Child of the Night 64

Partie Soixante-quatre : Délégation


L'an de grâce 1892
Londres, Angleterre



Randal Thompkins lut à nouveau la lettre. C'est étrange. Je n'ai jamais vu un tel papier, sauf dans quelques vieux documents étudiés à l'université. Et il a scellé l'enveloppe avec de la cire plutôt que d'utiliser une enveloppe gommée. Bon, il appartient à l'une des ces vieilles lignées décadentes de la royauté européenne, donc je suppose qu'on peut s'attendre à quelques excentricités.

« Alors ? »

Il leva les yeux vers Clarence Hawkins, son partenaire de longue date.

« C'est une excellent opportunité — s'il est sérieux.

– Je pense que c'est le cas. »

Hawkins tendit la main et tapota le parchemin d'un long doigt.

« Nous avons fait affaire avec son aide il y a quelques années en arrangeant l'importation d'un vin d'Italie qu'il possède. J'en ai acheté moi-même une caisse — c'est très bon. »


Thompkins fronça les sourcils.

« Un commerçant ? »

Hawkins rit doucement.

« Vieux snob, va. Comme si nous ne gagnions pas bien notre vie grâce aux commerçants. Non, pas un simple commerçant. Je crois que c'EST vraiment un prince, bien que sa lignée soit obscure et je présume que seuls quelques domestiques décrépis sont encore ses vassaux. Mais, fit-il en levant un doigt, il est riche — très riche. Il a des terres en Italie, en France, en Transylvanie, en Allemagne, en Espagne... et probablement d'autres encore que j'ignore. Il possède des propriétés commerciales à Budapest, Paris, Hambourg... Ses revenus doivent être substantiels. »


Tandis que Clarence parlait, les sourcils de Randal s'étaient haussés.

« Eh bien, cela semble profitable de poursuivre cette affaire. »

Ses yeux brillèrent.

« C'est une grosse commande — une demi-douzaine de propriétés dans et autour de Londres. La commission nous rendraient fort aise. Et même si ce n'est pas une transaction complètement en liquide... »

Hawkins hochait la tête.

« Nous pourrions nous arranger pour prendre quelques-unes de ses propriétés à l'étranger en échange. Je connais beaucoup de gens à la recherche de propriétés à Paris et le choix là-bas n'est pas très abondant. Nous pourrions faire un bon profit de la revente...

– Ne commence pas à compter les pièces, mon vieil ami, l'avertit Thompkins. Il nous a demandé un représentant mais ça ne veut pas dire qu'il vendra facilement. Ne t'en déplaise, je ne veux pas laisser cette affaire nous filer entre les doigts. J'irai moi-même si je n'avais pas ces problèmes de santé. »


Son partenaire acquiesça.

« Si c'était un endroit plus proche, comme Paris, ou un peu plus civilisé, comme l'Italie, j'irais moi-même mais... En tout cas, j'ai du travail ici que je ne peux pas abandonner. Alors, qui allons-nous envoyer ? »

Thompkins soupira.

« Il n'y a pas beaucoup de choix. La plupart des commis que nous avons ici sont assez compétents pour les affaires domestiques mais cela va demander une connaissance plus approfondis des aspects internationaux du transfert de titres. Et nous traitons avec la royauté — on ne peut pas envoyer n'importe qui.

– Comme je le vois, il n'y a que deux options — Renfield ou Harker. »


Thompkins fronça les sourcils.

« Oui, je vois pourquoi tu mentionnes Renfield. Il est un peu froid mais merveilleusement efficace. Cet homme ne semble avoir aucune vie en dehors de son travail — une qualité remarquable chez un employé. »

Il eut un petit sourire froid.

« Et il est ambitieux. Il n'en parle pas autant que d'autres mais tu peux voir la faim dans son regard. Mais Harker ? Ce n'est encore qu'un gamin et cela ne fait même pas un an qu'il est avec nous.

– Oui, mais il s'est déjà montré merveilleusement intelligent. Ce garçon a l'esprit vif. Je ne crois pas qu'il soit cependant vraiment orienté vers les affaires et c'est dommage. Il emprunte toujours des livres à la bibliothèque — de la poésie et des ouvrages historiques, entre tous, mais il a déjà prouvé qu'il sait voir une bonne occasion lorsqu'elle se présente et en plus, il parle hongrois et connaît un peu d'autres langues slaves, je crois. Il serait nettement plus à l'aise pour ce voyage nécessaire. »


Thompkins renifla.

« Non pas que son confort ait une grande importance mais plus il sera à l'aise, plus il montrera de la confiance et plus nous pourrons faire un bon marché. Pourtant... »

Il réfléchit puis secoua la tête.

« Non, il est vraiment trop jeune. Le prince pourrait nous croire cavaliers en n'accordant pas à cette affaire l'attention et le respect qu'elle mérite. Je pense que Renfield est notre meilleur choix.

– Entendu. Je suppose que nous devrons lui avancer de l'argent pour couvrir ses dépenses. Il devrait être en mesure de partir rapidement. »

Hawkins prit une autre gorgée.

« Après tout, ce n'est pas comme s'il avait beaucoup de choses à régler avant son départ. »

Jonathan était parti à l'heure du déjeuner et il avait été inhabituellement évasif lorsque Renfield lui avait demandé où il se rendait. Renfield regarda d'un air mécontent le morceau de fromage qu'il mangeait. Il n'avait tout simplement pas d'appétit lorsque Jonathan n'était pas là. Ça ne lui ressemble pas. Il est si ouvert pour beaucoup de choses. Qu'est-ce qui peut le rendre aussi secret ? C'est presque comme s'il allait voir une amante.

Ce fut un léger bruit de crépitement qui le sortit de sa contemplation. Il découvrit qu'il avait serré le fromage si fort qu'il s'était réduit en morceaux, et ces morceaux tombaient sur le papier qui contenait le reste de son modeste déjeuner.

« Damnation ! »


Il prit son mouchoir et nettoya ses doigts. Non, ce n'est pas ça — ça ne peut pas être ça. J'ai vu cette gourde laiteuse avec qui il s'est fiancé. Elle ne le laissera pas la toucher tant qu'il ne sera pas lié à elle, légalement et proprement, pas avant qu'elle ne soit absolument sûre de l'avoir. Mégère. La porte s'ouvrit et Jonathan entra. Il enleva son manteau puis son chapeau en les posant sur son crochet. La lumière à gaz se refléta sur les ténèbres soyeuses de ses cheveux et il lança à Renfield un de ces sourires formels mais sincères qui faisaient battre son cœur un peu plus vite.

« Vous avez fait vite.

– En effet — ce n'était pas loin. J'ai encore le temps de déjeuner, si je me dépêche. »

Jonathan se rendit à son bureau et sortit son propre déjeuner en jetant un coup d'œil aux restes de celui de Renfield.

« Vous n'aviez pas faim ? Vous devez manger, Robert, pour rester en bonne santé. »


Quand est-ce que quelqu'un s'est soucié de ma santé pour la dernière fois ? Comme il savait que cela ferait plaisir à son ami, Renfield termina la nourriture et fut récompensé par un autre sourire. Alors qu'ils mettaient de côté les emballages, il fit :

« Allez-vous me parler de votre mystérieuse course ? »

Jonathan rit.

« J'étais mystérieux ? Je suis désolé, ce n'était pas mon intention. Ce n'est pas de vous dont je veux garder un secret — c'est de Mina.

– Oh ? »

C'était intéressant. Que pouvait-il cacher à sa fiancée ?

« Racontez.

– Eh bien, c'est un cadeau.

– Oh. »


Son ton était plat. Quand Jonathan lui lança un regard curieux, Renfield fit :

« En quelle occasion ?

– Il n'y a pas vraiment d'occasion. Maintenant que nous sommes fiancés, nous pouvons échanger des présents mais ses parents sont très corrects, donc il ne faut pas que ce soit quelque chose de trop... »

Il fit une grimace.

« Bon, les vêtements sont bien sûr exclus d'office et les bijoux attendront notre mariage. Des choses comme des livres sont un peu trop impersonnelles.

– Vous avez éveillé ma curiosité, Jonathan. Que pouvez-vous bien lui avoir acheté ? »

Son sourire fut timide et ravi — mais il commençait à rougir.

« J'ai bien peur que ce soit un peu vaniteux. Je vais lui offrir une daguerréotype Daguerréotype : un ancêtre de la photographie produit sur une plaque d'argent ou couverte d'argent. (1) de moi. »


Renfield garda le silence un moment. Seigneur, est-ce que cette fichue femme sait la chance qu'elle a ?

Il y avait une pointe de doute dans la voix de Jonathan alors qu'il regardait Renfield.

« Vous trouvez que c'est trop égotiste ?

– Non, Jonathan. Je trouve que c'est... mignon. »

Jonathan rougit encore plus.

« Désolé, mais ce n'était pas un sarcasme.

– Je sais. Vous ne seriez pas aussi méchant, Robert. »


La porte s'ouvrit et Corliss glissa sa tête dedans.

« Harker, tu as des papiers à ramener à Lord Carbury. Renfield, les associés veulent te voir. »

Il partit en refermant la porte avec un peu plus de véhémence que nécessaire.

« Hm, joyeux comme toujours, » fit sèchement Renfield.

Alors qu'ils se dirigeaient vers la porte, il fit :

« Jonathan, vous ne prenez pas votre manteau et votre chapeau ? »

Jonathan soupira.

« Oh mince. Je viens juste de les enlever et vraiment, il ne fait pas assez froid pour les mettre. Pourtant, c'est lord Carbury, même si je ne verrai sans doute que son secrétaire. Peut-être juste le chapeau. »

Il le prit sur le crochet et ils descendirent les escaliers ensemble, Jonathan pour prendre les papiers de Corliss et Renfield pour aller aux bureaux personnels des associés. La porte du bureau de Thompkins était grande ouverte, aussi se rendit-il là en premier.


Ses employés étaient assis, Thompkins derrière son bureau et Hawkins sur une chaise rembourrée, discutant à voix basse. Ils levèrent les yeux lorsqu'il entra. Était-ce son imagination ou bien y avait-il plus que l'habituel pesage dans leurs yeux ?

« Ah, Renfield. »

Thompkins lui fit signe.

« Entrez, entrez et fermez la porte. Corliss peut rôder dans les parages et je ne doute pas qu'il y ait des marques de trous de serrure sur ses oreilles. »

Renfield ferma la porte sans commentaire et s'approcha des deux hommes puis attendit. Il savait qu'il ne devait pas s'asseoir sans y être expressément invité et il savait aussi qu'il n'y serait pas invité. Il fut donc surpris, presque figé, lorsque Thompkins désigna la chaise vide et fit :

« Asseyez-vous. »

Il obéit, s'asseyant de façon inconfortable sur le bord de la chaise.


Hawkins lui tendit une feuille de papier épais et crémeux, couvert d'une écriture agressive et pointue.

« Lisez ça. »

Renfield parcourut la missive, rapidement mais soigneusement. Puis il lança un regard interrogateur à ses employés.

« Que pensez-vous de ça ? »

Seigneur, il ne peut vraiment pas vouloir mon opinion.

« Je pense que c'est une très bonne occasion, presque incroyable. Vous pourriez gagner suffisamment avec cette affaire pour... eh bien, si vous le désirez, vous retirer confortablement, mais je doute qu'aucun de vous ne puisse supporter de rester hors du jeu trop longtemps, même si vos comptes en banque sont bien fournis. »

Thompkins eut un rire bref.

« Une bonne tentative de flatterie, Renfield, mais assez vraie. Vous êtes diplomate lorsqu'il le faut mais franc lorsque c'est le plus profitable. Il n'y a pas une once de baliverne en vous. C'est pour cette raison que nous vous avons choisi pour gérer cela. »


Je ne vais pas en rester bouche bée comme un enfant stupide, songea Renfield.

« Vous êtes bien sûr notre commis le plus âgé et si cela ne vous donne pas une trop haute opinion de vous-même, vous êtes l'un des hommes les plus efficaces que je connaisse en ce qui concerne les transferts de propriétés, fit Hawkins. Je suppose que je n'ai pas besoin de vous le dire, Renfield, c'est le genre d'entreprise qui peut assurer la carrière d'un homme. »

Renfield acquiesça.

« En fait... »

Il jeta un regard à son partenaire qui hocha la tête.

« Si cela se passe de manière satisfaisante, nous pourrions envisager une association. Comment sonne Hawkins, Thompkins et Renfield ? »

Cela sonne comme si j'allais avoir beaucoup plus de travail et de responsabilité pour à peine plus d'argent, et un titre qui n'impressionnera personne ayant un peu de sens commercial. Personne sinon... peut-être Jonathan. Oui, il serait content pour moi et fier, je pense. Et je pourrais choisir mon propre assistant. Je pourrais faire des choses pour lui, comme lui assigner les meilleurs clients. Il pourrait même m'en être reconnaissant.


« J'en suis honoré, monsieur. Je serai ravi de me charger de cette affaire pour vous.

– Bien, fit Hawkins. »

Son ton disait : 'nous n'en attendions pas moins'.

« e prince est pressé de faire la transaction. Quand pouvez-vous partir au plus tôt ? »

Le ton disait à nouveau plus que les mots, avertissant Renfield que son temps ferait mieux d'être à la disposition de la firme.

« Je peux partir dès que j'aurais les papiers nécessaires, des informations et un billet pour la Transylvanie, leur assura-t-il.

– Excellent. Cela ne prendra pas plus que, disons, une semaine pour rassembler tout ce dont nous avons besoin. Nous prendrons un billet pour vous et nous nous occuperons des transports et du logement sur la route. J'ai entendu dire que les routes et les voitures ne sont pas très évoluées dans cette région alors nous ferions mieux de compter une semaine pour votre voyage. »


Hawkins se leva en tendant la main. Alors que Renfield la serrait, il fit :

« Déléguez vos responsabilités actuelles aussi vite que possible. Y a-t-il quoi que ce soit d'urgent en ce moment ?

– Non, monsieur. Rien d'extraordinaire. »

Thompkins se leva et se pencha sur le bureau pour lui serrer également la main.

« Peut-être que le jeune Harker pourra s'en charger alors. J'aimerais bien voir comment il s'en sort avec des responsabilités en plus. Bon... »

Il s'éclaircit la gorge. Les mots qui suivirent semblèrent presque douloureux pour lui.

« Pourquoi ne prendriez-vous pas le reste de la journée ? Je suis sûr qu'il y a des affaires euh... personnelles que vous aimeriez régler avant de partir. Après tout, vous pourriez très bien être absent pendant trois semaines, peut-être même un mois.

– Merci, monsieur. »

Ils sont sérieux s'ils me donnent un demi-congé.

« Je ne vous décevrai pas. »

Ils souriaient toujours mais il y avait un lueur d'avertissement dans les yeux des deux hommes.

« Oui, je l'espère, murmura Hawkins. Je l'espère vraiment. »

Se sentant un peu étourdi, Renfield remonta dans son bureau. Assurément, Corliss avait rôdé dans les couloirs lorsqu'il était sorti du bureau et le regard renfrogné qu'il lui avait lancé lui apprit qu'il savait déjà ce qui avait été décidé.

Le bureau était vide, Jonathan toujours à sa commission. Ce n'est pas surprenant. Quand on va voir les nobles, nous attendons leur bon plaisir et la plupart d'entre eux sont persuadés que nous n'avons rien de plus important à faire que d'attendre dans leur couloir — ou dans un salon s'ils se sentent d'humeur généreuse.


Renfield s'adossa contre la porte en tentant de digérer tout ça. Le voyage — le voyage vers les lointaines Carpates au nom si exotique. Voyager dans un monde où on s'accrochait encore au passé peu civilisé. Il n'avait quitté Londres que peu de fois dans sa vie. Cette perspective était exaltante et effrayante à la fois.


Voyager. Il se renfrogna. Loin de Jonathan, pour au moins un mois. Le manteau du jeune homme pendait sur son crochet près de la porte. Renfield tendit la main et le toucha gentiment. Il le caressa tout du long en imaginant que Jonathan le portait et qu'il pouvait sentir la fermeté de ce long dos fort sous sa paume. Puis il nota un renflement dans la poche. La photographie. Ce devait être ça.

Renfield n'était pas d'ordinaire un homme curieux mais quand cela concernait Jonathan Harker, c'était autre chose. Il peut revenir à tout moment, songea-t-il alors même qu'il mettait la main dans la poche. Il faut que je fasse vite.

Jonathan chantonnait joyeusement en entrant dans l'immeuble. Lord Carbury s'était révélé être très agréable, il avait même demandé du thé pour lui alors qu'il regardait les papiers. Jonathan avait tenté d'observer tout sans trop y paraître. Mina voudrait tous les détails la prochaine fois qu'il la verrait. Sa fascination pour la couche supérieure inquiétait un peu Jonathan. Mais elle se calmerait sûrement et accepterait leur place dans la société une fois qu'ils seraient mariés.


Corliss leva les yeux de sa machine à écrire lorsque Jonathan entra et il fit d'un ton sec :

« Et pourquoi faut-il que tu sois aussi joyeux ? »

Jonathan cilla, surpris. Oui, cet homme n'était jamais agréable mais il était rarement aussi hostile.

« Rien en particulier. C'est juste un bon jour, c'est tout. »

Corliss renifla.

« Oh oui, bon pour certains ! Et je parie qu'ils ne me laisseront même pas me charger des devoirs de Renfield lorsqu'il sera parti. »

Jonathan sentit son estomac se serrer.

« Parti ? »

C'est vrai, ils voulaient le voir. Oh, je vous en prie, non !

« Il n'a pas été licencié ? »


Corliss leva rapidement les yeux puis lança un sourire rusé à Jonathan.

« Oh, je ne jurerais de rien — ils ne se confient pas à moi. Mais je crois les avoir entendu dire qu'il partirait à la fin de la semaine.

Bon sang ! »

C'était vraiment un petit juron mais Corliss en resta choqué alors que Jonathan se ruait dans les escaliers. Ses longues jambes parcoururent rapidement les deux étages et il était à peine essoufflé en atteignant le dernier étage. Il courut le long du couloir et ouvrit la porte de son bureau si brusquement qu'elle cogna contre le mur. Renfield referma le tiroir de son bureau en lança un regard ébahi à Jonathan.

« Ce n'est pas vrai, n'est-ce pas ?

– Je... J'étais juste... »


Jonathan s'approcha rapidement de lui et se pencha vers son ami. Une partie de lui le grondait parce qu'il se montrait trop familier mais la possibilité de perdre un de ses rares amis était trop forte.

« Ce n'est pas possible, Robert ! Vous valez bien deux autres hommes. Ils se fourrent le doigt dans l'œil s'ils vous laissent partir.

– Me laisser partir ? »

Renfield avait une expression étrange sur le visage.

« Mon garçon, de quoi parles-tu ? »

Jonathan était à présent confus. Renfield semblait un peu agité mais pas aussi bouleversé qu'un homme qui viendrait de perdre son travail.

« Votre place. Corliss a dit que vous partiriez dans une semaine. »


Les sourcils de Renfield s'élevèrent.

« Oh, il a dit ça, pas vrai ? Bon sang, ce crapaud venimeux ! Je vais toucher quelques mots aux patrons sur ses ragots avant de partir — il va voir si je ne le fais pas. »

Jonathan posa la main sur l'épaule de Renfield en essayant de ne pas serrer trop fort bien qu'il commençait à se sentir désespéré.

« Bien sûr, je sais que vous n'aurez aucun problème pour trouver une autre place, Robert, puisque vous êtes un très bon clerc, mais c'est tout simplement injuste... »

Renfield ne put s'empêcher de frémir légèrement en sentant ces longs doigts gracieux serrer son épaule et bien sûr, Jonathan l'interpréta mal.

« Pourquoi font-ils ça ? Vous n'avez fait aucune erreur. Je sais que ce n'est pas le cas. Ils... »


Renfield posa sa main sur celle de Jonathan, se permettant ce contact.

« Calmez-vous, Jonathan. Je ne suis pas renvoyé. »

Jonathan inspira profondément.

« Mais Corliss a dit que vous partiez dans une semaine.

– Et c'est exact, mais ce n'est pas pour chercher une place ailleurs. »

Il tapota la main de Jonathan puis la retira doucement. Il n'osait pas laisser ce contact se prolonger trop longtemps.

« Et Corliss est un serpent jaloux. Il a tourné sa phrase ainsi juste pour vous bouleverser. Je vais en Europe pour affaires, Jonathan. »

Il se permit un petit sourire.

« On m'a confié une transaction très importante. »


Jonathan s'adossa contre le mur, la tête penchée en arrière et les yeux fermés, et il respira profondément. Il ne pouvait pas voir la lueur dans les yeux de son ami alors qu'il le regardait.

« Oh, dieu merci ! Robert, j'étais si inquiet.

– Oui, c'est ce que j'ai vu. Mais pourquoi, Jonathan ?

– Pourquoi ? »

Jonathan le regarda, perplexe.

« Vous me manqueriez. »

La voix de Renfield était très calme.

« Vraiment ?

– Bien sûr. Vous êtes très important pour moi, Robert. Vous êtes mon premier ami adulte et je ne veux certainement pas vous perdre.

– Cela n'arrivera pas. Mais je suis vraiment votre premier ami adulte ? Qu'en est-il de votre Wilhelmina ? »


Jonathan se renfrogna un peu.

« Oh, oui. Oui, vous avez raison. Je l'avais presque oublié. Je me demande pourquoi ? »

Il s'illumina.

« Oh, laissez-moi vous montrer le cadeau ! »


Il se rendit à son manteau et fouilla dans la poche.

« Je suis vraiment content de ce que ça a donné. Vous ne pouvez pas vraiment sourire, vous savez, puisque cela prend si longtemps pour que la photographie soit exposée, mais au moins, je n'ai pas l'air de sucer un citron. »

Sa main était dans sa poche, fouillant. Il fronça les sourcils, retourna le manteau et fouilla dans l'autre poche. Renfield observa en silence alors qu'il continuait à chercher dans son vêtement avec une inquiétude grandissante.

« Elle n'est pas là. Je ne comprends pas. Je l'avais tranquillement dans ma poche quand j'ai quitté le studio.

– Elle est peut-être tombée sur le chemin ? »

Jonathan parut douter.

« Je suppose que oui, mais je ne vois pas comment. Je n'ai encore jamais perdu quelque chose comme ça. »


Il fouilla à nouveau dans les poches et ses épaules s'affaissèrent en signe de défaite.

« Je n'y crois pas.

– Vous ne pouvez pas en avoir une copie ?

– Je présume que oui et ce serait moins cher puisqu'il a déjà les plaques, mais pourtant... Il faudra des semaines avant que j'ai suffisamment d'argent pour une autre. Zut. »

Il soupira.

« Bon, je vais faire un tour rapide aux toilettes.

– Je vous dis au revoir alors. On m'a donné le reste de la journée pour mettre mes affaires en ordre. »

Il renifla.

« Combien de temps cela prend-il pour parler à une propriétaire ?

– Quand c'est la mienne ? Assez longtemps. Elle est plutôt bavarde. Je vous vois demain alors ? »

Il y avait une touche d'appréhension dans la voix de Harker qui toucha Renfield.

« Oui, oui. Je vous l'ai dit, je ne pars que dans une semaine. »

Quand Jonathan fut sorti, Renfield ouvrit à nouveau son bureau et en sortit un paquet plat et enveloppé dans du papier. Il le glissa rapidement dans la poche de son manteau et mit son manteau et son chapeau. Au rez-de-chaussée il s'arrêta devant le bureau. Corliss tenta de l'ignorer mais Renfield attendit patiemment que l'autre homme lève les yeux, son expression acide et interrogatrice. Renfield se pencha.

« Corliss, si tu écoutes aux portes, tu ferais mieux d'apprendre à rapporter tes ragots avec plus de précision. C'est un coup perfide que tu as fait à Harker. »

Corliss haussa les épaules mais eut un sourire mauvais.

« Le pauvre était bouleversé ? Ah là là.

– Fais bien attention à toi. Si tu lui crées encore des soucis, Hawkins pourrait bien apprendre pourquoi sa dernière bouteille de cognac est si faible. Vraiment, si tu remplis ce que tu bois avec du thé, tu ferais mieux de te restreindre. Cela se remarque un peu après le troisième verre. »

Il observa le secrétaire perdre toute couleur puis il partit sans un autre mot.


Dans sa chambre, il verrouilla la porte et prit le paquet de son manteau en le posant sur sa table de nuit. Puis il l'ignora studieusement alors qu'il quittait ses vêtements de travail. Il retira le col amidonné et les manches avec des gestes impatients en les jetant sur sa commode, puis il jeta sa cravate près d'eux au lieu de la pendre soigneusement. Il choisit son pantalon le plus confortable et une chemise large, et il ne prit pas la peine de mettre ses chaussons une fois qu'il enleva ses chaussettes et chaussures.

Finalement, il se rendit à son armoire et prit une bouteille de whisky. Il la regarda d'un œil critique. Depuis quand l'avait-il, au juste ? Oui, c'était un cadeau d'un client reconnaissant qui datait d'un... non, de deux Noël et elle était encore à moitié pleine. Il la porta jusqu'au lit et s'en servit un doigt dans le verre à eau qu'il gardait là. Après y avoir réfléchi, il ajouta un autre doigt et plaça la bouteille sur la table de nuit au lieu de la ranger à nouveau.


Renfield s'assit confortablement sur le lit et prit le verre. Il but lentement, remarquant à peine l'acidité douce de la liqueur. Il n'aimait pas vraiment l'alcool, en dehors d'une bière occasionnelle ou d'un verre de vin, mais il en avait besoin maintenant. Il n'était pas sournois par nature et il venait juste de commettre son premier vol.

En buvant, il regarda le paquet. Il ne l'avait pas ouvert. Après l'avoir pris du manteau de Jonathan, il s'était juste assis à son bureau en le tenant et en le regardant. En fait il s'était presque levé pour le remettre à sa place, perdant son courage. Puis Jonathan avait débarqué et il n'y avait plus eu d'occasions. Il ne pourrait pas supporter que le garçon sache qu'il avait violé sa confiance implicite en lui prenant quelque chose, même s'il savait que Jonathan aurait juste considéré ça comme de la curiosité amicale puis aurait déballé le paquet pour le lui montrer.


Je n'ai vraiment pas l'habitude de boire, se dit-il en mettant le verre vide de côté. Il sentait déjà sa tête tourner un peu. Il faudra me rappeler d'être prudent en Transylvanie. Ces Européens sont très généreux avec leur vins et ce ne serait pas bon pour moi d'être ivre en présence d'un client. Il tendit la main pour prendre le paquet. Je le ramènerai demain. Je lui dirai que je l'ai trouvé dans la rue et il sera si content. Renfield défit lentement le paquet. Le papier froissé tomba sur le sol, ignoré alors qu'il regardait ce qu'il avait révélé.

C'était petit, pas plus grand que la paume de sa main, et il y avait un cadre simple avec du verre devant. Ça lui a coûté plus cher, remarqua Renfield d'un air absent, mais il ne ferait pas les choses à moitié — pas pour un cadeau destiné à quelqu'un qu'il aime. La lumière à gaz jetait un reflet brillant sur le verre, ne montrant que du blanc. Puis Renfield inclina le portrait et le reflet disparut.


Renfield émit un léger son inconsciemment. C'était Jonathan dans ses vêtements de travail. Il était assis sur un fauteuil en velours — droit mais pas rigide, avec son chapeau sur son genou. Il regardait le monde et Renfield avait presque l'impression qu'il pouvait vraiment le voir. Il songea qu'il y avait un sourire prêt à fleurir sous cette expression sérieuse. En dépit des tons sépia de l'image, on pouvait voir sa pâleur, la patine noire de ses cheveux et les ténèbres riches de ses yeux.

« Non, haleta-t-il. Oh, non. Je ne peux pas t'abandonner, Jonathan. Il va falloir que tu me pardonnes, mon cher garçon, mais j'en ai plus besoin que ta petite amie. »

Il tendit la main pour toucher le verre de son doigts en traçant délicatement les traits du visage de Jonathan.

« J'ai besoin de toi. Seigneur, tu es si beau et si innocent. »


Renfield dévora l'image des yeux, s'imprégnant de chaque détail, se souvenant de ce à quoi il ressemblait dans la vie réelle. Ce serait tellement mieux si Jonathan était à ses côtés, chaleureux et respirant, mais puisque c'était impossible, c'était la seconde meilleure chose. Il laissa son doigt glisser vers le centre de l'image pour caresser le torse du Jonathan en image, en regrettant de ne pas oser faire la même chose au vrai Jonathan.

Les mains de Jonathan étaient calmement posées sur ses cuisses, ses genoux légèrement écartés. Renfield s'humecta les lèvres et descendit lentement son doigt jusqu'au V ombré de l'aine de Jonathan. Il y avait une petite voix dans un coin reculé de son esprit qui lui disait qu'il était ridiculement pathétique mais cela n'avait aucune importance.


Il frotta lentement en imaginant qu'il touchait de la chair chaude et couverte par un vêtement au lieu du verre dur et froid.

« Jon, » murmura-t-il.

Je pourrais être bon avec toi, mon doux. Je pourrais te donner autant de plaisir que la chienne avec qui tu t'es engagée — plus. Je parie qu'elle ne voudra pas te donner sa bouche. Je le ferais pour toi, Jonathan. Je ferais un festin de toi et tirerais tant d'extase de toi que tu saurais, oui, tu saurais avec qui tu te sens le mieux.

D'une main, il ouvrit son pantalon et mit sa main à l'intérieur. Il gémit lorsque sa main se referma sur le mont brûlant de son érection et il commença à presser régulièrement. Il utilisait à présent son pouce pour caresser l'image tandis qu'il se caressait de l'autre main.

« Oh, Jonathan, Jonathan. »


Il leva ses hanches et repoussa rudement son pantalon et ses sous-vêtements le long de ses cuisses. Son sexe était dressé sur son buisson pubien, rigide et impatient. Il se caressa lentement, glissant sur la peau de son noyau puis retira son prépuce pour dénuder la tête d'un rose profond. Il y avait déjà un filet clair de liquide qui jaillissait de la petite fente et il coula le long du membre alors qu'il commençait à se masturber.

« u vois ? Tu vois ce que tu me fais ? »

Il se tourna sur le côté en posant soigneusement l'image contre la tête du lit pour qu'il puisse toujours la regarder, mais avec les mains libre. Son gland jutait librement à présent et il répandit le fluide le long de son membre en rendant sa chair glissante. Puis alors qu'il continuait à masser son érection, il tendit la main derrière lui. Il plia un genou en posant son pied sur le matelas et écarta ses propres fesses. Il frémit en passant ses doigts humides sur le repli de son anus. Il ne ferma pas les yeux, ne voulant pas perdre de vue l'image de Jonathan même pour ses propres visions enfiévrées. Touche-moi, Jonathan. Oui, comme ça.


Un gémissement s'échappa de ses lèvres alors qu'il glissait un doigt dans son propre corps et commençait à lui faire faire des allers-et-retours. Ses deux mains bougèrent encore plus vite et plus fort. Il imaginait un long corps chaud bougeant derrière lui, se pressant contre lui, une main passant autour de lui pour repousser la sienne. Ses caresses seraient douces, tendres et affectueuses. Mais fortes. Oui, si jeune, fin et fort. Il poussa plus loin dans son passage arrière en tordant et en cherchant. Il y avait un endroit... si seulement il pouvait l'atteindre.

Le bout de son doigt frôla une petite bosse plus ferme que le reste de la chair douce et il cria de plaisir, ses yeux se fermant finalement. Il frotta fermement, son corps s'arquant sous l'effet, et il enfonça plus loin en gémissant :

« Prends-moi, Jonathan. Baise-moi, je t'en prie, oh Seigneur. Tout pour toi, tout... »


Sa jouissance l'envahit et il s'enfonça encore plus sur son propre doigt empaleur alors que sa semence jaillissait sur sa main. Les yeux toujours clos, il porta sa main à ses lèvres et lécha les gouttes amères en songeant : À lui. À lui.

Il resta allongé comme ça un moment puis retira son doigt de son derrière à présent douloureux. Quand il reprit son souffle, il se rendit à bassine d'eau et se nettoya puis il retourna s'allonger. Il émit un petit son lorsqu'il se rendit compte qu'une goutte perlée avait éclaboussé le verre, juste sur la main droite de Jonathan. Renfield prit un chiffon et le nettoya soigneusement en polissant le verre et en songeant qu'il ne pourrait pas le rendre taché à Jonathan.


Il soupira. Oh, Robert, arrête. Tu ne vas pas le lui rendre — tu le sais. Il se pencha en avant en posant un moment son front contre le verre. Si j'ai de la chance, tu ne le sauras jamais, mon doux Jonathan. Tu ne penseras jamais à moi que comme un ami et je n'aurai pas à voir le malaise dans tes yeux. Je n'aurai pas à te voir perturbé par ma présence. Je ne te causerais jamais un moment de détresse, Jonathan. Il plaça soigneusement la photographie sur sa table de nuit en lui donnant une dernière caresse. Cela devra suffire.



Notes du chapitre :
(1) Daguerréotype : un ancêtre de la photographie produit sur une plaque d'argent ou couverte d'argent.






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