sur les genoux de quelqu'un sans y avoir été invitée. Il s'était cependant assuré qu'il y avait un petit divan non loin pour qu'il ait des compagnons occasionnels afin de passer le temps.

Il avait passé la soirée à regarder les nobles et les riches marchands qui fréquentaient cet établissement alors qu'ils jouaient avec les filles. Il y avait de nombreux autres sofas dans la pièce et au moins l'un d'eux était toujours occupé par un couple de deux ou trois au début de leurs festivités.

À présent, le sofa central était occupé par deux gentilshommes et une jeune femme qui paraissait à peine sortie de la puberté. Cet établissement ne fournissait pas d'enfant — Vlad ne serait pas resté sinon. En fait, il était revenu plus d'une fois rendre visite à une homme ou une femme qui prostituait des enfants. Cela n'arrangeait pas les choses. Quand il s'en débarrassait d'un, les petits étaient pris par quelqu'un d'autre.


Un jeune homme n'ayant pas encore ses trente ans s'arrêta sur le palier en parcourant la pièce des yeux. Ses yeux passèrent sur le trio sur le sofa puis s'arrêtèrent sur Draculea. Draculea lui rendit calmement son regard. Les étrangers se regardaient rarement dans les yeux en de tels endroits. Cela voulait habituellement dire l'une de ces deux choses — ils voulaient offrir leurs services ou exalter les services d'un autre. Vlad attendait de voir lequel ce serait.

L'homme s'avança dans la pièce en se dirigeant vers le coin de Vlad. Il s'arrêta devant la chaise de Vlad, les yeux baissés, et s'inclina légèrement en penchant la tête d'un air interrogateur vers le sofa vide près de Draculea.


Draculea désigna le sofa.

« Je vous en prie, jeune homme, asseyez-vous.

– Je vous remercie, monsieur. »

Il s'installa sur le sofa en soupirant.

« C'est occupé ici, ce soir. Je craignais de ne pas trouver d'endroit à éclairer et Madame Theresa n'est pas généreuse pour rendre l'argent. »

Draculea réfléchit un moment puis offrit sa main. Le jeune homme était clairement de classe inférieure mais Vlad ne se sentait pas obligé d'être formel dans un tel endroit.

« Je suis le prince Vlad Tepes Draculea. »

Vlad observa le visage du jeune homme. Il pensait sans doute garder une expression neutre mais il ne put cacher la lueur d'envie dans ses yeux.


Rock put sentir ses yeux s'écarquiller. Un prince, et beau en plus. Est-ce que Rill n'aimerait pas ça ?

« Je suis honoré, votre Altesse. Je suis Rock. »

Sa main est froide. Bon, il est de sang royal et j'ai entendu dire que parfois ça dégénérait. Il fit courir ses yeux sur le prince. Bien que ce froid soit la seule marque de dégénérescence chez lui.

« Rock ? »

La bouche ferme s'incurva légèrement.

« Un nom dur. Vous l'a-t-on donné ou l'avez-vous choisi ? »

Il pencha la tête.

« Est-il possible que vous l'ayez gagné ?

– Certains d'entre nous doivent se montrer durs dans la vie, votre Altesse, surtout si nous devons prendre soin des plus faibles. Vous pouvez comprendre cela ? »


Draculea songea à Nicolae. Il se souvint de la gorge d'Ernestu entre ses mains et le son grinçant d'un ongle poussant la chair et les os, et il fit lentement :

« Oui, parfois c'est nécessaire. Vous avez quelqu'un à protéger ?

– Oui. Mon petit-frère, Rill. Nous gagnons notre vie ensemble. »

Draculea caressa son menton en étudiant Rock. Bon, ce n'est pas un prostitué mais un mac et de son propre sang. C'est bas, mais voyons jusqu'où c'est bas.

« Quel âge a ce frère ?

– Je ne vais pas mentir, votre Altesse — ce n'est pas un enfant. Il a dépassé ses vingt ans mais il semble beaucoup plus jeune. »

Vingt ans. Alors je vais te laisser la vie sauve.

« À quoi ressemble-t-il ? Des cheveux blonds, je suppose.

– Non, sire. »


Il lança un regard moqueur vers la jeune femme qui se contorsionnait entre les deux hommes sur le canapé.

« Il aurait pu les avoir, comme celle-là — blond au sommet et de la scorie de l'eau rejetée, toute matière inutile séparée de la meilleure partie, les restes, la lie, les déchets (3) en-dessous. Non, il a les cheveux noirs mais ils sont aussi soyeux et bouclés que ceux d'un enfant. Et ses yeux sont bruns mais aussi doux et grands que ceux d'une biche. »

Draculea sentit une pointe d'intérêt.

« Des yeux de biche ? Dites-moi, sont-ils en amande ? »

Rock n'était pas stupide. Il acquiesça rapidement.

« Juste un peu, sire. »

Il soupira ostensiblement.

« J'ai bien peur que cela m'ait fait perdre des clients. Quelques gentilshommes croyaient qu'il avait du sang cantonais. Comment peuvent-ils être aussi stupides alors que sa peau est si douce et pâle... »

Il secoua la tête.

« Vous louez bien son physique, Rock. Qu'en est-il de son caractère ?

– Docile, fit rapidement Rock. Rill est un bon garçon, sire. Il fait ce qu'on lui dit de bonne volonté. Il est encore frais mais il est accompli. »


Vlad tapota le bras de la chaise en étudiant Rock. Il avait beau être séduisant, Vlad ne l'aimait pas. Il savait qu'il n'y avait pas beaucoup de travail disponible et aussi bien payé que celui-ci mais il y en avait. Rock était jeune et en bonne santé — il ne mourrait pas de faim s'il se mettait au travail. Mais il semblait satisfait de vivre avec ce qu'il gagnait en colportant la chair de son frère.

« Il a donc de l'expérience ?

– Assez, sire, assez. »

Son expression se durcit un peu.

« Mais je vous préviens, sire — je fais attention aux gens avec qui va mon frère. Il ne doit pas être battu ou bien abusé d'une quelconque façon.

– Ce n'est pas ainsi que je prends mon plaisir mais je ne peux pas promettre d'être gentil. Je veux ce que je veux et j'avoue être un peu impatient si mon partenaire est trop obstiné. »

Il observa Rock, attendant de voir s'il retirerait son offre pour les services de son frère.

« Et vous avez touché ma main, vous avez senti mon état. Cela peut être inconfortable, voire même répugnant pour lui.

– Vous paraissez être un brave homme, sire. Vous êtes fort et jeune. Rill sera ravi, » fit-il fermement.


Vlad garda le silence un moment.

« Le prix ?

– Cela dépend, sire. Son temps est précieux. Je pourrais lui amener une douzaine de gentilshommes par nuit mais je l'aime trop pour ça. Je limite ses clients à trois par nuit, ou bien... »

Il regarda Draculea sous ces cils.

« Si un gentilhomme est d'accord, il peut acheter la nuit entière. Il y a des frais en plus dans ce cas. En plus du temps supplémentaire, je fournis moi-même le logement et il faut compenser l'argent que je paie à Madame Theresa.

– Combien ?

– Cent forints l'unité de base de la monnaie hongroise
Note de la traductrice : Le forint est la monnaie hongroise depuis 1946. L’ancienne monnaie était le pengö mais je ne sais pas si c’était cette monnaie en cours au XVII° s. Malgré cette légère erreur de l’auteur (qui a déjà fait pas mal de recherches historiques pour cette histoire), j’ai gardé le texte de base avec les forints.
(1) pour la nuit. »


Draculea haussa un sourcil. Une petite famille pouvait vivre dans un confort relatif avec dix forints par semaine.

« Il en vaut la peine, sire. Vous ne regretterez pas cette dépense. Nous avons une jolie chambre non loin — propre et sans vermine. »

Il eut un sourire salace.

« Avec un bon lit. Des draps doux.

– Et si je voulais que le garçon vienne à ma résidence ? »

Rock secoua rapidement la tête.

« Non, sire, je ne le permets pas. Ce n'est pas que je doute de vous en particulier mais en général... en général, c'est simplement trop dangereux. Mais je comprends que c'est une somme substantielle, même pour quelqu'un d'aussi aisé que vous. Vous n'avez pas à décider à l'aveuglette, sire. Rill est dans la taverne à côté. Cela ne prendra qu'un moment pour le rencontrer et décider. »


Vlad décida. Il avait besoin de nourriture et de compagnie et soit lui, soit son frère pourrait les fournir. Il se leva.

« Je vais le rencontrer. »

Rock bondit sur ses pieds en rayonnant.

« Vous serez ravi, votre Altesse. »

La fille sur le sofa renifla.

« Toi et les tiens, vous arrachez le pain de la bouche des pauvres filles qui travaillent, Rock. »

Sa réponse fut froide :

« Contente-toi de ton pain, pétasse. Mon frère et moi, nous mangeons de la viande et des gâteaux. Nous les gagnons. »

Rill prit une gorgée de cidre chaud et épicé. Ça coûtait un peu plus cher que la bière mais il préférait ça — c'était doux et épicé. Il observa les autres clients avec fascination. Il était si souvent seul que la foule l'intéressait. Il ne lui restait que quelques pièces et elles disparaîtraient rapidement si Rock prenait très longtemps, mais il pouvait garder une boisson pendant longtemps.

Il s'assit près du feu mais il était faible et donnait plein de fumée, et il pouvait à peine voir la pièce mais il sut quand la porte s'ouvrit. Il le sut car il y avait toujours une demande bruyante qu'on la ferme à nouveau. Cette fois, cependant, la clameur s'éteignit rapidement. Rill ne pouvait que voir la taille de l'homme qui venait d'entrer et comprit pourquoi la foule s'était tue aussi vite. Il plissa un peu des yeux en essayant de voir plus le nouveau-venu. Il aimait les hommes grands — s'ils étaient gentils.


Il vit les cheveux de Rock alors qu'il se dirigeait vers lui entre les tables. Son frère souriait et Rill savait qu'il avait trouvé un riche client. Il se prépara à être plaisant et espéra contre tout espoir que celui-là ne serait pas trop mauvais. S'il n'était pas trop mauvais alors Rill pourrait commencer à espérer qu'il veuille rester la nuit entière.

« Mon frère, voici quelqu'un que j'aimerais que tu rencontres. »

Rock fit un pas de côté et l'homme grand qui venait d'entrer s'approcha. Rill leva lentement les yeux. Oui, il était riche — ses vêtements étaient sobres mais riches. Il y avait quelque chose dans la grâce naturelle avec laquelle il bougeait et l'aisance avec laquelle il se tenait qui indiquaient son rang aussi clairement que ses vêtements sentaient l'argent. Grand homme, grandes mains. Oh, si seulement vous étiez beau et gentil. Il osa lever les yeux vers son visage.


Draculea sentit une étrange quiétude s'emparer de lui quand il aperçut la silhouette assise près du feu. Le corps gracieux aux longs membres semblait familier et à la lueur du feu, ses cheveux luisaient comme les ailes d'un corbeau. Si son cœur avait pu encore battre, il serait en train de battre furieusement dans sa poitrine. Il fit doucement :

« Nicu ? »

Le garçon leva les yeux vers lui et l'illusion disparut en laissant Vlad encore plus vide. Non, la forme du visage n'était pas la bonne et les yeux n'étaient pas en amande, malgré ce que Rock avait dit. Mais plus que tout, c'était l'expression de ces yeux sombres qui lui révéla que ce corps ne contenait pas l'âme de son bien-aimé. Leur expression était lasse et trop âgée pour le visage lisse. Et il y avait un air plutôt triste et connaisseur que Nicolae n'avait jamais eu. Malgré toute la passion qu'ils avaient connue, quelque chose en lui était resté innocent et ce garçon avait perdu cela depuis fort longtemps.


Rill lança un regard à Rock mais il avait appris depuis longtemps à plaire à ses gentilshommes. Il fit tranquillement :

« Mon nom est Nicu si cela vous plaît, sire. »

Draculea secoua la tête et fit rudement :

« Non, mon garçon, cela ne me plairait pas. Ton propre nom est bien suffisant. Viendras-tu avec moi ? »

Rill regarda à nouveau son frère et Rock hocha la tête. Leur prix serait payé.

« Oui, Sire. »

Draculea tendit la main pour toucher le visage de Rill en caressant sa joue du revers de sa main. Rill retint un frisson. Froid. Il est si froid.

« Veux-tu venir avec moi ? »

Quand Rill commença à regarder Rock à nouveau, Vlad fit sèchement :

« Non, mon garçon. Ne regarde pas ton frère. Regarde-moi et réponds-moi honnêtement. »


Rill pouvait sentir la présence de Rock à ses côtés qui voulait lui donner la bonne réponse mais cette fois il était déterminé à dire ce qu'il ressentait vraiment.

« Serez-vous... serez-vous gentil, sire ? »

Draculea tressaillit presque. L'expression de Rill pouvait être mature mais sa voix était celle d'un enfant plaintif. Son corps a grandi mais je pense que son esprit n'a pas suivi. Je crois qu'il est un peu lent. Son opinion de Rock baissa encore plus.

« Oui, mon garçon. Je serai gentil si tu es bon. »

Il sourit timidement.

« Je peux être bon, sire. »


Il toucha timidement la manche de Draculea.

« Vous êtes un très bel homme, sire. Ce sera un plaisir de vous servir. »

Draculea sourit à un Rock très satisfait de lui.

« Le marché est conclu. Où irons-nous ?

– Ce n'est pas loin, sire, lui assura Rock. Partons d'abord et vous pourrez payer dans notre chambre. »

Il lança un regard dédaigneux sur la taverne.

« Vous ne devez pas amener d'argent ici. Il y a bien trop de racaille. »

En passant un bras autour de Rill et en regardant froidement Rock, Draculea fit :

« Oui, bien trop de racaille. »



Notes du chapitre :
(1) une réunion à la mode ou une grande fête dans la soirée
(2) un programme de musique joué pour un groupe ou une réunion sociale
(3) de l'eau rejetée, toute matière inutile séparée de la meilleure partie, les restes, la lie, les déchets
(4) l'unité de base de la monnaie hongroise
Note de la traductrice : Le forint est la monnaie hongroise depuis 1946. L’ancienne monnaie était le pengö mais je ne sais pas si c’était cette monnaie en cours au XVII° s. Malgré cette légère erreur de l’auteur (qui a déjà fait pas mal de recherches historiques pour cette histoire), j’ai gardé le texte de base avec les forints.






Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
Le Prince Solitaire 7 02
La Renaissance du Suprême Immortel 353 et 354
Lanterne 1
Comment élever un sacrifice 6.04 et 6.05
Cent façons de tuer un prince charmant 324

Planning des mises à jour :
Samedi : Lanterne : le reflet d’une fleur de pêcher
Comment élever un sacrifice
Dimanche : La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire