Ils disent tous que j'ai vu un fantôme 6


À la base, j'avais quitté ma chambre pour demander à mes collègues ce que je devais enseigner le lendemain. Cette école était pleine de gens peu fiables, de la principale à la nettoyeuse de toilettes. Ils ne m'avaient même pas fait signer de contrat et ils m'avaient envoyé en douce mon premier mois de salaire pendant mon sommeil.

Bien entendu, c'était à mon avantage. Sans contrat, je pouvais quitter l'école privée à tout moment, sans pénalité.

Mais en ayant accepté l'avance sur salaire, même si cette école n'était pas fiable, je devais néanmoins mériter ce salaire qu'on m'avait donné. Même si la principale Zhang était du genre négligente, je ne pouvais pas en faire de même.

Tel était le principe quand on était quelqu'un de bien.


« Je voulais vous demander à quel genre d'élèves je vais avoir affaire demain, demandai-je humblement à Liu Shishun. Ils sont là pour des cours niveau lycée, licence, la préparation au Concours de la Fonction Publique ou quoi ? »

Liu Shishun fut un moment surpris. Il remonta ses lunettes sur son nez et répondit :

« Rien de tout ça.

– Hein ? Alors vous enseignez quoi d'habitude ?

– Je leur apprends simplement à être un bon fant—citoyen, répondit Liu Shishun. Franchement, vous pouvez dire ce que vous voulez. Ça ira.

– Et cette école privée arrive à trouver des élèves ? » ne pus-je m'empêcher de commenter.

Était-ce finalement une commercialisation à paliers multiples ? Mais quel genre de commercialisation opérait de la sorte ? On ne pouvait pas créer ainsi d'organisation de ventes.


« Pas tant que ça. Après tout, les gens se font plutôt incinérer ces temps-ci. »

Liu Shishun soupira et fit d'un ton mélancolique :

« Je me souviens que durant la République, il y avait des compagnons partout. On ne se sentait pas seul. Mais depuis la fondation de la République Populaire En 1949 (1), le nombre de compagnons n'a cessé de diminuer. »

Je ne comprenais pas du tout de dont il parlait.


« Professeur Liu, puis-je savoir ce que vous faites ? hasardai-je.

– Oh, j'aime bien écrire des histoires étranges pour me faire un complément de salaire. J'enseigne aussi les dialectes à l'école.

– Oh, un professeur de chinois et un écrivain à temps partiel. »

Je hochai la tête. Pas étonnant que je ne comprenais rien à ses propos. C'était normal pour un écrivain d'avoir des idées farfelues. Je me souvins avoir lu sur le net qu'après la fondation de la République Populaire, certains écrivains avaient été limités dans leur travail. Ce devait être de ça dont parlait le professeur Liu.

« Je ne fais qu'apprendre à lire et parler. Je n'ai rien d'un professeur de chinois, répliqua Liu Shishun. Vous l'ignorez peut-être, professeur Shen, mais les fant— gens d'aujourd'hui sont de pire en pire, à chaque génération. C'est désespérant quand on compare à ce que nous étions avant. Quelques-uns des nouveaux fant— des nouveaux élèves ne savent même pas parler correctement. Cela me désole. Alors je fais de mon mieux à l'institut pour leur apprendre à parler. Prenez Li Yuanyuan, par exemple. Quand elle est venue pour la première fois, elle ne pouvait pas prononcer un mot, alors la principale Zhang a décidé qu'elle vivrait avec moi afin que je lui donne des leçons en plus. Ça s'est arrangé mais elle parle encore un peu lentement. »


Ce fut à ce moment que je compris à quel genre d'étudiants cette école privée avait pour tâche d'enseigner.

C'étaient apparemment des gens en marge de la société, comme M. Scie qui souffrait de troubles mentaux à cause de sa petite taille, ou Li Yuanyuan qui avait des passe-temps bizarres et avait du mal à parler aux autres.

Pour ces gens-là, le plus important était d'acquérir les compétences de base pour s'intégrer dans la société et de recevoir des conseils psychologiques. La plupart des matières d'examen importaient peu en comparaison.

Alors ce n'était pas surprenant que la principale Zhang dise que je pouvais enseigner ce que je voulais. Si elle m'avait engagé, c'était sûrement parce qu'elle appréciait mes compétences dans l'éducation politique et idéologique, et qu'elle espérait que je puisse aider ces élèves à établir une vue correcte du monde.

Pour avoir songé à créer un tel établissement, la principale Zhang devait vraiment avoir bon cœur. De même, le professeur Liu, qui apprenait patiemment à ces élèves à communiquer avec les gens ordinaires, devait être très gentil. Je l'avais vraiment mal jugé.

Quand il m'avait averti de ne pas me mêler de leurs affaires, il devait être inquiet que je ne comprenne pas la gravité de leur situation et que je heurte la sensibilité de ces gens involontairement.


Je saisis la main de Liu Shishun, débordant d'excuse sincère. Je lui fis :

« Je vous ai mal jugé. Professeur Liu, vous êtes un enseignant consciencieux qui se soucie de ses élèves, un modèle pour moi. C'est mon premier travail. J'ai vraiment de la chance de rencontrer un professeur tel que vous. »

Liu Shishun se mit à trembler et fit :

« Si-si vous avez quelque chose à dire, dites-le simplement, ne me touchez pas ! »

Il avait dû avoir peur à l'annonce de mes préférences sexuelles. Le professeur Liu semblait avoir la quarantaine. J'imagine que ce devait être dur pour lui d'accepter que mes préférences sexuelles soient différentes de celles des autres. Ce n'était pas surprenant qu'il craigne le contact physique.


Je lâchai la main du professeur Liu, m'inclinai devant lui et fis d'une voix forte et claire :

« Toutes mes excuses pour mon comportement tout à l'heure. »

Le professeur Liu trembla de nouveau devant mon intonation d'opéra.

Peut-être qu'il était stressé de se retrouver seul avec moi dans ma chambre. Li Yuanyuan avait eu largement le temps de prendre un bain, alors j'ouvris la porte et fis :

« Il est tard. Professeur Liu, vous devriez vous reposer. C'est bon pour votre santé de vous coucher tôt et de vous lever tôt. »

Quand Liu Shishun me vit ouvrir la porte, il sortit de ma chambre en courant si vite que je vis à peine ses jambes bouger.

Cela me peina un peu. Nous étions collègues et aussi colocataires. À cause d'une erreur impulsive, j'avais heurté la délicatesse et la sensibilité du professeur Liu. J'avais vraiment eu tort. Je devais trouver l'occasion de lui serrer la main et de faire la paix un autre jour.


Liu Shishun se rua hors de ma chambre pour foncer droit dans la sienne. Il referma violemment la porte, comme pour m'empêcher de rentrer.

Je comptais aussi aller me coucher, mais j'entendis alors un bruit d'eau en provenance de la salle de bains. Ce n'était pas la douche.

La porte était entrouverte et la lumière éteinte.

J'allumai la lumière du séjour et regardai dans la salle de bain grâce au faible éclairage. Li Yuanyuan était assise à côté des toilettes, les fixant avec ardeur. Sa tête était presque dans la cuvette.

Ah, les gens bizarres avaient leurs propres obsessions bizarres. Pas étonnant que la principale Zhang ait affecté Li Yuanyuan au nettoyage des sanitaires.


J'ouvris la porte de la salle de bains. Par respect des convenances, je n'entrai pas mais restai à la porte et fis :

« Il est tard. Vous devriez aller vous coucher. »

Li Yuanyuan me vit à la porte et recula loin de moi, agrippant ses cheveux.

Elle ne parut pas comprendre ce que je disais. Ses yeux se posèrent fixement sur les toilettes... et la ventouse à côté.

« Vous devriez retourner dans votre chambre et vous coucher, lui conseillai-je aussi gentiment que possible.

– Je veux... dormir ici... »

Li Yuanyuan posa la tête sur la cuvette des WC et ferma paisiblement les yeux.

Je ne parvenais pas à comprendre son obsession des toilettes, mais si elle dormait vraiment là, ce serait compliqué d'aller aux WC la nuit.

« Vous aimez la salle de bain, ou juste les toilettes ? » fis-je en tentant de communiquer avec elle.

Li Yuanyuan réfléchit un moment puis désigna les WC.

« Ça .

– Bon, alors demain, je vous achèterai une cuvette propre et je la mettrai dans votre chambre pour que vous puissiez la regarder tous les soirs avant de vous coucher, d'accord ? »


Li Yuanyuan mit du temps à répondre. Après plus de dix minutes, elle hocha la tête, se leva, me regarda et fit :

« C'est une promesse.

– Oui, c'est promis. Ce sera un cadeau de ma part. »

Je le pensais sincèrement.

« Interdiction de changer d'avis, sinon... » commença-t'elle.

Elle regarda mes bras musclés puis secoua la tête.

« Sinon rien. »

Sur ces mots, elle se leva et quitta la salle de bain dans un mouvement fluide, comme si elle flottait. Elle se rendit dans la chambre occupée précédemment par M. Scie et ferma la porte.

Enfin, elle était partie. Je ressuyai la sueur sur mon front et entrai dans la salle de bain, mal à l'aise. Après m'être lavé les mains, je retournai dans ma chambre pour dormir.


* * *


Je dormis jusqu'au matin. J'ouvris les rideaux et pris un bain de soleil. Je m'étirai ensuite et fis mes exercices sportifs.

Les portes des chambres du professeur Liu et de Li Yuanyuan étaient ouvertes et ils s'étaient absentés. J'avais dormi trop profondément et je ne les avais pas entendus partir. La prochaine fois, il faudrait que je me lève pour leur souhaiter une bonne journée.

Sur le palier, je vis que leurs chambres avaient chacune un lit d'une place et un bureau. Les draps et couvertures étaient blancs, et les deux chambres se ressemblaient quasiment.

La seule différence était que le professeur Liu avait un livre sur son bureau, tandis que Li Yuanyuan avait une perruque courte et décoiffée sur son lit.

Cela collait bien avec leurs personnalités.


J'avais fait une promesse à Li Yuanyuan et je ne reviendrais pas là-dessus. Après le petit-déjeuner, je me rendis dans un magasin spécialisé pour acheter une cuvette de WC qui était exactement la même qu'au 404. Je demandai une facture à la caisse.

Si la brave principale Zhang avait vent de cela plus tard, elle pourrait me rembourser, songeai-je rempli d'espoir.

J'achetai aussi deux luminaires, un pour le séjour et un pour ma chambre.

Quand ils apprirent que les luminaires étaient pour l'appartement 404 de l'unité 4 du numéro 4 du quartier de l'Autre Rive, les installateurs refusèrent tous de venir. L'un d'eux me conseilla même :

« Jeune homme, vous ne pouvez pas vivre là-bas juste parce que le loyer n'est pas cher. Cet endroit est hanté ! J'ai de la famille qui loue l'appartement 403. Ils m'ont dit que la chasse d'eau est tirée toute la nuit et qu'on peut même entendre une tronçonneuse. C'est très effrayant ! »


Il parlait certainement de M. Scie et de Li Yuanyuan. Quand on ne les avait pas rencontrés, comment imaginer la vérité ?

Ce n'étaient que des locataires excentriques, mais la rumeur avait déformé ça en histoire de fantômes. Ça se passait toujours comme ça.

Je ne pouvais rien dire à l'installateur. En voyant qu'il ne voulait vraiment pas venir, je lui demandai comment faire moi-même l'installation.

Il était très gêné et me fit une réduction. Je ne lui en voulus pas de ne pas m'aider.


Après avoir porté la cuvette sur mon épaule jusqu'à l'appartement, je la mis dans la chambre de Li Yuanyuan. C'était la première fois que j'offrais quelque chose à une femme, et c'était des toilettes. C'était trop ridicule.

Suivant les instructions de l'installateur, je n'eus aucun problème pour les luminaires. L'après-midi était bien avancée quand j'eus fini tout cela. Je devais encore réfléchir à ce que j'allais enseigner dans la soirée.

En fait, j'avais déjà deux, trois idées. Puisque la principale Zhang comptait sur moi pour aider ses étudiants à établir une vue correcte du monde, l'approche la plus naturelle était de commencer par la culture des pensées.

Je sortis de mon sac le manuel "Culture Idéologique et Morale pour les Étudiants". C'était un manuel approuvé par le Ministère de l'Éducation Nationale, le plus adapté pour des étudiants qui allaient entrer dans la société et qui pouvait les aider acquérir une bonne moralité. C'était de toute évidence le livre le plus adéquat pour les élèves de l'école privée.

Je passai le reste de l'après-midi à préparer mon cours. Je consultai une introduction qui parlait de la psychologie de groupes particuliers afin de faire les changements nécessaires à mon discours.


J'allai au lit à 20 h et me réveillai à 23h30. J'étais à peine au pied de l'immeuble que le bus scolaire immatriculé 444 s'arrêta aux portes du quartier.

Quand je montai dans le bus, je fus abasourdi. Un siège était peint en vert. Il y avait une note dessus qui disait : "Place du professeur Shen Jianguo, Interdit aux autres passagers." C’était comme une place réservée aux femmes enceintes.

… J'en restai sans voix. Il n'y avait pas d'autres passagers dans le bus, j'étais le seul. Alors pourquoi avais-je droit à un siège spécial ? Les autres sièges étaient tous rouges, seul le mien était vert. C'était vraiment embarrassant.

Le chauffeur me vit debout et fit :

« Asseyez-vous, cette place est spécialement pour vous. »

Que pouvais-je dire ? Cela partait d'un bon sentiment. Je pouvais tolérer qu'on me traite comme une femme enceinte, alors je m'assis.


La parole à l'auteur :

Les relations entre collègues du point de vue du professeur Shen : À la maison, vous comptez sur vos parents. En dehors, vous comptez sur vos amis. Mes colocataires et moi, on est comme une famille.

Les relations entres collègues du point de vue des colocataires : On se serre les coudes devant la fureur de la grosse brute Shen, on fait semblant d'être humains, même dans la mort nous ne sommes pas libres.


Notes du chapitre :
(1) En 1949.






Commentaires :


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Hubrys a écrit le dimanche 04 septembre 2022 à 19:16
Hey !
Merci pour la traduction, elle est incroyable !!! Les chapitre sont hilarants...
Merci encore et bon courage pour la suite !!

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Karura Oh a écrit le jeudi 08 septembre 2022 à 17:48
Merci ! Cette histoire a été mon premier projet et un grand coup de cœur.
La suite est de mieux en mieux !

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