Child of the Night 85

Partie Quatre-vingt-cinq : Emporté


L'an de grâce 1892
Près du château Draculea, Transylvanie


Il aurait dû suivre le conseil de Rill. Il aurait dû courir vers le prince. Draculea était âgé mais pourtant indéniablement puissant et il contrôlait Rock — cela avait été plutôt évident. Au lieu de ça, Jonathan avait attendu au sommet des escaliers, trop effrayé pour chercher le mystérieux maître du château et il l'avait payé très cher. L'horreur qu'était Rock l'avait poursuivi. Il aurait dû être mort, il devait être mort — personne n'aurait pu continuer à marcher avec cette ruine rouge à l'arrière du crâne. Mais c'était là ce dont il s'agissait, n'est-ce pas ? Aucun homme vivant...

Jonathan avait fui mais il ne pouvait qu'aller plus loin dans le château — et plus haut — loin des vrais moyens de fuite. Puis il s'était retrouvé sur le toit, entouré d'espaces ouverts mais avec nulle part où s'enfuir. Des gouffres abrupts tombaient de chaque côté et pourtant la créature vint pour lui. Il avait battu en retraite aussi loin qu'il le pouvait, dans son désespoir, il avait finalement grimpé sur le muret. Si le pire arrivait, ce serait son issue de secours. Il ne doutait pas que la chute serait plus douce que ce que la créature Rock avait prévu pour lui.


« Mais il n'était pas encore arrivé à ce point lorsque la porte du toit s'était ouverte brusquement et que Draculea avait bondi dehors. Il était venu le sauver — Jonathan n'en doutait pas. Le prince regarda Rock, l'appela avec la voix d'un exécuteur juste. Là, sous le ciel étoilé, ses cheveux flottant dans l'air avaient semblé plus sombres et ses rides semblaient avoir disparu sous la lumière de la lune. Ce devait être à ça qu'il ressemblait dans sa jeunesse — sombre et féroce, fort et fier.

Mais Rock le défia pourtant. Il tendit la main vers Jonathan et le jeune homme sut qu'il serait aussi vicieux et mortel que possible, sa haine envers Draculea le poussant vers encore plus de violence. Jonathan bougea instinctivement — il n'avait pas l'intention de se suicider. Il essayait seulement d'éviter cette main mais... Des pierres anciennes, le fait de se pencher un pouce trop loin, peut-être un léger vent... Le sort complota et il commença à tomber.


Il ne pouvait pas dire pourquoi il le fit mais ce fut instinctif. Il tendit la main vers Draculea en sentant qu'il était le seul être au monde qui pouvait le sauver. Il était le seul à l'avoir jamais sauvé, l'avoir fait se sentir en sécurité, heureux... et aimé. Ce simple mot qui surgit de ses lèvres comprenait toutes ces émotions étranges et fortes qui s'élevèrent en lui.

« Domn ! »

C'était une plainte, un cri de terreur, une déclaration de croyance et de confiance...

Puis il disparut, dévalant les ténèbres, son souffle arraché de ses poumons alors que le reste de sa santé mentale fut temporairement déchirée de son esprit. Il n'eut pas l'impression de tomber dans l'eau — il eut l'impression que l'eau s'éleva et le frappa.


La terreur de ce qui l'avait poursuivi se mêla désormais à la terreur de se noyer. La seule expérience en natation de Jonathan avait été dans l'étang peu profond et placide de sa retraite estivale. Il était entouré de grands arbres, leurs branches s'étirant pour presque se rencontrer. La partie centrale qui était à ciel ouvert était plutôt petite. Elle était toujours si lisse et si calme qu'elle reflétait les nuages passant au-dessus comme un miroir. Depuis le temps qu'il la visitait, Jonathan n'avait vu l'eau troublée qu'une seule fois, des ondes se répandant et marquant l'endroit où une grenouille avait sauté de son nénuphar.

Comme c'était différent. Il n'y avait rien de gentil ou de serein chez cette eau. Elle broyait, elle rugissait, elle l'attirait profondément puis le rejetait à nouveau. Chaque fois qu'il atteignait la surface, Jonathan se débattit désespérément pour respirer, emmagasinant autant d'air qu'il pouvait avant de couler à nouveau. Il aurait bien tenté de se redresser mais il était jeté et chamboulé dans tous les sens si bien qu'il ne savait plus où il était. Il saisit des éclairs occasionnels de lumière mais il ne pouvait pas savoir si c'était le ciel étoilé ou simplement la conséquence du manque d'air. Il ne savait vraiment pas dans quel direction nager. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il était projeté à une vitesse vertigineuse.


L'eau était d'un froid glacial, si froid que la piqûre du froid commença rapidement à l'engourdir. Aussi effrayant que c'était, c'était peut-être un peu de bénédiction. La douleur quand il commença à se cogner contre les rochers de la rivière n'était pas aussi intense qu'elle l'aurait dû. Une ou deux fois il rebondit contre des larges rochers et à chaque fois, il rebondissait dans une partie de la rivière où le courant n'était pas aussi fort — et il flotta vers les rives. Puis vint le moment où il roula sur des rochers. Finalement, la force de l'eau ne fut plus assez forte pour le bouger de là où il était allongé — et il resta là, trop étourdi et faible pour bouger. Il eut un sursaut de conscience pour rouler sur le dos et retirer son visage de l'eau. Puis il cessa de se débattre et se permit l'échappatoire de l'oubli. Il reposa là quelques moments, ses cheveux noirs flottant doucement au gré des ondes qui balayaient son corps.

Il n'avait jamais volé. Il ne croyait pas que c'était possible malgré les légendes. Draculea savait mieux que quiconque que dans certaines situations, un homme pouvait déployer une force extraordinaire. Si cela avait été possible, il était sûr qu'il aurait volé à cet instant. Cela dit, sa descente vers la rivière n'était pas une chute — il y avait un but derrière. Chaque fibre de son être se dirigeait vers le bas, là où son bien-aimé avait disparu.

Draculea entra proprement dans l'eau et commença à nager tout de suite. Oui, le courant le balaya mais il n'était pas aussi sauvage et incontrôlé que pour n'importe qui d'autre. Il avait un but.


En nageant, il utilisa tous ses sens améliorés pour tenter de localiser Jonathan en cherchant la chaleur d'un corps vivant, l'éclair pâle d'un visage effrayé ou un faible appel au secours. Il n'y eut rien. Draculea ne renonça pas, il ne pouvait pas renoncer. Jonathan avait été projeté dans cette direction — aucun homme mortel n'aurait pu nager à contre-courant. Draculea devait le trouver, de préférence avant que le dernier souffle de vie l'ait quitté.

Vlad n'avait pas vraiment prévu comment il allait garder son amour réincarné dans sa vie, n'avait pas prévu quelle direction leur réunion prendrait exactement. Il avait senti leur lien au moment où il avait vu la photographie, bien qu'il ait été distant et un peu sombre. Le vin qu'il avait partagé avec son invité toutes les nuits avait été mélangé avec son propre sang et il avait senti ce lien se renforcer. Il aurait peut-être simplement continué ainsi une fois que l'esprit du jeune homme se serait éveillé à la vraie nature de leur relation. Après tout, Simion avait survécu durant toute leur séparation aussi jeune et vigoureux qu'il l'avait été le jour où Draculea était entré dans le royaume des morts-vivants. Mais Simion avait été en pleine forme et indemne lorsqu'il avait bu pour la première fois le sang de son maître. Si Jonathan était mourant lorsque Draculea le trouverait...


Pouvait-il le faire ? Pouvait-il attirer son bien-aimé dans son propre monde de ténèbres ? Nicolae avait été un enfant de la lumière, si brillant et beau, plein de vie, dévoué à son Dieu. Oui, Draculea savait que le cœur du garçon lui appartenait, que Nicolae l'avait aimé plus que tout sur Terre, mais voudrait-il renoncer au soleil sur son visage et à l'assurance d'une nouvelle vie après celle-ci ? Ce n'était pas le moment de se torturer. Si Jonathan était mourant, alors Draculea l'emmènerait gentiment de l'autre côté, confiant qu'il aurait le temps de compenser tout sentiment de perte que son amant pourrait ressentir. Mais d'abord, il devait le trouver.

Le père Josef marchait sur le sentier qui courait près de la rivière, ses pas lents et lourds. Il se sentait très fatigué ce soir. Une de ses paroissiens était morte ce soir. Il ne guidait ce troupeau que depuis quelques mois mais il connaissait très bien cette vieille dame et sa perte l'attristait.

Lukas, le portier Dans cette histoire, le portier opère comme un homme à tout faire, un interne et un assistant du prêtre. Ce travail lui apporte un petit statut au sein du village à cette époque. (1) de la paroisse, suivait le prêtre. C'était un homme grand, robuste qui ne connaissait pas vraiment la peur mais pourtant... Il semblait presque se faufiler, ses yeux se fixant constamment sur les ombres environnantes.

« Père, fit-il doucement, je vous en prie, hâtez le pas.

- Du calme, Lukas, fit Josef d'un ton fatigué. Tu t'es montré aussi nerveux qu'un chat depuis que nous avons quitté le presbytère. J'ai dû t'envoyer dans la pièce d'à côté pour que la vieille Maria ne soit pas dérangée dans ses derniers moments. »


Il s'arrêta et se tourna pour observer son interne.

« Tu ne t'es jamais conduit de la sorte avant. Les autres lits mortuaires dont je me suis occupés n'ont pas semblé te perturber autant.

- Vous vous en occupiez pendant que le bon soleil de Dieu brillait, Père. Je ne crains rien à la lumière du jour. »

Aussi fatigué qu'il était, le père Josef se surprit à rire.

« Allons, Lukas. Tu es sûrement trop grand pour avoir peur du noir ? »

Le regard que l'homme lui lança était sérieux.

« Vous êtes né et avez grandi dans les villes, Père, et vous n'avez pas vécu parmi nous depuis longtemps. Il y a des choses dans ces montagnes, des choses qui rôdent dans la nuit avec qui on ne doit pas badiner. La peur n'est pas stupide s'il y a vraiment quelque chose à craindre. Maintenant, veuillez vous dépêcher. Je ne vous aurais pas accompagné si Maria n'avait pas été la sœur de ma mère. »


Cela perturba Josef. Lukas était dévoué dans ses services pour l'Église et ses représentants. Il travaillait inlassablement pour que la chapelle et le presbytère soient en bon état et faisait tout ce qu'il pouvait pour que la vie du père Josef soit confortable et sans souci. Il n'aurait jamais pensé que Lukas pourrait refuser de l'assister au chevet d'un paroissien. Mais maintenant qu'il y songeait, Lukas n'était jamais allé nulle part après le coucher du soleil. Quand il était arrivé au village, Josef avait attendu le moment où il aurait à punir son portier pour avoir passé trop de temps à la taverne locale (les prêtres plus âgés l'avaient averti à ce sujet avant qu'il ne quitte le séminaire pour prendre son poste). Cela n'avait jamais été un problème. Une fois le crépuscule venu, Lukas restait là pour la soirée. Et aucun paroissien ne vient me voir une fois le soleil couché, songea-t-il avec une surprise grandissante. Je m'attendais à être dérangé à toute heure du jour et de la nuit, mais ce n'est jamais arrivé ici.


« Père, je vous en prie. »

Josef remarqua l'expression anxieuse de l'homme et hocha la tête en se retournant pour reprendre sa marche. Ils n'avaient cependant parcouru que quelques yards lorsqu'il s'arrêta à nouveau. En regardant la rivière voisine, il fit :

« Lukas, qu'est-ce que c'est ?

Lukas jeta un coup d'œil sur le côté puis fit rapidement :

« Rien, mon père. Le reflet de la lune sur l'eau.

- Non, tu as tort. Il y a quelque chose au bord. »

Il fit quelques pas en dehors du sentier en plissant les yeux vers ce mystérieux objet.

« Alors c'est une pauvre créature qui est tombée dans l'eau et s'est noyée. »

L'homme saisit la manche du père Josef en tirant dessus.

« Venez. »


Josef se raidit de surprise.

« Lukas, c'est un homme ! »

Il descendit la pente douce qui menait vers les rives de la rivière.

Lukas l'interpella :

« Nous ne pouvons pas l'aider pour l'instant, mon père ! Retournons au presbytère et prions pour son âme, puis nous pourrons revenir au matin. »

Le prêtre ne se retourna pas et n'hésita même pas. Lukas regarda désespérément le sentier. À seulement une centaine de yards de là, il pouvait voir la douce lumière provenant des fenêtres du presbytère, synonyme de sécurité. Il regarda à nouveau le prêtre qui pataugeait dans l'eau peu profonde vers le corps. Avec un grognement, Lukas le suivit.


Josef s'accroupit près du jeune homme en grognant de désarroi et de compassion. Il était jeune, à peine plus de vingt ans. Il y avait un bleu et une entaille sur une joue pâle et Josef savait que le reste du corps portait certainement la preuve du contact rude avec les pierres de la rivière.

« Monsieur ! »

Il n'y eut pas de réponse. Une main bougea lentement alors qu'une autre onde se dirigeait vers la rive.

« Père céleste, faites qu'il soit toujours dans le royaume des mortels. »

La main était froide mais quand il pressa fermement ses doigts sur le poignet, Josef sentit un pouls fort.

« Dieu soit loué ! »

Il détourna les yeux et vit Lukas qui s'approchait.

« Lukas, il est vivant ! Aide-moi. »


L'homme hésita en regardant le jeune homme avec une intensité curieuse

« En êtes-vous certain, mon père ?

- Quoi ? Lukas, quelle différence cela ferait-il s'il était mort ? En tant que Chrétiens, nous ne pouvons pas le laisser ici.

- Mon père, fit l'homme d'une voix rauque, est-il chaud ?

- Quoi... ? Lukas, l'eau de la rivière...

- Respire-t-il ? »

Josef ajouta à sa voix une note de commandement.

« Lukas, viens ici et...

- Respire-t-il ? »

Josef regarda son portier, ébahi. Jamais auparavant Lukas n'avait montré autre chose qu'une déférence respectueuse. Mais il y avait à présent quelque chose de terrifié et de déterminé dans les yeux de l'homme. Josef posa sa main sur le torse de l'homme et sentit un mouvement.

« Oui, Lukas, fit-il calmement. Il respire. »


Lukas hésita et ses yeux remontèrent la rivière. Plus haut dans la montagne, on pouvait voir la silhouette du château contre la lune. Il y eut un moment pendant lequel le prêtre sentit une lutte intérieure dans son assistant puis Lukas se dépêcha.

« Allons-y, mon père. Cela doit être fait rapidement. »

Josef recula et observa le grand homme se pencher et prendre le corps mou dans ses bras. Il se tourna aussitôt et reprit le sentier.

« Suivez-moi rapidement, mon père. Vous ne voudrez pas être hors de murs bénis si quelqu'un le cherchait et venait le chasser. »


Le prêtre dut presque courir pour rester au même niveau que Lukas. Il fut surpris de voir Lukas se diriger vers la chapelle plutôt que le presbytère.

« Lukas, non. Emmène-le au...

- Nous l'emmenons ici, mon père. Un banc servira tout aussi bien de lit en cas de besoin. »

Il lui lança un regard dur.

« Faites-moi confiance pour ça, mon père. Il y a des choses qu'on ne vous apprend pas au séminaire. »

Son expression se radoucit devant l'ébahissement et l'irritation sur le visage de Josef.

« Mon père, si vous voulez qu'il vive — plus important, si vous êtes préoccupé par son âme immortelle, faites ce que je vous dis. »

Il y avait une conviction si douce dans la voix du portier que le père Josef déverrouilla la porte de la chapelle sans protester davantage.


L'intérieur était sombre, éclairé uniquement par quelques chandelles ruisselantes devant l'icône de la Vierge. Lukas déposa rapidement son fardeau sur le banc de devant puis dépassa le père Josef alors que l'autre homme venait vérifier l'état de l'homme. Josef entendit Lukas verrouiller la porte. Il leva les yeux de surprise, cependant, lorsqu'il entendit le son sourd de la barre mise en place. La barre qui isolait efficacement la chapelle du monde extérieur avait été conservée comme un symbole du sanctuaire. Josef n'avait jamais entendu parler d'une fois où on l'aurait vraiment utilisée.

« Il nous faut plus de lumière, « ordonna-t-il.

Lukas se mordit la lèvre, indécis.

« Mon père, les fenêtres ne sont pas couvertes. Ce serait mieux si nous ne fournissions pas la preuve de notre présence. »

Le prêtre d'ordinaire bien élevé dut retenir un juron.

« J'ai besoin de lumière pour m'occuper de lui ! »


Avec réticence, Lukas prit plusieurs bougies de leurs supports muraux. Il les alluma puis les fixa à chaque bord du banc pour donner une lumière faible mais suffisante.

« Il y a grand drap qui date du mois dernier lorsque tu avais lavé le vestibule. Va le chercher. »

Tandis que Lukas s'exécutait, le prêtre examina à nouveau le jeune homme en s'assurant que son pouls et sa respiration étaient forts. C'était un miracle qu'il ne se soit pas noyé ou battu à mort contre les rochers. Il avait regardé dans les archives de la paroisse et tous les ans, ils perdaient une ou deux personnes à cause de la rivière. Il était déterminé à ce que ce jeune homme ne connaisse pas la même fin.


Lukas revint avec le linge. Alors que Lukas le plaçait à la tête du banc, le père Josef fit :

« Il y a du sang dans ses cheveux mais je ne crois pas que la plaie soit sérieuse. L'os en dessous semble intact et l'hémorragie a cessé. »

Lukas se pencha en silence près le prêtre et ouvrit le col du jeune homme en regardant sa gorge exposée avec intensité.Ses yeux semblaient fixés sur un léger bleu et Josef fit :

« Les rochers. »

Il ouvrit la chemise, la fit glisser le long des bras du jeune homme puis la retira.

« Regarde, ici et là. »

Il désigna des bleus livides et des éraflures sur les bras et le torse.

« Je le reconnais maintenant. Il était dans la diligence qui est arrivée...

- Je m'en souviens. Et je sais où le cocher a dit qu'il l'avait laissé et pourquoi, grogna Lukas. »


Puis il fit une chose étrange. Il sortit son crucifix de sa chemise, se pencha et le pressa contre l'épaule du jeune homme en le maintenant fermement là. Josef fut choqué de voir l'homme sursauter, marmonner d'inconfort mais sans reprendre conscience. Lukas recula et Josef fut encore plus choqué de voir une petite croix rose foncé gravée sur la peau blanche de l'homme. Cela lui rappela la fois où, il y a fort longtemps, il avait sans y penser saisi un tisonnier trop près du bord. Il n'avait pas été blessé mais une barre de peau tendre et rougie avait orné sa paume pendant plusieurs heures. Lukas disait :

« Pas de cloque et pas de carbonisation. Je suppose qu'il est plutôt inoffensif. »

Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? Comment cette pauvre créature pourrait-elle être une menace dans un tel état ?

« Lukas, il reste encore du vin non béni dans le placard — la bouteille sans étiquette. J'en ai besoin pour lui faire reprendre ses esprits. »


Lukas alla chercher le vin tandis que Josef déshabillait le jeune homme en lui laissant juste ses sous-vêtements, puis utilisa le linge pour commencer à le sécher. Il frotta vigoureusement pour tenter de faire circuler le sang dans les endroits gelés. Cela sembla fonctionner car la peau prit graduellement une teinte plus saine. Sous peu, le jeune homme secoua un peu la tête en émettant de légers sons troublés. Lukas avait aussi trouvé une coupe non sanctifiée dans le placard. Il la remplit de vin et la tendit au prêtre en glissant gentiment un bras sous le cou de leur patient pour lui lever légèrement la tête.

Les lèvres du jeune homme restèrent closes, le vin coulant sur sa gorge, et Josef fit :

« Jeune homme ? Je vous en prie, vous devez boire ça. Ça va vous donner des forces. »


Ses lèvres s'ouvrirent et Josef versa soigneusement le vin. Il y eut un bref moment effrayant où il sembla s'étouffer puis sa gorge fonctionna et il avala. Une légère ride se dessina sur son front et Josef fut transporté de joie en l'entendant parler même si les mots étaient faibles et n'avaient que peu de sens.

« Autre... veux l'autre. »

Le père Josef lui servit rapidement un peu plus de vin et il avala avec obéissance. Mais une fois qu'il eut fini, il murmura :

« Veux l'autre vin. Doux... Chaud... »

Josef mit la coupe de côté et tapota légèrement la joue du jeune homme.

« Écoutez-moi. Vous devez ouvrir vos yeux. C'est possible ? »

Les paupières de l'homme papillonnèrent puis s'ouvrirent un peu.

« Bien ! Très bien.

- Que... »

Il y avait un étonnement si douloureux dans sa voix.


« Vous avez eu un grave accident, mon fils, mais vous êtes sain et sauf désormais.

- Sain et sauf ? Que... que s'est-il passé ?

- Nous vous avons sorti de la rivière. Ce n'est que par la grâce de Dieu que vous ne vous êtes pas noyé ou réduit en morceaux. Quel est votre nom, jeune homme ?

- Ni... Ni... »

Il grimaça en levant une main à sa tête.

« Ça fait mal. »

La confusion balaya son visage puis s'éclaircit un peu, mais juste un peu.

« Jonathan. Je m'appelle Jonathan Harker. »

Ses yeux s'écarquillèrent soudain et il tenta de se lever.

« Oh, Seigneur ! Où suis-je ? »


Ce fut Lukas qui le repoussa en arrière en le tenant fermement mais prudemment.

« Vous êtes en sécurité, Jonathan Harker. Vous êtes sur une terre consacrée.

- Comment en êtes-vous arrivé là ? demanda Josef. Vous avez parlé de vin. Vous en avez pris de trop ? C'est pour ça que vous êtes tombé dans la rivière ?

- Non, fit fermement Jonathan, puis avec plus d'hésitation : Je ne crois pas. »

Soudain, de l'horreur apparut dans ses yeux.

« Non ! Il... Ça allait me tuer, je le sais. Me tuer ou faire quelque chose d'innommable.

- Dites-moi ce qui est arrivé, le pressa Josef.

- Je n'en suis pas sûr, fit Jonathan d'un ton perdu. Je ne peux pas m'en rappeler. Je n'ai aucune idée de la façon dont je suis tombé dans la rivière.

- Alors dites-moi de quoi vous vous souvenez. »

Jonathan fronça les sourcils.

« Je cherchais quelqu'un — mon hôte, je crois. »


Ni le prêtre ni Jonathan ne virent que Lukas s'était rapidement signé.

« La bibliothèque était ouverte et je suis entré. Je regardais autour et... et... »

Il poussa un son de frustration.

« Je ne cesse de penser que j'ai regardé dans un miroir mais pourquoi y aurait-il un miroir là-bas ? Puis quelque chose est arrivé. Je ne me souviens pas ce que c'était — je sais juste que je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. J'étais en danger. J'allais mourir. J'ai couru. Tout le reste est flou après ça.

- Ne vous en faîtes pas, le rassura le prêtre. Vous avez été blessé à la tête. Ce n'est pas rare d'avoir une amnésie partielle.

- J'en ai entendu parler, » acquiesça Jonathan.

Il leva des yeux troublés vers le prêtre.

« Mais je ne comprends toujours pas. Vous voyez, je veux désespérément me souvenir, mais pourtant j'ai peur aussi. »

Son expression s'affaissa.

« C'est comme si me souvenir pourrait me conduire soit au salut, soit à la damnation. »



Notes du chapitre :
(1) Dans cette histoire, le portier opère comme un homme à tout faire, un interne et un assistant du prêtre. Ce travail lui apporte un petit statut au sein du village à cette époque.






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