Child of the Night 57

Partie Cinquante-sept : Découverte mortelle


L'an de grâce 1713
Une semaine plus tard
Versailles, France



« Sinn, ton verre ! »

Sinn sursauta en ouvrant les yeux. Le verre de vin qu'il tenait était penché dans sa main ballante et le vin se répandit lorsqu'il sursauta. Il jura alors qu'un valet alerte se ruait vers lui pour tamponner le liquide sur son pantalon.

« Laisse-le ! Il est fichu maintenant. *Merde*, il fallait que ce soit mon nouveau pantalon en satin blanc. »

Assis à côté de lui, Rill fit :

« Je suis désolé. J'aurais dû le rattraper à ta place. »

Il se força à rire.

« Mon cher garçon, ce n'est pas de ta faute si j'ai somnolé. »

Il secoua la tête.

« Je ne comprends pas. Je n'ai jamais été fatigué aussi tôt dans la soirée. »

Il bailla.

« Je suis si fatigué.

– Tu es malade ? demanda Rill, inquiet. Tu es très pâle ces derniers temps. Si tu es malade, tu devrais en parler à Simion. »


La voix du garçon était affectueuse.

« Il est très bon pour soigner.

– Vraiment ? fit Sinn. Tu l'estimes beaucoup, pas vrai, *petit* ? »

Rill sourit en baissant les yeux vers son verre.

« C'est mon ami. »

Mm, et d'après ce ton caressant, je dirais qu'il est plus que ça. Je me demande ce que le prince en pense, s'il est au courant. Et il le sait certainement. C'est un homme observateur.

« Bon, j'ai gâché mon vin. »

Il indiqua le verre plein de Rill.

« Mais tu n'as pas encore goûté le tien.

– Oh, c'est mon second verre, fit Rill sans aucune sincérité. Tu somnolais et j'en ai pris un autre.

– Vraiment ? Fais attention à ne pas t'enivrer. »


Le niveau de la bouteille n'a pas du tout baissé. Bon, pourquoi me mentirait-il à ce sujet ? Il se leva.

« Bon, je vais aller me changer.

– Tu reviens après ?

– Probablement pas. Je vais m'arrêter à la bibliothèque et prendre un livre avant de retourner dans ma chambre.

– Oui ? Le prince aime la bibliothèque. Il passe beaucoup de temps là-bas.

– J'avais remarqué. »

Je me suis attelé à connaître ses habitudes et les tiennes. Il passe du temps dans la bibliothèque mais il ne lit pas beaucoup. C'est comme s'il trouvait l'atmosphère réconfortante.


Rill poursuivit :

« Je regrette de ne pas savoir mieux lire. Simion m'a appris les lettres et je peux lire un peu mais... »

Il fit tourner son verre entre ses mains en le regardant. Il soupira.

« Il y a tant de mots dans les gros livres. »

En souriant, il ajouta :

« Simion me fait parfois la lecture. J'aime ça. Il m'a lu une histoire sur une sorcière qui mangeait les enfants. »

Il frissonna en murmurant :

« Les monstres et les sorcières. J'avais peur des monstres avant mais le prince m'a dit qu'ils n'existent pas vraiment. »

Sinn se leva en ébouriffant les boucles sombres de Rill.

« Il n'y a peut-être pas de monstres mais il y a des sorcières. Ne t'en fais pas, mon mignon. »

Il pinça la joue de Rill.

« Je ne les laisserai pas t'attraper. Bonne nuit. »


Sinn se dirigea lentement vers la bibliothèque du palais. Elle était rarement utilisée, à moins qu'un grand bal occupe les autres pièces, alors les jeux de cartes se faisaient là. Oh, de temps en temps un courtisan plus âgé se rendait là pour parcourir attentivement un livre de philosophie, ou bien une dame aventureuse venait chercher un roman osé, mais elle était généralement vide — de lecteurs. Plus d'un couple amoureux avait été surpris parmi les étagères.

Il espérait trouver un livre qui lui en dirait plus sur la Valachie. Il avait tenté ce qu'il pouvait mais il n'avait pas pu obtenir beaucoup d'informations sur le prince Draculea. Il avait fait appel à toutes ses sources et on ne lui avait donné que des bribes d'informations. Personne ne pouvait dire où se situait Draculea dans la lignée royale. Pour des raisons étranges, la noblesse valaque semblait réticente à parler du prince.


Sinn s'était familiarisé avec la bibliothèque au début de son séjour à la cour. Il ne lisait pas beaucoup mais il n'était pas contre un peu de recherches quand ça pouvait l'aider. Il localisa les livres sur les autres pays. Il y en avait plein sur les plus grands pays comme l'Angleterre ou l'Allemagne, mais il n'y avait que peu d'ouvrages sur les plus petits pays.

Sinn trouva un seul livre — un livre d'histoire. Ah, c'est toujours mieux que rien. Je pourrais au moins discuter intelligemment avec le prince de l'histoire de sa nation. Cela pourrait gagner un peu ses faveurs. Il prit le livre, retourna dans sa chambre et s'installa pour le lire en espérant qu'il pourrait avancer avant de s'endormir. Il était si fatigué en ce moment.


Il se rendit directement au chapitre qui détaillait les lignées royales. Le livre n'était pas assez vieux pour dater d'avant le temps du prince Vlad et Sinn espérait déterminer enfin son rang exact dans la famille royale de Valachie. Mm. Leurs dirigeants étaient appelés voivodes. Bogdan I, 1324-1352. Mircea cel Batran... cel Batran ? Ah, le Vieux. 1360-1418. Draculea, Vlad Tepes, 1456-1462... Alors il porte le nom de son ancêtre. Mais pourquoi on ne l'appelle pas alors le second ou le troisième ? Sinn considéra les générations entre le premier Draculea et l'actuel. Ou même le quatrième ou le cinquième. Bon, voilà là où je vais commencer mes recherches. La plupart des gens aiment parler de leur arbre généalogique.


Il y avait un chapitre entier consacré à Draculea et Sinn tourna les pages pour y arriver. Alors qu'il commençait à lire, des souvenirs sombres se réveillèrent. Vlad Draculea, le fils du Dragon. Ou le fils du Diable. Je me demande s'il avait les mêmes ambitions que moi ? L'empaleur. Cela réveilla des souvenirs plus vifs. L'un des serviteurs avait été ravi de lui raconter des histoires sur les monstres du passé, à la fois réels et imaginaires. Sinn avait trouvé cela fascinant. Le serviteur avait été en fait déçu en voyant que le garçon ne perdait pas le sommeil à cause des contes sanglants.

Il semblait que ces contes n'aient pas été purement imaginaires. Les atrocités du prince étaient présentées comme des faits. On supposait que des centaines de gens étaient morts par sa main et assurément, des milliers étaient morts par ses ordres. Quelle lignée sanglante vous avez, prince, songea Sinn. Et je ne peux m'empêcher de croire qu'un peu de cette barbarie est en vous, malgré votre allure charmante.


Il y avait des illustrations — des gravures sur bois qui montraient les forêts de victimes empalées par l'ancien dirigeant. L'une montrait le prince attablé parmi les pieux. Sinn tourna la page et tomba sur un portrait du prince Vlad Tepes Draculea. Il l'étudia en fronça les sourcils. C'était aussi une gravure sur bois alors que le texte disait qu'il s'agissait d'un portrait à l'huile. Il aurait aimé voir la peinture — l'imprimerie était si stylisée qu'il aurait pu s'agir de n'importe qui. Sauf que...

Il fronça les sourcils. La moustache. La moustache ne va pas. Sinn se rendit à sa coiffeuse et fouilla parmi les bocaux et les pots jusqu'à ce qu'il repère un récipient de pâte blanche. On pouvait s'en servir pour obtenir le teint pâle si on ne voulait pas courir le risque des saignées ou de prendre de l'arsenic. Sinn ne s'en était servi qu'une fois puis avait découvert qu'elle contenait du plomb. Il ne l'avait pas jeté en songeant qu'il pourrait avoir besoin plus tard d'une substance toxique.


Il trempa ses doigts dans la pâte et peignit l'endroit sombre qui représentait la moustache. Il lui fallut deux couches avant que ce soit assez épais pour cacher l'image dérangeante. Une fois fait, Sinn se ressuya les mains et loucha vers l'image en penchant la tête et en essayant de tenir compte de la couleur pâle du maquillage.

Il cilla et quelque chose sembla bouger. Il savait que ce pouvait juste être son imagination mais c'était comme si les lignes de l'image avaient subtilement changé et il fut soudain certain de regarder un portrait de l'actuel prince Vlad Draculea.

Je sais que dans une famille, la ressemblance peut être grande mais avoir le même visage qu'un ancêtre d'il y a deux cent cinquante ans... Sinn tourna la page, intéressé de lire le reste de la vie du premier Draculea.


Marié à Elizabeta Varga en 1462. Il semble s'être un peu radouci après ça. Il n'y a pas beaucoup d'incidents violents mentionnés, sauf en 1464. Sinn lut un peu plus et frissonna. Seigneur ! Je suis pour le protocole mais il est allé un peu loin. Des pointes ! Brrrr. Et bien sûr, cela a entraîné l'agression turque. On ne peut pas vraiment les blâmer. La gravure sur la bataille est très nette aussi.

Sinn tourna la page, pressé de savoir comment le prince était mort. Ce n'était pas le genre d'homme à mourir paisiblement dans son lit. À en juger par les indications sur sa vie privée, cela aurait pu être dans le lit d'une autre, tué par une amante jalouse. J'en viendrais presque à souhaiter que ce soit vraiment lui à la cour au lieu de son descendant. Le sang s'affaiblit en général dans les familles.


Sinn poursuivit sa lecture. Son front lisse se plissa en signe de perplexité. Bon, j'ai pas mal lu mais j'ai rarement vu un tel mélange d'obscurité et de mauvais renseignements. Il lut à nouveau ce passage et il ne parut pas plus clair. Bon, ils n'ont pas vraiment dit qu'il était mort. 'La terre trembla avec une grande tempête quand le Fils du Dragon prononça son blasphème et le prince tomba comme mort. Tous les chrétiens qui craignaient Dieu fuirent le château et à partir de ce jour, l'endroit fut maudit, hanté par Nosferatu.


« On approfondit son éducation, Sinn ? »

Barbee laissa tomber le livre, surpris, mais Rock le rattrapa avant qu'il ne touche le sol. Sinn ouvrit la bouche devant le jeune homme puis tenta de conserver sa dignité.

« Je ne t'ai pas entendu toquer.

– Peut-être parce que je n'ai pas toqué. »

Rock feuilleta oisivement le livre.

« Je ne savais pas que tu étais un intellectuel. »

Sinn tendit la main pour récupérer le livre.

« C'est juste un peu de lecture. »

Rock tint le livre hors de sa portée.

« Tu es un peu inquiet de le récupérer, pas vrai ? Je me demande pourquoi. »

Il recula de quelques pas et tourna les pages plus lentement.


« Ce n'est pas pour toi. »

Il tenta à nouveau de reprendre le livre.

Cette fois, Rock le repoussa distraitement.

« Je sais lire, tu sais.

– Je n'en doute pas. Je n'ai jamais dit que tu n'étais pas intelligent. Maintenant rends-moi ça ! »

Il tenta d'attraper le livre.

Rock posa une main sur le visage du jeune seigneur et le poussa sur le lit. En un éclair, il fut sur lui, agenouillé sur ses bras. Sinn se rua mais il ne put le bouger. Bon sang ! Depuis quand était-il si faible ?

Rock baissa les yeux sur lui.

« Tu me sembles bien trop pressé de récupérer ce livre, Sinn. Ça me rend curieux. »

Il regarda à nouveau le livre.

« L'histoire de la Transylvanie, aussi connue sous le nom de Valachie. »

Il baissa les yeux sur Sinn qui ne résistait plus, l'étudiant.

« Alors, on fait des recherches sur le prince ?

– C'est de l'histoire, Rock. Ça ne recouvre pas la situation actuelle. »


Rock tourna les pages. Il s'arrêta sur une page et haussa les sourcils. Il toucha la page puis examina la tache blanche sur ses doigts.

« Le roi n'appréciera pas que tu salisses ses livres. »

Il ressuya la peinture sur la chemise de Sinn d'un air absent puis poursuivit sa lecture.

Rock se figea. Le seul mouvement était celui de ses yeux, faisant des allers-et-retours. Puis ses lèvres formèrent lentement le mot 'Nosferatu'. Rock laissa tomber le livre à terre puis s'abaissa jusqu'à être allongé sur le corps de Sinn, le recouvrant comme une couverture.

« Sinn... »

Son ton était grondeur.

« Oh, Sinn. On ne t'a jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ? »

Pour la première fois de son existence, Sinn eut vraiment peur.

« Ce livre n'est pas très utile. Je voulais des faits et il ne m'a donné que des contes de fées.

– Vraiment ? J'ai toujours aimé un bon conte de fée. Raconte-moi. »


Sinn s'humecta nerveusement les lèvres.

« Juste les contes habituels que les paysans ignorants se murmurent entre eux. Des fantômes et des loups-garous. »

Rock s'installa un peu plus.

« Des métamorphes ? Un homme aussi intelligent que toi ne croit sûrement de telles balivernes.

– Non, bien sûr que non. »

Rock caressa presque gentiment les cheveux de Sinn et Sinn frémit devant son sourire glacial.

« Mais les morts-vivants...

– Superstition, murmura Sinn. Mensonges. Mythes. »

Le sourire de Rock s'élargit. Le cœur de Sinn se mit à battre follement en voyant la lueur des canines. Les yeux du jeune homme étaient devenus rouges.

« Pas tous. »

Avant qu'il ne puisse crier, Rock plongea. Alors que Rock déchirait sa gorge, le cri de Sinn mourut dans sa gorge.


Sinn donna de faibles coups au monstre allongé sur lui mais il cessa rapidement de se débattre. Il se sentait si faible, sa tête tournait. Ça m'est déjà arrivé, songea-t-il d'un air hébété. Oh Seigneur. La douleur et la faiblesse, et... et... La chaleur. Il y avait une vague de plaisir érotique mêlée à la douleur et la terreur. Il ne devenait pas dur et il comprit vaguement avec une horreur naissante que c'était parce qu'il n'avait plus assez de sang pour y parvenir.

Alors qu'il commencer à sombrer dans les ténèbres, sa dernière pensée cohérente fut : Nosferatu. Peut-être... peut-être que je pourrai vivre même si je meurs... Rock le sentit mourir. Il sentit la soudaine immobilité du corps sous lui, le changement subtil du goût du sang, la différence infime d'odeur, et il recula, alarmé. Barbee était sous lui — mou, ses yeux verts ternes et sans l'étincelle de vie pour illuminer leur regard.

« Merde ! siffla Rock. »

Enragé au-delà de toute raison, il secoua rudement le corps. La tête de Sinn se balança mollement et, avec ses sens accrus, Rock pouvait sentir sa chair se refroidir. Il lâcha le corps sur le lit avec un grognement.


Son premier instinct fut de fuir. Draculea allait sûrement le tuer pour ça. Le prince était inflexible sur le fait qu'ils devaient se limiter aux criminels, les gens dont la disparition ne leur poserait pas de problèmes, mais Barbee... Barbee était un membre bien connu et populaire d'une puissante cour.

Il se leva et fit les cent pas en ressuyant sa bouche sans y penser. Je dois m'en aller, j'aurais dû partir il y a longtemps. Il s'arrêta en jetant un regard au corps sur le lit. Mais je ne peux pas le laisser ici. Il y a tellement de monde ici qu'on ne remarquera pas sa disparition avant un jour ou deux. Si je le cache assez bien, j'aurais le temps de disparaître.

Il enroula le corps refroidissant dans la couverture du lit. Personne n'irait interroger un serviteur dans les couloirs portant ce qui ressemblait à un paquet de linge. En fait, il était peu probable qu'un noble se souviendrait l'avoir vu.


Il sortit du palais sans être interpellé par qui que ce soit. Il rajusta le corps sur son épaule, reconnaissant pour sa force accrue. Sinn n'était pas grand mais il était solide et ç'aurait été un vrai fardeau si Rock n'avait pas été transformé.

Il y avait plusieurs chaumières aux alentours des terres du palais, occupées par des gardiens. Il trouva un cheval attaché derrière l'une d'elle et s'appropria l'animal, posa le corps sur le dos nerveux de l'animal et s'enfonça dans les bois. Quand il pensa être suffisamment loin, il regarda autour de lui. Il y avait une grande souche creuse dans le sol, un géant des forêts abattu depuis longtemps. Cela serait la 'tombe' de Barbee.

Rock fourra le corps dans la souche puis remonta à cheval et galopa. Il savait qu'il devrait se trouver un endroit sûr avant le lever du soleil et il voulait mettre le plus de distance possible entre lui et Versailles — ou plus précisément, Draculea.


Il ne sentit aucun remords à l'idée d'abandonner son frère. Rill n'était rien d'autre qu'une source d'envie et de frustration. Une fois libéré de Draculea, il pourrait prendre ses propres serviteurs. Oui, avec ses nouveaux pouvoirs il pourrait mener une vie plutôt satisfaisante.

Alors qu'il chevauchait, il ne lui vint jamais à l'esprit que même après deux cent cinquante ans, Draculea n'avait pas tout appris sur sa condition. L'arrogance de Rock avait aisément convaincu le jeune vampire qu'il savait tout.

Son seigneur et lui allaient justement apprendre à quel point le lien entre un enfant et son géniteur pouvait être fort.






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