Child of the Night 75

Partie Soixante-quinze : Enfin


L'an de grâce 1892
Transylvanie



Draculea faisait les cent pas devant le feu de son petit salon, les mains croisées derrière son dos. C'était étrange. Après le quasi ennui des dernières décennies, il pouvait à peine se contenir. Il ne pouvait pas rester tranquille. Il devait se forcer à aller dans son cercueil durant le jour, détestant même ces quelques heures d'inactivité.

Simion entra, suivi comme d'habitude par Rill. Draculea lui lança un regard vif et Simion sourit en lui tendant une enveloppe.

« Oui, mon seigneur. Ils ont dû renvoyer leur réponse par le moyen le plus rapide au moment où ils ont fini de lire votre lettre. »

Draculea lui arracha presque la lettre des mains et l'ouvrit. Ses yeux parcoururent la page et Simion vit ses yeux commencer à luire. Pendant un moment, il fut inquiet puis il vit ensuite le lent sourire et se détendit.

« De bonnes nouvelles, mon seigneur ? »

Draculea tapa la lettre du dos de la main.

« Les meilleures, mon ami ! Il est déjà en route. Si tout va bien, il attendra au col de Borgo dans deux jours. »


Simion saisit l'épaule de Draculea.

« Tout ira bien, mon seigneur. Je ne peux pas croire que Dieu vous refuserait cela. »

Du cynisme s'instilla dans l'expression joyeuse de Draculea.

« Non ? Simion, pour Nicolae, j'ai blasphémé, je me suis damné, j'ai tué... »

Simion commença à protester mais Draculea lui fit signe de se taire.

« Non, mon ami, j'ai vraiment tué. Bien que ce soit souvent pour survivre ou pour protéger ce que je considérais comme mien, j'ai trop souvent usurpé à Dieu le droit de vie ou de mort pour espérer être sauvé. Le seul espoir qu'il me reste, c'est mon amour — mon Nicolae. »

Il soupira en baissant la main.

« Je peux seulement espérer que je ne suis pas en train de me tromper. »


Rill fit avec empressement :

« C'est sûrement lui, maître. J'ai vu l'image que Robert avait et le portrait de votre amour dans la bibliothèque. »

Son front se plissa.

« Il est des nôtres ? Il n'a pas changé. »

Simion lui tapota l'épaule.

« Non, mon amour. Ce Jonathan Harker est un mortel. Tu te souviens ? Nous en avons déjà parlé. Nous pensons que Nicolae s'est réincarné, que son esprit est revenu sur terre et qu'il a repris la forme qu'il avait il y a longtemps, quand notre maître l'a aimé pour la première fois. »

Rill acquiesça puis fit :

« Mais Simion, ça fait si longtemps. Et s'il avait tout oublié ? »


Draculea s'assit lourdement, l'inquiétude creusant à nouveau ses traits, et Simion fit rapidement :

« Rill, tes souvenirs d'avant le prince sont toujours là même si certains sont un peu flous, non ? »

Rill acquiesça.

« Quand nous en parlons, ils deviennent plus clairs. Nicolae ne se souviendra peut-être pas quand il arrivera mais il se rappellera sûrement une fois qu'il sera resté un moment là où il fut si heureux.

- Oui, Simion — je vois. Je suis sûr qu'une fois qu'on lui aura dit que notre maître s'est langui de lui et qu'il a attendu si patiemment...

- Rill, viens ici. »

Draculea tendit la main et Rill alla immédiatement vers lui. Draculea prit le jeune vampire sur ses genoux.

«  Écoute-moi attentivement. C'est très important et je sais que tu peux écouter et obéir aussi bien qu'un homme instruit quand c'est nécessaire. »


Il marqua une pause.

« Même si je crois — j'espère — que c'est mon Nicolae revenu pour moi... Autant que je déteste l'admettre, je peux avoir tort. Même si c'est la réincarnation de mon Nicolae, ce sera aussi Jonathan Harker avec toute une vie derrière lui, complète avec ses propres souvenirs, ses amours et ses attachements. »

Il caressa les cheveux de Rill.

« Il faut prendre ça en compte. Je pense que même si Nicolae se réveille et se souvient, Jonathan sera toujours une partie de lui. Tu voudrais que mon amour soit en conflit pour toujours, avec une partie de lui qui me craindrait ou ne me ferait pas confiance ?

« Oh, non, mon seigneur ! »


Rill regarda son propre amant, de l'adoration et de la confiance brillant dans ses yeux.

« Ce serait terrible. Il ne doit y avoir aucune ombre dans votre amour.

- Alors tu resteras discret. Tu ne parleras jamais de sa précédente vie avec moi. Je sais que tu es pressé que nous soyons ensemble. »

Il caressa les cheveux noirs du garçon en lui souriant.

« Que Dieu te bénisse pour souhaiter mon bonheur. Mais tu ne dois pas nous pousser ensemble. C'est comme avec tes animaux — les chatons ou les chevaux — ils doivent eux-mêmes décider à qui ils feront confiance. Tu ne peux pas les y obliger sinon ils vont reculer. Deviens son ami — ça me ferait plaisir. Et si c'est vraiment Nicolae, crois-moi, il sera attiré par toi. Il réservait toujours une place dans son cœur pour les innocents. Mais souviens-toi, Rill — rien des années passées.

- Oui, prince. »

Rill sourit brillamment.

« Mais ce sera bien de l'avoir ici avec nous, pas vrai ? »

Draculea lui rendit son sourire.

« Oui, mon petit — très bien. »


Rill toucha les cheveux de Draculea en soulevant une mèche blanche.

« Maître, vous ne devriez pas manger ? Vous aviez l'air mieux la dernière fois qu'un tzigane vous a nourri... »

Il fronça les sourcils.

« C'était il y a longtemps. Mais je me rappelle — vos cheveux étaient un peu plus noirs après ça. »

Il toucha la joue de Draculea.

« Et vous n'aviez pas autant de rides. Vous ne voulez pas être beau pour Nicolae, comme la première fois ?

- Rill ! » gronda Simion.

Draculea rit.

« Non, Simion, il a raison. Même après tout ce temps, je découvre encore des choses sur mon état. Je me suis demandé si refuser du sang humain pourrait finalement me tuer pour de bon. Je crois que je me suicidais lentement et passivement. »


Il poussa gentiment Rill de ses genoux.

« Cela peut prendre du temps pour que je recouvre ma gloire passée. »

Ses lèvres se tordirent ironiquement.

« Mais je devrais commencer. »

Il se leva, se dressant de toute sa hauteur, les tendons et les articulations craquant alors qu'il étirait des muscles qui n'avaient pas travaillé depuis des années.

« Envoie l'un des tziganes.

- Prince, » fit Simion.

Il se tint devant lui.

« Laissez-moi être votre premier. »

Draculea hésita et Simion fit :

« Je vous en prie, mon seigneur — laissez-moi le faire pour vous. J'ai été votre premier lorsque vous êtes revenus parmi nous, laissez-moi être le premier alors que vous vous préparez à revoir votre amour. »


Draculea lança un regard à Rill.

« Vous êtes ensemble, Rill. Cela ne te gêne pas ? »

Rill sourit à nouveau.

« Mais maître, nous sommes tous les deux à vous. Comment pourrais-je protester ? »

Draculea lui caressa la joue.

« Ah, Rill, j'ai rêvé autrefois d'avoir un fils. Tu es mon fils, tout comme mon enfant. Je n'aurais jamais pu espérer engendrer quelqu'un d'aussi aimant. »

Il déposa un baiser sur le front du garçon.

« Merci. »

Il regarda à nouveau Simion.

« Oui, merci, mon vieil ami. »

Simion déboutonna sa chemise, retirant son col pour dénuder la forte colonne de sa gorge. Il y avait des petites cicatrices pâles qui marquaient la peau tannée. Même le fort pouvoir de guérison du sang qu'il prenait de son maître et de son amant ne pouvait entièrement effacer les traces des nombreuses, nombreuses fois où il avait nourri le prince et Rill. Il portait ces marques fièrement, symboles de son amour.


Draculea tint l'épaule de Simion avec sa main droite, sa gauche à l'arrière de son crâne. Simion ferma les yeux en se penchant dans l'étreinte sûre et en tendant le cou pour offrir un meilleur accès à Draculea. Draculea se pencha. Pendant un moment, il enfouit son visage dans le cou de Simion en inspirant l'odeur et la chaleur familières. Durant les longues et sombres années de sa non vie, Simion avait été la seule constante et il aimait cet homme. Ce n'était pas le même amour que pour Nicolae — rien ne pourrait jamais égaler cela — mais pourtant... Il savait ce qu'il représentait pour Simion. Cet homme avait dédié sa vie au prince même en sachant qu'il ne pourrait pas avoir la première place dans son cœur. Une telle loyauté et un tel sacrifice étaient rares. Draculea était content que Simion ait trouvé Rill — il méritait quelqu'un pour lui, quelqu'un qui lui donnerait la première place dans son cœur.


Draculea lécha la nuque de Simion en laissant l'odeur familière de sa peau l'envahir. Simion frémit légèrement sous la sensation et aussi en anticipation de ce qui allait venir. Il pouvait se sentir durcir dans son pantalon. C'était toujours comme ça. Il ne pouvait s'empêcher de penser que c'était un don que la Nature — ou quoi que ce soit qui ait décidé du destin du Surnaturel — avait accordé au Nosferatu. S'ils le voulaient, ils pouvaient séduire même le plus déterminé.

Simion sentit la première douleur alors que les canines de Draculea s'enfonçaient dans sa peau. Il saisit les bras du vampire en se préparant pour la faiblesse qui allait suivre. Il faisait confiance à Draculea pour ne pas aller trop loin mais il ne pouvait jamais être sûr que la sensation ne le submergerait pas.


Cela faisait longtemps. Draculea avait survécu pendant des années avec le sang fin et aigre des rats et d'autres vermines. Le flot de douceur forte et chaude fut presque un choc et il avala goulûment avant de s'en rendre compte. Il sentit Simion trembler et se força à ralentir. Cela ne servirait à rien de s'empiffrer et cela pourrait être dangereux voire même fatal pour celui qui était assez généreux pour lui faire ce cadeau.

Draculea but suffisamment pour sentir la première chaleur et énergie puis il se retira. Il lécha la plaie pour qu'elle commence à se fermer puis embrassa gentiment Simion sur la joue en laissant une tâche humide de sang.

« Merci, » murmura-t-il.

Il baissa la main et sa paume recouvrit le monticule dans le pantalon de Simion.

« Maintenant, va donner ça à ton amant. »


Il s'assit alors qu'ils quittaient la pièce, main dans la main. Ils allaient dans leur chambre pour faire l'amour. Draculea sentit le faible éveil d'un désir longtemps absent, le flot de sang chaud semblant se concentrer dans son aine. Il savait que s'il avait montré le moindre souhait, Simion et Rill l'auraient accueilli dans leur lit avec joie.

Non. Il est si proche à présent, si proche. Draculea regarda dans les flammes, laissant le sang commencer à agir, imaginant qu'il pouvait sentir les tissus desséchés de son corps se remplir d'énergie et de vigueur. Je peux attendre.


Deux jours plus tard


Jonathan marchait péniblement sur la route qui menait au col de Borgo, sa valise cognant ses côtes. Je ne suis pas du genre à jurer mais je suis vraiment tenté d'utiliser quelques mots appris chez les seniors à l'école. Ils auraient dû me dire qu'ils ne pouvaient pas me déposer au col de Borgo. J'aurais pu louer une calèche ou un cheval au dernier village.

Les ténèbres tombaient rapidement. Bon sang ! J'aurais peut-être dû suivre les conseils du cocher, aller au prochain village puis attendre le lendemain pour me rendre au château Draculea. Je ne suis pas sûr que ça aurait marché, pourtant. Robert a eu le même problème. J'ai l'impression que les gens d'ici ne s'aventurent pas trop loin dans cette zone des montagnes.


Alors que les ombres se rassemblaient et qu'il s'avançait sur la route principale, il devint de plus en plus nerveux. Il cessa de marcher au bord de la route pour se rendre au milieu de la route, sachant qu'il aurait plus de chance d'être attaqué par quelque chose dans les buissons que de se faire écraser. Robert a dit qu'il y avait des loups. J'espère seulement qu'ils ne viendront pas sur la route. Alors qu'il marchait, ses pensées se tournèrent vers la veille de son départ.


Sa propriétaire s'était chargée de faire ses bagages en le jetant hors de la maison pour qu'il rende visite à Mina.

« Vous ne pouvez pas partir sans laisser un mot à votre fiancée, peu importe ce qu’en disent vos employeurs. Quelle idée ! »

Lucy Westenra était de visite lorsqu'il arriva. Il aurait préféré voir sa fiancée seule mais il ne pouvait pas demander à la meilleure amie de Mina de partir. Il fut un peu vexé lorsque Mina ne demanda pas à Lucy de les laisser seuls quand elle apprit qu'il allait partir pour un long voyage le lendemain.

Il s'était attendu à des protestations de la part de Mina, voire même des larmes. Il ne s'était pas préparé à ce qu'elle accepte la situation presque joyeusement.


« Jonathan, quelle chance ! Réfléchissez à ce que ça pourrait vous apporter. Oh, la plupart des hommes doivent attendre des années pour une telle occasion. Vous avez tellement de chance.

- Mina ! Je n'y vais qu'à cause du malheur de ce pauvre Robert. »

Lucy avait haussé les épaules.

« Oui, c'est très triste, fit-elle avec désinvolture, mais pourquoi Mina ne devrait-elle pas être heureuse de ce que ça représente pour vous deux ? »

Quand elle le vit froncer les sourcils, elle prit ses mains et fit d'un ton enjôleur :

« Réfléchissez, Jon. Si cela vous rapporte autant que je pense, vous serez capable de vous marier plus tôt que prévu. Vous n'aimeriez pas ça ? »

Elle sourit à son ami.

«  Je sais que Mina aimerait ça.

- Oui, bien sûr. »

Jonathan lança à Mina un regard rempli de doute. La voix de cette dernière n'avait pas semblé très convaincue.


« Bon, ne vous en faites pas pour Mina, » lui assura Lucy.

La mère de Mina était morte depuis peu et Mina vivait seule pour la première fois, logeant dans une petite chambre à à peine un mile de la propre demeure de Jonathan.

« Elle va venir et rester avec moi jusqu'à votre retour. »

Jonathan regarda Mina.

« Cela ne va pas gêner votre travail, Mina ? Le trajet sera beaucoup plus long. »

Lucy agita gaiement la main.

« Absurde ! Elle n'aurait jamais dû prendre ce travail. Quoi, tenir des comptes et faire du secrétariat pour ce magasin de nouveautés — c'est à peine mieux que d'être vendeuse. »

Jonathan fronça vraiment les sourcils cette fois.

« Lucy, être vendeuse est un travail honorable.

- Oui, oui, je sais. Seigneur, Jonathan, on pourrait croire que vous êtes l'un de ces socialistes contre qui Père tempête souvent. Regardez — Mina est ma meilleure amie — depuis des années. Pourquoi ne ferais-je pas tout mon possible pour elle ? »


Que pouvait répondre Jonathan à cela ? Comment aurait-il pu dire qu'il voyait à quel point le style de vie insouciant et aisé de Lucy faisait tourner la tête à Mina et lui donnait des idées ? Bien que Jonathan ne croyait pas vraiment au concept de "chaque chose à sa place", il était assez réaliste pour comprendre que certaines choses dans la vie étaient difficiles voire impossibles à surmonter. Tandis qu'il pourrait avancer dans sa carrière, il ne pourrait jamais atteindre les hauteurs qui feraient que les semblables de Lucy Westenra et de sa famille le voient comme un égal — il fallait pour ça les bonnes lignées, et la richesse et la position ne pourraient jamais remplacer le bon pedigree. Et Mina... Bien qu'elle ait été la compagne de Lucy pendant des années, si elle abandonnait son indépendance, Jonathan avait l'impression qu'elle se réduirait à une sorte d'animal de compagnie à cajoler sur un coup de tête ou à abandonner lorsque Lucy aurait trouvé quelque chose de plus intéressant. Mais Mina ne voyait pas ça. Elle ne voyait que la générosité et l'amitié de Lucy. Était-il possible qu'elle ne puisse pas distinguer les émotions creuses des vraies émotions ?


« Ce n'était pas la première fois que Jonathan se demandait s'il avait fait le bon choix. Il semblait qu'il était tombé dans ces fiançailles plutôt que d'y entrer les yeux ouverts et déterminés. Il appréciait Mina, il le savait, mais était-ce suffisant ? Il se souvenait de la relation de ses parents — à peine plus qu'une froide politesse. Puis il songea à Mister et Mrs. Hallifax — la familiarité chaleureuse de vieux compagnons. C'était agréable et il savait qu'ils s'aimaient... Mais je veux plus. Je ne veux pas juste de la compagnie ou de l'affection — je veux de l'amour et... et de la passion.


Lucy nota la faible rougeur sur les joues de Jonathan et l'interpréta mal.

« Allons, allons, Jonathan, vous ne devez pas être embarrassé. Ce n'est pas de la charité. »

Elle prit Mina dans ses bras.

« Les amis s'entraident et je sais que Mina ferait pareil pour moi si elle était à ma place. Alors faites votre travail et ne vous inquiétez pas. »

Elle sourit.

« Nous allons nous amuser comme des folles à discuter de vous et planifier votre mariage et votre vie. »

Jonathan partit avec cette troublante sensation qu'elles allaient précisément faire ça — planifier sa vie — comme ça les arrangeait.


Jonathan arriva dans l'endroit dégagé que Robert avait mentionné dans une de ses lettres. Il posa sa valise et s'assit sur ce qui devait être le même rocher que Renfield avait choisi. Il regarda autour de lui nerveusement. C'était aussi désert que dans les descriptions de son ami.

Jonathan retira son chapeau et le posa sur ses genoux, ses doigts triturant nerveusement le bord. Il entendit des sons furtifs dans les buissons de l'autre côté de la route mais il ne pouvait pas dire si cela provenait d'un animal ou de la légère brise qui soufflait dans ses cheveux. Je regrette de ne pas avoir apporté un pistolet avec moi comme me l'avait conseillé mister Hallifax, mais je ne sais pas comment les autorités traitent les étrangers armés. Aller en prison me semblait être le plus grand risque avant... Une brindille craqua. Mais maintenant, je n'en suis plus si sûr. Tout ce qu'il avait, c'était son petit couteau de poche. Il le prit et l'ouvrit puis songea à l'impression qu'il donnerait à quiconque le croiserait, aussi le cacha-t-il sous son chapeau. Il se sentait un peu mieux — mais pas beaucoup.


Heureusement il n'eut pas à attendre longtemps. Dix minutes après, il entendit une voiture s'approcher. Même à cette distance, il put voir la tâche pâle de quelqu'un qui penchait la tête par la fenêtre en regardant vers lui. Il rangea rapidement le couteau, se leva, aplatit ses cheveux comme il le put et remit son chapeau sur la tête. Il représentait son cabinet juridique et il devait faire bonne impression.

Ils avaient quitté le château à peine le soleil couché. Simion avait insisté sur le fait que, si Draculea venait, il devait bien se couvrir avant de sortir dans le crépuscule pour aller du château à la voiture fermée. Rill avait voulu venir avec mais il aurait dû être à l'intérieur, au moins au début.

« Et il vaut mieux que le prince soit seul avec lui au départ, Rill, tu ne crois pas ? »

La lèvre inférieure de Rill avait commencé à ressortir et Simion avait dit :

« Réfléchis, mon amour. Imagine que nous ayons été séparés aussi longtemps qu'eux. Tu n'aimerais pas être un peu seul avec moi, au moins au début ? »

Rill avait dû acquiescer aussi attendait-il au château. Il alla à la bibliothèque et s'occupa un moment. Puis il s'assit là où Draculea avait passé tant d'heures en regardant le portrait du jeune homme aux cheveux et aux yeux noirs et en étudiant son visage gentil.

« Nicolae... Jonathan ? Il vous a attendu pendant si longtemps. Souvenez-vous de lui, je vous en prie. »


Jamais de sa vie ou de sa longue non-vie Draculea n'avait penché la tête par la fenêtre d'une voiture sauf s'il craignait une attaque de bandits. Mais alors qu'il s'approchait du lieu de rendez-vous, il ne put s'en empêcher — il devait VOIR. Ils étaient dans un virage lorsqu'il succomba finalement à la tentation. Il pencha sa tête par la fenêtre en regardant la route...

... et il fut là.

La silhouette au loin, assise sur une valise, aurait pu être n'importe qui. Il regarda en direction de la voiture qui approchait et c'était trop loin pour que Draculea voie autre chose qu'une tâche floue. Puis il se leva, son long corps se dépliant avec une grâce inconsciente, sa main se levant pour recoiffer des cheveux sombres et il sut. Il connaissait chaque ligne, chaque geste, aussi bien qu'il connaissait de son vivant son propre souffle et son battement de cœur. C'était son Nicolae. Il pouvait avoir une nouvelle enveloppe de chair mais c'était néanmoins son Nicolae.


La soudaine explosion d'émotions frappa Draculea si violemment qu'il dut se rasseoir même s'il voulait désespérément garder les yeux sur la silhouette solitaire au bord de la route. Sa main se leva pour se poser sur son cœur silencieux comme pour calmer un rythme effréné. Patience. Il ferma les yeux. Simion a toujours dit que j'étais trop impatient. S'il y a une chose que j'ai appris durant ces longues années solitaires, c'est bien d'apprendre à me contrôler lorsque je verrai Nicu face à face pour la première fois. Si je peux surmonter ces premiers moments sans lui sauter dessus, je pense que je pourrai me retenir. Je l'ai déjà séduit, j'ai déjà gagné son cœur la première fois — je peux recommencer.

Le carrosse ralentit alors qu'il s'approchait puis s'arrêta à seulement quelques yards. L'homme assis sur le siège du conducteur héla :

« Vous devez être mister Harker.

- Oui. »

Jonathan se rendit au carrosse en se tenant près des chevaux.

« Je suis désolé — j'avais espéré trouver un moyen de transport jusqu'au château et vous épargner ce souci, mais...

- Pas de problème, monsieur, et vous n'auriez jamais pu trouver quelqu'un pour vous amener aussi loin. »

Il y eut un hurlement tout près. Les chevaux tapèrent du pied et s'agitèrent nerveusement, et Simion tira fort sur les rênes pour les calmer. Jonathan regarda nerveusement autour de lui mais Simion ne détacha pas son regard du jeune homme. Oui, c'était Nicolae revenu à la vie, les cheveux coupés presque aussi courts que la première qu'il l'avait vu.


« Je suis Simion, l'intendant du prince Draculea. Pouvez-vous me passer votre valise ? Je crains de ne pas pouvoir descendre. Les chevaux sont habitués à cette région mais pourtant, si les loups hurlent encore... »

Il haussa les épaules.

« Bien sûr. »

Jonathan se mit sur la pointe des pieds en tendant la valise et Simion la prit.

Alors qu'il rangeait la valise derrière lui, il fit :

« Je vous en prie, jeune homme, entrez dans la voiture. Le prince est à l'intérieur et il attend avec impatience de faire votre connaissance. »


Jonathan regarda la fenêtre du carrosse, surpris. Un membre de la royauté, même mineure, prenait la peine de rencontrer un simple commis ? Le prince devait être un homme étrange. Alors qu'il montait sur la première marche vers la porte, celle-ci s'ouvrit. Il ne pouvait voir qu'une forme vague dans l'intérieur sombre.

« Prince Draculea, c'est si aimable de votre part de venir... »

L'homme dans la voiture se pencha en avant dans la lumière pâle de la lune et la voix de Jonathan mourut dans sa gorge. Il avait déjà entendu ce terme français de "déjà vu" mais il ne s'était jamais attendu à l'expérimenter en personne. Plus tard il ne fut même pas sûr que c'était le bon terme pour ce qui arriva mais il ne pouvait pas trouver un autre plus proche.


Pendant juste un moment, moins d'un battement de cœur, il sembla être ailleurs. Au lieu de la nature sauvage, il y avait de grands murs de pierre et de la terre bien tassée. Il pouvait entendre de nombreuses personnes et des chevaux — plus que ceux qui étaient là. Et le plus effrayant était peut-être qu'il y avait de la lumière. Il y eut un mouvement flou devant lui et il leva les yeux vers une grande forme sur un énorme cheval. Le soleil Seigneur, il n'y a pas de soleil ! était derrière lui et tout ce qu'il pouvait voir, c'était une silhouette mais pourtant... pourtant c'était quelqu'un qu'il connaissait — intimement.

Puis cette impression disparut et il se tenait à nouveau devant un carrosse sur une sombre route transylvaine. Il cilla rapidement en se frottant les yeux alors qu'il tentait de faire disparaître cette illusion temporaire (car cela ne pouvait être que ça, non ?).


« Je suis désolé, monsieur. Je ne sais pas ce qui m'est arrivé. Je suis peut-être plus fatigué que je ne le pensais.

- Vous n'êtes pas malade ? »

La voix était grave, avec un accent exotique, et pourtant familière.

« Non, monsieur. Comme je l'ai dit, ce n'était qu'un moment de... de distraction. »

Jonathan regarda l'homme qui l'observait. Il y eut un autre moment d'illusion vertigineuse lorsqu'il vit le visage de l'homme, et... Bleus. Des yeux bleus.

« Je... m'excuse. »


L'homme était de toute évidence âgé mais il conservait une beauté sévère. Il observait Jonathan avec une telle intensité que le jeune homme eut envie de vérifier son apparence pour être sûr que rien n'était de travers. Avec une certitude inébranlable, il sentait que c'était un homme qui méritait seulement ce qu'il y avait de mieux — en objets ou en efforts. Il ne s'était jamais senti très sûr de sa propre valeur. Mais pourtant, en regardant dans ces yeux bleus pâles, il n'eut aucun doute sur la vérité dans les paroles de Draculea :

« Ne vous excusez pas. Je suis heureux que vous soyez arrivé sain et sauf. »

Il sourit lentement.

« Vous ne pouvez pas imaginer depuis combien de temps je vous attendais. »






Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
Le Prince Solitaire 7 01
La Renaissance du Suprême Immortel 351 et 352
Comment élever un sacrifice 6.02 et 6.03
Cent façons de tuer un prince charmant 322 et 323

Planning des mises à jour :
Samedi : Cent façons de tuer un prince charmant
Comment élever un sacrifice
Dimanche : La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire