Remarques : Les lettres étaient un moyen important de communiquer avant l'invention du téléphone. Vérifiez dans toute bibliothèque et vous trouverez des recueils de lettres de personnages historiques. C'est ainsi que nous connaissons une bonne partie de la vie quotidienne de nos ancêtres.
À propos de la consternation de Renfield au sujet du manque de noms de famille au château Draculea : les noms de famille sont une invention relativement récente. D'après ce site : en Europe, "les noms de famille sont apparus entre le onzième et le quinzième siècle. Avant ça, les gens étaient massivement illettrés, vivaient dans des zones rurales ou des petits villages et n'avaient pas besoin de distinction autre que leur prénom."
Cela explique le fait que Simion n'ait pas de nom de famille. Rock et Rill ont rejeté leur nom de famille, quel qu'il soit, pour se distancer de leur famille, et Sinn ne s'en soucie simplement pas.
Durant l'ère victorienne, utiliser le prénom était considéré comme un privilège. Appeler quelqu'un par son prénom juste après les présentations était considéré comme horriblement impoli et présomptueux. Des gens pouvaient se connaître depuis des années et encore utiliser les noms de famille. Il a même existé des couples mariés qui s'appelaient Mister et Mrs Tel et Tel durant leur vie conjugale, du moins en public.
Inversement, on appelait les serviteurs et les gens de basse classe uniquement par leur prénom. Comme exemple du peu de considération des classes aisées en ce qui concerne la dignité du prénom chez les classes inférieures, on peut citer la minie-série anglaise "Upstairs, Downstairs".
Quand une nouvelle bonne est engagée, la dame de la maison l'informe tranquillement qu'on l'appellera désormais Sarah parce que son propre prénom ne convient pas pour quelqu'un de sa position.
Partie Soixante-douze : Communication et impressions
L'an de grâce 1892, deux jours plus tard
Transylvanie
Château Draculea
Mon cher ami,
Je ne fais pas vraiment confiance aux services postaux dans cette région
barbare et je n'ai aucune idée de quand ce message vous
parviendra. En effet, il est fort possible qu'aucune des lettres que
je vous ai envoyées durant mon voyage ne soit encore arrivée.
Je vous assure que je n'ai pas oublié ma promesse — j'ai
posté une lettre à chaque escale. Je pense qu'il est
fort probable qu'elles arriveront d'un coup. Veuillez vous référer
aux dates si vous voulez avoir une impression précise de mon
voyage.
Renfield relut le paragraphe en secouant légèrement la tête. J'ai l'air d'un pharisien. Bon, je suppose que c'est ce que je suis et il ne s'attendra pas à autre chose de ma part. Pourtant, n'est-ce pas stupide de jacasser sur ces lettres qui ne sont pas arrivées alors que celle-ci va sûrement arriver après les précédentes ? Il se frotta le front en tentant de se concentrer. J'aimerais m'éclaircir la tête. J'ai l'impression d'avoir navigué dans le brouillard depuis mon arrivée. Je m'y serais attendu durant mon voyage — on s'attend à être sujet à des changements continuels pendant les voyages. Il relut ce qu'il venait d'écrire. Seigneur, tant de choses restent non dites mais comment pourrais-je écrire ce que je ressens sans passer pour un lunatique ? Je me sentais tellement prosaïque et terre-à-terre. Quand est-ce que cela a changé ? Quand est-ce que ce sentiment de déconnexion et de flottement a commencé ?
Bien qu'il détestait se plaindre car ce serait pour lui être grincheux, Renfield ne put retenir au moins un commentaire acide.
Je dois dire que le transport dans cette région laisse beaucoup à désirer. La dernière étape de mon voyage fut plutôt ridicule. J'avais payé pour le transport jusqu'à un certain endroit dans les montagnes où je devais retrouver la voiture du prince. Le cocher a absolument refusé de m'amener à destination en insistant pour prendre une route qui rallongerait la distance, et tout ça pour, semble-t-il, être sûr d'arriver dans un village avant le coucher du soleil. Il a fallu que je fasse le dernier mile à pied en portant mes propres bagages et puis j'ai dû attendre dans la nature hurlante jusqu'à la nuit. J'utilise le terme 'hurlante' sans aucune ironie, Jonathan. Je vous jure qu'il y avait des loups. Je pense leur avoir échappé de peu. Si le véhicule du prince n'était pas arrivé, je serais sûrement en train de nourrir une bête sauvage
Devrais-je écrire ça ? Je ne veux pas qu'il s'inquiète pour rien — et il va s'inquiéter, que Dieu le bénisse. Je ferais mieux de lui montrer rapidement que le danger est passé.
J'ai
été bien accueilli au château Draculea. Je
connais votre intérêt pour l'Histoire, Jonathan, et vous
trouveriez cet endroit fascinant. Il a au moins cinq cents ans et n'a
été occupé que par une seule famille — un
record que même notre pays ne peut égaler. C'est triste
à dire mais une bonne partie est négligée avec
juste quelques chambres propres et confortables. Je suppose que ce
n'est pas surprenant. Seules quelques vieilles nobles familles
peuvent encore se permettre d'entretenir d'immenses résidences.
Pourtant, c'est étrange. On pourrait croire que cet endroit
est tombé en ruines plus à cause d'un désintérêt
qu'un manque de moyen. C'est comme si le propriétaire avait
simplement cessé de s'occuper de son environnement à un
certain moment dans le passé lointain. On peut se demander ce
qui a causé un tel manque d'intérêt pour les
aises.
Vous voulez sans doute connaître les gens que j'ai rencontrés
Il est tellement intéressé par... l'humanité en général. Je n'ai jamais connu quelqu'un sincèrement concerné par les autres et il apprécie tant la proximité. Je pense que ce garçon a manqué de chaleur humaine la plus grande partie de sa vie.
Alors
que les bas serviteurs sont une sorte de tziganes parlant un dialecte
sauvage, j'ai été infiniment soulagé de
découvrir que les membres principaux de cet établissement
parlent anglais. Leurs tournures de phrase sont un peu étranges
mais nous pouvons communiquer facilement.
J'ai
rencontré deux membres de la maison — Simion et Rill.
Simion est l'aide du prince — ou peut-être qu'intendant
est le terme qui convient le mieux. En tout cas, il est chargé
de diriger le quotidien du château et il semble être très
compétent pour administrer ses tâches. La situation de
Rill, mon autre escorte sur le chemin du château, est un peu
plus dure à définir. Les tziganes font tout le travail
de base et Simion administre. Bien que Rill ait mentionné
qu'il avait aidé à faire un peu de nettoyage, il est
clair qu'il s'est porté volontaire pour ces corvées et
qu'on attend de lui uniquement qu'il tienne compagnie au prince.
Et à Simion. Oui, c'est assez clair mais je ne vais pas le mentionner ici.
C'est un jeune homme d'environ votre âge — une âme simple mais avec un bon cœur. Je crois qu'à part vous, c'est la personne la plus amicale que j'ai jamais rencontrée. Mais même s'il est ouvert, il y a quand même des moments où il semble avoir des secrets.
Des secrets sombres ? Possible. J'ai du mal à croire qu'il mentirait sauf pour protéger quelqu'un.
Une
fois au château, on m'a présenté deux autres
jeunes hommes qui semblent partager la position de Rill — Sinn
et Rock. Pardonnez-moi de ne pas vous fournir leurs noms de famille —
ils ne semblent pas en avoir. Vous pouvez imaginer comme c'est gênant
pour moi mais je m'y habitue. J'ai appris que Rock est le frère
de Rill mais je ne pourrais pas imaginer des frères aussi
dissemblables. Alors que Rill est sans cesse joyeux, Rock est
constamment morose. Il semble occuper une position plus basse dans la
maison, à peine plus haute que les tziganes. Je suppose que
c'est dû à son humeur bourrue.
Le
troisième compagnon du prince se nomme Sinn et il contraste
avec les autres. Alors qu'ils sont apparemment d'origine humble, Sinn
déploie un niveau de sophistication et de vernis qu'on ne peut
acquérir qu'après une vie entière parmi
l'aristocratie. Je l'imagine bien en jeune diplomate ambitieux —
très doux et charmant mais on peut voir son esprit acéré
derrière ses yeux. Je pense qu'il y a très peu de
choses en ce monde que Sinn ne peut pas tourner à son
avantage. Pour une quelconque raison, il semble s'intéresser à
moi. Je passe pas mal de temps avec le prince pour répondre à
ses questions sur l'Europe, mais Sinn est avec moi durant mon temps
libre
Et je ne peux tout simplement pas me rappeler ce qui se passe durant ce temps, songea Renfield avec désespoir. Des pans entiers de temps semblent manquer. Tout ce qu'il me reste, ce sont des... des flashes. Il ferma les yeux. J'ai l'impression de me réveiller alors que je savais que je ne dormais pas. Je suis si fatigué ces temps-ci, comme si je faisais de l'exercice intense — pourtant je ne fais rien de plus que de marcher de pièce en pièce. Je n'y comprends rien. Il remua inconfortablement sur son siège. Et au nom du ciel, comment ai-je pu avoir ces irritations sur mes parties intimes ? C'est presque comme si j'y avais été trop fort dans le bain. Même alors qu'il était seul, il rougit à la pensée qui suivit. Ou dans une autre activité. Mais je n'ai rien fait, pas depuis Londres. Surtout maintenant que je n'ai pas ma photographie de Jonathan. Quand Draculea va-t-il me la rendre ? Je lui ai posé la question mais il parle toujours de la difficulté de trouver le matériel, qu'ils devront envoyer un tzigane dans les montagnes et qu'il ne peut pas se séparer de l'un d'eux pour l'instant. Bon, il a promis de poster mes lettres et il n'y aura alors pas d'excuse pour ne pas acheter le verre.
Il posa à nouveau son stylo sur le papier.
Le prince Draculea en lui-même est un personnage intéressant. Il n'y a aucun doute sur ses origines. Il a le sens inné de commandement qui ne peut venir que d'une longue lignée royale. Bien qu'il soit âgé, sa fragilité n'est que physique — il dirige sa maison d'une main ferme. On peut voir que c'était un homme impressionnant dans sa jeunesse. Jonathan, vous savez que je ne suis pas loquace et que j'ai parlé plus librement avec vous qu'avec n'importe qui dans ma vie. Le prince passe des heures à me poser des questions sur la vie en Angleterre — en particulier ma vie. Il dit que je suis un Anglais typique et qu'il peut apprendre ce qu'il veut en m'étudiant. L'idée d'être considéré comme un exemple est bouleversante..
« Occupé, occupé, occupé. »
Renfield était si absorbé par le fait d'écrire qu'il n'avait pas entendu Sinn entrer. Quand le jeune homme aux cheveux noirs lui parla presque à l'oreille, Renfield sursauta, son stylo rayant la page et laissant une trace d'encre.
« Oh, là ! Regardez ce que j'ai fait. Et c'était si joli et si propre. »
Renfield mit du papier buvard sur l'encre en fronçant les sourcils.
« Mince. Je devrais peut-être recommencer. Jonathan est si pointilleux sur l'écriture bien qu'il ne songerait jamais à critiquer.
- Oui, j'ai entendu ça à son sujet. »
Renfield le regarda, surpris.
« Comment est-ce possible ?
- Vous me l'avez dit, *mon ami*.
- Non, je suis sûr de ne pas avoir parlé de cette petite obsession de Jonathan à propos de l'écriture. »
Sinn haussa les épaules.
« Vous l'avez sûrement fait. »
Il sourit.
« Comment aurais-je pu le savoir autrement, hein ? Avez-vous fini votre correspondance ? Je peux les apporter à Simion et il veillera à ce que l'un des tziganes l'amène à la poste la plus proche.
- Je... Oui, presque. »
Sinn prit la lettre avant que Renfield ne comprenne son intention.
« Monsieur ! C'est privé.
- *Chéri*, peu de choses au château Draculea sont considérées comme privées — vous allez l'apprendre. »
Il lut rapidement.
« Informatif. »
Renfield
rougit en se rappelant les descriptions bien moins glorieuses d'au
moins deux des occupants du château. Sinn nota sa réaction
et rit.
« Ne soyez pas bouleversé, Robert. Vous êtes plutôt rusé dans vos jugements et discret. »
Il posa le papier et tendit la main pour toucher légèrement le torse de Renfield en regardant droit dans ses yeux. Renfield sentit à nouveau cette sensation de flottement s'emparer de lui alors que le monde semblait se réduire au yeux verts de Sinn.
« Bien sûr, je ne te laisse pas beaucoup de souvenirs, n'est-ce pas ? »
Il commença à déboutonner la chemise de l'homme qui ne résistait pas.
« C'est vraiment dommage que je ne puisse pas te laisser les doux souvenirs de notre temps commun, mais peut-être après que mon maître ait obtenu ce qu'il veut de toi... »

Sinn était à quatre pattes à terre.
« Plus fort ! »
Agenouillé derrière lui, Renfield obéit machinalement en augmentant ses coups jusqu'à ce que ses reins rencontrent les fesses de Sinn en des gifles cinglantes, plongeant son sexe turgescent dans la froideur du corps du vampire. Sa prise sur les hanches de l'homme pâle était douloureusement serrée mais aucun bleu n'apparaîtrait puisque Sinn n'avait pas pris la peine de se nourrir avant de le rencontrer. Il avait décidé que puisque Renfield était en transe durant leur rencontre et que ce serait effacé ensuite de sa mémoire, il n'y avait pas besoin de faire semblant d'être mortel.
Sinn grogna de plaisir alors que le membre de son amant frottait sa prostate mais ce n'était pas suffisant.
« *Chien paresseux* ! Montre un peu de caractère, bon sang ! Baise-moi ! »
Renfield émit un son qui ressemblait beaucoup à un sanglot et redoubla d'effort, s'enfonçant en Sinn si fort que les bras du vampire glissèrent et qu'il tomba visage à terre. Robert ne s'arrêta pas en plongeant en lui sans douceur, son expression presque affligée. Sinn gémit d'abandon ravi en appréciant cette dureté exigée. Alors qu'il était secoué dans un sens et dans l'autre, il songea : Une force si douce. Si seulement il n'était pas aussi gentil. Il ne sait pas bien gérer le contrôle. Je crains que son esprit ne puisse pas supporter cela plus longtemps. L'orgasme de Sinn le submergea, le remplissant avec la sensation fantôme d'une chaleur presque oubliée alors son sperme froid éclaboussait le sol. Peu importe. Nous avons seulement besoin qu'il reste sain d'esprit assez longtemps pour localiser la beauté perdue de Draculea.
Rassasié à présent, il tapa sur les mains de Renfield pour les retirer. Il s'assit en grimaçant sous l'effet de la douleur plaisante dans son derrière ravagé et se tourna pour regarder Robert. Le petit commis était agenouillé en tremblant. Il était rouge jusqu'à son torse, ses cheveux plaqués de sueur et il respirait lourdement. Ses yeux étaient à la fois fous et vitreux, comme si une terreur hurlante se trouvait derrière eux, à peine déchaînée. Sinn remarqua tout cela d'un air détaché puis ses yeux tombèrent sur l'aine de Renfield. Son sexe jutait encore, enflé et tendu. Il était couvert du sang noir et épais qui provenait des plaies que la dureté réticente de Renfield avait provoquées. Sinn se lécha les lèvres d'un air songeur puis roucoula :
« Pauvre Robert. Laisse-moi t'aider. »
Il rampa en avant en attrapant les hanches de Renfield et commença à le lécher délicatement. Renfield se mit bientôt à grogner, ses hanches bougeant malgré lui. Sinn fut rapide et parvint à prendre le gland dans sa bouche pour récupérer et boire chaque goutte de sperme avec empressement. Il termina avec un petit baiser sur le sommet, puis soupira.
« Je bois du sang pour me nourrir, mais ceci — ceci est par amour. »
Puis il eut un sourire ironique, sachant très bien qu'il n'avait jamais aimé personne — vivant, mort ou autre.
Il se leva et remarqua la tache écarlate que son sperme sanglant avait laissé sur le sol. Il regarda autour de lui mais il n'y avait rien de pratique pour nettoyer. En haussant les épaules, il s'approcha du lit. Il y avait un petit tapis devant qui servait à empêcher le dormeur de poser des pieds chauds sur le sol de pierre glacé. Il le tira et s'en servit pour cacher la tache.
Il aurait pu ordonner à Robert de s'habiller mais il préférait le faire lui-même, traitant cet homme comme une poupée à taille humaine. Quand il eut fini, il guida l'homme toujours inconscient sur sa chaise. En sortant un peigne de sa poche, il aplatit soigneusement les cheveux de Renfield, puis tapota sa joue alors qu'il rangeait le peigne.
« Robert. Robert, *réveillez-vous*. »
Renfield secoua légèrement la tête en émergeant lentement de son brouillard mental.
« Vous avez laissé votre esprit dériver à nouveau. »
Il fit une moue taquine.
« Vraiment, on pourrait croire que vous trouvez ma compagnie ennuyeuse.
- Non — certainement pas, Sinn. Désolé. Je ne sais pas ce qui m'arrive ces temps-ci. »
Il remua inconfortablement.
« Terminez votre lettre. »
Renfield écrivit rapidement.
Je
regrette que ce message ne soit pas plus long mais je me sens fatigué
ces derniers temps. Ce doit être le climat. Je vous écrirai
bientôt.
Votre ami pour toujours.
Robert Renfield
Il plia soigneusement la lettre, l'inséra dans une enveloppe et nota l'adresse.
« J'ai aussi une lettre pour ma propriétaire, afin de lui expliquer qu'elle garde ma chambre un peu plus longtemps que prévu, et une autre pour mes employeurs. »
Il hésita.
« Sinn, le prince a vraiment l'intention d'acheter, n'est-ce pas ? Je lui ai parlé de toutes les propriétés que j'ai apportées mais il ne semble pas se décider. Je ne veux pas me montrer trop agressif, mais... »
Sinn feuilletait les enveloppes.
« Ne craignez rien, Robert. Je peux vous garantir qu'il a vraiment l'intention de se rendre en Angleterre. En fait, je peux vous assurer que rien au monde ne pourrait l'en empêcher. »
Il
tapota les enveloppes en regardant Renfield.
« J'ai remarqué que la lettre pour votre ami Harker est adressé à votre bureau. »
Renfield acquiesça prudemment mais ne fit aucun commentaire.
« Ce ne serait pas mieux de l'envoyer chez lui ? »
Sinn prit une nouvelle enveloppe et la posa devant Renfield.
« Allez-y.
- J'en ai déjà préparée une — ce n'est pas la peine d'en gâcher une autre.
- *Chéri*, si c'est le gâchis qui vous dérange, on peut vous procurer tout ce qu'il vous faut. »
Il y avait une inflexion subtile d'ordre dans la voix de Sinn.
Renfield fixa d'un air têtu l'enveloppe blanche.
« J'aimerais mieux ne pas le faire. Il loge chez quelqu'un, vous savez, et ce... ce serait un peu présomptueux de lui envoyer du courrier personnel là-bas. »
Sinn chercha mentalement en donnant à Renfield une gentille inflexion pour obéir.
« Robert, mettez l'adresse sur l'enveloppe. »
Les mains de Renfield se crispèrent sur le bureau. Sinn le regarda avec surprise. Jusque là, l'Anglais n'avait offert qu'une moindre résistance. Il poussa plus fort en se concentrant.
« Faites-le ! »
Renfield trembla, une fine couche de sueur apparaissant sur son front. Il se mordit la lèvre mais murmura :
« Non. »
Sinn
grinça des dents, plissa les yeux et concentra chaque once de
volonté qu'il possédait.
« Robert, tu vas mettre l'adresse sur cette enveloppe — maintenant ! »
Renfield grimaça. D'une main tremblante, il prit le stylo et gribouilla sur l'enveloppe. Souriant triomphalement, Sinn la prit et lut.
« *Merde* ! Exactement la même adresse qu'au début. »
Il lança à Renfield un regard rempli d'un mélange d'irritation et, étonnamment, d'admiration alors qu'il froissait en boule la seconde enveloppe.
« Tu dois vraiment beaucoup l'aimer, *chéri*. Très bien, je vais te laisser tranquille pour cette fois. »
Il toucha la joue de Renfield.
« Mais crois-moi, je sais ce que le prince peut déchaîner pour te persuader et tu aurais mieux fait de m'écouter. »
Il caressa le front de Robert.
« Ne te souviens de rien après que tu aies fini ta lettre. Maintenant, réveille-toi. »
Il
poussa légèrement l'épaule de Renfield en
faisant d'un ton taquin :
« Vous êtes à nouveau ailleurs ! Vraiment, Robert, il va falloir que je trouve de nouvelles façons de garder votre attention. »
Robert le regarda partir. Il ajusta sa veste d'un air absent en se demandant pourquoi il n'avait pas remarqué que les boutons étaient de travers. Étrangement, il se sentait moite, comme s'il avait transpiré puis remis ses vêtements sans se laver, et il était épuisé. Pourtant, malgré ces inconforts, il avait la sensation d'avoir remporté une sorte de victoire.
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