Chapitre Six : Installation
Il fallut bien trouver une place à Lyrel tout en le gardant sous surveillance. Il fut donc décidé que le jeune homme serait logé avec les gardes. Les vampires choisis pour occuper cette fonction étaient en général anciens et savaient se contrôler. Ainsi même en présence du jeune homme à la nature indéterminée, ils ne furent pas pris de l'envie de boire son sang. Plutôt que de ne rien faire, Lyrel demanda à être intégré aux corvées. Naturellement les gardes l'acceptèrent également dans leurs entraînements et les patrouilles. Il eut droit à de nouveaux vêtements et tiqua un peu en voyant les habits typiques des démons : plusieurs couches de tuniques diverses, les premières fines et sans décoration, les deux dernières plus épaisses et ornées de motifs divers. Il n'avait rien d'autre à porter car la tenue dans laquelle il était venue avait souffert du combat contre les vampires puis de son séjour en prison. Il dut donc se résigner à porter ces vêtements étranges mais diminua le nombre de couches à deux. Il ne fallait pas non plus exagérer. De toute manière, les couches inférieures ne se voyaient pas alors personne ne remarquerait la différence !
Les soldats ne partageaient pas l'animosité de Shijetsū à son égard et ils conversaient volontiers avec lui dans la langue humaine, intrigués par son accent. Ils traitèrent Lyrel comme une nouvelle recrue même si parfois certains s'attardaient sur ses yeux à la couleur normale et non rouges comme ceux des vampires. Pour les entraînements aux armes, Lyrel se débrouilla bien avec l'arc car il avait déjà l'habitude de l'arbalète des chasseurs. Pour le sabre, l'arme typique des démons, il eut plus de mal car il persistait à le manier comme une épée normale à double tranchant. Selon les soldats, "la manière dont il agitait le sabre donnerait à un aveugle l'occasion de bénir sa cécité". Ils lui montrèrent donc patiemment les mouvements de base qu'il pratiqua, faute d'avoir mieux à faire. Les soldats étaient des gens simples et directs et Lyrel finit par apprécier leur franche camaraderie. Il pouvait presque en oublier qu'ils n'étaient pas de la même espèce.
Le fait de participer aux patrouilles dans le palais permettait également à Lyrel de repérer les lieux et d'en comprendre le fonctionnement, tout cela dans le but d'une évasion éventuelle. Il était toujours bon de connaître son ennemi. Il apprit qu'une fois les nouveaux vampires avaient retrouvé leurs esprits, ils reprenaient leur ancienne profession afin de participer à la vie du palais : servant, soldat, cuisinier, couturier, artisan, paysan, etc. Cela permettait une quasi-autarcie du palais. Il y avait des champs plus bas et la forêt autour offrait un grand terrain de chasse. En effet les vampires mangeaient des aliments ordinaires, ce qui avait surpris Lyrel.
« En faisant ça, on a moins besoin d'sang, » avait expliqué un des soldats.
Certes la viande était crue mais les légumes étaient cuits. Cela permit à Lyrel de manger correctement et il eut même l'autorisation de cuire sa propre viande, même si les soldats autour de lui se plaignirent du gâchis.
La nuit sur les remparts, durant les gardes, les soldats évoquaient souvent leur pays avec une nostalgie tangible autour d'un feu. L'un d'eux sortait parfois une petite flûte en bois et une douce mélopée s'envolait dans l'air pur, créant une ambiance mélancolique. D'autres chantaient à voix basse des airs de leur pays, tout ce qui leur manquait et qu'ils ne reverraient plus jamais. Lyrel avait appris que c'était tabou de devenir vampire chez les démons. C'était là une déchéance innommable et impardonnable. Cela expliquait sans doute pourquoi les diables ne se manifestaient plus depuis qu'il se trouvait à Kagejū.
« Pourquoi l'avoir fait alors ? avait-il demandé une fois d'un ton dénué de jugement.
– Quand on meurt avec trop d'regret, c'est là qu'on devient un vampire, répondit un soldat. Ou bien par haine, c'est s'lon. »
Chacun avait ses propres raisons d'être devenu un vampire mais tous reconnaissaient que sans le seigneur Hakurō, ils auraient fini encore plus bas.
« Y nous a r'donné not'honneur. On f'ra tout pour lui. »
L'honneur semblait être un concept essentiel pour les démons. En tout cas leur dévotion absolue était bien rare en ce monde.
D'autres soirs l'ambiance était plus joyeuse. Une fois la conversation porta sur les insultes dans les deux langues.
« Je ne connais presque pas d'insultes dans votre langue, fit Lyrel. Apprenez-moi en quelques unes.
– Qu'est-c'que tu connais ? demanda un des soldats en riant.
– Abomination et aussi dégénéré. »
Il avait entendu les Diables employer ces mots et à défaut d'en comprendre le sens, il avait senti que ce n'était pas des mots gentils. Effectivement cela provoqua un silence gêné chez les vampires jusqu'à ce que l'un d'eux se décide à dire :
« Ben... c'est pas vraiment des insultes qu'on utilise comme ça.
– Ah bon ? Ça veut dire quoi alors ?
– Abomination, c'est un' chose qui doit pas être, un peu comme... nous. Dégénéré, c'est quelqu'un qui s'en prend aux piots. Y a pas pire.
– Je vois. Bon, alors je ne connais absolument aucune insulte dans votre langue. »
La bonne humeur revint peu à peu et Lyrel compléta son vocabulaire de mots intéressants.
« Je vois qu'on se cultive, » fit tout à coup une voix derrière eux.
Cette voix surgie de nulle part déclencha la panique chez les soldats. Ils se mirent à genoux, levant le poing droit dans la paume de la main gauche, et baissèrent la tête.
« Seigneur Hakurō ! » firent-ils en chœur.
Le vampire les observa avec un sourire amusé puis son regard tomba sur Lyrel qui était resté adossé contre les remparts et lui rendait son regard sans sourciller. L'un des soldats à côté lui donnait des coups de coude dans la jambe pour lui faire comprendre qu'il devait les imiter, cependant Lyrel s'y refusait. Il ne devait aucun respect à ce vampire qui le gardait ici pour une simple méprise.
« Bonsoir Hakurō, » répondit-il simplement par provocation.
Les soldats manquèrent de s'étouffer devant son audace. Malgré ça, le seigneur des vampires prit cela comme une bonne plaisanterie.
« Tu as fait des progrès dans notre langue, Lyrel. Tant mieux. Demain tu m'accompagneras au village de Pérate. Tu verras comment nous protégeons nos Vites.
– Très bien. »
Il pouvait désormais presque comprendre quand on lui parlait dans la langue des démons, surtout grâce à son excellente mémoire. Toutefois les soldats continuaient de parler dans la langue humaine avec lui surtout pour lui expliquer des choses. Hakurō lui lança un dernier regard amusé avant de se détourner, ses longs cheveux noirs se confondant avec l'obscurité.
Une fois qu'il eut disparu, les soldats se relevèrent et poussèrent des soupirs de soulagement.
« T'as fait vœu d'mourir ou quoi ? fit l'un d'eux à Lyrel. L'seigneur Hakurō est très important ! T'peux pas lui parler comme à nous aut' ! »
Les démons attachaient une énorme importance au respect et aux rangs. Lyrel haussa les épaules avec insouciance.
« Ça n'a pas eu l'air de le déranger, nota-t'il.
– L'seigneur Hakurō est très patient. Si l'seigneur Shijetsū t'avait entendu lui parler comme ça, t'aurais plus d'tête à l'heure qu'il est !
– Shijetsū veut me couper la tête depuis qu'on s'est battu, répliqua Lyrel. Quoi que je fasse, il ne m'appréciera pas. »
Les soldats échangèrent des regards effarés devant une telle désinvolture.
Le lendemain, Lyrel se mit en route avec Hakurō et une escorte de dix vampires, dont trois nouveaux. Shijetsū ne faisait pas partie du voyage. Lyrel fut surpris de voir qu'ils allaient se déplacer à pieds et non à cheval. Hakurō sourit quand il lui posa la question.
« Les chevaux ne sont pas à l'aise avec nous, ils sentent qu'ils sont nos proies. De toute façon nous sommes plus rapides que des chevaux alors on n'en a pas besoin. »
Un peu dubitatif, Lyrel lui suivit quand ils se mirent à courir. Il s'était déjà rendu compte avec les Loups qu'il était plus rapide que les autres mais avait mis cela sur le compte de sa plus grande taille. Là, il réalisa qu'il pouvait vraiment tenir le rythme des vampires. Taquin, Hakurō lui proposa de faire la course. Toutefois Lyrel fut incapable de le rattraper. Ce fut comme si le vampire filait comme le vent. Lyrel en fut essoufflé et dut s'arrêter un moment sous le regard curieux ces autres vampires. En effet un vampire n'avait plus besoin de respirer sauf pour parler, alors ce genre de réaction physique ne se voyait plus chez eux. Hakurō commenta simplement :
« Tu te crois encore vivant. Quand tu auras compris ton état, ça ira mieux et tu pourras faire comme nous. »
Lyrel lui lança un regard noir mais n'avait pas encore assez de souffle pour répliquer et ça, ce n'était certainement pas son imagination.
Ils firent une autre halte car l'un des jeunes vampires quitta le groupe pour courir derrière un cerf qu'il avait aperçu. Deux soldats se lancèrent à sa poursuite tandis que les autres gardaient un œil sur les autres nouveaux. Hakurō, lui, guettait plutôt la réaction de Lyrel.
« Toujours pas envie de sang ? » s'enquit-il.
Lyrel secoua la tête.
« Je ne suis pas un vampire, » répéta-t'il pour la millième fois.
Hakurō rit parce que vu de l'extérieur, Lyrel avait tout d'un vampire : la langue, la rapidité, la force... Il ne manquait que la soif de sang mais ce n'était certainement qu'une question de temps. C'était en tout cas distrayant de voir l'autre homme nier l'évidence. Pendant ce temps le nouveau vampire fut rattrapé avant qu'il ne s'en prenne à l'animal. Même s'ils avaient le droit de boire du sang animal, ce devait être de manière contrôlée et pas comme un prédateur qui partait en chasse. Les règles étaient très strictes à ce sujet, c'était ce qui faisait la différence entre eux et les autres Abominations.
Après une heure de route, ils arrivèrent à Pérate qui se trouvait à cinquante kilomètres du palais. C'était un village niché dans une vallée avec des pâturages autours. Les habitants allaient à leur occupations usuelles et l'arrivée des vampires à l'entrée du village ne provoqua aucun cri de panique, seulement des exclamations de surprise puis de bienvenue.
« Y sont là, allez prév'nir Damark ! » fit un des habitants.
Les autres reprirent leur allées et venues, cependant ils contournèrent le groupe de vampires. Malgré cela, ils s'inclinaient respectueusement devant eux avant de s'éloigner. Les nouveaux vampires eurent bien du mal à se contenir devant ce sang humain facilement accessible et en si grande quantité. Lyrel les observa tandis qu'ils se figeaient, le souffle court, les yeux rouges écarquillés et les poings se serrant et se desserrant. Ils se léchaient les lèvres de manière presque inconsciente et l'un d'eux grondait doucement. Ils paraissaient à deux doigts de sauter sur les humains et de faire un bon festin. Heureusement que les autres vampires les tenaient à l'œil, prêts à les immobiliser s'ils tentaient quoi que ce soit. Soulagé, Lyrel se retourna et constata que les yeux rouges de Hakurō étaient fixés sur lui, l'observant comme lui-même avait surveillé les nouveaux vampires. Lyrel lui rendit franchement son regard en haussant un sourcil comme pour dire : « Tu vois ? Je ne suis pas un vampire ! »
Un homme d'un certain âge se dirigea devant eux et s'inclina bien bas devant Hakurō. Ce devait être le chef du village.
« Seigneur Hakurō ! fit-il en écorchant le nom. C't'un honneur d'vous recevoir !
– Merci Damark, répondit Hakurō dans le patois des montagnards. On vient vérifier l'cimetière et aussi patrouiller dans l'coin. Tout va bien ?
– Yep, assura l'homme en se relevant. J'vous amène au cimetière.
– Un'seconde. »
Avec un sourire, Hakurō se tourna vers Lyrel et repassa dans la langue des démons :
« Lyrel, si tu veux, tu peux discuter avec ce Vite de notre protection.
– Tu es sûr ? s'enquit Lyrel, un peu décontenancé.
– Je n'ai rien à cacher. »
Lyrel accepta, quoique perplexe. Hakurō ramena son attention sur Damark.
« Y a trois n'veaux avec nous. Et çui-là, fit-il en désignant Lyrel, l'a des trucs à t'demander alors occupe-toi bien d'lui. C'est-y d'accord ?
– Yep, fit Damark en hochant vigoureusement la tête. C't'un honneur, seigneur Hakurō. »
Le chef des vampires tapota l'épaule de Lyrel puis partit avec quelques vampires en direction de l'église dont on apercevait le clocher, avec le cimetière attenant. Lyrel suivit Darmark et le reste des vampires dans une grande demeure au centre du village.
« Bienv'nue chez moi, fit Damark avec un grand sourire. Vous trouv'rez c'qu'y vous faut dans c'te pièce. Et vous, ajouta-t'il à l'adresse de Lyrel, v'nez avec moi. »
Un peu dérouté, Lyrel suivit le chef du village dans ce qui s'avéra être un salon. Il invita Lyrel à s'asseoir sur une chaise e prit place en face.
« Z avez pas encore bu, constata-t'il en remarquant les yeux clairs du jeune homme. Voulez...
– Je ne suis pas un vampire, le coupa Lyrel. Je suis un Templier et je viens voir si vous avez besoin d'aide pour lutter contre ces vampires. N'ayez pas peur de parler librement, je ne suis pas avec eux. »
Le chef du village ne cilla même pas.
« Oh, y sont réglo, assura-t'il. Y nous protègent contre les aut' vampires, les féroces.
– Leur protection a bien un prix, non ?
– Rien n'est gratis en c'monde, philosopha l'homme en haussant les épaules.
– Qu'est-ce qu'ils exigent de vous en échange précisément ? »
Damark se gratta le menton.
« Mmm, des bêtes, de la nourriture, d'linge. Y viennent vérifier nos morts et on doit l'signaler si un vampire s'pointe.
– Le signaler comment ?
– Y nous ont donné d'sortes d'tubes. On allume, on pointe vers le ciel et y a d'la lumière qui en sort. C'est bizarre mais ça marche. »
Lyrel fut intrigué par ce système de signal lumineux. Cela ressemblait à ce qu'il faisait avec ses frères sauf que les Archanges se servaient de leurs pouvoirs. Il songea à demander plus tard à Hakurō de lui montrer un de ces tubes lumineux.
En attendant, il nota un oubli important dans les explications du chef du village.
« Et le sang ? insista-t'il. Ils vous demandent bien du sang humain ?
– Yep, faut bien. Mais y butent pas. Y lèchent le sang d'volontaires. »
Le visage de Lyrel s'assombrit. C'était précisément ce qu'il s'était imaginé.
« Des volontaires ou des désignés d'office ? insinua-t'il.
– Y a qu'des volontaires ici, répondit Darmark sans hésitation. Ça faisait un peu bizarre au début mais d'puis l'temps, on sait qu'ces vampires nous f'ront pas d'mal. Y a pas de problème. »
Lyrel en doutait toujours un peu mais en repensant à la réaction des villageois en voyant les vampires arriver, cela semblait cohérent. Un léger sentiment de malaise l'envahit : ces vampires, censés être des monstres, se comportaient non seulement de façon humaine mais même encore mieux que des humains. Ils étaient loyaux entre eux et protégeaient correctement les villageois. Il devenait donc impossible de les qualifier de monstres et cela troubla profondément le jeune homme.
Darmark se frotta soudain les mains.
« D'ailleurs, puisqu'on en parle, pour vot'premier sang, j'vous propose ma fille. Mara ! » appela-t'il.
Lyrel secoua aussitôt la tête.
« Non, je vous l'ai dit, je ne suis pas un vampire.
– Ah, z avez ces goûts-là, comprit Darmark. Alors j'ai aussi un fils plutôt beau gars, comme son vieux. Éthal ! appela-t'il de nouveau.
– Darmak, vos enfants ne m'intéressent pas ! » fit Lyrel d'un ton ferme.
Le chef du village ne se démonta pas pour autant.
« Oh, vous préférez les types mûrs ? Alors j'suis vot' gars avec plaisir ! »
Lyrel n'en crut pas ses oreilles. Quand le chef du village se leva pour se diriger vers lui en écartant le col de sa chemise, il réagit instinctivement et quitta la pièce en coup de vent, les portes claquant derrière lui.
Une fois devant la maison, dans la rue, il resta figé, choqué par ce qui venait de se passer. Un rire retentit derrière lui, c'était évidemment Hakurō.
« Alors le vieux Darmark a tenté sa chance avec toi aussi ? fit le vampire en se tordant les côtes. Ton refus lui a certainement brisé le cœur.
– Toi, gronda Lyrel en comprenant qu'il venait de faire l'objet d'une blague.
– Tu devrais te sentir flatté, il ne s'offre pas à n'importe qui. Tu as vraiment dû lui taper dans l'œil.
– Hakurō ! » s'écria Lyrel, furieux et embarrassé.
Cela fit rire de plus belle le vampire. Lyrel souffla bruyamment, croisa les bras et détourna la tête. Cette farce puérile n'était pas du tout à son goût !
Le temps que les autres vampires quittent la demeure de Damark, Lyrel avait un peu décoléré mais il sentait dans le regard du vampire aux cheveux noirs que ce dernier se retenait encore de rire, et cela l'énervait. Il s'assit sur un muret et décida de changer de sujet :
« Vous êtes allés au cimetière pour guetter de nouveaux vampires ? » demanda-t'il.
Il ne maîtrisait pas encore suffisamment la langue des démons pour s'exprimer sur des sujets compliqués. Hakurō le suivit :
« Yep, c'est t'jours plus facile quand y sont à peine réveillés. Et puis ça évite qu'y s'attaquent aux villageois.
– Mmm, alors c'est donc vrai cette histoire de possession. Dis, est-ce que tous les dém... humains deviennent des vampires à leur mort ?
– Nop, c'est spécial. Faut avoir b'coup d'volonté, de regret ou de haine. Un peu des trois, en fait. »
Cela recoupait ce qu'avaient dit les gardes à Kagejū.
« Comment tu es mort ? osa demander Lyrel. Et qu'est-ce qui t'a fait devenir vampire ? »
Hakurō soupira et s'assit à côté de lui sur le muret.
« J'suis mort bêt'ment : mon ch'val s'est affolé à cause d'une bête et j'suis tombé. Bam. J'aurais pu r'joindre mes ancêtres mais... c'était pas une bon'période. En trois jours, j'm'étais fait rej'ter par çui qu'j'aimais et par ma fiancée. »
Lyrel lui lança un regard bizarre. Les mœurs des démons semblaient aussi débridées que ce que disait l'Église. Comme Hakurō était en pleine réminiscence, ce n'était pas le bon moment pour lui demander des précisions à ce sujet.
« J'tais furax et ma mort... c'était un'injustice pour moi. J't'étais pas prêt à partir. Et puis y avait mon frangin. J'voulais pas l'laisser seul. V'là. »
Lyrel fronça les sourcils. Il ne voyait pas quels mots de réconfort offrir à un mort.
Il décida plutôt de poursuivre ses questions sur la nature des vampires :
« Et vous prenez toujours possession de corps de Vites, jamais d'humains ? Pourquoi ? Oh... »
Il se rappela tout à coup la demande de Kaname après qu'il ait tué les Lumineux : elle voulait qu'il brûle les corps et avait affirmé qu'ils faisaient toujours ça.
« Les corps que vous possédez doivent être intacts, c'est pour ça, répondit-il pour lui-même. Comme les humains brûlent leurs morts, vous n'y avez pas accès. »
Hakurō eut un sourire mais ne commenta pas le fait qu'une fois de plus Lyrel semblait bien au courant des us et coutumes des démons.
Le jeune homme poursuivit sa pensée :
« J'ai pourtant vu des vampires qui avaient les cheveux bleus, verts ou même... »
Il tourna la tête vers les cheveux ténébreux de l'autre vampire sans en dire plus.
« Les corps que vous occupez ne ressemblaient pas à ça au départ, c'est sûr, » compléta-t'il sa pensée.
Hakurō pencha la tête sur le côté.
« Avec l'temps, j'ai remarqué que plus on occupe un corps, plus y s'met à nous ressembler... comme on était avant. C'est comme s'y prenait la forme voulue par not' âme. »
Lyrel s'assombrit à la mention d'âme. Ce mot avait un sens fort dans sa religion et c'était presque contradictoire de parler de l'âme d'un démon. Cependant avec tout ce qu'il avait vu et entendu, il devait remettre toutes ses croyances en question.
« Seuls les humains deviennent des vampires ? demanda-t'il soudain. Tu n'as jamais entendu parler d'un Vite qui y serait parvenu ? »
Hakurō lui lança un regard en coin.
« T'penses qu'c'est c'qui t'es arrivé ? L'premier Vite vampire ?
– Je ne suis pas mort, répliqua Lyrel. Je cherche juste à comprendre tout ça.
– Jamais vu de Vite vampire, nop, répondit Hakurō. Mais bon, qu'est- c'que j'en sais après tout ? Tout est possible ! »
Lyrel hocha la tête puis fut frappé par une autre pensée :
« Au fait, si les Vites se mettaient aussi à brûler les corps, vous ne pourriez plus en prendre possession et ce serait la fin des vampires, non ?
La solution était là, si simple et si... impossible à mettre en œuvre.
« Les Vites veulent pas cramer leurs morts, c'est cont' leur religion, fit Hakurō. Une chance pour nous. »
Et une malchance pour les humains. Sans le savoir, l'Église offrait là un vaste choix de corps aux vampires. Quelle ironie ! Et les pauvres montagnards, respectueux des rites religieux, ne comprenaient pas pourquoi le sort s'acharnait contre eux.
« Le monde est absurde, commenta Lyrel.
– Yep, approuva Hakurō, mais c'est not' monde. »
L'humain et le vampire contemplèrent les montagnes au loin dans un silence confortable.
L'inspection des alentours du village de Pérate ne permit de repérer aucun nouveau vampire ou vampire sauvage. Le groupe revint au palais. Hakurō annonça alors à Lyrel qu'il allait s'occuper de lui dorénavant.
« Pourquoi ? demanda ce dernier avec suspicion.
– À force de rester avec les soldats, tu ne saurais dire que des insultes. Il faut que tu apprennes les bonnes manières.
– Pourquoi ? » répéta Lyrel.
Hakurō lui lança un grand sourire.
« Parce que tu m'amuses. »
Ce n'était guère une raison, toutefois Lyrel avait déjà remarqué que le seigneur des vampires avait une mentalité très particulière. D'un autre côté, il ne devait pas avoir tellement de distractions dans les montagnes, voilà pourquoi l'attitude de Lyrel le divertissait agréablement.
Il y en eut un que cela n'amusa pas du tout : Shijetsū. Si Lyrel avait trouvé son regard haineux auparavant, il atteignit des niveaux insoupçonnés quand le vampire apprit la nouvelle.
« Pourquoi ? demanda-t'il aussi à Hakurō comme s'il avait la bouche pleine de clous.
– Parce qu'il m'amuse, répéta de nouveau le seigneur des vampires.
– Hakurō, tu... ! »
Shijetsū lança un regard à Lyrel puis saisit son seigneur par le bras et l'entraîna plus loin.
« Tu sais que c'est un Lumineux, fit-il d'une voix agitée. Tu sais ce qu'ils font à ton petit-frère et pourtant tu veux commettre la même erreur que lui ? »
Le visage de Hakurō se renfrogna à la mention de son frère et Shijetsū se mordit la langue. Cependant il préférait encore dire la vérité et s'ôter la vie ensuite plutôt que de voir son seigneur sombrer dans la déchéance comme ce qui se passait dans l'Empire de l'Aube actuellement.
« Je sais ce que je fais, répondit Hakurō d'un ton d'avertissement. Et puis je doute qu'il soit vraiment un Lumineux.
– Tu oublies ses pouvoirs ?
– Il a dit qu'il y avait d'autres Vites avec des pouvoirs.
– Et tu crois ce qu'il te raconte ?! »
Hakurō était dubitatif quant à cette histoire de pouvoirs, toutefois force lui était de constater que Lyrel ne se comportait pas du tout comme un Lumineux : il n'était pas hautain, froid et méprisant.
« Dans tous les cas, reprit-il, n'oublie pas l'adage du grand maître Shizū : il vaut mieux bien connaître ses ennemis que ses amis. »
Shijetsū se mordit les lèvres. Il savait que son seigneur allait se montrer borné à présent qu'il avait pris sa décision. Le mieux était donc de céder, néanmoins il allait garder un œil très attentif sur ce maudit Lumineux.
« À tes ordres, Hakurō, » s'inclina Shijetsū.
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