Child of the Night 125

Chapitre Cent vingt-cinq : Préparatifs



L'an de grâce 1892
Le manoir Westenra


Lukas reçut le message de Van Helsing. Il se rendit immédiatement au manoir Westenra, à la porte de service. Une servante des cuisines répondit quand il toqua à la porte et tenta immédiatement de la refermer. Lukas la retint aisément et fit :

« On m'a envoyé chercher. Dites au professeur que je suis arrivé. N'ayez crainte, je n'essaierai pas d'entrer. »

La servante lui lança un regard suspicieux puis appela un valet costaud pour qu'il surveille la porte pendant qu'elle demandait à un autre valet de délivrer le message. Lukas et la servante attendirent en silence, échangeant des regards. Van Helsing arriva et fit :

« Merci d'avoir été aussi rapide, mon frère.

- Je suis toujours prompt à exécuter la volonté de Dieu. Dites-moi ce que je dois faire, répondit Lukas.

- Je n'ai pas besoin de vous dans l'immédiat. Rendez-vous à l'abri de jardin — ils vous ont laissé de quoi dormir là-bas. Reposez-vous pour le moment tant que notre ennemi dort, pour que vous soyez en pleine forme cette nuit. »


Lukas acquiesça et se dirigea vers l'abri de jardin. Il prit la couverture mais dédaigna l'oreiller. Il avait l'habitude de dormir aussi simplement que possible. Il savait que de nombreux moines dormaient à même le sol sans oreillers ou draps, et il pouvait se montrer aussi zélé qu'eux lorsqu'ils mortifiaient leurs corps pour la gloire de Dieu. Le fait de n'avoir jamais été accepté dans un monastère était le grand drame de sa vie. Il avait proposé ses services à plusieurs monastères mais ils l'avaient toujours refusé quand ils avaient découvert qu'il avait tenté de se débarrasser du péché de sa chair alors qu'il était enfant.


« Van Helsing avait quitté la cuisine quand le garçon d'écurie qu'on avait envoyé au marché revint avec un panier rempli de gousses d'ail. Il les posa rapidement sur la table et recula d'un pas.

« Les v'là, et pfff, bon débarras. J'me laverais bien dans l'abreuvoir mais j'ai peur de le souiller et que les chevaux tombent malades. »

Il partit et tout le personnel de cuisine fixa le panier comme s'il contenait un cobra. Finalement, la cuisinière fit :

« Je n'aurais jamais cru voir le jour où ils apporteraient cette pourriture étrangère dans mes cuisines. S'ils voulaient quelque chose de fort, alors pourquoi pas du chou ? Je suis censée faire quoi avec ça ?

- Je crois qu'on est censé l'apporter à l'invité de mister Westenra, le professeur, fit l'aide cuisinière de plus bas rang.

- Ne sois pas bête. Si on m'envoie de la nourriture, c'est bien pour s'en servir. Il a spécialement envoyé quelqu'un pour ça donc cela doit être important pour le maître. Voyons voir... »


Elle ouvrit un tiroir et en sortit un livre de cuisine. Il était tellement neuf que le dos craqua quand elle l'ouvrit.

« Je crois que je vais finalement me servir de ce livre sur la cuisine française que miss Lucy m'a acheté. Les Français adorent l'ail, pas vrai ? »

Elle commença à feuilleter le livre.

« Oh. Un chapitre tout entier ! Je vais bien faire mon bonheur. »

Elle regarda le personnel.

« Les gars, je pense que vous aurez besoin de pinces à linge. Ça va bientôt puer, ici. »

L'heure du souper approchait. Van Helsing avait terminé la plupart de ses préparatifs et il était retourné au bureau. Westenra le découvrit en train de parcourir un livre usé dans une langue étrangère. Van Helsing leva les yeux et fit :

« C'est un ouvrage hongrois — historiquement, il y a eu beaucoup d'activités surnaturelles dans cet endroit. J'ai bien peur qu'il soit difficile de différencier les histoires locales et les vraies observations.

- Vous devriez peut-être en écrire un vous-même, suggéra Westenra.

- J'aimerais partager mes connaissances durement acquises mais je n'ai pas le temps pour ça actuellement. Peut-être dans quinze ou vingt ans — si je suis encore en vie. J'ai besoin de me trouver un apprenti ou deux pour continuer mon œuvre si jamais quelque chose m'arrivait. Je vais attentivement observer Lukas pour voir comment il gère la situation. Il pourrait être un candidat potentiel. Mister Westenra, vous devriez peut-être envoyer quelqu'un pour voir ce qui est arrivé à celui qui est allé au marché. Il aurait déjà dû être rentré à cette heure-ci. »


Westenra vérifia l'heure sur sa montre.

« Vous avez raison. Il aurait dû être revenu il y a des heures. Vous ne pensez pas que l'une de ces, euh, choses l'a attaqué ?

- Pas en plein jour. Leurs serviteurs humains peuvent être dangereux de jour mais je doute qu'une telle chose se produise. Après tout je viens seulement d'arriver donc je doute qu'ils soient déjà au courant de ma présence. Tant que cet homme est resté loin de... l'abbaye de Carfax, c'est ça ? »

Westenra acquiesça.

« Ils quittent rarement leur base de départ.

- En tout cas, tout cela est bien intriguant. »


Il sonna un valet.

« Jessup, est-ce que le valet que vous avez envoyé au marché est déjà rentré ?

- J'ai envoyé un garçon d'écurie, monsieur, fit le valet. Tous les valets étaient occupés mais c'est un garçon honnête. Je l'ai vu il n'y a pas longtemps donc il a dû revenir.

- Mais alors où est l'ail ? »

Le valet cligna des yeux.

« Vous vouliez qu'on vous l'amène directement ?

- Oui !

- Monsieur, quand vous envoyez quelqu'un acheter de la nourriture au marché, vous l'envoyez toujours aux cuisines. Je suppose qu'il a dû l'y déposer. »

Westenra soupira.

« Allez le chercher.

- Oui, monsieur. »


Le valet partit.

« J'espère qu'elle n'en a pas déjà trop épluché, fit Van Helsing. Les gousses d'ail sont faciles à suspendre, mais il serait compliqué de clouer des gousses épluchées.

- C'est fort possible. Je n'y ai jamais songé.

- J'ai déjà essayé. Ça glisse. »

Le valet revint accompagné d'une forte femme au visage rouge qui portait un tablier. Lucy, Jonathan et Mina les suivaient et le visage de Lucy en disait long sur l'odeur piquante qui accompagnait la femme. Avant que qui que ce soit n'ait pu parler, elle fit :

« Chef, que diable avez-vous fait ? J'espère que vous n'avez pas l'intention de nous servir ce qui provoque une telle odeur.

- Ne me criez pas dessus, fit aigrement la femme. C'est pas ma faute si votre père voulait un repas à l'ail. »

Elle lança un regard sombre à mister Westenra.

« Monsieur, je pense avoir fait bien plus que ma part de travail aujourd'hui. Si encore vous m'aviez avertie à l'avance, ça ne m'aurait pas dérangée autant mais j'ai fait ce que j'ai pu en si peu de temps. »


Van Helsing grogna.

« Vous n'avez pas tout utilisé ?

- Ce ne fut pas simple. J'ai fait un velouté d'ail pour commencer. Puis des croûtons à l'ail pour la salade, et une mayonnaise à l'ail, qu'ils appellent de l'aïoli. Du poulet fourré avec quarante gousses d'ail. Du rôti à l'ail. Du pain à l'ail et, pour avoir un peu de nourriture normale, de la salade avec des pommes de terre et des oignons... et de l'ail. J'ai refusé de m'en servir pour le dessert.

- Idiote ! »

Tout le monde fixa Van Helsing en sursautant. Jusqu'à présent il s'était montré calme et même placide et ce soudain éclat de véhémence les surprit tous. Cependant cela n'ébranla pas la cuisinière. Dans la longue tradition des cuisiniers anglais — le maître incontesté des cuisines — elle se sentait particulièrement intéressée par la famille qu'elle servait. Elle n'allait pas se laisser intimider par quelques cris.


« Idiot vous-même ! répliqua-t-elle sur le même ton. On ne me parle pas comme ça. Je n'ai fait que mon travail. Si on m'apporte de la nourriture, je la cuisine sauf si on me dit le contraire. De toute façon je ne sais pas ce que vous auriez bien pu faire de toutes ces gousses puantes et grossières.

- Je crois qu'il allait les accrocher au mur, » intervint Lucy.

Cela sembla embrouiller la cuisinière.

« Pff. Les idées de la bourgeoisie. Si vous ne voulez pas manger ce que j'ai fait alors je ne sais pas ce que faire de votre souper. Le révérend Clairidge pourra peut-être donner la nourriture aux démunis. Dieu sait que le personnel n'en voudra pas et je ne peux pas le leur reprocher. Veuillez m'excuser à présent. Si vous voulez autre chose que des œufs brouillés et des toasts pour le souper, il faut que je me remette au travail. »


Westenra congédia les serviteurs puis réprimanda Van Helsing.

« Vraiment, mon vieux, vous ne pouvez pas parler comme ça à une cuisinière. Elle est excellente et les bons cuisiniers sont si rares à trouver. »

Van Helsing ferma les yeux, presque en signe de peine.

« Je m'excuse pour mon comportement.

- Il serait plus logique que vous vous excusiez devant la cuisinière, fit Jonathan.

- En effet. J'y vais de ce pas. »

Il se dirigea vers la porte.

« Je pourrai peut-être sauver un peu d'ail bien que je regrette qu'elle n'en ait pas fait un bouillon pour la soupe. Je suis sûr que cela aurait renforcé son effet. »


Après qu'il soit parti, Jonathan fit :

« J'ai bien peur qu'il nous conseille de garder des gousses d'ail dans nos poches. »

Lucy gloussa.

« Il pourrait répandre la soupe sur les perrons et les bords de fenêtre. »

Mina se joignit à la plaisanterie.

« Nous pourrions peut-être nous tamponner le derrière des oreilles avec un peu d'aïoli, Lucy.

- Je suis sûre qu'après avoir mangé le poulet ou la salade, notre haleine ne repousserait pas seulement les vampires... »

Elle se mit à glousser de nouveau.

« Mais... mais aussi n'importe qui d'autre.

- Lucy, s'il te plaît, fit son père. Vraiment, il faut que tu prennes cela plus au sérieux.

- Oh, mais comment le pourrais-je ? Vraiment, Père. C'est amusant de faire semblant de croire aux fantômes, aux goules et aux créatures aux longues jambes mais ce sont des sornettes pour enfants. Je n'ai pas eu peur du croque-mitaine depuis que j'ai eu dix ans.

- Ce n'était pas utile, Lucy, fit Jonathan.

- Vous croyez au croque-mitaine ?

- Je crois qu'il existe des choses maléfiques sur terre, fit Jonathan. Mais je crois que les gens voient souvent le mal là où il ne se trouve pas et l'ignore là où il se trouve.

- Comme c'est profond. Est-ce que le professeur soupçonne quelqu'un en particulier, Père, ou s'attend-il seulement à ce qu'une horde nomade de vampires s'abatte sur nous ? »


Quincy était entré entre-temps et il fit :

« Il suspecte le comte Dracula et peut-être les autres membres de sa demeure.

- C'est ce qu'il a dit, Lucy, fit Mina. Tu ne t'en souviens pas ? »

Lucy fronça les sourcils.

« Mais je croyais qu'il voulait juste... Je ne sais pas. Je croyais qu'il pensait juste que le comte était la personne la plus probable dans le voisinage. Après tout Jonathan et Quincy les ont déjà vus en plein jour. Cela ne devait-il pas être impossible ? »

Van Helsing revint dans la pièce.

« Normalement, cela devrait être impossible mais ils semblent appartenir à une race différente de Nosferatu, que je n'avais encore jamais vue. »


Quincy émit un son de dégoût.

« Vous n'allez donc pas abandonner cette idée stupide. Il aurait beau venir ici en plein jour, embrasser une croix et s'asperger le visage d'eau bénite, vous vous demanderiez juste comment il aurait fait.

- Je suis désolé d'entendre ça. J'espérais votre aide, mister Morris. Je vois bien que vous êtes un homme capable.

- Oh, je vais aider mais à ma manière. Je ne ferai rien qui me semble mal. »

Ses yeux se plissèrent.

« Et laissez-moi vous dire quelque chose : si jamais vous tentez de faire du mal à quelqu'un que je juge innocent, je VAIS vous arrêter. C'est juste pour que nous soyons bien d'accord. »

Van Helsing inclina la tête comme pour marquer son accord, mais il était clair qu'il n'allait pas se retenir à cause de Quincy.

« Mister Westenra, votre cuisinière vous informe que le souper aura une demi-heure de retard mais il a fallu qu'elle envoie quelqu'un pour tuer un poulet et elle vous fera une fricassée décente.

- Vous comprenez peut-être maintenant pourquoi nous tenons tant à rester dans ses bonnes grâces, » fit Westenra.

Dracula dormait dans son cercueil sur une couche de terre natale. Au château, Sinn et Rill dormaient dans des chambres sans fenêtre mais Dracula dormait dans un cercueil dans les sous-sols. Il semblait tirer sa force de sa terre natale et là-bas, il se sentait plus proche de Nicolae. Maintenant qu'il avait retrouvé Nicolae dans cette vie, il espérait retourner dans ses anciens quartiers. L'idée de passer du temps là-bas avec son amour réincarné lui faisait chaud au cœur pour la première fois depuis des siècles.

Quand il souleva le couvercle de son cercueil, Simion était là à l'attendre. Dracula accepta sa main pour se relever et fit :

« Je suis toujours ravi de te voir, mon vieil ami, mais quand tu m'attends comme ça au réveil, c'est rarement pour m'annoncer de bonnes nouvelles.

- Pas de bonnes nouvelles mais ce n'est pas non plus catastrophique. Un homme qui se prétend chasseur de vampires est arrivé au manoir Westenra.

- Ici, en Angleterre ?

- Apparemment, il n'est pas anglais.

- Allons trouver les autres. Il faut qu'ils soient au courant. »


Ils trouvèrent les deux autres vampires dans le salon du rez-de-chaussée. Sinn regardait Rill jouer avec un chaton noir et blanc. Il l'avait trouvé en train de renifler autour de la porte de la cuisine et au lieu de le manger en en-cas, il l'avait donné au plus jeune vampire. Rill en fut ravi et il avait nourri le chat jusqu'à ce que son petit ventre s'arrondisse et l'animal s'était évidemment attaché à lui.
C'est tout à fait lui, songea Simion avec tendresse. Rill veut un animal de compagnie. Je suppose qu'il va nous accompagner en Transylvanie.


Dracula s'assit et quand l'attention des autres fut sur lui, il leur expliqua la situation.

« Comment s'appelle cet homme, encore ? demanda Sinn.

- Van Helsing, répondit Simion.

- Ce nom me dit quelque chose. Laissez-moi réfléchir. »

Il se tapota le front, sourcils froncés.

« Ah, oui. J'ai lu plusieurs articles où on parlait de lui dans un magasine consacré à l'étrange et au paranormal, il y a un an ou deux. Dracula, je crois qu'il faut le prendre au sérieux. Sa réputation est aussi légitime que quelqu'un comme lui peut espérer. Même ceux qui n'y croient pas comme lui admettent qu'il est très bon dans ce qu'il fait et très consciencieux.

- Tu as survécu dans l'un des environnements les plus politiques qui ait jamais existé, Sinn, et je me fie à ton instinct de survie. Nous n'aurons pas autant de temps ici que je l'aurais espéré. Nous devons nous tenir prêts à partir à tout moment. »


Sinn soupira.

« Et donc je me résigne à perdre une nouvelle partie de ma garde-robe.

- J'ai juste besoin de prendre ma malle et ceci, fit Rill en soulevant le chaton. Je peux le prendre, pas vrai ? »

Dracula sourit avec indulgence.

« Nous verrons si ce sera possible mais tu dois comprendre, Rill, qu'aucun d'entre nous ne doit prendre des risques en partant à sa recherche quand nous devrons nous en aller. Tu dois savoir où il se trouve à tout moment. C'est un mâle ?

- Je ne sais pas. »

Rill regarda sous la queue du chaton.

« Je ne vois rien là-dessous.

- Quand ils sont petits, c'est difficile à dire, fit Simion. Tu revérifieras dans quelques semaines.

- Mais il lui faut bien un nom. »


Son visage s'illumina.

« Je sais ! Je vais l'appeler Domino parce qu'il est noir et blanc. Ça convient à un garçon ou une fille. Maître, pourquoi n'irions-nous pas au manoir Westenra pour voir s'il faut se soucier de cet homme ?

- Rill, soupira Sinn. *Chéri*, tu irais vraiment te jeter dans la gueule du loup ?

- Non, Sinn, fit Dracula. Ce ne serait pas sage de nous terrer ici et d'attendre qu'il fasse le premier pas. Westenra s'est débarrassé de Lukas dès qu'il a vu à quel point cet homme était dérangé. Je doute que ce Van Helsing ait déjà vu une de ses proies potentielles aller à sa rencontre. Avec un peu de chance, il va agir de façon assez outrageante pour se faire renvoyer à son tour. »

Il se leva.

« Je sais que normalement, nous devrions attendre qu'ils nous rendent visite pour retourner les voir ou bien qu'il nous faudrait une invitation. »

Il sourit.

« Mais je ne me sens pas particulièrement l'envie de me montrer socialement correct. »






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