Chapitre Quatorze : Dans la demeure du seigneur Kawaru
Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
L'aube venait de se lever lorsque le Second Prince se présenta aux portes de la demeure. Pour un noble mineur, le seigneur Kawaru possédait tout de même un beau terrain et sa demeure se composait de trois bâtiments, le principal faisant trois étages, et des écuries. Cependant, la garde n'était pas très pointilleuse et il fallut un moment pour que les soldats se rendent compte que quelqu'un attendait aux portes. En voyant le Second Prince, les hommes blêmirent aussitôt et se hâtèrent de lui ouvrir en se confondant en plates excuses.
« C'est bon, les rassura l'adolescent, je n'ai pas attendu très longtemps.
– Nous sommes impardonnables, votre Altesse ! Nous sommes prêts à payer cette offense de nos vies !
– Gardez vos vies ! » fit-il avec fermeté.
Les soldats se prosternèrent devant lui de plus belle, tapant le sol de leur front et louant sa magnanimité. Haruni roula des yeux, certain que son oncle devait bien rigoler en voyant cette scène depuis la forêt. Ils avaient convenu de voir d'abord quel serait l'accueil, ensuite Hakurō pénétrerait dans la demeure pour explorer et chercher des preuves. Un servant vint annoncer que le seigneur Kawaru était honoré de la visite de son Altesse et qu'il l'invitait pour le petit-déjeuner. Personne ne mentionna le fait que Haruni venait à l'improviste et qui plus est au petit jour. Hakurō ne s'était pas trompé sur cette histoire de privilèges. C'était bon à savoir, sauf que Haruni n'avait aucunement l'intention d'en abuser. Toutefois, en cas d'urgence…
Haruni fut conduit dans le bâtiment principal, puis dans la salle de repas. Il fut invité à s'asseoir à une table où on lui servit du thé. Peu de temps après, le seigneur Kawaru entra et se prosterna.
« Votre Altesse, votre présence honore mon humble demeure !
– Mmm. Je vous en prie, seigneur Kawaru, relevez-vous. »
Le seigneur était très âgé et eut besoin de l'aide d'un servant pour se redresser. Il avait le visage ridé et les cheveux gris. Ses yeux noisette semblaient voilés.
« Je suis désolé de me présenter si tôt, » s'excusa tout de même Haruni.
Kawaru en fut confondu et eut un rire embarrassé.
« Allons ce n'est pas un problème. Quand vous aurez mon âge, votre Altesse, vous vous apercevrez que vous avez besoin de moins en moins de sommeil. J'étais donc déjà réveillé. »
Les manières du vieil homme semblaient sincères et il n'avait montré aucune nervosité particulière en le voyant. Soit il était un excellent acteur, soit il était complètement innocent. Haruni pencha instinctivement pour la seconde option.
Les servants déposèrent des plats variés sur les tables basses et les deux nobles s'installèrent.
« Ah, j'ai eu vent du malheur qui vous est arrivé, votre Altesse. Quelle tragédie, vraiment ! »
En temps normal, Haruni aurait répliqué d'un ton railleur : “Précisez le malheur auquel vous faites référence, puisque j'en ai connus beaucoup !” Mais là, il ne chercha pas à mettre en cause la pudeur inhérente à la culture de l'Empire de l'Aube.
« En effet, des jeunes gens ont perdu leur vie inutilement.
– Je plains leurs parents de tout mon cœur. Un père ne devrait jamais avoir à enterrer son fils ! »
Haruni acquiesça.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Peu avant la fin du repas, un homme fit son entrée un peu précipitamment. Ses vêtements riches trahirent son identité bien avant que le seigneur Kawaru ne s'adresse à lui d'un ton ravi :
« Mitōkoro, salue son Altesse qui nous fait l'honneur de sa présence !
– Votre Altesse, fit l'homme en se prosternant dans un mouvement souple et dans le bruissement du riche tissu, je me nomme Mitōkoro, fils aîné du seigneur Kawaru. Votre présence honore notre humble demeure.
– Relevez-vous, seigneur Mitōkoro, » fit Haruni en l'examinant attentivement.
Cet homme avait environ la centaine, des cheveux violets et des yeux bleus. De taille moyenne, il y avait une carrure presque militaire. Bien que son père soit encore vivant, il était clair que c'était lui qui gérait leur domaine.
« Je n'ai pas été prévenu tout de suite de votre arrivée, s'excusa Mitōkoro, sinon je vous aurais accueilli plus tôt. Je suis navré que seul mon père vous ait tenu compagnie.
– Ce n'est rien. Le seigneur Kawaru a été de très bonne compagnie. »
Le concerné eut un sourire amusé.
« Vous êtes bien aimable envers le vieillard que je suis, votre Altesse. Vous êtes vraiment un charmant jeune homme, très différent de ce qui se dit sur vous…
– Père ! s'écria son fils, horrifié. Miro, raccompagne mon père dans ses quartiers, il a besoin de repos. »
Le servant s'exécuta et conduisit le vieux seigneur hors de la pièce, ce dernier marmonnant de faibles protestations. Mitōkoro ne savait plus où se mettre.
« Veuillez l'excuser, votre Altesse. Il est fort âgé et son esprit divague parfois.
– Ne vous en faites pas. »
Pas complètement tranquillisé, le seigneur ordonna aux servants de débarrasser les tables et de leur servir du thé.
« Votre Altesse, bien que votre présence nous honore, puis-je vous demander ce qui vous amène dans notre humble demeure ? »
Haruni eut un sourire : Mitōkoro posait tout de suite les bonnes questions, contrairement à son père.
« Je me promenais non loin dans la forêt et comme l'aube venait de se lever, j'ai songé à m'arrêter chez vous pour profiter un peu de votre hospitalité. J'espère que vous ne m'en voulez pas.
– Bien sûr que non, votre Altesse, vous êtes le bienvenu à tout moment ! »
Ce n'était pas non plus comme si Mitōkoro pouvait répondre autre chose. Il plissa toutefois le front et reprit :
« Cependant si je puis me permettre, Kurojū est à plusieurs heures de cheval, alors… vous avez chevauché de nuit ?
– Je n'arrivais pas à dormir, » répondit simplement Haruni.
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L'explication était tout sauf satisfaisante et on voyait clairement que Mitōkoro se retenait de le signaler. Cependant, le rang du Second Prince lui autorisait tout, alors de quel droit un simple seigneur se permettrait-il de lui demander des précisions ? Ce n'étaient pas ses affaires et il ne pouvait rien y faire non plus. Mitōkoro s'inclina donc et proposa :
« Vous êtes sûrement fatigué à présent, votre Altesse. Je peux vous faire préparer une chambre, si vous le souhaitez. »
C'était justement ce que Haruni attendait.
« J'accepte avec plaisir, seigneur Mitōkoro.
– Je vais donner les ordres tout de suite ! »
L'homme s'enfuit presque de la pièce. Haruni eut un léger sourire. Il avait réussi à entrer dans les lieux. Il lui fallait encore en rencontrer tous les occupants pour se faire son opinion sur eux et avec un peu de chance, démasquer le coupable.
Un servant le conduisit à la chambre préparée à son intention. La pièce était spacieuse et meublée richement, quoique pas de façon excessive.
« Votre Altesse, fit humblement le servant, je suis à votre disposition. Désirez-vous que je vous aide à vous dévêtir ?
– Non, ça ira, » assura l'adolescent.
Il ne laissait même pas ses propres servants l'habiller et le déshabiller au quotidien, seulement lorsqu'il devait porter des tenues officielles et complexes.
« Dans ce cas, j'attendrai à la porte. Appelez-moi en cas de besoin ! »
Haruni remercia le servant qui alla s'installer dans le couloir. L'adolescent posa sa cape sur un coffre à vêtements et réfléchit à la suite des événements.
Il entendit soudain toquer et ça venait des portes qui donnaient sur l'extérieur. Il se trouvait pourtant à l'étage. Il fit coulisser prudemment le panneau et vit le visage souriant de son oncle. Il se mit sur le côté pour vite le laisser entrer avant que quelqu'un ne le voie.
« Il y a un servant juste devant la porte, lui signala-t'il dans un murmure.
– Je sais, j'ai entendu votre conversation, répondit Hakurō sur le même ton. Va lui demander de t'apporter une collation.
– Mais je viens de prendre un repas avec le seigneur Kawaru.
– C'est pour moi. Je ne veux pas rater l'occasion de goûter à nouveau à la délicieuse cuisine de ma patrie ! »
Dit ainsi, Haruni ne pouvait pas refuser. Cependant, il savait qu'à Kagejū, les vampires arrivaient à se procurer et à cuisiner pratiquement les mêmes plats que dans l'Empire de l'Aube. C'était peut-être une question d'ambiance, alors…
« Ils vont s'imaginer que je suis un goinfre, protesta tout de même Haruni.
– Mais non, tu es en pleine croissance. À ton âge, je prenais quatre à six repas par jour !
– Tu n'es pourtant pas si grand que ça, répliqua l'adolescent.
– Morveux, va ! On verra quelle taille tu feras plus tard ! »
Sans répliquer, Haruni se rendit à la porte pour donner ses instructions au servant. Ce dernier ne discuta pas et se rendit vite aux cuisines. Haruni se tourna vers son oncle et devina :
« C'était un prétexte pour qu'il s'en aille et qu'on explore les lieux ?
– Non, j'ai vraiment envie de manger. »
Le Second Prince lui lança un regard exaspéré. Hakurō secoua la tête en souriant.
« Explorer ne servirait à rien. Tu crois qu'ils gardent des vampires ici ? Ou qu'ils ont leurs plans écrits quelque part ? Ou que tu vas surprendre une conversation importante ?
– … Tu as lu trop d'histoires, soupira l'adolescent. Je demanderai quand même une visite après le repas.
– Si ça t'amuse. »
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Haruni se demanda si son oncle voulait vraiment l'aider ou bien si son intention n'était pas de l'empêcher d'enquêter afin de le protéger. De toute façon, le servant revint trente minutes après avec plusieurs plats, donc Haruni avait bien fait de ne pas quitter sa chambre. Hakurō se cacha derrière les portes du balcon pendant que le servant préparait la table basse et il revint aussitôt après son départ. Ses yeux rouges s'illuminèrent devant les plats et il prit place avec un plaisir évident. Pendant qu'il se régalait, Haruni se servit du thé à côté de lui.
« Dis donc, tu vas bientôt avoir quarante-trois ans, non ? fit Hakurō entre deux bouchées.
– Oui, pourquoi ?
– Tu rentres dans le plus bel âge ! Profites-en bien, mon garçon, c'est moi qui te le dis !
– Le plus bel âge, ce sera ma majorité, décréta Haruni. C'est horrible de se faire traiter comme un enfant.
– Mais non, mais non ! La période de cour est le meilleur moment ! Ah, tu as déjà quelqu'un en vue ? Beau garçon comme tu es, je suis certain que tu as du succès auprès des jeunes hommes ! »
Haruni faillit éclater de rire. Il se retint au dernier moment car ça alerterait le servant dans le couloir.
« Tu as tout faux, rétorqua-t'il. En plus, je préfère les pêches ! »
Ce fut au tour de Hakurō de se retenir de rire. Visiblement, il eut énormément de difficulté.
« Pêche, toi ? Ne me fais pas rire, tu es cerise, sans hésiter ! »
Cela lui valut un regard mauvais de la part de son neveu.
« Je sais quand même mieux que toi ce que je préfère !
– Pas sûr, d'autant que j'ai toujours eu un don pour savoir ce genre de choses.
– Mmph, alors tu savais que ton petit frère était pêche ? le titilla-t'il.
– Oh oui, assez tôt. Kikuni Nom d'enfant de Tegami. (1) a eu besoin de quelques cours pour le confirmer, cependant.
– Pour ma part, je n'ai pas l'intention d'accepter une seule cour !
– On verra, on verra. »
Le ton connaisseur de son oncle l'agaça.
« C'est tout vu ! » répliqua-t'il fermement.
Hakurō le fixa sans rien dire, un petit sourire aux lèvres. Haruni se sentit obligé de préciser :
« Mon père est même en train de me chercher une fiancée.
– Ça ne veut rien dire : tout le monde a une fiancée. Fonder une famille n'empêche pas de goûter aux cerises. »
En matière de fidélité conjugale, les nobles avaient vraiment une conception bien commode pour eux !
« En plus, tu accepteras vraiment de te marier ou bien tu as dit ça juste pour avoir la paix ?
– Je… »
Honnêtement, c'était la seconde option. Hakurō le devina à son expression embarrassée et il eut un léger rire.
« Fais-toi une raison, petit. Quand tu trouves le bon partenaire, ta vie n'est plus la même. »
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Haruni roula des yeux et répliqua :
« On peut en dire autant d'une épouse.
– Ce n'est pas pareil. Une épouse n'est pas une partenaire, elle ne peut pas t'accompagner dans toutes tes activités. Tu sais ce qu'on dit : l'amour véritable n'existe qu'entre deux hommes. »
Haruni se pinça les lèvres.
« C'est ce qui se dit dans l'Empire de l'Aube. Chez les Vites…
– Ils vivent moins longtemps que nous et leurs âmes sont moins puissantes. Tu ne crois pas que c'est lié au fait qu'ils négligent leur cœur ? L'équilibre des trois énergies est primordiale.
– Hé bien, mon cœur ne me porte pas vers les cerises. »
Voyant qu'il ne convaincrait pas son neveu, le vampire n'insista pas. Il était cependant sûr de son avis sur l'adolescent.
« Il ouvrira certainement les yeux en voyant les nombreuses demandes de cour qu'on lui fera, » se dit-il.
Après tout, aucun jeune homme ne pouvait résister à autant d'attention.
En fin de matinée, le servant vint prévenir Haruni que le repas allait être servi. Afin de ne pas faire mauvaise impression, Haruni se laissa coiffer plus soigneusement, tout en refusant bijoux et maquillage — il ne fallait pas non plus exagérer ! Le repas se déroula dans une grande salle qui abritait certainement les événements importants. Mitōkoro cherchait vraiment à impressionner son royal invité. D'ailleurs, toute la famille résidant sur place était présente. Ce fut l'occasion pour Haruni de les connaître. Il y avait d'abord les deux enfants de Mitōkoro : Chisaki, une fille de quarante-six ans, et Chitomo, un enfant de trente ans. Dame Namide, leur mère, présenta sa fille richement vêtue et fit son éloge.
« Ma fille n'a que quatre ans de plus que vous, votre Altesse, » précisa-t'elle.
Haruni hocha poliment la tête sans comprendre en quoi cette information était importante.
Les deux sœurs de Mitōkoro furent ensuite présentées : Hidona et Hitami, respectivement quatre-vingt ans et soixante-treize ans. Si Hidona avait les mêmes cheveux violets que son frère, Hitami les avait rose, mais une teinte plus foncée que ceux de l'Impératrice.
« Ma sœur Hitami va bientôt épouser le Fieur Korutō de la province de Chōko, précisa fièrement Mitōkoro.
– Mes félicitations, dame Hitami, fit poliment le Second Prince.
– Merci, votre Altesse, » répondit cette dernière en rougissant légèrement.
L'autre sœur, Hidona, se renfrogna mais ne dit rien. Les présentations étant faites, les convives prirent place. De par son rang, Haruni était à côté de Mitōkoro. Étrangement, Chisaki se trouvait en face de lui.
« Seigneur Mitōkoro, votre père ne se joint pas à nous ? s'enquit Haruni en ne voyant pas le vieil homme.
– Mon père est âgé, votre Altesse, il n'a plus sa vigueur d'autrefois. Il prend en général ses repas dans sa chambre.
– Ah, pourtant il m'a paru en forme ce matin.
– Oui, il est plein d'énergie aux premières heures du jour mais ensuite, cela va en déclinant. »
L'adolescent acquiesça, comprenant.
« Ainsi va la vie, » fit Mitōkoro d'un ton philosophe.
Alors que les deux enfants durent aller à leurs leçons, la conversation finit par porter sur la récente tragédie.
« Quand je pense que c'est arrivé pas très loin d'ici, soupira Mitōkoro. Sait-on au moins d'où venaient ces Abominations ? Il faudrait peut-être fouiller la forêt de Saki pour s'assurer qu'il n'y en a pas d'autres ! »
Le fait qu'il parlait le premier de ce sujet ne le disculpait pas pour autant aux yeux de Haruni. Ce pouvait être une tentative de diversion.
« L'enquête est en cours, fit-il simplement.
– Je souhaite que l'on découvre vite l'ignoble individu qui a fait ça et qu'il soit puni en conséquence ! Tous ces pauvres jeunes hommes morts…
– Le seigneur Bimara a mentionné que votre frère avait souvent joué avec le Fieur Shitaro quand ils étaient plus jeunes. »
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Mitōkoro prit un air surpris.
« Le seigneur Bimara ? Ah oui, c'était il y a des années. Mahide et Shitaro n'ont que… n'avaient que dix ans de différence. Mahide est à la caserne de Tomida, il doit être profondément peiné de la mort du Fieur Shitaro.
– Vos familles sont donc proches ? »
Le seigneur réfléchit un moment.
« Ma mère et la sienne étaient cousines. Le seigneur Bimara nous a rendu quelques fois visite avec sa famille, mais c'est tout. Surtout depuis qu'il fait partie du Conseil de sa Majesté, nous n'évoluons plus dans le même monde. Je suis honoré qu'il se souvienne encore de nous. »
Le lien de parenté, même lointain, expliquait sûrement que Bimara les avait défendus devant le Conseil. Il ne voulait pas qu'un scandale remonte jusqu'à lui, ou bien il était tout simplement loyal envers sa famille.
« Votre Altesse, intervint la sœur cadette, Hitami, je n'arrive plus à dormir depuis que j'ai appris que des Abominations se trouvaient tout près ! Vous croyez qu'il y en a encore qui rôdent dans les parages ?
– Dans le groupe qui nous a attaqués, tous sont morts, assura Haruni.
– Vous en avez tués ? s'ébahit la jeune femme en écarquillant ses yeux bleus. C'est si brave de votre part !
– C'était plus une question de survie que de bravoure, répondit l'adolescent.
– Comment est-ce qu'on tue une Abomination ? demanda Mitōkoro, intéressé malgré son dégoût.
– En lui coupant la tête.
– Comment étiez-vous sûr que cela fonctionnerait, votre Altesse ? » intervint Hidona.
C'était la première fois qu'elle parlait depuis les présentations et elle s'était faite discrète jusque là.
Haruni se tourna vers elle et répondit avec naturel :
« Je ne connais aucune créature qui puisse survivre sans sa tête. »
La femme eut un sourire ironique.
« J'en informerai nos soldats, fit le seigneur. Il vaut mieux qu'ils soient préparés au cas où ces Abominations réapparaîtraient. »
C'était de nouveau une réaction normale pour quelqu'un d'innocent. Haruni gardait cependant ses doutes. Comme le repas était achevé, il annonça son intention de repartir. Ses hôtes l'accompagnèrent dans la cour.
« Je vous remercie encore pour votre hospitalité, seigneur Mitōkoro, malgré mon arrivée subite, fit Haruni.
– Je vous en prie, votre Altesse, vous serez toujours le bienvenu chez nous !
– N'hésitez pas à revenir, renchérit son épouse en souriant. Notre Chisaki sera ravie de vous tenir compagnie ! »
Haruni prit un air perplexe : pourquoi mentionnait-elle encore sa fille alors qu'ils ne s'étaient pas adressés le moindre mot ? Cependant, il la remercia poliment. Un servant lui présenta son cheval, qui avait été également nourri, et il monta dessus avant de quitter les lieux.
Dans la forêt, son oncle le rejoignit très vite.
« Alors, tu en as appris davantage après ton petit séjour chez eux ?
– Au moins, je les connais à présent et j'ai pu me faire une première impression, rétorqua l'adolescent. Tu as pu fouiller les lieux pendant le repas ?
– C'est difficile en plein jour. En tout cas, je n'ai rien trouvé de suspect. »
Haruni acquiesça, peu surpris.
« Je me doute bien qu'ils ne gardent pas leurs expériences si près de chez eux.
– Alors on fait quoi à présent ?
– On va aller au village de Maka.
– Tu as dit que les villageois ne pouvaient pas être derrière tout ça.
– Ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas quelque chose à voir avec notre faiseur de vampire. »
Perplexe, Hakurō le suivit.
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Au bout d'un moment, ils entendirent des cavaliers venir d'en face. Haruni fronça les sourcils et conduisit son cheval hors de la route forestière. L'animal se montra rétif, pas du tout disposé à quitter une belle route pavée pour des buissons et des branches basses, mais l'adolescent était plus borné que lui. Ils se cachèrent juste à temps avant le passage d'une cinquantaine d'hommes. Sans surprise, Haruni reconnut Kenryū en tête et il soupira : sa disparition avait due être découverte et l'Empereur avait sûrement envoyé le général à sa poursuite.
« Je sens qu'il va encore m'en vouloir, soupira-t'il. Sauf que cette fois, il n'a pas à aller très loin ! »
La dernière fois en effet, Kenryū avait dû faire la route jusqu'à Madare… deux fois. Cela n'avait pas aidé à le rendre bien disposé envers le Second Prince !
Une fois les cavaliers au loin, Haruni remonta sur la route. Hakurō réapparut à ses côtés, l'air réprobateur.
« Et après, tu te plains que Kenryū ne te fasse pas confiance.
– Je ne me plains de rien, rectifia l'adolescent. Il n'est pas question que je rentre tout de suite au palais, c'est tout.
– Tu songes un peu à l'inquiétude de ton père ?
– Les Dieux lui ont sûrement dit que j'allais bien. »
Hakurō secoua la tête en soupirant : son neveu pouvait se montrer tellement insensible. Il n'était pourtant pas comme ça à Kagejū ! Il faisait peut-être sa crise d'adolescence…
« Et toi, ça va ? demanda soudain Haruni en le fixant attentivement.
– Moi ? Pourquoi ça n'irait pas ?
– Tu viens de voir le général Kenryū, c'est… c'est bien lui l'homme que tu aimais et qui t'a rejeté ? »
Le vampire en resta sans voix. Une crise d'adolescence, un garçon insensible ? Foutaises, son neveu était au contraire très attentionné !
« En fait, je l'ai déjà revu il y a deux jours, lui apprit-il alors qu'ils se remettaient en route. Ça va, je… Ça fait longtemps que je suis en paix avec cette histoire.
– Mmm, tu continues pourtant à lui envoyer des missives anonymes.
– Hé bien… Seulement si j'ai une information capitale. Ce n'est pas comme si nous entretenions une correspondance régulière.
– Tu sais qu'il parle encore de toi comme de son prince ? »
Cela fit sourire un peu le vampire, quoique tristement.
« C'est parce qu'il m'a juré allégeance. Même si je suis mort, il continue à protéger les miens car c'était mon premier ordre. Le clan Inugami est comme ça, la loyauté à tout jamais ! »
Ces paroles ramenèrent de mauvais souvenirs chez Haruni : la pathétique tentative de Seiryū de lui imposer son serment d'allégeance le mettait en colère à chaque fois qu'il y repensait.
« Ce n'est pas que ça, reprit-il. Au Tournoi Impérial, j'ai utilisé ta bonne secrète à un moment et il l'a tout de suite reconnue. Après, il a tenté plusieurs fois de savoir qui m'avait enseigné le sabre.
– Ah, ça fait longtemps que nous n'avons pas fait de duel, d'ailleurs. C'est l'occasion ! »
L'adolescent prit un air réticent.
« Hum, je suis loin d'être aussi bon qu'avant, alors il ne vaut mieux pas.
– Quel a été ton classement au tournoi ?
– Premier de ma catégorie. »
Hakurō le fixa avec stupéfaction.
« Et tu dis que tu n'es pas bon ?
– Attends, c'était la catégorie des enfants ! J'ai ensuite perdu contre le Firal Seiryū !
– Kikuchi tient de son père, c'est sûr ! » se réjouit Hakurō.
Quelque chose le frappa soudain.
« Une minute, tu as dit “le Firal Seiryū”… Vous n'êtes pas amis ?
– Non, » répondit simplement Haruni en serrant les dents à cette idée.
Heureusement, Seiryū avait arrêté les demandes d'amitié depuis un moment mais malheureusement, il y avait à présent ce stupide serment d'allégeance à régler. Ça devenait vraiment énervant à force !
« Mon neveu et le fils de Kenryū ne sont pas amis, répéta tristement le vampire.
– Tomuki est ami avec lui, fit l'adolescent pour le consoler.
– Alors pourquoi pas toi ?
– On ne s'entend pas, » lâcha Haruni entre ses dents.
Hakurō se gratta la joue, perplexe.
« C'est étrange pourtant : quand je suis sorti du portail, il était avec toi.
– On s'est retrouvé ensemble par la force des choses, je n'avais pas le choix.
– Et il te serrait dans ses bras.
– Quoi ? N'importe quoi ! » s'écria Haruni, offusqué.
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Il était certain que son oncle se moquait encore de lui, comme à son habitude. Hakurō était pourtant totalement sincère.
« J'ai l'impression qu'il cherchait à te protéger de son corps. C'est-y pas mignon !
– Je ne me souviens pas, répliqua Haruni d'un ton pincé. J'étais concentré sur le portail.
– En tout cas, ça veut dire qu'il tient à toi.
– C'est plutôt parce que son devoir est de protéger la famille impériale, rectifia l'adolescent. Si mon frère avait été là, le Firal Seiryū l'aurait protégé en priorité.
– Mmm, » fit Hakurō d'un ton connaisseur.
Haruni renifla. Tout ça était ridicule. Seiryū ne voyait en lui qu'un Hikari indigne de confiance et prêt à tout pour s'emparer du pouvoir. La seule raison pour laquelle il cherchait à se rapprocher de lui, c'était pour mieux l'espionner et connaître ses intentions, rien de plus !
« Par contre, se dit-il soudain, je ne m'attendais pas à ce que Kenryū arrive ici si tôt. Ils auraient dû découvrir ma disparition seulement dans la matinée… »
Il ne pouvait pas deviner ce qui s'était passé au palais durant la nuit.
Tomuki rêvait de nouveau de ce jour funeste. Il galopait, ses amis autour de lui. Derrière eux, on entendait des hurlements et des bruits de combat.
« Attendez ! lança-t'il à ses compagnons. Haruni est resté là-bas… et Seiryū aussi ! On doit retourner les aider !
– Désolé, Tomuki, fit Manoru qui était en selle derrière lui. Ta sécurité passe avant tout !
– Mais c'est mon frère !
– Désolé, » répéta le jeune homme en serrant les dents.
Hébété, le Premier Prince ne put que se laisser emporter de plus en plus loin de son petit frère qui était resté pour le protéger. Les larmes lui montèrent aux yeux. Pourquoi était-il si faible ? Pourquoi était-ce toujours à Haruni de se mettre en danger pour lui ?
Un grognement sur le côté attira leur attention et une Abomination jaillit des buissons pour se jeter sur le cheval de Hamoto. La bête et le cavalier chutèrent, gênant le passage des autres.
« Hamoto ! » s'écria Shitaro en brandissant son sabre.
D'autres Abominations apparurent, les encerclant. Tout le monde dégaina son sabre et les plus proches de Tomuki l'entourèrent pour le défendre. Ils n'en eurent pas le temps : les Abominations se jetèrent voracement sur eux, ignorant les blessures que les jeunes gens parvinrent à leur infliger. Bientôt, le sentier fut rempli de cris et de bruits de… mastication. Tomuki porta une main à sa bouche, horrifié. Manoru jura et fixa les vampires autour d'eux. Ces monstres semblaient vouloir se garder le meilleur pour la fin… Tentant le tout pour le tout, le jeune homme lança leur monture au galop, mais le cheval fut effrayé par l'odeur du sang et il se cabra, faisant tomber ses deux cavaliers. Manoru eut le réflexe d'amortir la chute du Premier Prince. Cela dit, vu le sort horrible qui les attendait, il aurait sans doute mieux valu qu'ils se rompent le cou tout de suite.
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Les vampires se ruèrent sur eux pour les entraîner dans une fissure toute proche. Dans l'obscurité, Manoru serra Tomuki de toutes ses forces, refusant d'être séparé de lui.
« Pardon, pardon ! » ne cessait-il de répéter.
Le Premier Prince hurlait de terreur. Manoru se mit à hurler à son tour en sentant les morsures tout le long de son corps. Malgré tout, il continua de tenir son ami le plus fort possible, déterminé à le protéger jusqu'au bout. Soudain, les grondements et les halètements disparurent. Les deux jeunes gens ne s'en rendirent pas compte tout de suite. Tomuki ne réagit que lorsqu'il n'entendit plus Manoru crier. Il se tut à son tour et tenta de voir dans les ténèbres.
« Manoru, » appela-t'il timidement.
Il le sentait contre lui, tout comme il sentait quelque chose d'humide et de poisseux. Paniqué, il secoua son ami.
« Manoru, Manoru ! » répéta-t'il avec une terreur grandissante.
Il ne se demanda même pas pourquoi les vampires avaient cessé de les attaquer. Une image apparut subitement dans son esprit : son petit frère était tout proche, dans la même situation dangereuse que lui.
« Haruni… » appela-t'il en sanglotant.
Une autre image fugace le terrorisa au plus profond de son être : les yeux rouges d'un vampire couverts par des mèches noires, la silhouette d'un homme qui lui fit aussitôt penser à leur père. Tomuki hurla de nouveau avant de sombrer dans l'inconscience…
Il se réveilla en hurlant. Ses servants étaient déjà autour de lui, alertés par les gémissements dans son sommeil agité.
« Maître, maître, ce n'est qu'un cauchemar ! assura Kudō, les larmes aux yeux. Vous êtes en sécurité, vous êtes à Kurojū ! »
Encore dans ses mauvais souvenirs, Tomuki le repoussa et se recroquevilla dans son lit en tremblant. Il lui fallut longtemps pour se reprendre et comprendre où il se trouvait : dans ses quartiers, loin des Abominations. Cependant, la terreur l'habitait toujours.
« Je veux mon frère, » murmura-t'il faiblement.
Il n'y avait qu'en présence de Haruni qu'il se sentait en sécurité. Ses servants échangèrent des regards embêtés.
« Maître, il fait encore nuit. Votre frère dort, vous n'allez pas le déranger, voyons.
– Je veux mon frère ! » répéta-t'il plus fort, la voix entrecoupée de sanglots.
Kudō se voyait mal déranger le Second Prince au beau milieu de la nuit, cependant ce dernier avait bien accepté la présence de son frère deux nuits plus tôt. Et puis, son maître était si malheureux !
« Je vais chez son Altesse de ce pas ! » assura-t'il.
Les servants du Second Prince furent des plus surpris de son arrivée et hésitèrent à aller réveiller leur maître. Kudō s'inclina devant eux, malgré le fait qu'il était de plus haut rang.
« Mon maître est en détresse. Je vous en supplie ! »
Haka savait que son maître ne leur en tiendrait pas rigueur puisqu'il s'agissait de son grand frère. Il se rendit donc près dans la chambre du Second Prince et s'agenouilla à distance du lit. Il appela doucement :
« Maître ? Le servant du Premier Prince est là, votre frère demande à vous voir. C'est très important ! »
Le renflement sous les couvertures ne bougea pas, ce qui surprit énormément le servant. D'habitude, leur maître se réveillait à la moindre présence dans la pièce, même dans un sommeil profond. Bien embêté, Haka l'appela un peu plus fort, sans résultat. Au supplice, il se décida à tendre la main pour retirer les couvertures.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Il se redressa en poussant un cri, ce qui alerta ses collègues.
« Haka, que se passe-t'il ? s'enquit Doko en entrant à son tour.
– Le… le maître… il n'est pas là !
– Quoi ? Qu'est-ce que tu… »
L'autre homme s'approcha du lit et vit le paquet de vêtements sous les couvertures, destiné à faire croire que quelqu'un dormait là. Les deux servants échangèrent des regards atterrés. C'était déjà arrivé dix-huit ans plus tôt lorsque le Second Prince avait fugué jusqu'à Madare.
« Que… que faisons-nous ? demanda Doko au bord du désespoir.
– Je ne pense pas que notre maître reviendra au matin, fit amèrement Haka. En plus, nous ne pouvons pas renvoyer le servant du Premier Prince comme ça. »
Il poussa un lourd soupir.
« Nous devons alerter la garde impériale. »
Voilà comment Kenryū fut tiré de son sommeil au beau milieu de la nuit et se présenta devant Tegami qui était partagé entre la rage et l'inquiétude.
« Comment a-t'il osé… ?!
– Tu as une ide d'où il a pu aller ? »
En lui-même, le général se voyait déjà chevaucher vers Madare… encore et encore. Tegami eut un lourd soupir avant de répondre :
« Le domaine du seigneur Kawaru.
– Hein ?!
– Haruni est venu me voir cet après-midi, il voulait mener l'enquête de son côté. J'ai refusé, alors du coup… »
Vu le caractère insolent du Second Prince, il n'en avait fait qu'à sa tête.
« Je vais te le ramener, Tegami. Compte sur moi, » assura Kenryū.
Avec le drame récent, le fait que son fils soit parti en pleine nuit vers la zone dangereuse ne pouvait que terrifier l'Empereur. Non seulement Kenryū allait le retrouver et le ramener manu militari mais en plus, il allait sévèrement le sermonner sur le respect dû à son père. Ce sale gosse ne devait plus jamais se permettre ce genre de comportement !
Notes du chapitre :
(1) Nom d'enfant de Tegami.
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