Chapitre Quatre : L’Ordre des Templiers
Sitôt sortis de la Géhenne, Lucius les conduisit au monastère bâti non loin afin de loger les gardiens. Des regards méfiants et des murmures désapprobateurs les suivirent mais Lyrel avait l’habitude. La petite Akemi, elle, serra plus fort sa main. Ils furent emmenés au réfectoire où un moine servit une bonne assiette de soupe avec du pain aux deux anciens prisonniers et une chope de vin chaud pour Lucius, avant de le laisser la marmite sur la table et de les laisser seuls.
« Mange, fit Lucius à Lyrel. Tu ne t’es pas convenablement nourri depuis des semaines et tu es émacié. Il faudra que tu manges léger au début mais tu retrouveras vite l’appétit. »
Cependant Lyrel ne toucha pas à son assiette, contrairement à Akemi qui ne se fit pas prier.
« Qu’est-ce que tu attends de moi ? » demanda le jeune homme.
Lucius croisa les mains sous son menton, les coudes sur la table, et l’observa avec un sourire mystérieux.
« Mange, répéta-t’il. Je te dirai tout une fois que tu auras fini ton assiette. »
Lyrel s’exécuta. La nourriture chaude lui fit plus de bien qu’il ne l’aurait cru et il se retrouva avec une assiette vide avant même de s’en rendre compte. Son air confus fit rire Lucius qui le resservit.
« Tu vois que j’avais raison, commenta-t’il. Fais-moi confiance, je ne veux que ton bien. »
Lyrel entama la seconde assiette avec nettement plus d’enthousiasme. Lucius continua de sourire en le voyant manger puis se lança dans son récit dès que l’autre jeune homme fut assez repu pour l’écouter.
« Le père Joris a envoyé une lettre à l’archevêque juste après ton arrestation, ainsi qu’à mon chapitre puisqu’il a servi sous mes ordres autrefois. Il a expliqué ta situation particulière — ton amnésie — et a bien insisté sur le fait que tu n’avais utilisé tes pouvoirs que pour le protéger ainsi que ta sœur. Il est convaincu que tu peux devenir un fidèle serviteur de l’Église et de Dieu car ton cœur est pur malgré le sombre rituel auquel tu as pris part. Le père Joris est intimement convaincu que ton amnésie t’a en quelque sorte purifié de tes péchés. »
Lyrel sentit une douce chaleur dans sa poitrine.
« Il ne pense pas que je suis un monstre ? s’enquit-il.
– Oh si, il n’y a pas de doute là-dessus, le corrigea l’Archange sans méchanceté. Ne te fais pas d’illusion : tu es un monstre. »
Déçu et peiné, Lyrel baissa la tête. Il ne voulait pas être un monstre, il ne voulait plus faire de mal, il ne voulait pas que sa sœur ait encore peur de lui. Les larmes lui montèrent aux yeux sous le regard acéré de Lucius.
« Tu sais, reprit ce dernier, même les monstres peuvent être utiles à l’œuvre de notre Seigneur.
– C’est vrai ? demanda Lyrel, rempli d’espoir. »
Lucius hocha la tête.
« Tu veux obtenir le pardon et te rendre utile, pas vrai ? » demanda-t’il.
Lyrel acquiesça de tout son cœur, ce qui fit sourire l’autre jeune homme.
« Le père Joris avait raison, murmura-t’il pour lui-même, tu es un véritable enfant. »
Il reprit plus fort :
« Alors c’est décidé, tu vas venir avec moi au Chapitre de l’Ouest. Tu y apprendras tout ce qui te sera nécessaire pour devenir un Templier, le bras armé de Dieu. Si tu en as les capacités comme je le pense, tu pourrais même devenir le quatrième Archange.
– Archange ? répéta Lyrel en butant un peu sur le mot.
– Il nous en manque un. Et cela tombe bien, c’est l’Archange du Feu. Ce rôle t’irait à merveille. Sache cependant que ce ne sera pas facile. Tu devras prouver que tu en es digne, tu comprends ?
– Oui, je comprends. »
Si Lyrel pouvait devenir un Archange et être pardonné, alors sa sœur n’aurait plus peur de lui, le père Joris serait fier et Dame Faye… peut-être qu’elle ne dirait plus qu’il n’était pas son fils.
Lyrel regarda Akemi qui avait la tête posée sur ses bras croisés, écoutant leur conversation sans trop comprendre. Il se tourna de nouveau vers Lucius :
« Et elle ?
– Oh, Akemi ne peut pas venir avec nous : les femmes sont interdites au Chapitre. Elle va retourner au Couvent des Sœurs Voilées. »
À ce nom, le visage de la fillette s’illumina d’un sourire. Lyrel fronça les sourcils en sentant une nuance qui lui échappait. Lucius nota son trouble et haussa un sourcil.
« Voyons, je pensais que tu avais compris, fit-il. Akemi a été envoyée à la Géhenne exprès pour te tester. Cela faisait des jours que je t’observais mais toi, tu n’utilisais pas tes pouvoirs même en présence de personnes hostiles. Alors je me suis dit qu’il te fallait une motivation : comment allais-tu réagir avec une enfant en difficulté ?
– Tu as envoyé une enfant là-bas juste pour me tester ?! s’indigna Lyrel.
– Une enfant ? répéta Lucius en riant. Akemi est un démon. D’ailleurs, quel âge tu lui donnes ? »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Surpris par la question, Lyrel observa la petite fille qui faisait la moitié de sa taille. Il n’avait guère de référence, à part Grisèle.
« Huit ans ? hasarda-t’il. Dix ?
- Vingt ans, révéla Lucius avec un léger rire. Elle est plus âgée que toi. »
Ébahi, Lyrel regarda à nouveau l’enfant. C’était impossible…
« Les démons vieillissent plus lentement que les humains, expliqua Lucius, c’est d’ailleurs un bon moyen de les repérer. Ça et leurs couleurs étranges, comme les cheveux d’Akemi. Elle a été trouvée par un couple de villageois il y a quinze ans. Ils l’ont adoptée mais ont vite remarqué qu’elle ne grandissait pas normalement. Ils l’ont emmenée chez leur prêtre qui l’a examinée et l’a identifiée comme un démon. L’archevêque a alors décidé qu’elle intégrerait l’ordre des Sœurs Voilés qui ont fait vœu de silence et ne montrent jamais leur visage, même entre elles. Un endroit parfait pour cette enfant, où personne ne remarquera jamais son état anormal. D’autres qu’elle n’ont pas eu cette chance. »
Lyrel fronça les sourcils.
« Mais si c’est un démon, il ne faudrait pas…
– Quoi, la jeter au bûcher ? compléta Lucius d’un ton amer. Il y a cinquante ans, l’Église aurait agi ainsi, c’est sûr, et cela arrive encore aux démons que nous ne retrouvons pas à temps. Le Pape a heureusement une vision plus pratique des choses : selon lui, même un démon peut être utile. La preuve, Akemi a servi à te tester car je n’aurais jamais envoyé une vraie petite fille dans la Géhenne. Je ne suis pas cruel à ce point. »
Lyrel se repassa tout ce que le Templier venait de lui dire. Il avait été manipulé mais cela ne le touchait guère.
« Tu voulais voir mes pouvoirs, reprit-il.
– Je voulais te voir en général, rectifia l’Archange blond, voir comment tu te comportais au milieu des prisonniers, si tu allais t’en prendre aux plus faibles, te montrer cruel ou vicieux. Comme rien ne semblait te faire réagir, j’ai cherché un moyen de te pousser à l’action. J’ai ensuite attendu de voir si tu allais t’en prendre à l’enfant ou l’abandonner à son sort. Mais tu as réussi mieux que prévu : malgré tes pouvoirs — le signe évident de ta corruption — tu as conservé une attitude charitable et très humaine. Tu n’as pas faire mentir le père Joris. »
Lyrel prit un air étonné.
« Pourquoi aurait-il menti ?
– Mmm… Disons qu’il était si élogieux à ton égard, si désireux de prendre ta défense que je me suis demandé s’il n’avait pas un faible pour toi.
– Un faible ? demanda Lyrel, son visage exprimant son incompréhension.
– S’il ne te désirait pas. »
Comme Lyrel ne semblait toujours pas comprendre, Lucius prit un air sidéré.
« Attends, tu sais quand même ce que sont les relations charnelles ? Le sexe ? »
Lyrel le fixa avec de grands yeux. L’Archange eut un rire incrédule puis reprit une gorgée de son vin.
« Tu n’as vraiment aucun souvenir, fit-il. Il va falloir te réapprendre tant de choses ! J’espère que tu apprends vite.
– Je ne sais pas, » répondit Lyrel en toute sincérité.
Ce qui fit rire de nouveau l’Archange.
Ils quittèrent les lieux juste après le repas. Un carrosse en fer sombre les attendait, comme celui qui avait transporté Lyrel loin du château de Prost sauf qu’il n’y avait pas de cage derrière cette fois. Une dizaine de Templiers servaient d’escorte à Lucius et ils s’adressèrent très respectueusement à lui. Lyrel ne fut pas mécontent de quitter la Géhenne et il attendait avec impatience d’aller au Chapitre de l’Ouest pour apprendre toutes ces nouvelles choses. Il songea au père Joris avec gratitude : le prêtre ne l’avait pas oublié et croyait en lui. Il ferait tout pour ne pas le décevoir.
Ils déposèrent d’abord Akemi au couvent d’où elle venait. Avant de descendre du carrosse, l’enfant se blottit une dernière fois dans les bras de Lyrel.
« Merci Lilélu, fit-elle. Adieu.
– Adieu Akemi, » répéta-t’il malgré le regard désapprobateur de Lucius.
La fillette descendit et fut accueillie par deux sœurs voilées et silencieuses qui s’inclinèrent en direction de Lucius. Lyrel ne la quitta pas du regard jusqu’à ce qu’elle soit entrée dans le bâtiment imposant, un peu inquiet malgré tout.
« Ne t’occupe plus d’elle, conseilla Lucius. Tu vas avoir d’autres choses à penser. Dis-moi, tu te souviens de la religion ? »
Devant l’air perplexe du jeune homme, l’Archange soupira.
« Bon, voilà qui va nous occuper le temps du voyage. Alors au Commencement… »
Ainsi débuta l’éducation de Lyrel. Lucius lui résuma l’essentiel de la Bible durant les deux jours du trajet pour qu’il ait au moins une base. La nuit, ils campèrent loin de la ville pour plus de discrétion. Aucun membre de l’escorte ne chercha à parler à Lyrel et cela lui convenait très bien. Il pouvait se déplacer dans le campement, bien que sous surveillance. Il ne tenta pas de le quitter sauf pour se soulager — et un templier le suivit à distance. Pendant qu’ils se trouvaient dans le carrosse, Lyrel était concentré sur ce que lui disait Lucius et découvrit la parole de Dieu avec émerveillement. Le principe de rédemption retint particulièrement son attention. Il cherchait là à comprendre sa place en ce monde.
Lucius lui parla ensuite des Templiers, l’ordre combattant de l’Église.
« Tu auras tout le temps d’étudier notre histoire et nos missions, fit l’Archange. Avec tout ce que tu as à apprendre, tu ne vas pas t’ennuyer !
– C’est toi qui vas m’apprendre ? s’enquit Lyrel.
– Moi ? Non, je suis le Maître du Chapitre, j’ai d’autres tâches à accomplir, tu sais. Mais sois certain que je surveillerai tes progrès. Il n'y a qu'en ce qui concerne tes pouvoirs que je me chargerai de ton entraînement. »
Lyrel acquiesça, un peu rassuré. L’Archange prit un air très sérieux pour lui recommander :
« Quand tu seras au Chapitre, tu ne devras jamais parler la langue des démons. C’est un crime capital, tu comprends ? Pareil pour tes pouvoirs, tu ne les utiliseras que quand je t’entraînerai à t’en servir. Les autres Templiers ne doivent rien savoir sur ta vraie nature.
– Pourquoi ? demanda le jeune homme.
– Première leçon : obéis sans poser de question. »
Ainsi rabroué, Lyrel se tut mais la question lui trottait en tête.
L’Archange ne fut pas dupe et ajouta :
« Fais-moi confiance. Si je te dis ça, c’est pour te protéger. Tu as confiance en moi ? »
Lyrel le regarda en réfléchissant à cette question. Il connaissait à peine le jeune homme blond alors pouvait-il se fier à lui ? Ce dernier l’avait quand même trompé avec Akemi… D’un autre côté, le père Joris avait remis le sort de Lyrel entre les mains de l’Archange.
« Oui, répondit-il, je crois… »
Un sourire en demi-teinte se dessina sur les lèvres de Lucius.
« Tu vas apprendre à me connaître, fit-il, et tu te rendras compte que je ne veux que ton bien. »
Lyrel hocha la tête sans rien dire de plus.
Ils arrivèrent au Chapitre le soir du second jour. Les bâtisses faisaient penser à un château fortifié plus qu’à un monastère. Cependant les bannières rouges ornées d’une croix blanche ne laissaient que peu de doute sur la nature de ces lieux. Le carrosse passa sous une porte voûtée et Lyrel put voir des soldats s’entraîner à l’épée dans la cour. Il y avait aussi un entraînement au maniement de l’arbalète et de la hache. Divers bâtiments furent visibles, telles les écuries. Cela ne différait guère du château que Lyrel avait quitté, bien qu’il n’ait pas eu le temps d’en voir grand-chose. Le passage du carrosse attira les regards, et il y eut de l’agitation devant le bâtiment principal où il s’arrêta.
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Lucius adressa un sourire à Lyrel avant de descendre le premier, accueilli par la garde et deux hommes vêtus d’une armure noire légère qui s’inclinèrent devant lui.
« Maître Lucius, j’espère que votre voyage a été fructueux, fit l’un d’eux.
– Grâce à Dieu, oui, sénéchal Karis, répondit l’Archange. J’espère que vous avez fait les arrangements nécessaires pour accueillir notre nouveau novice. »
Lucius fit signe au concerné de descendre à son tour. Un peu nerveusement, le jeune homme obéit et se retrouva scruté par les deux hommes imposants. À côté d’eux Lucius avait l’air faible, pourtant c’était lui qui commandait.
« Il se nomme Lyrel, les informa l’Archange. Il rejoindra les autres novices et sera traité exactement comme eux. »
Le dénommé Karis fronça les sourcils mais ne discuta pas. L’autre homme prit la parole.
« Nous sommes prêts à le recevoir, maître Lucius. Il commencera son noviciat dès demain matin.
– Parfait, frère Dumin. »
Le frère se tourna pour faire signe à une jeune moine qui s’avança.
« Axelin, tu vas conduire le novice Lyrel à sa cellule, ordonna Dunin, pour qu’il endosse les habits des novices. Tu le conduiras ensuite au réfectoire après les vêpres. À toi de l’instruire des horaires de notre monastère.
– Oui, frère Dunin, » fit le moine en hochant la tête.
Sur un signe de Lucius, Lyrel suivit le jeune moine qui se dirigea vers un bâtiment annexe et y entra. Loin des officiels, le moine se détendit et chercha à engager la conversation avec lui :
« Moi, c’est Axelin. Tu t’appelles Lyrel, c’est ça ?
– Oui.
– D’où tu viens ? »
Cette question simple en apparence perturba Lyrel. Il choisit une semi-vérité :
« De Prost.
– C’est pas la porte à côté, commenta Axelin. Et le Maître est allé te chercher exprès ! Tu es spécial ou quoi ? »
Il s’arrêta pour observer Lyrel d’un œil avisé mais fit claquer sa langue lorsqu’il ne lui trouva rien qui soit digne d’intérêt.
Il reprit donc sa visite :
« Tous les novices logent ici dans des cellules individuelles. Tu n’es pas autorisé à garder tes affaires personnelles, il faudra me les remettre. Les vêtements sont fournis par le Chapitre, tu devras donc en prendre soin. Gare à toi si tu les abîmes ! Le frère Drapier est très strict sur le respect du linge et du matériel. »
Lyrel hocha la tête.
« Les cloches indiquent les différents temps de la journée : prières, entraînements, leçons et repas. On est forcément perdu les premiers jours alors suis simplement les autres novices. On est tous habillés en gris, tu ne peux pas nous rater ! »
Devant le flot d’informations et de conseils, Lyrel ne pouvait que hocher la tête. Quand Axelin s’arrêta devant une porte en bois dans un couloir, il se tourna vers lui et lui demanda :
« Des questions ? »
Lyrel secoua la tête.
Cela parut convenir au jeune moine.
« Voici ta cellule, fit-il en ouvrant la porte. Je te laisse le temps de te changer. Moi, je dois filer à la prière avant de me faire punir. Quand les cloches sonneront vêpres, je reviendrai te chercher pour le repas. Ne bouge pas d’ici en attendant, compris ?»
Le jeune homme acquiesça. Axelin ne semblait pas enclin à le forcer à parler. Il remonta le couloir à grands pas, laissant Lyrel découvrir sa cellule. Il entra en hésitant un peu. La pièce était petite avec juste assez de place pour un lit, un coffre et une table. Le lit en bois était surmonté d’un matelas rembourré de paille, d’une couverture élimée mais sans trou et d’un oreiller. Une croix en bois était accrochée au-dessus. La table se trouvait contre le mur près de l’ouverture étroite qui servait de fenêtre avec un volet en bois pour bloquer la lumière.
Le coffre en bois était ouvert dans un coin de la pièce et Lyrel y vit des vêtements. Au-dessus se trouvait une tunique identique à celle d’Axelin : une tunique grise avec un pantalon de la même teinte. Des sandales de cuir brun reposaient au pied du coffre. Lyrel se changea, se débarrassant des vêtements autrefois riches mais qui avaient souffert du temps passés à la Géhenne. Il mit la tunique de novice qui était un peu large et grande pour lui mais il s’en moquait bien. Il ouvrit ensuite le volet et regarda par la fenêtre qui donnait sur la cour qu’il avait quittée. Les chambres des novices se trouvaient au rez-de-chaussée du bâtiment. Il put voir des gens s’affairer dans tous les sens. Chacun semblait savoir où aller et quoi faire. Lyrel les envia. Il s’assit ensuite sur le lit et attendit sagement, sans penser à rien.
Le Chapitre de l’Ouest comptait une centaine de novices, âgés de treize à vingt ans, venus de villes diverses et de milieux variés. Cependant les Templiers n’accordaient aucun privilège au rang : tous les novices étaient par conséquent traités équitablement et seules comptaient les aptitudes. Les jeunes gens recevaient non seulement un entraînement militaire mais aussi une éducation de base qui manquait à nombre d’entre eux : lire, écrire, compter, l’histoire et la géographie, en groupes de niveaux. Ensuite ils pouvaient accéder à des cours supérieurs suivant leurs capacités. D'un côté, l’Église savait prendre soin de ceux qui s’engageait envers Elle.
Lyrel dut commencer à la base car il ne se souvenait vraiment de rien. Même le langage lui était difficile, il ne comprenait que des mots de base. Ses compagnons novices ne se moquaient pas ouvertement de lui — une telle attitude n’était pas tolérée au sein du Chapitre — mais entre eux ils l’appelaient le débile ou l’attardé et ricanaient à son passage. Certains tentèrent également de l’intimider mais ils en firent les frais : Lyrel employait la même méthode qu’à la Géhenne. Soit il les regardait dans les yeux avec un calme déconcertant jusqu’à ce qu’ils renoncent, soit il les repoussait en faisant preuve d’une force impressionnante. Lors d’une altercation plus grave, l’un des novices eut le bras cassé. Le frère Rollin, qui était l’un des superviseur des novices, avait l’habitude de régler ce genre de querelles aussi ne s’embarrassa-t’il pas avec cette histoire : il punit les agresseurs et Lyrel qui furent de corvées latrines pendant deux semaines. Après cela, les novices cessèrent d’ennuyer Lyrel physiquement. Ils ne cherchèrent pas non plus à sympathiser avec lui. De toute façon Lyrel ne s’ouvrait pas aux autres et préférait la solitude et le silence.
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Du côté des armes, Lyrel apprit à manier l’arc et l’épée — plus précisément il réapprit car l’autre Lyrel avait forcément eu une éducation avancée en tant que noble. Mais comme le reste, Lyrel avait oublié tout cela. Malgré tout il fit rapidement des progrès grâce à sa force et sa rapidité innées. Sur ce point, il dépassa aisément le plus avancé des novices voire certains Templiers confirmés. En ce qui concernait la religion, Lyrel écouta sans discuter les leçons de catéchisme, retint les prières et les rituels sacrés et trouva du réconfort dans les paroles de la Bible. Inquiet à l’idée d’être un monstre, il cherchait la rédemption et entendit à nouveau que le Seigneur pouvait pardonner tous les péchés à condition de se repentir sincèrement. Cette notion l’emplit d’espoir. C’était bien ce que lui offrait Lucius : s’il mettait ses pouvoirs au service de Dieu, cela compenserait pour ses crimes passées. Et il ne souhaitait pas mieux qu’on lui pardonne et qu’on l’accepte. Sa piété enchanta les moines instructeurs qui voyaient en lui une très bonne recrue.
Durant le premier mois, Lyrel n’eut pas une fois l’occasion de parler à Lucius. Oh, il entendait les autres mentionner le Maître, les instructeurs parlaient parfois entre eux de tel ou tel déplacement qu’il effectuait, ou bien il l’apercevait aux repas, quoique de très loin. La hiérarchie était plus que stricte et un novice ne valait que peu de chose aux yeux du Maître. Pourtant un soir, juste avant l’office de Complies, un moine intercepta Lyrel sur le chemin de la chapelle.
« Novice Lyrel, suis-moi. »
Le jeune homme obéit sans discuter, comme à son habitude. Le moine le conduisit au terrain d'entraînement, désert à cette heure. Lucius l'y attendait, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon noir tout simple. Sur un signe de l'archange, le moine le salua et les laissa seul. Lyrel observa Lucius sans rien dire, attendant qu'il parle le premier.
L'Archange l'observa en retour, un fin sourire aux lèvres. Il finit par dire :
« Tu es toujours aussi peu bavard. Alors, cela fait un mois que tu es parmi nous. Dis-moi, tu te plais ici ? »
Le visage de Lyrel arbora un air songeur.
« Où d’autre pourrais-je aller ? répondit-il simplement.
– Exact, tu n’as pas trop le choix. Tu peux quand même me dire si tu te plais ici.
– C’est mieux que la Géhenne. »
Il était très sérieux en disant cela mais Lucius éclata de rire.
« Les repas sont mieux, j’imagine. Tu as d’ailleurs bien meilleure mine qu’à notre rencontre. »
Les repas réguliers, bien que simples, et l’activité physique avaient rendu à Lyrel une apparence plus saine. Il avait pris du muscle et avait même grandi un peu.
Les cloches retentirent soudain et Lyrel tourna la tête dans leur direction. Lucius nota son malaise et fit :
« Il y a une problème, Lyrel ?
– C'est l'office. Nous devons y assister. »
L'Archange soupira.
« Je t'en dispense. Nous allons justement profiter du fait que tout le monde soit à l'office pour t'entraîner à utiliser tes pouvoirs. Je ne veux pas de témoins pour le moment. »
Lyrel était partagé entre le fait de manquer une messe et l'envie d'explorer l'usage de ses pouvoirs. Après tout, Lucius n'avait-il pas dit qu'il pourrait obtenir la rédemption en mettant ses pouvoirs au service du Seigneur ? Pour cela, il devait les maîtriser au mieux !
Lucius eut un sourire amusé en voyant le jeune homme hocher la tête avec empressement. Ah, qui pouvait résister à la tentation de pouvoirs hors de la portée de simples mortels ? Voilà pourquoi les hérétiques prenaient des vies innocentes et souillaient leurs âmes. L'ancien Lyrel avait été ainsi. Comment réagirait-il s'il savait que son nouveau lui souhaitait uniquement servir l'Église ?
« Le Seigneur est grand, » songea Lucius.
Il ramena son attention sur le novice en face de lui.
« Montre-moi ce que tu sais faire, » ordonna-t'il.
Lyrel tendit la main en avant et une flamme apparut, dansant au dessus de sa paume. Il savait déjà invoquer son pouvoir à volonté, ce qui était la première étape.
« C'est tout ? » demanda Lucius.
Devant l'air perplexe du jeune homme brun, il précisa :
« Ce pouvoir doit te servir à attaquer les ennemis de notre Seigneur. Sers-toi en ainsi !
– Tu veux que... je t'attaque ?
– Oui, vas-y ! »
Cependant, Lyrel ne bronchait toujours pas.
Un peu agacé, Lucius fit :
« Qu'est-ce qu'il y a ? Je t'ai donné un ordre !
– Je.. je ne veux pas te faire de mal. »
Le jeune homme blond éclata de rire.
« Pour qui tu me prends ? Je suis l'Archange de la Lumière ! Attaque-moi ! »
C'était un peu plus difficile pour Lyrel qui avait toujours agi pour se défendre. Toutefois il fallait se montrer offensif dans un combat alors Lucius ne lui facilita pas la tâche et attendit qu'il se décide. Au bout d'un moment, Lyrel lança le feu dans sa direction.
« Un peu mou, commenta Lucius en déviant la flamme d'un revers de la main. Recommence. »
Après une dizaine d'essais peu satisfaisants, Lucius se décida enfin à l'attaquer dans l'espoir de déclencher une réaction plus féroce. Il s'illumina et projeta sa lumière sur le novice. Le trait doré fut soudain dévié sans que Lyrel ne fasse quoi que ce soit. Lucius fronça les sourcils en se rappelant la Géhenne : là bas aussi, Lyrel n'avait pas semblé affecté par sa lumière mais Lucius n'y avait pas prêté attention sur le coup.
« Comment tu fais ça ? demanda-t'il en s'approchant.
– Fais quoi ? s'étonna Lyrel.
– Tu dévies mes attaques facilement et je n'ai pas l'impression que tu utilises le feu pour ça. »
Lyrel n'en savait pas plus que lui. Lucius se tint à deux pas de lui et invoqua sa lumière, juste pour voir. Il fut soudain projeté en arrière violemment.
« Lucius ! » s'écria Lyrel, paniqué.
L'Archange en avait connu d'autres, il ne perdit même pas l'équilibre. Toutefois il était un peu sonné. Il examina de nouveau Lyrel et perçut comme des fluctuations autour de lui.
« Une protection ? songea-t'il. Ce n'est vraiment pas le feu alors cela voudrait dire qu'il manipulerait aussi... l'air ? »
Il fronça les sourcils. Les autres Archanges, comme lui, ne maniaient qu'un seul élément. Il n'aurait jamais cru que l'on pouvait en manier plus. Cela dit, Lyrel ne semblait pas en avoir conscience contrairement à son pouvoir sur le feu.
« Un mystère à la fois, » se décida l'Archange.
Le plus important était qu'il maîtrise le feu car il leur manquait l'Archange du Feu. Et s'il y avait un autre élément, ce n'était guère important.
« Poursuivons, » déclara Lucius en souriant à l'autre jeune homme.
Ce fut le début d'une nouvelle routine pour Lyrel : un soir sur trois, Lucius l'entraînait à utiliser son pouvoir lors de combats. Lyrel se montra peu à peu plus offensif mais uniquement lorsque Lucius le pressait. Il n'était donc pas encore totalement satisfait de sa nouvelle recrue même s'il savait que Lyrel n'avait pas encore exploité son plein potentiel. Deux autres mois s'écoulèrent ainsi.
Un soir après le repas, le moine habituel vint le héler :
« Novice Lyrel, viens avec moi. »
Un peu perplexe, Lyrel se dit que ce n'était ni le jour ni l'heure de son entraînement avec Lucius. Malgré cela il ne posa aucune question et suivit l'homme. Le moine le conduisit au bâtiment principal où personne ne les questionna sur leur présence, puis il s’arrêta devant une porte en bois. Il toqua et fit signe à Lyrel d’entrer. Le jeune novice découvrit un bureau plus spacieux que sa cellule, où Lucius rédigeait un document à la lueur d’une bougie, la plume glissant sur le papier avec un fin grincement. Ses cheveux blonds mi-longs étaient encore plus lumineux avec cet éclairage et son visage fin avait des reflets dorés par endroit.
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Lyrel s’avança devant le bureau et attendit que l’Archange prenne la parole. Cependant ce dernier avait seulement levé brièvement les yeux de son parchemin avant de se reconcentrer dessus, sans un mot. Lyrel ne manifesta aucune impatience et attendit simplement. Au bout d’un long moment, Lucius posa sa plume et leva la tête pour lui adresser un sourire.
« Quelle patience, le félicita-t’il. Bravo ! »
Comme Lyrel ne disait rien, il soupira.
« Quand te montreras-tu un peu plus loquace ? Bon, assieds-toi, » fit-il en désignant une chaise en face.
Lyrel prit place. Lucius prit ensuite un autre document.
« Après trois mois, tes instructeurs d’armes sont élogieux à ton égard, lut-il. En ce qui concerne tes enseignements théoriques, c’est très différent. Ils n’oseront jamais le dire mais je pense que tes instructeurs te prennent pour un idiot.
– Tu ne leur as rien dit sur moi, » fit soudain le jeune homme.
L’Archange blond leva les yeux et eut un sourire connaisseur.
« En effet, je te l’avais dit : personne n’est au courant pour le rituel et ton amnésie. Cela te pose un problème ?
– C’est un mensonge, non ? »
L’Archange se radossa contre sa chaise avec un léger rire.
« Tu appliques bien les cours de religion, m’en voilà ravi. Mais dis-toi qu’il y a une énorme différence entre la théorie et la pratique.
– C’est-à-dire ? »
Lucius l’observa un moment avant de répondre :
« Si le monde était parfait, nous n’aurions pas besoin de mentir. Si cela peut te rassurer, sache que je me suis confessé de ce péché nécessaire.
– Et moi, je dois me confesser ? s’inquiéta le jeune homme.
– C’est mon péché, pas le tien. »
Lyrel hocha la tête, convaincu et tranquillisé. Lucius reprit son analyse :
« Sinon, je suis content de voir que tu t’es adapté à la vie au Chapitre. Là où je suis un peu déçu, c’est que tu te contentes de suivre les instructions sans montrer la moindre initiative, alors que je sens que tu as ça en toi. C'est comme lors de nos entraînements. Les instructeurs trouvent donc que tu feras un bon soldat docile sauf que j’ai de plus grands projets pour toi. Alors il serait peut-être temps de te révéler, non ? »
Lyrel prit un air confus.
« Je ne comprends pas, avoua-t’il. Tu m’as pourtant dit que la première règle était d’obéir sans discuter. »
Lucius l’observa un moment, interloqué, puis se mit à rire de nouveau.
« D’accord, au temps pour moi. Il va falloir que je fasse attention à ce que je te dis ! Sache que cette règle n’est valable pour moi : c’est à moi que tu dois obéir sans discuter, compris ?
– Donc je ne dois pas obéir aux instructeurs ? »
Avec un autre, Lucius aurait pu croire qu’il faisait semblant de ne pas comprendre pour se moquer de lui. Comme il s’agissait de Lyrel, il fit preuve d’une grande patience.
« Non, je n’ai pas dit ça non plus. Tu dois leur obéir mais tu as le droit de discuter, d’argumenter, de remettre en question. Si tu n’es pas d’accord avec eux, exprime-toi, défends ton opinion ! Agis comme un preneur de décisions, pas comme un suiveur ! Montre ce que tu as en toi ! »
Suite à ce discours qui se voulait inspirant, Lyrel ne put que fixer Lucius de ses grands yeux verts. Ce dernier comprit que ce ne serait pas évident pour le novice de s’affirmer.
« Pourtant, soupira-t’il, je sais que tu as du potentiel. Il faut seulement que tu trouves le moyen d’y accéder. »
Cela ne semblait pas perturber Lyrel outre-mesure.
L’Archange passa à un autre sujet.
« Demain, tu partiras avec moi. »
Il attendit, attendit, mais Lyrel ne posa aucune question. Lucius soupira.
« Tu ne veux pas savoir pourquoi ?
– Tu m’as dit de t’obéir sans discuter, » répondit le jeune homme.
Vraiment, il ne pouvait pas se plaindre que Lyrel n’était pas attentif à ses paroles.
« Tu as le droit de me poser des questions, rectifia-t’il. Ça aussi, c’est de l’initiative. »
Lyrel acquiesça mais ne dit toujours rien de plus. L’Archange finit par renoncer et expliqua :
« Si je veux que tu viennes avec moi, c’est parce que je dois rencontrer les deux autres Archanges, Marius et Gaïus, et que je tiens à te présenter à eux.
– Les deux autres Archanges ? s’anima soudain Lyrel. Ils sont comme nous ? »
Cela lui valut un regard spéculateur.
« Que veux-tu dire par "comme nous" ?
– Ils ont des pouvoirs ?
– Oui, sauf que mes frères et moi n’avons pas eu nos pouvoirs de la même façon que toi. »
Comme Lyrel ne semblait pas comprendre, il précisa :
« Nous n’avons pas fait de rituel satanique. Nos pouvoirs sont avec nous depuis notre naissance. »
Lyrel pâlit légèrement et baissa la tête.
« Oh, alors je ne vois pas pourquoi tu veux que je les rencontre, » fit-il d’une voix faible.
L’Archange soupira. Il avait oublié que Lyrel était très sensible sur le sujet de la cérémonie diabolique à laquelle il avait participé, surtout qu’il n’en avait aucun souvenir.
« Il est tellement désireux de se faire accepter, de passer inaperçu, songea-t’il. C’est du potentiel gâché. »
Quelle qu’ait été la raison pour laquelle l’ancien Lyrel avait voulu acquérir ces pouvoirs, c’était devenu inutile avec la perte de ses souvenirs et son changement radical de personnalité
Lucius se leva et contourna le bureau pour s’approcher du jeune novice. Il posa une main sur son épaule.
« Écoute, l’origine de tes pouvoirs n’a plus d’importance, fit-il d’un ton rassurant. Ce qui compte, c’est que tu les mettes au service de notre Seigneur et de l’Église. En cela tu seras comme nous, compris ? »
Ces simples mots suffirent à redonner de l’espoir à Lyrel qui se redressa et acquiesça. Lucius l’observa attentivement.
« Ainsi, même les âmes purifiées peuvent être torturées, » songea-t’il.
Cela le rassurait quelque peu. Il caressa les cheveux châtain coupés court comme le voulait la règle pour les novices. Lyrel prit un air surpris car c’était là le premier geste d’affection que l’on avait envers lui. Il leva un regard complexe vers Lucius qui suspendit son geste.
« Tu peux disposer, lui fit-il. Nous partirons à l’aube demain. »
Le jeune homme acquiesça et quitta le bureau. Lucius fixa sa main et la referma en un poing, la mine sombre.
Note de Karura : Je tiens à préciser que je ne suis pas plus croyante qu'une autre. L'opinion de l'Église que j'exprime ici est celle de Lyrel. Après s'être fait rejeter de sa famille, il cherche une place en ce monde et l'Église semble lui fournir ça (pour le moment).
Quel est votre avis sur Lucius à présent ? 😊
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