Partie Soixante-seize : Lien de sang
L'an de grâce 1892
Transylvanie
Draculea tendit la main.
« Je crains que les marches ne soient un peu hautes. »
Jonathan s'arrêta. C'était une grande main. Bien que les jointures soient légèrement enflées et la peau parcheminée, couverte de légères taches de vieillesse, la main semblait forte. Mais les ongles... Je sais que les Mandarins ont des ongles longs comme signe de leur statut, mais les nobles européens n'ont sûrement pas suivi cette mode ?
« Je vous en prie, jeune homme. »
Jonathan se rendit compte que son hésitation devait paraître impolie. Il prit la main offerte et les doigts se refermèrent sur les siens. La main était froide mais il n'eut pas le temps d'y penser alors que le prince l'aidait à monter dans le carrosse. Oui, il y avait toujours de la force dans ce prince âgé. Il ne tira pas et ne se pencha même pas en avant alors qu'il aidait Jonathan à monter les marches hautes.
Il y eut un moment, juste un moment, où il semblait que le prince allait continuer à tirer Jonathan pour qu'il s'assoit à côté de lui. Puis il libéra sa main et Jonathan s'assit sur le siège en face de lui.
« Merci, monsieur. »
Il mit la main à sa poche.
« J'ai ici ma lettre d'introduction.
- Ne prenez pas cette peine. »
Il sourit et Jonathan eut une pointe d'admiration. La médecine dentaire gagnait du terrain mais il y avait encore peu de gens de l'âge du prince qui avaient de si magnifiques dents. Je suppose que la royauté peut se permettre de payer les soins en plus.
Le
prince poursuivit :
« Je la lirai plus tard, si vous voulez, mais de telles formalités sont inutiles. Je sais qui vous êtes. »
Ses yeux se mirent à luire.
« En effet, vous ne pourriez pas être quelqu'un d'autre.
- Oui, je suppose que vous avez raison. Il ne doit pas y avoir tellement de gens qui errent dans la nature à cette heure de la nuit. Je dois dire que cette courtoisie est la bienvenue après l'impolitesse de mon précédent cocher. Robert Renfield m'avait parlé dans ses lettres de l'état choquant de leur service mais je pensais qu'il exagérait un peu, comme le font parfois les voyageurs.
- Les choses sont assez primitives dans cette région, mister Harker — primitives et sauvages. Je profite de cette occasion pour vous avertir qu'il faut que vous restiez dans le château pendant votre séjour. Les bêtes parcourent la forêt et beaucoup d'entre elles sont à la fois vicieuses et audacieuses.
- J'ai entendu les loups pendant que j'attendais. »
Il rit nerveusement.
« Cela m'a fait très peur. Le plus grand prédateur que j'ai jamais vu en dehors du zoo de Londres, c'était lorsque je passais l'été à la campagne. Une renarde était entrée dans le poulailler de mon propriétaire et cela a fait un beau remue-ménage. »
Il remarqua le regard attentif mais pourtant amusé du prince et rougit.
« Je suis désolé. Je sais que je parle trop...
- Ne vous excusez pas. J'aime vous entendre parler. J'espère que vous ne vous limiterez pas au travail dans les jours à venir. Je suis plutôt isolé. Bien que les résidents de ma maison soient aimables, j'ai parfois besoin de contact avec le monde en dehors de ma petite sphère. Robert fut cela pour moi en me racontant beaucoup de choses sur l'Angleterre — et sur vous.
- Moi ? »
Draculea hocha la tête.
« Il vous considère comme son meilleur ami, Jonathan. »
Il s'arrêta en remarquant la surprise sur le visage du jeune homme.
« J'espère que cela ne vous dérange pas ? Je comprends qu'utiliser votre prénom si tôt est un peu présomptueux mais j'ai l'impression de déjà vous connaître.
- Non, c'est bon, » fit automatiquement Jonathan.
Qui était-il pour protester si un homme aussi important souhaitait l'appeler par son prénom ? Certaines personnes le font pour ceux qu'ils considèrent comme inférieurs — les serviteurs, les enfants et les animaux, mais je n'ai pas cette impression. Ce n'est pas condescendant.
Le prince poursuivit :
« Bien. Et comment va notre ami Robert ? Il est arrivé sain et sauf ? »
L'expression de Jonathan se troubla.
« C'est ce qu'on m’a dit, monsieur. Je voulais lui rendre visite mais mes employeurs ont insisté pour qu'il n'y ait pas de retard. Ils m'ont dit qu'il se trouvait dans un asile très renommé. Là-bas, si Dieu le veut, ils pourront le calmer et le ramener à la raison. J'ai bien peur que Robert ait toujours été nerveux et le stress du voyage et la responsabilité ont dû être trop forts pour lui. »
Les yeux de Draculea étaient voilés.
« Oui. Je me sens vraiment coupable que cela soit arrivé alors qu'il était chez moi.
- Oh, vous ne devez pas vous le reprocher. Parfois, on ne peut pas expliquer ces choses. »
Jonathan regarda par la fenêtre.
« Le château est encore loin ?
- Non, plus très loin. Nous y arriverons dans moins d'une heure.
- J'aimerais bien arriver durant le jour pour voir le château à son meilleur avantage. »
Il
sourit.
« J'ai toujours aimé l'idée de château. J'ai même pu en visiter un ou deux en ruines en Écosse quand un ami m'y avait invité pour les vacances. »
Il se renfrogna légèrement.
« J'ai bien aimé mais c'était... Je ne cessais de me dire que c'était triste de les voir désertés. J'imaginais à quoi ils pouvaient ressembler lorsqu'ils étaient remplis de gens occupés. Pas avec les grands complots de l'Histoire, vous voyez, mais juste avec des gens ordinaires vaquant à leur vie de tous les jours. C'est plutôt stupide, je pense.
- Pas du tout. Certains d'entre nous ressentent une forte parenté avec le passé. »
Jonathan rit.
« Je regrette que mon père n'ait pas ressenti la même chose. Il dit que ma mère m'a infecté de son romantisme pendant que j'étais un enfant impressionnable. Pourquoi devrais-je perdre mon temps à rêver d’époques passées alors que je devrais m'occuper de mon présent et de mon futur ?
- Certaines personnes, des vieilles âmes, sont attirées par le passé.
- Des vieilles âmes ? Vous faites référence à la réincarnation ? »
Il
acquiesça.
« Un concept oriental mais je le trouve trop irrésistible pour l'ignorer. Je suppose que cela contredit vos propres croyances ?
- Hum, officiellement oui. L'Église Anglicane ne croit pas au retour d'une âme sur terre mais je ne peux pas complètement ignorer ça. La réincarnation expliquerait beaucoup de choses.
- Je vois que nous allons avoir de nombreux sujets de conversation, Jonathan.
- J'attends cela avec impatience. Mes propriétaires sont des gens merveilleux mais leur conversation est... Je ne dirais pas limitée mais je ne peux pas parler pendant des heures du jardin et je refuse de parler de politique ou de religion avec quelqu'un qui possède le toit qui m'abrite. »
Draculea rit.
« Très sage de votre part. Il ne faut pas que vous vous sentiez limité lorsque vous êtes avec moi, cependant. Je veux tout connaître de vous, Jonathan Harker. »
Il se pencha légèrement en avant.
La pénombre de la lune adoucit les marques les plus dures de l'âge et Jonathan songea un moment que ce devait être ce à quoi ressemblait le prince dans sa prime jeunesse. Avant de pouvoir se censurer, il fit :
« Moi aussi. »
Au sourire de l'autre homme, Jonathan rajouta hâtivement :
« Pour que je puisse vous servir au mieux de vos besoins.
- Oui. Je peux voir que vous vous consacrez aux autres. »
Il étudia son compagnon un moment puis hocha la tête en faisant :
« Nous allons être importants l'un pour l'autre, Jonathan. »

« Nous approchons du château, » fit remarquer Draculea.
Jonathan commença à se pencher vers la fenêtre, pressé d'apercevoir le château, mais il se reprit.
« Non, allez-y, le pressa Draculea. Mon cœur se serre toujours quand j'arrive en vue de chez moi, même après toutes ces années. »
Jonathan retira son chapeau et se pencha par la fenêtre en s'agrippant au bord du carrosse alors qu'il regardait devant lui. En dépit de ce qu'il avait dit avant, il ne put s'empêcher de penser que le château Draculea était impressionnant sous la lumière de la lune. Les murs d'enceinte étaient grands mais le château surgissait derrière eux — haut d'au moins trois étages. Il semblait massif. On pourrait aisément se perdre dans un endroit comme ça, songea Jonathan. Il faudra que je fasse attention.
Les portes étaient ouvertes et ils les traversèrent pour arriver dans une cour spacieuse. Jonathan remarqua deux hommes basanés aux vêtements rudes qui se tenaient derrière les portes et qui étudiaient le carrosse. Lorsqu'ils le virent, ils commencèrent à murmurer d'un air empressé. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi ils semblaient si curieux. Les Anglais étaient rares dans ces montagnes mais ils avaient sûrement vu Robert durant sa visite. Les deux hommes se dépêchèrent de poser leurs mains sur les portes de chaque côté de l'entrée et de les pousser. Ce n'étaient pas des petits hommes mais Jonathan put voir qu'ils durent forcer pour bouger les lourdes portes. Il y eut un son étouffé alors qu'une barre aussi large que la jambe d'un homme fut mise en place pour bloquer les portes.
Le carrosse s'arrêta devant la petite volée d'escaliers qui menait à la porte principale du château. Même alors que les chevaux ralentissaient, la porte s'ouvrit et trois hommes en sortirent. L'un d'eux (qui semblait être le plus jeune) descendit les escaliers en courant. Son visage était illuminé d'une curiosité joyeuse comme si un visiteur était le plus beau cadeau qu'il pouvait imaginer. Il ouvrit la porte en gravissant lestement les marches et en se penchant dans la voiture. Ses yeux, grands et sombres, se fixèrent tout de suite sur Jonathan et il sourit comme s'il accueillait un bon ami qui revenait après une longue absence.
« C'est vous ! Oh, c'est vous ! »
Il regarda le prince en faisant avec empressement :
« Je le savais, prince. Il...
- Rill, » fit sèchement Draculea.
Le garçon s'arrêta en se mordant la lèvre d'un air contrit. La voix de Draculea n'était pas dure.
« Voici Jonathan Harker, le jeune homme que mister Renfield considérait comme un bon ami. Jonathan Harker, » fit-il lentement et distinctement.
Le garçon regarda Draculea puis fit lentement :
« Oh, oui. Bien sûr. »
Il sourit à Jonathan en tendant la main.
« Je suis Rill. »
Jonathan avait l'habitude des protocoles sociaux rigides de chez lui mais au lieu d'être offensé par cette effronterie, il la trouva étrangement sympathique.
« Bonjour, Rill. »
Il lui serra la main en remarquant d'un air absent que la main du garçon était toute aussi froide que celle du prince.
« Rill est... »
Draculea sembla réfléchir. Finalement, il fit lentement :
« Mon pupille. Il est l'un des trois jeunes hommes à ma charge. »
Draculea haussa les épaules.
« On peut se sentir seul quand on a survécu à la plupart de ses contemporains. Rill, nous devrions rentrer à présent. Je suis sûr que Jonathan est fatigué de son voyage.
- Oh, désolé ! »
Rill descendit rapidement.
« Je vais prendre les bagages. »
Draculea désigna la porte.
« Je vous en prie. »
Jonathan
n'était pas vraiment sûr de l'ordre dans lequel ils
devaient sortir mais si le prince voulait qu'il descende en premier,
alors il le ferait. La première règle des bonnes
manières était que les classes supérieures
dictaient
les règles. Rill lui lança un autre sourire alors qu'il
sortait puis le garçon tendit la main pour prendre le sac de
Jonathan des mains de Simion. Jonathan, soucieux de l'âge et de
la position du prince, se tourna pour l'aider. Le prince accepta
gravement sa main mais semblait n'avoir aucun problème pour
descendre. Simion sauta du siège et l'un des hommes qui se
trouvaient aux portes prit sa place et dirigea le carrosse vers un
grand bâtiment externe — probablement une écurie.
Les deux autres hommes descendirent l'escalier étroit et
Jonathan eut un autre moment de déjà-vu, cependant pas
aussi fort ou clair que celui qu'il avait connu sur la route. Il
avait dit qu'il avait vu des prédateurs au zoo de Londres et
ce souvenir resurgit dans son esprit.
Il était très jeune, pas plus de cinq ans. Il s'était arrêté devant la cage des loups et deux grandes bêtes à longs poils avaient surgi des ombres et s'étaient dirigées vers les barreaux, leurs yeux luisant fixés sur lui. Ils se rapprochèrent et se rapprochèrent... Des lèvres noires s'étaient retroussées sur des crocs d'ivoire. Il n'avait pas pleuré mais s'était tourné pour enfoncer son visage dans les jupes de sa mère. Elle lui avait caressé les cheveux en lui assurant que les bêtes n'étaient attirées que par l'odeur des cacahuètes grillées que Jonathan avait apportées pour nourrir les singes. Il n'avait pas été convaincu mais avait été rassuré par son contact, sachant qu'elle ne laisserait jamais personne lui faire de mal.
Pourquoi je me souviens de ça maintenant ? songea-t-il alors que les deux hommes avançaient vers lui. Mais il ne pouvait pas ignorer la soudaine appréhension qu'il ressentait. Puis il sentit un contact et regarda sur le côté. Le prince se tenait là, sa main sur l'épaule de Jonathan, son regard pâle fixé sur la paire qui approchait. Son appréhension ne disparut pas complètement mais pourtant, avec le prince à côté de lui, elle s'apaisa.
« Voici Rock, le frère de Rill, et Sinn, » fit le prince.
Jonathan leur serra la main et il s'étonna à nouveau de la froideur de leurs mains. Il savait que l'Angleterre était célèbre pour ses pièces froides mais Jonathan avait toujours apprécié ses aises. Il espérait que le château ne se révélerait pas trop humide et froid.
L'homme blond ne fit que hocher la tête pour le saluer mais celui aux cheveux noirs, Sinn, fit une légère révérence courtoise alors qu'il serrait la main de Jonathan.
« Quel plaisir de vous rencontrer enfin ! J'attendais cela avec impatience. Ce cher Robert a parlé librement de vous et en des termes flatteurs, Jonathan. »
Il semble que je sois déjà en bons termes avec toute la maison, songea Jonathan d'un air résigné. Bon, à Rome, fais comme les Romains.
« Merci. Robert a beaucoup écrit mais il s'est montré réticent à parler de ses hôtes, ne voulant pas cancaner. Je suis impatient de mieux vous connaître. »
Le sourire de Sinn était brillant avec juste une touche de retenue.
« J'aimerais beaucoup ça. »
Ses yeux glissèrent vers le prince et il pencha la tête avec déférence.
« Quand vous ne serez pas occupé par des choses plus importantes, bien sûr.
- Méfiez-vous de Sinn, fit sèchement Draculea. Il flatte aussi naturellement que les gens respirent. »
Alors
qu'ils entraient dans le château, Draculea fit :
« Avez-vous faim, Jonathan ? Notre nourriture ici est assez simple, aussi ce ne serait pas difficile de vous préparer un repas.
- Non, merci. Je me suis pas mal goinfré à la dernière étape mais la propriétaire avait un superbe gâteau que je ne pouvais pas ignorer. »
Le prince sourit.
« Vous aimez le sucré. »
C'était une affirmation plutôt qu'une question.
« J'en ai bien peur. Mon père disait que je ne pourrais jamais bien grandir comme ça. »
Il sourit.
« Il a toujours prédit que mes dents se gâteraient à cause du sucre. Je pense qu'il est plutôt déçu que ça ne soit pas arrivé. »
Jonathan regardait autour de lui dans le grand couloir à l'entrée. Il y avait quelques bougies vacillantes le long des murs mais pas assez pour chasser les ombres qui se rassemblaient dans les coins. Quel dommage qu'un endroit aussi impressionnant soit négligé.
Le prince surprit son regard.
« Oui, le château n'est pas à son meilleur avantage. Pour l'entretenir correctement, il faudrait une armée de serviteurs et comme vous l'avez remarqué, les gens d'ici sont réticents à venir. »
Il haussa les épaules.
« Nous faisons avec les tziganes. »
Il tapota l'épaule de Rill.
« Et Rill insiste pour aider.
- J'ai nettoyé votre chambre, offrit Rill avec empressement. C'est la plus belle du château.
- Comme c'est gentil. »
Il exagère. La plus grande chambre appartient au prince, bien sûr.
Ils traversèrent la salle. Simion prit la tête et ouvrit une porte sur le côté. Jonathan fut soulagé par la clarté et la chaleur qui s'échappèrent de la pièce. Elle s'avéra être petite, du moins comparée à l'autre pièce, et très confortable. Un feu crépitait vigoureusement dans la cheminée et plusieurs lampes brûlaient dans la pièce. Alors que le prince faisait entrer Jonathan dans la pièce, il se tourna vers les autres.
« Ce sera tout pour ce soir. »
Sa voix était ferme.
Cela entraîna des réactions variées. Rock se renfrogna et Sinn haussa les épaules dans une résignation blasée, mais Rill était de toute évidence déçu. Simion lui prit la main en lui murmurant quelque chose et le garçon acquiesça. Il lança un regard suppliant à Draculea.
« Je peux lui souhaiter bonne nuit ? »
Draculea hocha la tête et Rill s'approcha de Jonathan.
« Vous aimez les soldats ? »
Cette question prit Jonathan au dépourvu.
« Je... J'admire beaucoup les hommes qui combattent pour leur patrie. »
Rill rit.
« Non, non ! Les soldats en jouet.
- Oh, vous parlez des soldats de plomb ? Oui, j'aime ça. J'en avais lorsque j'étais petit. »
Sa voix se teinta d'ironie.
« C'est bien l'une des rares choses que mon père approuvait.
- J'en ai plein. J'ai essayé de les compter mais je n'arrête pas de me perdre. Vous aimeriez les voir demain ? »
Il regarda le prince.
« Si vous en avez le temps ? »
Le
prince sourit à Rill puis regarda Jonathan en haussant les
sourcils.
« Oui, Rill, j'aimerais beaucoup ça, » lui assura Jonathan.
Le sourire de Rill fut joyeux.
« Bonne nuit alors, Jonathan. J'espère que vous dormirez bien. »
Il hésita.
« Il se peut que vous rêviez — Robert rêvait. Si vous rêvez, n'ayez pas peur. Le prince ne laissera personne vous faire du mal. »
Il se tourna pour rejoindre Simion qui passa un bras autour de ses épaules et l'emmena au loin.
Le prince referma la porte.
« Vous avez vraiment fait plaisir à Rill. »
Il désigna l'un des fauteuils devant le feu.
« Asseyez-vous. »
Jonathan posa son chapeau sur la table et s'assit.
« J'en suis heureux. »
Il sourit.
« J'aime les soldats mais je n'y avais pas pensé depuis des années. Rill... Il n'a pas grandi, n'est-ce pas ? »
Draculea l'étudia.
« Vous êtes gentil, Jonathan. La plupart des gens seraient plus durs pour décrire Rill mais je crois que votre point de vue est bon. C'est encore un enfant pour beaucoup de choses — il a bon cœur et il est innocent. Vous voulez du vin ? »
Jonathan hésita.
« Jonathan, nous ne parlons pas affaires pour l'instant.
- Je ne bois pas beaucoup. »
La voix de Jonathan s'excusait presque.
Le prince se rendit à un buffet contre le mur derrière Jonathan.
« Un seul verre ? »
Le prince ouvrit une carafe en verre poli et versa le vin rouge et riche dans un petit verre.
« Juste un alors. Il est très fort ?
- Oui, il est fort. »
Il regarda le petit pichet d'eau à côté de la carafe. Jonathan s'était légèrement tourné dans le fauteuil. Il tenait ses mains devant le feu en absorbant la chaleur. Draculea regarda les longues mains élégantes. Il ne pouvait voir qu'une mince partie du visage de Jonathan. La lumière vacillante dorait les traits marqués et magnifiques, et la main de Draculea se serra sur le manche du pichet.
« Je peux le mélanger avec de l'eau, si vous préférez.
- Oui, s'il vous plaît. »
Draculea
posa le pichet et porta sa main à sa bouche. Sans quitter du
regard le jeune homme devant le feu, il mordit en ouvrant une petite
entaille dans le gras de son pouce. Le sang coula, liquide et vibrant
du sang qu'il avait pris à Simion un peu plus tôt. Il
tint sa main au-dessus du verre et laissa le sang couler, observant
le rouge plus sombre tourbillonner et disparaître dans le
cramoisi du vin.
Jonathan leva les yeux et vit que le prince se tenait à côté de lui. Il bouge très rapidement — tous le font ici.
Draculea tendit le verre.
« C'est un cru très rare et j'aimerais avoir votre avis. »
Jonathan accepta le verre.
« Vous ne vous joignez pas à moi ? »
Draculea s'assit face à lui.
« Je bois rarement de vin. Certains plaisirs ont perdu leur saveur mais d'autres les ont remplacés. Goûtez-le. »
Jonathan prit une gorgée. Il n'avait jamais vraiment aimé le vin et il tentait de trouver quelque chose d'aimable mais de vrai à dire.
Il y avait la verdeur attendue mais alors même qu'il la remarquait, cela sembla changer. C'était le goût le plus complexe et le plus subtil que Jonathan avait jamais connu. Il y avait de la douceur mais aussi une saveur piquante et salée. Il y avait également une pointe d'épice qu'il ne put identifier. Il sirota à nouveau en tentant de découvrir ce mystérieux ingrédient.
« Eh bien, je pense que vous l'avez apprécié. »
Jonathan baissa les yeux et fut surpris de découvrir qu'il venait de vider son verre.
« Cela réchauffe beaucoup mais c'est délicieux. Je n'ai jamais rien goûté de pareil. Il est épicé ? »
Draculea posa ses doigts sous son menton.
« Il y a un ingrédient spécial.
- Quel est-il ? »
Jonathan se passait la langue sur sa lèvre supérieure en cherchant un dernier goût et il ne fut pas conscient que les yeux du prince s'illuminèrent à cette vue.
« Je vous le dirai peut-être — bientôt. »
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