Chapitre 43 : La faveur de la renarde
D'après Hu Xing, la chose devait tuer au moins neuf personnes et là, il y avait déjà eu six victimes.
Et Hu Xing avait également dit que la chose avait probablement jeté son dévolu sur lui. En cet instant, Chi Yan ne pouvait pas nier qu'il avait peur.
Quand il partit jouer au basket ce samedi, Chi Yan prévint Ye Yingzhi à l'avance qu'il ne pourrait pas rentrer pour dîner. Il trouva nonchalamment une excuse et invita un groupe d'amis qui se connaissaient ainsi que ceux qui jouaient au basket avec lui pour manger dans un restaurant de grillades en dehors du portail ouest de la fac après le match.
Hu Xing et son condisciple junior étaient assis à une autre table et observaient discrètement les gens à sa table.
Le condisciple junior était un ami de collège de Lao Yuan. Quand il apprit que l'affaire dans la ville de A n'était pas simple et qu'il était venu prêter main-forte, Hu Xing lui avait ordonné de ne pas agir seul. S'il remarquait quoi que ce soit d'anormal, il devait l'en informer sinon il risquait de ne pas pouvoir aider et de souffrir des mains de ce démon.
À la fin du repas, Chi Yan fit en sorte que tout le monde parte d'abord et il resta pour régler l'addition. Il rejoignit alors Hu Xing et lui demanda :
« Mlle Hu, alors ? Vous avez découvert quelque chose ? »
Quand il posa la question, il n'aurait pas su dire ce qu'il ressentait au fond de lui. D'un côté il espérait que la jeune femme découvre le plus vite possible ce démon sous forme humaine afin que personne d'autre ne soit tué, de l'autre côté il avait peur qu'elle lui révèle vraiment lequel de ses amis était l'esprit maléfique.
Hu Xing secoua la tête.
Chi Yan fut un peu déçu mais également soulagé. Il proposa :
« Mlle Hu, vous pourriez venir à mon cours lundi. Cette chose s'est peut-être mêlée à mes camarades de classe. »
Il était déjà vingt-et-une heures à la fin du repas. Hu Xing s'inquiéta du fait que Chi Yan rentre seul alors elle proposa de le reconduire chez Ye Yingzhi avec son condisciple junior. Après tout, il était plus que certainement la prochaine cible de cette chose.
Chi Yan tenait énormément à la vie. Alors évidemment il ne fit pas de manières et monta dans la voiture de Hu Xing sans discuter.
Ils discutèrent tous les trois dans la voiture. Chi Yan était assis seul à l'arrière et pensa à la petite renarde.
« Mlle Hu, comment va Ah Sheng ? Elle va mieux ?
– Beaucoup mieux, répondit Hu Xing. Elle joue les dures alors qu'elle est très faible et craintive mais elle est aussi très maligne. Quand elle voit des êtres maléfiques qui peuvent lui faire du mal, elle sait les éviter. C'est pour ça qu'elle s'était réfugiée à l'étage, alors elle n'a rien eu de très grave. »
Chi Yan se rappela comment la petite renarde l'avait suivi et s'était cachée à l'étage avec lui, et il songea que c'était bien vrai. Il fit sans réfléchir :
« Mlle Hu, je vois que vous tenez beaucoup à la petite renarde. Vous êtes venue ce jour-là dès que vous avez entendu qu'elle n'allait pas bien.
– En, répondit Hu Xing tout en conduisant la voiture. Sa mère m'a sauvé la vie alors je me dois de prendre bien soin d'elle. »
Sa mère ? C'est aussi une renarde, non ? Chi Yan fut très intrigué en entendant ça, il s'avança même légèrement.
Hu Xing vit que sa curiosité avait été piquée et elle raconta simplement :
« Pour ça, il faut que je te parle aussi de mon enfance.
« Je suis née dans un village relativement arriéré, mes parents préféraient les garçons aux filles. Quand j'avais cinq ans, mon frère de trois ans a été mordu par une belette. Dans les histoires populaires, la belette a toujours été une sorte d'animal plutôt démoniaque. On raconte chez nous qu'un enfant mordu par une belette sera emporté par un immortel, qu'on ne pourra pas le sauver.
« Mais il se trouva que mon maître passait dans les parages par hasard. Il annonça qu'il pouvait sauver la vie de mon frère mais que dans ce cas, ma famille lui devrait un apprenti à qui il transmettrait tout son savoir. Il demanda alors à ce que mon frère le suive pour étudier les arts occultes. Mes parents acceptèrent pour sauver la vie de mon frère mais quand mon maître le guérit vraiment, ils regrettèrent aussitôt. Ils ne voulaient pas laisser partir leur unique fils alors ils me firent venir et m'ordonnèrent de suivre mon maître.
« Mon maître était un vieux magicien errant car ce milieu idéologique était relativement pauvre à l'époque. Mais je trouvais que la vie n'était pas plus dure qu'à la maison, au contraire j'étais plus libre. J'ai suivi mon maître partout et j'ai vu bien des choses. Un jour, quand j'avais vingt-trois ans, je suis allée en montagne pour cueillir des légumes sauvages et j'ai été mordue par un serpent venimeux. Je me suis alors effondrée par terre et je ne pouvais plus bouger. J'avais beau être jeune, je sentais vaguement que cela allait être fatal si je ne faisais rien, cependant je ne voyais pas quoi faire. Ce fut alors qu'une renarde noire apparut. J'ai vu qu'elle était gravement blessée au ventre et qu'elle perdait beaucoup de sang. Elle s'est approchée lentement de moi, s'est agenouillée soudain près de ma blessure puis a mordu la plaie pour sucer le sang empoisonné. Elle s'est ensuite penchée sur ma bouche pour me donner son sang et sa salive. Je ne pouvais pas résister et je sentais qu'elle n'avait pas de mauvaises intentions, comme si elle voulait me sauver. Alors j'ai tout avalé.
« J'ai senti lentement que mon corps redevenait sensible mais la renarde avait disparu. Elle revint après un moment avec un renardeau. Elle le posa sur mon épaule, jappa deux fois à mon intention puis rendit son dernier souffle. Je l'ai enterrée puis j'ai apporté le renardeau à mon maître et lui ai tout raconté. Mon maître a dit que la renarde savait qu'elle ne tarderait pas à mourir suite à sa blessure alors elle m'avait sauvé la vie et m'avait confié son unique enfant. Le sang qu'elle m'avait donné n'était pas du sang ordinaire, ce devait être le sang de son essence. Cette renarde n'était sûrement pas un démon mais elle avait un certain pouvoir spirituel et des compétences. Elle m'avait choisie car elle avait vu que j'étais jeune et pure, que je n'avais jamais rien fait de mal et qu'en plus je pratiquais les arts magiques donc je me souciais de mon karma, voilà pourquoi elle m'avait confié son enfant.
« Ce fut peut-être grâce au sang d'essence de la renarde car depuis, j'ai progressé de plus en plus vite dans les arts magiques, au point où j'ai fini par surpasser mon maître. Je ne portais pas le nom de Hu avant mais en songeant que les parents qui m'avaient donné la vie avaient fini par m'abandonner, mon lien avec eux semblait être rompu. La renarde m'avait sauvé la vie et m'avait donné son sang alors j'ai songé que ce serait mieux de prendre le nom de Hu Hu signifie renard en chinois. (1). J'ai donc changé de nom de famille après ça et j'ai même oublié comment je m'appelais avant. »
Elle raconta tout cela d'un ton léger mais Chi Yan fut fasciné. Il n'aurait jamais cru que Hu Xing avait vécu une chose pareille. Le fait qu'elle puisse en parler franchement comme une anecdote, comme si de rien n'était, cela poussa Chi Yan à l'admirer et à lui faire un peu plus confiance.
L'ami du collège de Lao Yuan était assis à l'avant, côté passager. Il connaissait depuis longtemps l'histoire de sa condisciple aînée. Il ajouta quand elle eut terminé :
« C'est vrai, mon maître et ma condisciple aînée n'ont pas eu la vie facile. Par la suite, au vu du développement économique rapide de notre nation, l'immobilier a connu une forte croissance. Le maître a alors escroqué les gens en se faisant passer pour un grand maître de feng shui. C'est comme ça qu'il a pu mettre de l'argent de côté pour s'installer et envoyer ma condisciple aînée à l'université.
– Ne dis pas n'importe quoi, le gronda Hu Xing. Pourquoi tu parles d'escroquerie ?
– C'est la vérité, protesta l'ami de collège de Lao Yuan. Le maître n'est-il pas un spécialiste pour chasser les démons et exorciser les esprits maléfiques ? Il ne comprend rien à rien au feng shui. »
Hu Xing ne protesta plus, il semblait qu'elle ne trouvait rien à y redire.
L'ancien ami de Lao Yuan se dépêcha de la complimenter :
« Mais ma condisciple aînée est tellement plus compétente que notre maître. On lui demande souvent de régler des affaires difficiles et compliquées que les gens ordinaires seraient incapables de gérer. »
À force de bavarder ainsi, les trois personnes ne sentirent pas que le trajet était trop long. Avant même de s'en rendre compte, ils étaient arrivés chez Ye Yingzhi. Chi Yan sortit son portable et vit qu'il était déjà 22:30.
Hu Xing lui prodigua ses conseils :
« Ne sors pas la nuit. Tâche de rester à l'intérieur avec les portes et les fenêtres fermées. D'après les croyances traditionnelles, chaque maison a sa propre âme. Ce n'est pas facile pour les choses non invitées de faire du mal aux gens dans leur propre demeure. Si la moindre chose bizarre se produit, appelle-moi aussitôt. »
Chi Yan hocha la tête. Hu Xing et son condisciple junior restèrent jusqu'à ce qu'il ait pris ses clefs et ouvert la porte avant de repartir en voiture.
Comme Chi Yan allait rester un moment chez lui, Ye Yingzhi lui avait donné un autre jeu de clefs de la maison deux jours après son premier séjour. Chi Yan fut trop gêné pour les accepter au départ. Puis il se dit que la maison était grande et que ce serait plus pratique d'avoir ses propres clefs. En effet cela éviterait à Ye Yingzhi de devoir descendre lui ouvrir la porte ou bien de devoir l'attendre s'il rentrait tard le soir, comme ce soir-là.
Une fois à l'intérieur, Chi Yan vit de la lumière dans le salon. Ye Yingzhi était assis sur le canapé à l'attendre. En le voyant de retour, Ye Yingzhi ferma le livre qu'il lisait, leva la tête et eut un léger sourire.
« Tu es rentré ? Comment ça se fait que tu rentres si tard ? Comment tu es revenu ? »
Chi Yan n'osait toujours pas lui parler de ces histoires de fantômes alors il expliqua vaguement :
« On a mangé des grillades ensemble, voilà pourquoi on a fini si tard. Lao Yuan et la fille qu'il veut draguer m'ont raccompagné. »
S'il continuait à mentir ainsi, il finirait vraiment par croire que Lao Yuan courait derrière Hu Xing.
En parlant de ça, il ajouta rapidement :
« Yingzhi, j'ai entendu dire que ce n'était pas sûr dehors ces temps-ci. Tu ferais mieux de ne pas sortir la nuit ou de rentrer trop tard. N'ouvre pas la porte comme ça si quelqu'un vient toquer. Même si c'est quelqu'un qu'on connaît, ne lui ouvre pas la porte s'il fait nuit. »
Il songeait que puisque la chose prétendait être humaine et se cachait parmi eux, c'était probablement quelqu'un que Ye Yingzhi et lui connaissaient tous les deux. Ce n'était donc pas impossible que la chose essaie de rentrer pour commettre son méfait en profitant de son identité.
Ye Yingzhi sourit et l'observa pendant que Chi Yan lui disait cela. Ses yeux se plissèrent légèrement et il répondit :
« Je vois, je comprends. Mais toi aussi, ne te laisse pas avoir par les autres. »
Sur ce, il se leva, posa son livre et tendit la main vers Chi Yan.
« Viens, il se fait tard. Allons nous coucher. »
Chi Yan acquiesça et le suivit docilement à l'étage.
Il faisait très sombre cette nuit. C'était un jour nuageux et la lune se cachait tranquillement.
Le clair de lune n'éclairait pas beaucoup. Ye Yingzhi ouvrit silencieusement les yeux dans l'obscurité pour observer la personne endormie à ses côtés. Il le retourna pour le prendre dans ses bras.
Il mordilla gentiment l'oreille de Chi Yan et murmura :
« Petite fripouille... Tu es inquiet pour ton mari... ? »
Il y avait un léger rire dans sa voix, et c'était à la fois envoûtant et enivrant.
Malheureusement personne ne l'entendit.
Chi Yan crut sentir un chatouillement à son oreille dans son rêve et il donna une légère claque sur la mâchoire inférieure de Ye Yingzhi.
Notes du chapitre :
(1) Hu signifie renard en chinois.
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