Notes de Karura : J'ai écrit cet extra au mois de février 2021 alors c'est un texte bien plus récent que les chapitres qui l'entourent. De ce fait, comme je suis bien plus avancée dans l'histoire, vous risquez d'être perdus en ce qui concerne certains points de cet extra. Cela vous aidera à comprendre Lyrel quand il sera confronté à ce monde !
La plupart des choses seront expliquées plus tard, que ce soit les règle d'une cour ou les liens entre la famille impériale et les Inugami.
J'ai dû me retenir pour rester concentrée sur les deux amoureux et pas pour digresser sur la montée au pouvoir des Hikari, même s'il y a certains indices par ci, par là.
Extra 2 : Pas destinés à être ensemble
Kurojū, printemps 2370 Je précise qu'il s'agit du calendrier de l'Empire de l'Aube. (1)
Le bruit des lames s'entrechoquant retentit dans toute la cour. Sur le terrain d'entraînement, les deux adolescents se mesuraient depuis presque une demi-heure. La sueur coulait sur leurs visages et leurs longs cheveux — noirs pour l'un, couleur des feuilles d'automne pour l'autre — en étaient trempés. Pour autant aucun des deux n'aurait abandonné. Shideki examina le Premier Prince et ami d'enfance, puis se lança à l'assaut. Au bout de quelques passes, il nota un petit sourire au coin des lèvres de Kikuchi et comprit qu'il s'était encore fait avoir. Impuissant, il ne put riposter contre l'adolescent qui se lança dans un enchaînement complexe au résultat inéluctable : le sabre de Shideki lui fut arraché des mains et retomba quelques pas plus loin dans un tintement métallique.
Haletant, Shideki lança un regard sombre à son adversaire dont les yeux verts pétillèrent de malice :
« Je crois que j'ai gagné, déclara Kikuchi d'un ton faussement modeste.
– Seulement grâce à ta stupide botte secrète ! objecta Shideki en grommelant.
– Alors tu n'as qu'à créer la tienne, Shideki ! »
L'adolescent aux cheveux d'automne secoua la tête. Même s'il était très doué au sabre, il n'avait pas la même ingéniosité que son ami.
« Grand-frère, Shideki, bravo ! C'était un très beau duel ! »
Le jeune Kikuni intervint en leur distribuant des serviettes. Son grand-frère le remercia en lui ébouriffant les cheveux, ce à quoi le garçon réagit en protestant.
Deux hommes s'approchèrent à leur tour, tous deux avec de longs cheveux noirs soigneusement coiffés.
« C'était effectivement un magnifique duel, fit l'Empereur. Je suis fier de toi, mon fils ! Tu es doué, que ce soit pour un duel libre ou dans les règles.
– Mon neveu a de qui tenir ! fit le Second Empereur, les yeux brillants. Notre famille a toujours compté d'excellentes lames.
– Tout comme le clan Inugami, ajouta l'Empereur en adressant un sourire à Shideki. Je suis heureux que Kikuchi ait un adversaire à sa taille ici sinon il ne cesserait de se plaindre que c'est trop facile.
– Voyons, Père ! protesta le concerné. Je ne suis pas comme ça !
– Tu es exactement comme ça, soupira Kikuni à côté de lui. Tu as oublié comment tu as embêté Miroku jusqu'à ce qu'il accepte de jouer aux Pierres avec toi ?
– Ah, tu vas voir, toi ! »
Kikuchi fit mine de vouloir attraper son petit-frère. Ce dernier poussa un cri et se cacha derrière son oncle. Les deux Empereurs se mirent à rire.
Kikuchi se lassa de ce jeu et se tourna alors vers son ami pour proposer :
« Shideki, partons en balade. Tu pourras prendre ta revanche en me défiant à la course. »
Les yeux saphir de Shideki se mirent aussitôt à briller : dans ce domaine au moins, il avait des chances de l'emporter ! Les deux adolescents saluèrent alors les Empereurs et partirent en direction des écuries. Kikuni quitta son refuge et les regarda s'en aller un peu tristement. Il était encore trop jeune pour les accompagner, même s'il en avait très envie. Il poussa un petit soupir.
« Allons cher neveu, ne fais pas une tête pareille, » le consola son oncle en lui tapotant l'épaule.
Kikuni se blottit alors contre lui avec un sourire réjoui.
« Kikuni, c'est l'heure de ta leçon, lui rappela son père. Ne tarde pas.
– Oui Père ! Mon oncle, nous nous reverrons pour le thé. »
Le Second Prince salua les Empereurs et partit pour le Pavillon du Savoir, accompagné de son Servant.
À peine se fut-il éloigné du terrain d'entraînement qu'il croisa le seigneur Shumē. L'homme aux longs cheveux dorés s'inclina devant lui.
« Votre Altesse.
– Seigneur Shumē ! s'écria Kikuni avec joie. Dites, vous me faites un tour de magie ?
– À vos ordres.
Avec un sourire mielleux, l'homme dont les yeux étaient aussi dorés que ses cheveux tendit la main et des éclairs dorés apparurent au-dessus. Fasciné, le Second Prince se pencha et la lueur des éclairs se refléta dans ses yeux violets. Il tendit un doigt et un clair taquin en effleura le bout. Le léger picotement fit rire le garçon comme à chaque fois.
« C'est extraordinaire, seigneur Shumē. Merci !
– Tout le plaisir est pour moi, votre Altesse. »
Shumē s'inclina une dernière fois avant de reprendre sa route. Kikuni fut de bien meilleure humeur après ça et se rendit joyeusement en cours.
Derrière lui, le seigneur Shumē était passé près des deux Empereurs qui avaient observé la scène de loin et s'était incliné humblement devant eux avant de poursuivre son chemin. L'Empereur soupira avec impuissance et indulgence :
« Le pauvre, Kikuni lui demande à chaque fois de la magie. Il doit avoir l'impression d'être plus un amuseur qu'un Conseiller.
– Bah, je n'ai pas l'impression que cela le dérange vraiment, répliqua son frère. Il est du genre à flatter les puissants. »
L'Empereur secoua la tête. Son petit-frère n'avait jamais apprécié le seigneur du clan Hikari qui ne s'était fait que récemment une place à la Cour.
« Kikuni n'est encore qu'un enfant, voilà pourquoi il s'émerveille pour un rien. Kikuchi a plus la tête sur les épaules et sait distinguer l'admiration sincère, la flatterie et la flagornerie. Ah, néanmoins j'ai l'impression que Kikuni ne sera jamais un Second Empereur comme toi. »
Son frère le fixa un moment sans rien dire avant de répliquer sur un ton sérieux :
« Tout comme Kikuchi ne sera jamais un Empereur comme toi. »
L'Empereur garda à son tour le silence avant de grommeler :
« Au temps pour moi, je l'ai bien cherché. »
L'autre homme lui sourit et lui tapota l'épaule, un geste que peu de gens pouvaient se permettre.
« Deux frères peuvent être extrêmement différents, un père et un fils peuvent être extrêmement différents mais le lien qui nous unit est plus fort que celui qui relie le ciel à la terre. »
Les yeux brillants d'affection, l'Empereur posa la main sur celle de son frère. Sa famille était et serait toujours sa force.
Automne 2371
Tout l'Empire de l'Aube était en deuil : le Second Empereur n'était plus. Il avait été mortellement blessé par une flèche lors d'une bataille entre les provinces de Jūka et Dekita. Les médecins n'avaient rien pu faire et il était mort dans la nuit qui suivit. L'archer responsable s'était présenté et avait mis fin à ses jours afin d'expier son crime. Pour autant cela ne ramènerait pas le Second Empereur à la vie ! À Kurojū, le palais tout entier s'était muré dans un silence de mort. L'Empereur et ses deux fils s'étaient complètement coupés les cheveux en signe de deuil. Le général Hakkuryū, le chef du clan Inugami et qui avait accompagné le Second Empereur lors de la bataille, se lamenta de ne pas avoir su le protéger. L'Empereur ne lui en voulait pas, il connaissait bien son frère et sa nature fougueuse. Ce dernier disait souvent qu'il se moquait bien de sacrifier sa vie puisqu'il ne laisserait pas d'enfant derrière lui pour le regretter.
« Tu as oublié que tu laisses deux neveux derrière toi qui te pleurent comme un père, ainsi qu'un frère qui n'a plus personne à présent, » songea-il, un pli amer barrant sa bouche.
Leur père était mort depuis trente ans, suivi de leur mère cinq ans après. Quant à leur oncle, il les avait quittés vingt ans plus tôt. L'épouse de leur oncle était aussitôt retournée dans sa famille pour finir ses vieux jours avec les siens. Cela se comprenait un peu : sans enfant, la Seconde Impératrice n'avait qu'un titre honorifique. Elle avait autant retourner chez les siens. L'Empereur s'était bien douté qu'un jour son frère ou lui disparaîtrait mais il avait espérait que cela arriverait le plus tard possible, en tout cas pas avant quarante ou cinquante ans !
« Père ? »
L'Empereur fut tiré de ses sombres pensées par la voix de son cadet. Il lui tendit la main et Kikuni vint se blottir contre lui, les yeux rouges.
« C'est trop horrible ! sanglota-t'il. Comment les Dieux ont-Ils pu le laisser mourir ? Je croyais qu'Ils nous protégeaient ! »
C'était le premier décès dans la famille pour lequel il était assez grand pour comprendre pleinement ce qui se passait.
« Nos Ancêtres font ce qu'Ils peuvent, assura l'Empereur, mais quand vient le moment de mourir, même les Dieux ne peuvent pas aller contre l'Équilibre de toute chose. »
Kikuni renifla, visiblement peu réconforté par cette idée.
« Tu ne vas pas mourir toi aussi, dis ? demanda-t'il d'un ton suppliant.
– Quand mon heure viendra. Sois tranquille, ce n'est pas pour tout de suite. »
L'Impératrice Hitomi arriva sur ce et prit le relais. Il faudrait du temps à Kikuni pour se remettre de la perte tragique de leur oncle. Il leur faudrait du temps à tous.
Hiver 2375
Le palais de Kurojū se préparait à fêter le quarante-cinquième anniversaire du Firal Firal est la contraction de fils de Général. J’utiliserai aussi Fieur : fils de seigneur. (2) Shideki. À cause des liens étroits entre les Inugami et la famille impériale, la fête serait aussi grandiose que s’il s’agissait d’un des princes. Comme tout jeune homme, Shideki était surtout impatient car il allait pouvoir commencer à avoir des cours.
« C’est le plus bel âge qui débute, mon fils, alors profites-en bien, lui fit le général Hakkuryū.
– Merci Père ! » répondit le jeune homme, ses yeux saphir s’illuminant.
Le général contempla son fils avec fierté puis fit d’un ton nonchalant :
« Le Premier Prince et toi êtes très proches. Quelles sont tes intentions ? »
Shideki prit un air légèrement embarrassé.
« Ah, je… je compte bien entendu lui prêter allégeance dès qu’il sera majeur. »
Hakkuryū hocha la tête. C’était plus qu’évident et il n’en avait jamais douté. C’était autre chose qui l’inquiétait. Shideki hésita avant de poursuivre :
« Pour ce qui est d’une cour… Hé bien, il n’est pas encore en âge de toute façon. »
Ils avaient deux d’écart et quelque part, cela arrangeait bien le Firal : cela lui laissait le temps de s’essayer aux cours et de comparer ainsi ses sentiments. Il appréciait énormément Kikuchi et savait que le sentiment était partagé. Le Premier Prince avait déjà mentionné une cour dès que ce serait possible, sauf que curieusement l’idée n’enthousiasmait pas plus Shideki que ça. Leur relation actuelle lui convenait très bien, il ne souhaitait rien y changer. Peut-être qu’après plusieurs cours, il y verrait plus clair dans son cœur. Le général Hakkuryū hocha la tête, compréhensif.
« Je suis fier que tu poursuives la tradition familiale de servir les Kakurō. Pour ce qui est de ton cœur, c’est à toi et toi seul de voir. »
Le général Hakkuryū avait prêté serment d’allégeance à l’Empereur. Dans leur jeunesse, à part une cour de trois mois, ils n’avaient jamais ressenti plus que ça l’un pour l’autre. Leur amitié suffisait amplement. En plus Hakkuryū s’était Uni à l’âge de soixante-quinze ans au seigneur Dahorō dont le domaine se trouvait à la frontière nord entre Awasu et Kami. Shideki ne se sentait donc pas obligé de nouer une relation amoureuse avec Kikuchi. L’allégeance et l’amour étaient deux liens bien distincts.
Le jour même de son anniversaire, ce fut donc avec empressement que Shideki quitta ses appartements. Sans être vaniteux, il pensait bien avoir quelques demandes et pas seulement de courtoisie. Cependant en se rendant au Pavillon du Savoir, tous les jeunes gens qu’il croisa lui souhaitèrent un bon anniversaire mais… personne ne vint lui faire de demande. Un brin vexé, le Firal se dit que rien ne pressait après tout. Ils attendaient peut-être qu’il soit seul. Kikuchi lui souhaita joyeusement bon anniversaire et lui demanda en souriant :
« Alors, combien de demandes ?
– Rien encore, » avoua Shideki avec une pointe d’embarras.
Le Premier Prince ouvrit de grands yeux.
« Quoi ? Je ne peux pas y croire ! Ne t’en fais pas, la journée n’est pas finie !
– Merci Kikuchi, » fit-il en souriant, rassuré.
Derrière eux, Kikuni roula des yeux mais ne dit rien.
Au fil de la journée pourtant, Shideki ne reçut aucune demande. C’était vexant et humiliant. Tous les jeunes hommes qu’il connaissait avaient eu au moins dix demandes le jour même de leur anniversaire. Allait-il devenir la triste exception dont on parlerait encore cent ans plus tard ? Pourtant il était avenant, amical, charmant, sans parler de son rang élevé. Normalement il aurait dû crouler les demandes ! Que se passait-il donc ?
« Bon, se dit-il résolument, si les cours ne viennent pas à moi alors c’est moi qui irai à elles ! »
Il n’aurait pas dû avoir à faire ça dès le premier jour, mais tant pis. Il alla chercher son présent de cour, un magnifique bijou de cheveux orné d’un saphir, et chercha un des jeunes hommes qui l’intéressaient potentiellement. Une première cour était sacrée, personne ne pouvait la refuser sauf pour des raisons extrêmement importantes. Shideki s’approcha en souriant de son futur prétendant. Ce dernier, un Fieur des plus charmants, le vit arriver et son beau visage se crispa soudain.
« Ah euh… Désolé, je dois y aller ! »
Avant même que Shideki ouvre la bouche, le Fieur avait détalé comme un lapin. Là, il se sentit très vexé. Il s’était pourtant regardé dans le miroir encore tout à l’heure et il avait toujours un beau visage, bon sang. Depuis quand un beau visage n’avait-il plus de succès à la Cour ?!
Le cœur bien lourd, Shideki se rendit au Pavillon de Jasmin pour prendre le thé avec ses parents et la famille Impériale. L’Impératrice Hitomi et Dame Hanoko, l’épouse du général Hakkuryū, discutaient gaiement. Le général et l’Empereur accueillirent le jeune homme avec un grand sourire.
« Alors mon fils, tu as déjà fait tourner la tête à la moitié du palais ? »
Shideki se força à sourire.
« Père, voyons, » protesta-t’il.
L’Empereur porta sa main à son menton et se plongea dans ses souvenirs.
« Moi, le jour de mes quarante-cinq ans, j’ai eu vingt demandes de cour !
– Et moi vingt-deux, répliqua fièrement Hakkuryū. Nous avons eu tellement de succès ! C’est maintenant à nos fils de prendre la relève. Dis-moi, Shideki, tu en es à combien de demandes ? »
Le Firal se figea puis tenta de se sortir de cet interrogatoire.
« La journée n’est pas encore finie, Père. Je vous répondrai plus tard.
– Oh, oh, répondit l’Empereur dont les yeux noirs brillèrent. Hakkuryū, je crois qu’il t’a dépassé mais qu’il ne veut pas t’humilier en public.
– Bah, je n’ai plus l’âge de ce genre de compétition puérile ! » rétorqua fièrement le général.
Malgré ses dires, il se pencha vers son fils et souffla :
« C’est vrai ? Tu m’as dépassé et tu n’oses pas le dire ?
– Père, n’insistez pas, » répliqua fermement le jeune homme.
L’Empereur éclata de rire et Hakkuryū laissa provisoirement tomber le sujet.
Shideki poussa un soupir de soulagement quand les deux hommes discutèrent d’autres choses et laissèrent les jeunes entre eux. Kikuchi ne l’avait pas quitté du regard le temps de son interrogatoire. Il posa une main sur la sienne et fit d’un ton soucieux :
« Que se passe-t’il ? Tu n’as vraiment pas eu de demandes depuis ? »
Shideki ne pouvait pas mentir à son ami. Il baissa tristement la tête. Kikuchi pressa sa main.
« C’est à n’y rien comprendre ! Attends, je suis sûr qu’ils se réserveront pour ce soir, lors du banquet.
– Tu crois ? » demanda Shideki avec une pointe d’espoir.
Son ami prit ses deux mains dans les siennes et entremêla leurs doigts.
« Évidemment ! Si toi tu n’as pas de demandes de cour, c’est qu’il y a un sérieux problème ! »
Rassuré, Shideki en oublia de mentionner sa cour avortée. Ce serait trop humiliant de raconter qu’on l’avait fui. En plus il y avait certainement une explication logique derrière cela. À côté de lui, Kikuni mangea sa brioche à la crème de soja sans rien dire.
Le soir, durant le banquet de son anniversaire, Shideki reçut de nombreux présents mais toujours pas de demandes de cour. Cette fois, même Kikuchi ne put lui remonter le moral. Le jeune homme se retira dès qu’il le put et alla se coucher, l’esprit tourmenté. Le problème ne pouvait quand même pas venir de lui, non ?
Deux jours plus tard, force fut de constater que le problème venait de lui. Non seulement il n’avait pas de demande mais ceux qu’il voulait courtiser le fuyaient — parfois de loin, parfois juste sous ses yeux ! Honteux, il n’avait rien dit à son père et éludait ses questions à ce sujet en déclarant qu’il préférait prendre le temps de la réflexion. En fait il était à deux doigts de fondre en larmes dès qu’il songeait à sa triste situation.
Un après-midi, alors qu’il soupirait tristement dans les jardins du palais, Kikuni vint s’asseoir à côté de lui.
« Toujours pas de demande, hein ? » fit le garçon.
Shideki n’eut plus la force de nier.
« C’est un signe des Dieux, soupira-t’il. Je dois me retirer au Temple de Myūjin et me raser le crâne.
– Hum, les prêtres ont des cours aussi, » rappela le Second Prince.
Le Firal se prit la tête entre les mains et se lamenta.
« C’est n’est pas possible ! Pourquoi ça m’arrive à moi ? Pourquoi moi ?! »
Kikuni l’observa de ses yeux violets puis soupira.
« C’est grand-frère, révéla-t’il.
– Hein ? fit Shideki en relevant la tête pour le regarder.
– Grand-frère a menacé tout le monde à la Cour. Personne n’a le droit de te courtiser ou d’accepter ta demande sinon ‘sa vengeance sera terrible’. »
Hébété, le jeune homme ne parvenait pas à y croire. Une petite minute, dans le fond cela expliquait totalement sa situation invraisemblable.
« Mais pourquoi il a fait ça ?! »
Le Second Prince lui lança un regard éloquent :
« Tu le sais très bien. »
Sur ce, il se leva et partit sans un mot de plus. Shideki se mordit les lèvres. Bien sûr qu’il se doutait de la raison, mais de là à faire une chose pareille… D’un air décidé, Shideki se leva et partit à la recherche de son ami. Ils devaient avoir une sérieuse discussion.
Shideki finit par trouver le responsable de ses tourments à la bibliothèque. Kikuchi terminait une partie de Pierres avec Miroku, son partenaire de jeu attitré. En fait Kikuchi était très fort à ce jeu de stratégie et avait depuis longtemps surpassé tous les joueurs du palais, même adultes. Miroku était une jeune homme plutôt discret qui ne se mêlait guère à leur groupe. Il était arrivé cinq ans plus tôt et avait été présenté comme le Fieur d’un petit domaine de Dekita. Quant à savoir pourquoi il avait le privilège d’étudier à la Cour avec le Premier Prince, cela restait un mystère. En tout cas Kikuchi l’avait surpris une fois en train d’observer attentivement une de ses parties alors après avoir gagné, il l’avait invité à jouer. Miroku trouva un prétexte pour décliner son offre.
Intrigué — et surtout car il n’avait rien d’autre à faire — le Premier Prince continua de le harceler jusqu’à obtenir enfin une partie… qu’il gagna uniquement parce que son adversaire avait fait une erreur stupide à un moment. Après réflexion, Kikuchi se demanda si cette erreur n’avait pas été volontaire. Il harcela de nouveau Miroku pour faire une autre partie. Quand l’autre céda, Kikuchi l’observa attentivement et eut enfin la confirmation de ses soupçons.
« Tu me laisses gagner parce que je suis le Premier Prince ? » avait-il aussitôt accusé.
Miroku avait pris un air troublé et ennuyé.
« Ah non, je…
– Alors joue sérieusement ! »
Dès que Miroku tentait de commettre une faute, l’œil acéré de Kikuchi s’en rendait immédiatement compte et il lui faisait rejouer le coup. Miroku avait fini par gagner avec beaucoup de réticence. Kikuchi avait contemplé le jeu en silence, lui qui connaissait sa première défaite en vingt ans. Puis il avait remis les pièces en place et déclaré :
« Recommençons. Cette fois joue correctement que je puisse me concentrer sur mon jeu et pas sur le tien. »
Miroku n’osa donc plus tricher pour perdre et la partie dura longtemps… pour s’achever encore par la victoire du Fieur. Kikuchi avait de nouveau gardé les yeux fixés sur le plateau, sourcils froncés, et l’atmosphère s’était alourdie. Puis le Premier Prince avait levé la tête et regardé son adversaire droit dans les yeux.
« Miroku, avait-il déclaré d’un ton grave, à compter de ce jour tu seras mon partenaire de jeu.
– Votre Altesse, je ne peux… avait tenté de protester l’autre jeune homme.
– Suffit, j’en ai décidé ainsi. Oh, tu m’appelleras Kikuchi maintenant. »
Miroku ne pouvait pas refuser la demande d’amitié alors il s’était résigné. Depuis Kikuchi jouait régulièrement contre lui et avait fini par remporter quelques partie. Loin de se vexer de ses défaites, il appréciait au contraire les défis car cela le motivait pour s’améliorer.
Shideki observa de loin la partie actuelle et réfléchit à la meilleure manière de confronter son ami fauteur de troubles. Il eut soudain une idée de génie et retourna dans ses quartiers pour chercher son présent de cour — lequel prenait tristement la poussière dans un tiroir. Il le plaça bien en vue dans sa coiffure et retourna à la bibliothèque. Ce fut au bon moment : Kikuchi venait de perdre. Il exigea aussitôt une nouvelle partie. Shideki s’avança alors et son ami se tourna vers lui en souriant.
« Shideki ! Comment vas-tu ? »
C’était devenu sa question rituelle depuis l’anniversaire du Firal. Ce dernier tiqua en songeant que le responsable de ses malheurs se trouvait juste devant lui. Il se força à arborer un sourire rayonnant.
« Je vais bien, et même très bien ! »
Il observa la réaction du Premier Prince : ce dernier fut surpris de son entrain puis les yeux émeraude se posèrent sur son chignon au sommet de sa tête, notant aussitôt l’ornement flambant neuf planté dedans. Kikuchi prit alors un air incrédule et indigné.
« Ce… c’est…
– J’ai accepté une demande de cour tout à l’heure, » confirma-t’il.
Un terrible silence s’abattit alors. Miroku se leva et s’excusa soudain mais ce fut à peine si les deux autres jeunes hommes le remarquèrent. Shideki ne lâchait pas Kikuchi du regard, savourant son expression. Le Premier Prince tentait de dissimuler sa fureur sans y parvenir totalement. Il déglutit et tenta de se ressaisir.
« C’est une excellente nouvelle, articula-t’il avec difficulté. F-félicitations. Qui est l’heureux jeune homme ? Je le connais ? »
Son ton laissait entendre que cet heureux jeune homme ne le resterait pas longtemps.
Shideki se retint de ricaner. Comme il était doux de se venger !
« Peut-être que tu le connais, je ne sais pas, dit-il pour le faire mariner.
– Ah, je connais tous les jeunes gens de la Cour. C’est bien quelqu’un d’ici, n’est-ce pas ?
– Regardez-le un peu chercher à me soutirer son identité, » songea Shideki en reniflant de dédain.
Il ne put résister au plaisir de le tourmenter davantage :
« C’est le Fieur Hatochi. »
Là, Kikuchi ne put se retenir plus et faillit cracher du sang tant il était furieux.
« Quoi, Hatochi ? Ce type mielleux et hypocrite à souhait ? Tu ne l’as jamais apprécié ! On n’arrête pas de se moquer de lui !
– C’est vrai mais j’ai décidé de lui laisser sa chance. Il fera peut-être un merveilleux prétendant. »
Devant l’air incrédule de son ami, il ajouta pour enfoncer le couteau dans la plaie :
« En plus je ne peux pas vraiment me permettre de faire le difficile. C’est ma seule demande de cour en un mois. Je ne dois pas laisser passer cette occasion. »
Kikuchi allait ainsi comprendre ce que c’était quand un plan se retournait contre soi. Shideki le vit pâlir et trembler.
« Hatochi et… toi… Non, je ne le permettrai pas ! »
Le Premier Prince se leva brusquement en prononçant ces mots. Le sourire de Shideki retomba alors et il prit un air glacial.
« Et tu vas faire quoi, Kikuchi ? Aller le menacer comme tu l’as fait pour les autres ? »
Le jeune homme en resta bouche bée. Shideki put deviner à la série d’expressions sur son visage qu’il fut d’abord tenté de nier, puis devint furieux de s’être fait dénoncer, chercha qui aurait bien pu le trahir et enfin se demanda comment faire face à son ami.
« Shideki, je…
– C’est une chose horrible et cruelle que tu as faite. Je suis très déçu !
– Ce, c’est... cela n’aurait duré que deux ans, » tenta-t’il de se justifier.
Dans deux ans, le Premier Prince serait à son tour en âge de faire des demandes de cours. Les deux amis avaient déjà parlé d’avoir une cour ensemble plus tard et avaient même échangé plusieurs baisers — c’était de leur âge d’éprouver de la curiosité à ce sujet. Cependant Shideki envisageait d’autres cours avant et après !
« Tu allais me laisser deux ans comme ça juste pour t’attendre ? » s’indigna-t’il.
Kikuchi prit un air buté.
« Si cela avait été moi le plus âgé, je t’aurais attendu.
– Kikuchi enfin ! Tu entends ce que tu dis ?! »
Il savait que son ami l’appréciait énormément mais le fait qu’il soit allé aussi loin…. cela ressemblait dangereusement à de la folam Folie amoureuse. (3). Inquiet, Shideki décida d’en parler tranquillement. Ce ne serait pas bon de continuer à s’énerver.
« Kikuchi, suis-moi.
– Mais…
– Allons en discuter chez moi. »
Conscient qu’un lieu public n’était pas l’endroit approprié pour une telle conversation — sauf s’ils voulaient que tout le palais soit au courant dans l’heure qui suivrait — Kikuchi acquiesça. Les deux jeunes hommes se retrouvèrent autour de la table basse dans le séjour du Firal. Les Servants leur préparèrent du thé et une collation, puis se mirent en retrait.
Shideki commença par retirer son bijou de cheveux sous le regard perplexe de son ami.
« Personne ne m’a fait de demande, expliqua-t’il. Je t’ai menti pour te piéger. »
Loin de s’indigner — comme s’il était en droit de le faire après son propre subterfuge ! — ce fut du soulagement qui apparut dans le regard émeraude. Shideki soupira intérieurement de lassitude.
« Cependant je veux avoir des demandes et je veux pouvoir en faire. C’est normal pour une jeune homme de connaître plusieurs cours afin de déterminer ses sentiments.
– Parce que tu ne les connais pas déjà ? intervint Kikuchi d’un air blessé.
– Même si je les connais, biaisa-t’il, avoir des cours permettra de les confirmer. »
Kikuchi se mordit les lèvres. Il n’avait plus son air habituel du prince fort et sûr de lui. C’était à présent un jeune homme fragile qui exposait ses sentiments les plus intimes. Il pouvait donc aisément être blessé.
Le regard de Shideki s’adoucit et il lui prit la main.
« Kikuchi, tu sais que même si j’ai des cours, cela ne changera rien entre nous. Qui plus est, c’est une période que je dois expérimenter sinon j’aurai l’impression d’avoir raté quelque chose.
– Je sais bien, pourtant rien qu’à l’idée de te savoir avec quelqu’un…
– Tu dois l’accepter sinon ce ne sera bon pour aucun de nous deux. »
Kikuchi inspira puis hocha la tête malgré un soupçon de réticence restant. Shideki lui sourit.
« Allez, deux ans ça va vite passer. Et je te promets d’être le premier à te faire ma demande, d’accord ?
– Promis ? »
Il hocha la tête.
Kikuchi baissa les yeux sur l’ornement et fit soudain :
« Ça c’est… le cadeau que tu prévois pour une cour ?
– Oui.
– Alors je veux que tu t’en serves dans deux ans. Tu n'as pas le droit de le donner à un autre que moi. »
Voyant que Kikuchi avait retrouvé son attitude impérieuse, Shideki ne sut s’il devait en rire ou en pleurer.
« D’accord, d’accord. À vos ordres, votre Altesse. »
Le Premier Prince lui donna une tape dans le bras, vexé. Shideki partit alors d’un léger rire puis l’embrassa tendrement. Ce fut fort efficace pour clore le sujet.
Kikuchi tint parole et dès le lendemain, Shideki fut inondé de demandes de cours même si les jeunes gens restaient circonspects et craignaient toujours la fureur du Premier Prince. Le Firal put accepter sa première cour — enfin ! — tout en prenant soin de se montrer discret. Kikuchi ne se laissa pas emporter par ses émotions mais refusa fermement de parler de cour à Shideki qui n’entama pas non plus le sujet. Il y eut ensuite d’autres cours et cela rassura de plus en plus Kikuchi de voir que son ami ne s’attachait pas à ses prétendants outre-mesure. Il finit progressivement par dépasser sa jalousie et sa possessivité. Voyant cela, Shideki en fut très soulagé. Il savait que son ami n’était pas atteint de folam, c’était juste un jeune homme qui devait apprendre à gérer ses émotions. Cependant les choses pouvaient parfois mal évoluer. C’était donc à Shideki de se montrer compréhensif et patient. Kikuchi promettait de devenir un splendide jeune homme et un Empereur encore plus magnifique. Shideki souhaitait de tout son cœur l’assister et le voir s’accomplir dans tous les domaines, et non être la cause de son déclin.
Hiver 2377
Shideki tint parole et demanda Kikuchi en cour dès le matin de son anniversaire. Inutile de dire que le Premier Prince accepta sans discuter ! Depuis, les deux jeunes gens étaient inséparables… encore plus inséparables qu’avant. Le seul à en pâtir fut Kikuni qui ne pouvait plus passer de temps avec eux sous peine d’être la troisième roue du carrosse. Le Second Prince avait évidemment des amis de son âge à la Cour et des compagnons d’étude, cependant ce n’était pas pareil. Il avait toujours admiré son grand-frère et adorait être avec lui. Quant à Shideki, il le considérait également comme un modèle. Il était heureux pour eux deux, néanmoins leur compagnie lui manquait.
« Ah, c’est la saison des cerises Ce sera expliqué plus tard mais les cerises se réfèrent à l'amour pour un autre homme. On parle de pêche quand un homme est amoureux d'une femme. (4), fit l’Empereur en notant la mélancolie de son cadet. Tu comprendras quand tu vivras ça à ton tour. »
Cela lui laissait de nombreuses années !
« Le Premier Prince s’investit totalement dans sa cour en vous négligeant, votre Altesse, fit le seigneur Shumē quand Kikuni alla se plaindre auprès de lui. Pour le moment, c’est le Firal Shideki qui occupe la place la plus importante dans son cœur. Ainsi va la vie. »
Kikuni était entièrement d’accord avec l’analyse du seigneur Shumē mais il ne parvenait pas à se résigner.
« Ne vous en faites pas, renchérit l’homme blond. Rien ne dure jamais éternellement. »
Quelques mois après l’anniversaire du Premier Prince, sa fiancée vint s’installer à la cour pour un an. Son frère aîné, Kahiro, l’escorta depuis la province de Towa. L’Impératrice Hitomi fit bon accueil à sa future bru et se réjouit d’un peu plus de présence féminine au palais.
« Vous êtes trop bonne, votre Majesté, fit la jeune femme avec un sourire timide.
– Minami C'est le nom d'enfant de Kaname. (5), ma chère, vous êtes ici comme chez vous. Kikuchi, viens saluer ta fiancée. »
Le Premier Prince s’exécuta et son Servant présenta un cadeau à la jeune femme. Celle-ci le remercia poliment et répondit par un autre cadeau. Minami avait deux ans de moins que Kikuchi. Pour autant leur mariage n’aurait pas lieu avant une bonne quinzaine d’années. Le séjour de Minami à Kurojū avait donc seulement pour but que les deux futurs époux tissent des lien bien plus profonds que lors des rares visites déjà faites. Cela servirait aussi à ce que l’Empire de l’Aube ait la confirmation que les clans Kakurō et Hamenoto allaient bien s’unir.
De la même manière, Shideki avait déjà discuté avec sa fiancée mais comme cette dernière avait douze ans de moins que lui et n’était donc encore qu’une enfant, il n’y avait pas lieu d’officialiser leur future union. Cela restait au stade des fiançailles, ce qui convenait parfaitement au Firal pour le moment. Kikuchi n’était pas non plus très enthousiaste quant à son futur mariage. Il comprenait parfaitement son devoir d’avoir des héritiers sauf que pour le moment, il nageait dans le bonheur avec Shideki et ne se souciait donc pas de sa fiancée outre-mesure. Heureusement, l’Impératrice s’occupa bien d’elle et prenait systématiquement le thé avec elle au Pavillon de Jasmin. De ce fait, Kikuni commença à discuter avec Minami et puisqu’il se faisait négliger par son grand-frère, il se rattrapa avec sa future sœur.
Été 2378
Sous un soleil brûlant, Kikuchi et Shideki disputaient la finale du Tournoi Impérial dans la catégorie des mineurs. Le duel splendide captivait la foule, d’autant plus que les adversaires étaient très beaux. Dans la loge réservée à la famille impériale, Minami ne parvenait pas à détacher le regard de son promis. Kikuchi avait une forte présence, chaleureuse et amicale. L’arc de ses lèvres laissait supposer une tendance à la malice. Il attirait homme comme femme avec son charisme débordant et il savait user de son charme. Tout le monde se réjouissait de leur futur Empereur qui serait plus que certainement promis à de grandes choses.
« Il est exceptionnel, n’est-ce pas ? » souffla Kikuni à ses côtés.
Le regard azur de la jeune femme se posa alors sur lui. À trente-sept ans, Kikuni était en plein adolescence. Il promettait lui aussi de de venir un beau jeune homme sauf que son tempérament ne ressemblait en rien à celui de son frère.
« Ton frère est formidable, reconnut-elle. Vous l’êtes tous les deux. »
L'adolescent lui adressa un pâle sourire.
« Je ne serai jamais comme lui.
– Tu n’as pas à l’être. Sois simplement toi-même, Kikuni. Tu as beaucoup à offrir toi aussi. »
Kikuni rougit légèrement sous le compliment. Ses parents lui disaient la même chose mais cela ne lui faisait pas autant d’effet. C’était sûrement parce que Minami était une étrangère qui ne le connaissait que depuis peu, alors elle le jugeait plus objectivement que sa famille.
« Je suis heureux que ce soit toi la fiancée de mon frère, lui dit-il par pour la première fois. Quel dommage que tu doives repartir. »
Minami le remercia d’un sourire. À ce moment le duel s’acheva sur une égalité parfaite, ce qui ne se produisait que très rarement. Ce résultat satisfit tout le monde néanmoins et les acclamations résonnèrent dans tout la capitale. Ce fut un jour mémorable.
Automne 2380
Un grand froid régnait à l’extérieur mais ce n’était rien comparé à celui qui s’était abattu dans la pièce. Kikuchi avait un air indigné et trahi tandis que Shideki restait impassible.
« Tu as dit quoi ? finit par dire le Premier Prince d’un ton hébété.
– Pour mon anniversaire, j’ai choisi le Fieur Hakebi comme premier amant, » répéta tranquillement le Firal.
Kikuchi ne parut pas plus comprendre qu’à la première fois. Shideki retint un soupir intérieur. Cela faisait des mois qu’il se préparait à cette discussion alors il savait que ce serait difficile.
« Tu es tellement pressé d’avoir un nouvel amant ? railla soudain Kikuchi.
– Allons, tu sais que c’est normal pour la majorité.
– Depuis quand normal veut dire obligatoire ?
– Depuis que je le souhaite. »
Il était vrai qu’il n’y avait aucune obligation à prendre son premier amant le soir même du cinquantième anniversaire, cependant c’était assez courant, surtout à la Cour Impériale. Il fallait dire aussi qu’il y avait largement le choix parmi les jeunes hommes, que ce soient des Fieurs, des Firaux ou des soldats de l’Armée Impériale. Sans parler des nombreux paris qui se faisaient à chaque majorité afin de deviner l’heureux élu. Mais ce n’était rien de tout cela qui avait poussé Shideki à se choisir un premier amant : tout comme pour les cours, il voulait vérifier ses sentiments.
Cela faisait trois ans qu’il était en cour avec Kikuchi et parfois il trouvait cela long. La plupart du temps, leur relation était aussi naturelle qu’avant et Shideki appréciait grandement ces moments. Pour l’intimité, après un début en douceur, ils avaient fini par aller aussi loin que possible entre mineurs — sans pénétration. Même si ce n’était pas désagréable, Shideki n’était pas plus enthousiaste que ça. Plus que tout il avait le sentiment d’être enchaîné à son prétendant. Cela dit, pour être honnête, Kikuchi ne se montrait plus jaloux et possessif depuis qu’ils étaient en cour, il n’exigeait pas d’être en permanence avec lui et Shideki était même parti six mois en voyage avec son père pour inspecter les casernes de l’Est de l’Empire de l’Aube. Il n’y avait donc rien à reprocher au Premier Prince, hormis son vilain coup aux quarante-cinq ans de Shideki.
Le problème venait de Shideki. Il n’aurait pas su lui-même expliquer sa sensation d’étouffer mais elle était bien présente. Il savait déjà qu’il jurerait allégeance à son ami dès sa majorité ; cela ne serait jamais remis en cause. Pour ce qui était des sentiments, c’était une toute autre histoire.
« Je l’apprécie, songea Shideki, mais je ne suis pas amoureux de lui. »
Dans ce cas, pourquoi persévérer davantage ? Néanmoins Kikuchi refusait de renoncer à lui. C’était donc à Shideki de procéder en douceur pour mettre un terme à leur relation. C’était dans leur intérêt commun. Pour cela, il avait décidé de profiter de son droit à un premier amant le soir de sa majorité.
« As-tu oublié que nous sommes en cour ? reprit Kikuchi en désignant l’ornement doré qui ne quittait plus ses cheveux depuis trois ans.
– Tu es mineur, c’est donc autorisé, » argua Shideki.
C’était effectivement une autre règle. En général une cour était un engagement sérieux, sauf pour les cours futiles. Tant que durait une cour, il était très mal vu de tromper son prétendant. Sans aller jusqu’à faire appel au Tribunal des Réparations — qui se chargeait de juger les querelles amoureux bien plus graves — un jeune homme coupable de tromperie devenait quasiment un paria à la Cour, tout comme son complice. Voilà pourquoi cela n’arrivait jamais. Il valait mieux rompre la cour plutôt que de risquer l’aliénation.
Kikuchi plissa ses yeux d’émeraude, n’appréciant pas du tout la réponse de son prétendant. Sur le coup de la colère, il défit l’ornement en l’arrachant presque et le jeta sur la table basse.
« Je vais te faciliter la tâche ! Comme ça, si ton Hikebi te fait bien jouir, tu pourras rester avec lui ! » lança-t’il crûment.
L’autre jeune homme ne toucha pas à l’ornement.
« Kikuchi, ne réagis pas comme ça, voyons. »
Son ami croisa les bras et lui tourna le dos en reniflant de dédain. Shideki soupira et n’insista plus. Il récupéra l’ornement et se leva. Avant de partir, il fit :
« Je continuerai à le garder pour toi. »
Les épaules du Premier Prince tressaillirent, cependant il ne dit rien. Le Firal finit par quitter les lieux, le cœur lourd.
Bien entendu, la nouvelle de leur rupture fit rapidement le tour du palais. Beaucoup eurent du mal à y croire : dans leur esprit, le Premier Prince et le Firal étaient liés pour la vie. On ne pariait plus sur l’éventualité de leur Union mais sur sa date ! Les incrédules durent néanmoins accepter la réalité quand Kikuchi cessa de porter son bijou de cheveux, symbole de sa cour avec Shideki. Les deux jeunes gens s’évitèrent soigneusement les premières semaines, ce qui bouleversa profondément les habitudes de leur entourage. Le général Hakkuryū et l’Empereur décidèrent d’un commun accord de parler à leurs fils respectifs. Le lien profond qui unissait les deux clans ne devait pas être mis en péril pour des histoires de cœur.
Shideki, qui portait désormais son nom d’adulte Kenryū, se retrouva donc à rendre des comptes à son père sur sa vie amoureuse. C’était une chose de lui demander des conseils, c’en était une autre de tout lui dire et de devoir se justifier sur des points dont lui-même n’était pas sûr !
« Kikuchi n’a pas accepté le fait que je veuille prendre un premier amant, expliqua-t’il. C’est lui qui a mis un terme à notre cour.
– C’est pourtant ton droit, » le défendit son père.
Cela réchauffa le cœur du jeune homme, jusqu’à ce que son père ajoute :
« Cela dit, tu connais Kikuchi et tu te doutais bien de sa réaction. Pourquoi avoir fait cela alors ?
– Vous pensez bien que ce n’est pas sur un coup de tête, Père, » répondit-il en retenant son agacement
Le visage du général se figea alors.
« Tes sentiments pour lui… tu es sûr ?
– Je veux justement obtenir confirmation ainsi.
– Tu ne penses pas ressentir d’amour pour lui ? Vraiment pas ?
– Si je ne ressentais absolument rien pour lui, ce serait nettement plus facile, » soupira Kenryū.
Hakkuryu avait une mine soucieuse cependant il voyait bien que son fils avait réfléchi à ce sujet.
« Et concernant ton allégeance ?
– Ça, ça ne changera jamais. » le rassura-t’il sur ce point au moins.
De son côté, l’Empereur peinait un peu plus avec son aîné.
« Kenryū n’a rien fait de déraisonnable.
– Alors vous dites que c’est moi qui ne suis pas raisonnable ? »
L’Empereur soupira. Son fils aîné avait toujours su faire valoir ses idées et opinions et là, il n’hésitait pas à retourner ses propres mots contre lui. Cela ne mènerait à rien.
« Vous avez été en cour pendant presque trois ans. Laisse Kenryū explorer un peu. Quand il sera certain de ses sentiments, il te reviendra. En tout cas ce serait dommage de mettre un terme à votre longue amitié pour une querelle amoureuse.
– Père, avez-vous déjà connu un chagrin d’amour ? Et je parle d’un vrai chagrin d’amour.
– Hé bien oui… Sur le coup, on a l’impression que plus rien n’a d’importance et qu’on ne retrouvera plus jamais l’amour. Mais on s’en remet ensuite. L’Empire est aussi vaste que le ciel, mon fils. Tu trouveras certainement celui qui est fait pour toi.
– Vous dites ça mais vous n’avez jamais fait d’Union.
– Ah, les responsabilités d’un empereur sont parfois prenantes. Je n’ai pas eu la chance de trouver mon partenaire mais j’avoue que j’ai également renoncé à le chercher. Je pressens que ce ne sera pas ton cas et je te souhaite de tout cœur de connaître ce bonheur. »
Kikuchi fit la moue mais ne répliqua pas. L’Empereur insista sur un dernier point :
« Fais la paix avec Kenryū. On n’a jamais assez d’amis fidèles et intègres.
– … J’ai juste besoin de temps. Pour le moment je ne peux pas le revoir, c’est trop douloureux.
– D’accord, d’accord, accepta aussitôt son père. Prends le temps qu’il te faudra et n’oublie pas que tu peux toujours en parler avec moi, mon fils.
– Merci Père. »
Quant à Kikuni, il interpella le seigneur Shumē dès qu’il le vit :
« Vous aviez raison, c’est incroyable ! »
L’homme blond ne se départit pas de son air calme et fit :
« À quel sujet, votre Altesse ?
– Pour mon grand-frère et Kenryū. Vous aviez dit que rien ne dure éternellement. Vous aviez raison ! Seigneur Shumē, est-ce que vous pouvez aussi voir l’avenir ?
–Les Hikari ont de grands pouvoirs, n’en doutez pas. »
L’adolescent hocha la tête, impressionné.
« Puisque vous aimez tant les prédictions, votre Altesse, en voici une autre : la rupture entre le Premier Prince et le Firal Kenryū ne durera pas non plus éternellement.
– Vous êtes sûr ? » s’écria Kikuni en ouvrant ses grands yeux violets.
Le seigneur Shumē eut un sourire mystérieux. Quand deux mois plus tard les deux amis se réconcilièrent, cela acheva de convaincre Kikuni des pouvoirs des Hikari.
Hiver 2382
Tout l’Empire de l’Aube se préparait à fêter dignement la majorité du Premier Prince. Ce serait une grande fête qui durerait trois jours. Le palais allait recevoir une foule de visiteurs nobles et influents qui souhaitaient se manifester devant le futur Empereur. Ceux qui n’auraient pas la chance d’être présents commençaient déjà à envoyer leurs présents. Les cadeaux étaient entreposés dans une réserve et cela commençait déjà à former une colline ! L’autre grand intérêt de cette soirée serait le choix du prince pour son premier amant. Les paris et rumeurs étaient nombreux. Si beaucoup songeaient à Kenryū — le choix évident — d’autres arguaient qu’ils avaient rompu depuis deux ans et que même s’ils étaient amis, ils avaient chacun eu d’autres prétendants depuis. Bref, rien n’était sûr et cela enthousiasmait les parieurs.
L’Empereur contempla son aîné tandis que ce dernier accomplissait le Rituel d’Invocation des Ancêtres pour la première fois. C’était l’un des rôles de l’empereur d’effectuer ce rituel une fois par an afin d’entrer en contact avec les Dieux. Quand le fils aîné devenait majeur, son père lui enseignait la démarche et le fils l’accomplissait une fois afin de créer le lien avec ses Ancêtres. Ensuite il devait attendre l’abdication de son père pour être responsable de l’Invocation.
Kikuchi rouvrit ses yeux émeraudes qui étincelaient.
« Père, c’est extraordinaire ! Je pouvais Les sentir tout autour de moi… Je n’ai jamais rien connu de tel !
– Ce sont les Dieux et nos Ancêtres, fit l’Empereur avec un sourire. Nous Les rejoindrons à notre mort et deviendrons des Dieux à notre tour.
– Alors mon oncle est parmi Eux ? Vous pouvez lui parler ?
– Non, mon fils. Il faut du temps pour devenir un Dieu, plusieurs décennies. Mon frère n’a pas fini sa métamorphose mais il est dans le monde des esprits avec les nôtres, sois-en sûr. »
Kikuchi acquiesça, encore impressionné par son expérience.
S’il y avait bien une chose qui réjouissait Kikuni, c’était que Minami était invitée à l’anniversaire de son fiancé et qu’elle resterait un mois. Cela faisait quatre ans qu’ils ne s’étaient pas vus et bien qu’ils aient échangé quelques lettres, l’adolescent était enchanté à l’idée de la revoir. Il était même encore plus impatient que Kikuchi, pourtant fiancé à Minami. Ce n’était cependant pas surprenant pour un jeune homme de son âge : la cueillette des cerises occupait toutes ses pensées et l’idée de se marier et de fonder une famille restait une perspective lointaine.
Pour l’occasion, Minami vint en compagnie de ses parents, de son frère aîné, Kahiro, et de sa petite-sœur, Kawakō. Quand les fiançailles de Kikuchi et Minami avaient été décidées, les parents de cette dernière avaient aussi tenté de proposer leur cadette pour le Second Prince. L’Empereur avait décliné en disant que son cadet était encore jeune et que si possible, il préférait lui laisser le choix de son épouse. En effet la pression était moins forte pour Kikuni puisqu’il ne pouvait pas engendrer d’héritier, comme tous les seconds fils du clan Kakurō. Ce n’était pas à cause d’une interdiction ou d’une quelconque maladie : les Dieux avaient décrété que dans la lignée impériale, il ne devait y avoir que deux enfants mâles à chaque génération engendrés par le fils aîné.
Si jamais il arrivait malheur à l'aîné avant d'avoir ses deux héritiers, le cadet pouvait alors engendrer à son tour, et seulement dans ce cas. Cela n'était arrivé qu'une fois ou deux dans la lignée des Kakurō. Voilà pourquoi les nobles familles ne se pressaient guère pour offrir leurs filles au Second Prince. Pourtant si le Second Prince demandait quelqu'un en mariage, il était hors de question de refuser. Malgré ça les Seconds Princes ne se mariaient pas forcément. La plupart préféraient avoir des compagnons mâles de toute manière. Kikuni était encore dans l'adolescence alors pour lui, les histoires de mariage semblaient encore plus loin que pour son grand-frère.
Minami et sa famille arrivèrent la veille du banquet. Ils furent accueillis par la famille impériale comme il se devait. Les trois enfants du clan Hamenoto avaient tous les cheveux roses et les yeux azur. Kahiro, le seul fils, était plus âgé que Kikuchi ; il avait déjà soixante-trois ans. Kikuchi se montra nettement plus amical envers lui qu'envers sa future épouse. Minami fut tout de même chaleureusement reçue par l'Impératrice Hitomi et le Second Prince. Elle fut surprise de voir à quel point Kikuni avait grandi et mûri en quatre ans.
« Tu deviens vraiment un beau jeune homme, Kikuni, le complimenta-t'elle.
– Bah, je peux en dire pareil pour toi, Minami, répondit-il avec embarras et sans réfléchir.
– Quoi, que je deviens un beau jeune homme ? répéta-t'elle en clignant des yeux.
– Non ! Je... ah... je veux dire que tu deviens une très belle jeune femme ! » voulut-il se rattraper.
À côté d'eux, Kawakō, la cadette, eut un sourire amusé et poussa sa sœur du coude.
« Je crois qu'il t'aime bien, fit-elle.
– Je crois aussi, » renchérit Minami.
Ainsi taquiné par les deux sœurs, Kikuni devint tout rouge et renonça à parler sous peine de bafouiller. Oui, il appréciait beaucoup Minami mais il n'oubliait pas que c'était la fiancée de son frère. S'il l'appréciait, c'était uniquement en tant que future sœur et rien de plus. Tout autre sentiment devait rester au plus profond de son cœur et ne plus jamais voir le jour.
Le banquet fut tout simplement grandiose, digne du Premier Prince et futur Empereur. Kikuni prit devant tous son nom d'adulte, Harutō. Il reçut encore une tonne de présents, si bien qu'il lui faudrait certainement des mois pour tout déballer ! En réalité il n'ouvrirait que les cadeaux des plus nobles et ceux de ses amis, ses Servants s'occuperaient du reste. En milieu de soirée, les femmes et les enfants se retirèrent. L'alcool fut servi plus librement et les hommes se relâchèrent. Harutō reçut moult conseil en tant que nouvel adulte, allant du plus sérieux au plus grivois selon le taux d'alcoolémie de son interlocuteur. Il endura tout cela avec un sourire poli et lui-même ne se gêna pas pour boire avec enthousiasme. Pour autant il ne dépassa pas ses limites car il ne voulait pas gâcher ce qui allait suivre cette nuit.
Minuit approcha, il était temps pour lui de se retirer avec l'amant de son choix. Sous l'attention générale — en particulier celle de tous les parieurs — il balaya du regard la foule de jeunes hommes empressés. N'importe lequel d'entre eux serait honoré d'être choisi. Finalement le Premier Prince s'approcha de Kenryū et lui tendit la main. Ce dernier leva les yeux vers lui, posa sa coupe de sake et se leva pour le suivre, le tout sans un mot. Il y eut des déçus, que ce soit des parieurs ou des jeunes hommes qui auraient bien aimé être choisis, cependant l'Empereur se réjouit du choix avisé de son fils. Hakkuryū fut un peu plus réservé car il connaissait les sentiments de son propre fils. Cela dit, c'était aux deux jeunes hommes de régler ça entre eux : ils étaient à présent majeurs tous les deux et donc aptes à décider de leur relation.
Dans les quartier du Premier Prince, les Servants avaient tout préparé pour la nuit puis avait laissé seuls les deux jeunes hommes. Kenryū se servit une coupe de sake sans rien dire. Harutō ne le quitta pas des yeux et finit par se décider à entamer la conversation :
« Tu m'en veux de t'avoir choisi ? »
Kenryū leva les yeux vers lui et se dit une fois de plus que Harutō n'hésitait pas à se montrer plus fragile avec lui, loin de l'image assurée et déterminée qu'il projetait en tant que Premier Prince. Loin d'être déçu, cette marque de confiance le touchait.
« Pourquoi je t'en voudrais ? demanda-t'il d'un ton neutre.
– Hé bien, tu es en cour avec le fils du commandant Meirō...
– Nous avons rompu, » fit tranquillement Kenryū en vidant sa coupe.
Harutō prit un air surpris. Il n'était pas au courant de cela, et pourtant il suivait attentivement toutes les cours de son ami.
« Depuis quand ? s'enquit-il.
– Cet après-midi. »
Cela laissa le Premier Prince sans voix. Kenryū lui adressa un léger sourire.
« J'ai préféré me libérer au cas où... J'ai bien fait. »
Le choix du premier amant, comme la première demande de cour, était quasiment sacré donc on ne pouvait pas refuser à moins d'une excellente raison. Pour le premier amant, il était toutefois de bon ton de se montrer raisonnable et de ne pas choisir quelqu'un de réticent ou déjà en cour sérieuse. Quelque part, Harutō ne s'était pas du tout soucié de savoir si son ami entrait dans l'une de ces catégories avant de le choisir. Il ne s'en préoccupait que maintenant et encore, uniquement par crainte que Kenryū ne lui en veuille.
Toutefois la réponse de son ami le rassura pleinement. Les yeux émeraude brillants, il lui prit la main et entrelaça leurs doigts.
« Je n'aurai envisagé personne d'autre que toi comme premier amant, déclara-t'il.
– C'est un honneur pour moi. »
Harutō eut un léger rire à ces paroles purement protocolaires. Kenryū lui sourit et les deux jeunes hommes s'embrassèrent. Rempli de désir, Harutō se pressa contre son ami qui était plus modéré. Cependant Kenryū comprenait son empressement et il ne traîna pas. De toute façon la nuit était longue et ils pourraient toujours prendre leur temps ensuite.
Le lendemain matin, Harutō ne se présenta pas au petit-déjeuner mais cela ne surprit guère les siens.
« Que c'est beau, la jeunesse, commenta l'Empereur en échangeant un sourire avec son épouse.
– Je ne les comprends vraiment pas, soupira Kikuni. Ils se fâchent, ils se remettent ensemble, ils se séparent, ils se remettent ensemble...
– Ah, c'est parfois difficile de comprendre son cœur. Certains ont besoin de temps et d'expériences pour déterminer la nature de leurs sentiments.
– Pourtant c'est évident qu'ils s'aiment et qu'ils sont faits l'un pour l'autre !
– Parfois c'est plus facile à voir de l'extérieur et parfois... un œil extérieur ne voit pas tout. Enfin, tu connaîtras ça dans quelques années et tu verras alors comme ça peut être compliqué. »
En lui-même, Kikuni se dit qu'il n'avait pas besoin d'attendre quelques années pour expérimenter la complexité des sentiments. Le fait d'avoir revu Minami avait réveillé l'affection qui lui portait et qui allait bien au-delà de ce qu'on pouvait éprouver pour sa future sœur par alliance. Il avait commencé à rêver d'elle, le genre de rêve printanier Un rêve érotique. (6). Il se sentait coupable de nourrir de tels sentiments pour la fiancée de son frère et faisait par conséquent tout pour les refouler. De toute façon Minami ne faisait que se montrer gentille avec lui, rien de plus.
Suite à la majorité du Premier Prince, Kenryū et lui se remirent en cour. De plus Kenryū prêta allégeance à Harutō, ce qui donna lieu à une grande cérémonie. Les clans Kakurō et Inugami perpétuaient ainsi leur lien profond.
Printemps 2384
Cela n'arrivait que très rarement mais en cette occasion, les deux princes se disputèrent.
« Il n'y a pas d'excuses qui tiennent, grand-frère. Tu dois y aller !
– Pour quoi faire ? Ça ne m'intéresse pas et en plus le Fieur Kōbida m'a déjà invité à une partie de chasse. Je suis déjà pris, tant pis !
– Tu n'aurais pas dû accepter cette invitation en sachant que tu avais déjà une autre obligation.
– J'avais oublié ! » répliqua Harutō avec agacement.
Cela lui valut un regard de reproche de la part de son petit-frère.
« Oublié ? Tu as oublié l'anniversaire de ta fiancée ? Et c'est sa majorité en plus !
– Eh bien oui, je ne retiens pas sa date d'anniversaire. À quoi bon ? »
Kikuni ferma les yeux et inspira pour se calmer.
« De toute façon, ça ne m'intéressait pas d'y aller, persista Harutō.
– Ah non ? tu raterais une occasion de faire la fête et de boire du sake ? »
Le Premier Prince dévisagea son frère avec une pointe de surprise. L'adorable garçon était devenu un adolescent difficile.
« La partie de chasse sera aussi l'occasion de faire la fête et de boire du sake, le tout sans faire des jours de voyage.
– Minami est bien venue pour ta majorité, c'est la moindre des choses que tu lui rendes la pareille !
– Je ne l'ai jamais obligée à venir ! »
Kikuni serra les poings. Il n'arriverait pas à convaincre son frère, dirait-on.
« Ça ne se fait pas, plaida-t'il en désespoir de cause. Ce serait un affront envers le clan de ta future épouse !
– Tu sais quoi ? Si cela te tient tant à cœur, tu n'as qu'à y aller toi-même pour me représenter. Cela devrait satisfaire les parents de Minami ! »
Sur ce, Harutō se leva et partit. Kenryū, qui s'était poliment éloigné dès que la dispute avait commencé, lança un regard d'excuse au Second Prince avant de suivre son ami.
Furieux, Kikuni porta l'affaire devant leurs parents. L'Empereur prit un air bien embêté et fit :
« Si ton frère ne veut vraiment pas y aller, tu sais que ce sera difficile de l'y obliger.
– Père, vous n'avez qu'à le lui ordonner ! s'indigna l'adolescent.
– Je pourrais, oui, mais cela créerait un trouble entre sa fiancée et lui. C'est inutile de faire autant d'histoires pour un simple anniversaire. Harutō a raison : tu iras à sa place et cela arrangera les choses.
– Ah, vous lui passez tous ses caprices ! se plaignit Kikuni, les yeux humides.
– … Je te passe aussi les tiens, me semble-t'il, » rappela son père.
Comprenant qu'il n'obtiendrait pas d'aide de ce côté-là non plus, Kikuni repartit.
L'Empereur soupira et se tourna vers son épouse.
« Kikuni est parti pour devenir aussi difficile que son frère, dirait-on.
– Je me souviens que tu étais comme eux étant jeune, et ne parlons même pas de ton frère Nobuteru, » fit remarquer Hitomi en prenant une gorgée de thé.
Son époux prit un air vexé.
« Moi, difficile ? Je ne sais pas où tu as été chercher ça... »
Cependant son ton trahissait sa mauvaise foi et cela fit sourire l'Impératrice. Le clan Kakurō était également réputé pour ses fortes têtes !
« Je trouve quand même que Kikuni fait beaucoup d'histoires pour cet anniversaire. Il a raison, bien sûr, mais il n'a pas besoin de prendre ça à cœur, nota-t'elle.
– Ah bon ? Je sais qu'il s'est bien entendu avec la jeune Minami durant son séjour. Il la considère certainement déjà comme sa sœur alors il prend naturellement sa défense.
– Mmm. »
L'Impératrice fut parcourue d'un doute mais garda cela pour elle.
Kikuni se rendit donc à Metsujū, dans la province de Towa. Les parents de Minami ne manifestèrent aucune déception en ne voyant pas Harutō en personne, mais peut-être qu’ils n’osaient simplement pas se plaindre. Marier leur fille au futur Empereur était un honneur qui valait bien de nombreux sacrifices. Kikuni se sentait néanmoins gêné et présenta ses excuses à Minami dès que les adultes s’en allèrent.
« Tu n’as pas à t’excuser pour ton frère, Kikuni, » fit la jeune femme en souriant.
Ses cheveux rose pâle étaient comme toujours impeccablement coiffés et ses yeux azur exprimaient une sincère affection. Kikuni baissa la tête.
« Tu es trop gentille, bougonna-t’il.
– Ah, que puis-je faire d’autre ? » soupira-t’elle.
Surpris, il releva la tête pour la regarder. Ils se trouvaient dans les jardins et une douce brise agitait les branches des arbres. À part les Servants, ils n’y avait qu’eux. Ce fut sans doute cela qui poussa Minami à se confier :
« Je ne peux pas me fâcher contre lui. Je dois rester la jeune femme douce, patiente et qui accepte tout de son futur époux. Et ce n’est pas juste à cause de ton frère : depuis toute petite, ma mère n’a cessé de nous dire à ma sœur et moi qu’au début d’un mariage, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un jeune homme qui aime les cerises apprécie subitement les pêches. C’est souvent après la naissance du premier fils que la relation entre époux commence à se bâtir et qu’il y a une chance d’affection.
– Pas d’amour ? s’étonna le Second Prince.
– L’amour... »
La jeune femme eut un triste sourire et ses yeux s’égarèrent un moment sur l’adolescent à ses côtés.
« Une femme trouve l’amour dans la joie d’élever ses enfants et dans l’affection, le respect et la confiance qui grandissent entre son époux et elle. C’est la seule forme d’amour que nous puissions espérer. »
Kikuni se gratta la joue. Il y avait des jeunes filles au palais mais il ne les fréquentait guère, alors c’était la première fois qu’il entendait le discours qu’on servait aux demoiselles sur l’amour. C’était extrêmement différent de l’éducation sentimentale des garçons ! En plus quand Kikuni voyait ses parents ensemble, il pensait vraiment qu’ils éprouvaient de l’amour l’un pour l’autre, et pas de la simple affection, du respect et de la confiance. Est-ce que sa mère était aussi résignée que Minami ? Cette pensée était vraiment trop horrible !
« Il y a pourtant des hommes qui préfèrent les pêches, répliqua-t’il.
– C’est exact, sauf que ton frère n’est pas l’un d’eux. »
C’était indiscutable.
« Alors tu devrais être libre de choisir ton époux, de choisir quelqu’un qui t’aimerait vraiment !
– Hélas, soupira-t’elle de nouveau. Mes parents sont prêts à donner leur vie pour que j’épouse ton frère. Vraiment, je pense que le jour où je donnerai naissance à l’héritier de l’Empire de l’Aube, ils pourront mourir heureux. Cela les concerne même plus que la descendance de mon frère, Kahiro. »
Les parents de Minami étaient effectivement très ambitieux et rien ne les ferait renoncer à cette chance inouïe et prestigieuse. En tant que femme, Minami ne pouvait que se soumettre. Kikuni soupira à son tour. Sans le regarder, Minami prit discrètement sa main dans la sienne et la pressa. Ce pouvait être en remerciement pour son soutien ou bien pour exprimer autre chose. Kikuni n’osa pas demander car quelle que soit la réponse, il ne pourrait qu’en souffrir.
Automne 2384
Tandis que la nature se préparait à l’hiver, Kenryū ouvrit les yeux au petit matin. Il sentit la chaleur du corps familier contre le sien et tourna la tête sur le côté. Harutō avait la tête sur son épaule et dormait à poings fermés, un doux sourire aux lèvres. Une mèche taquine de cheveux noirs lui tombait sur le visage et se soulevait avec le souffle de sa respiration. Kenryū remit doucement la mèche en arrière, ne voulant pas réveiller l’autre jeune homme. Il contempla les traits nobles et harmonieux et se remémora les différentes facettes de son ami : sûr de lui et presque arrogant en présence des autres, le sourire taquin lorsqu’il faisait une bonne farce à quelqu’un, les yeux brillants quand il était en plein duel au sabre face à un adversaire de valeur, le pli de sa bouche quand il s’obstinait, les joues rouges durant leurs ébats…
Kenryū soupira. Il éprouvait une immense affection pour le jeune homme et un respect infini. Malgré tout cela, il n’était pas amoureux de lui. Ce n’était pas faute d’avoir essayé pourtant. Depuis trois ans qu’ils avaient repris leur relation, Kenryū avait fait de son mieux pour sonder ses sentiments et le résultat ne changeait malheureusement pas. Il était prêt à suivre Harutō jusque dans la mort mais ne pouvait pas lui donner son cœur.
« C’est donc malhonnête de ma part de rester avec lui, se dit-il. Harutō doit être libre afin de trouver celui qui pourra l’aimer de tout son être. »
Une telle personne existait certainement. Après tout Harutō était l’enfant chéri des Dieux, le monde lui appartenait et son règne serait exceptionnel. Un tel homme ne pouvait que trouver celui qui lui était destiné.
« Je dois lui faire comprendre ça… Ce sera difficile, » soupira-t’il mentalement.
Durant la journée, ils partirent tous les deux à cheval et firent halte dans un pavillon de chasse à quelques heures du palais. C’était l’un de leurs repaires habituels pour boire et s’amuser. D’ordinaire Kikuni venait avec eux, ainsi que d’autres jeunes hommes. Il y avait aussi des Servants et le groupe pouvait rester deux à trois jours à faire la fête. La jeunesse noble pouvait se permettre une telle insouciance. Cette fois cependant, il n’y avait que Kenryū et Harutō. Le Firal en connaissait la raison et en aidant son ami à porter les jarres de vin dans le pavillon, il lui fit :
« Pourquoi tu veux tant que ça éviter ta fiancée ? »
Le Premier Prince fronça les sourcils. »
« Je n’évite personne ! C’est jute que mes parents et même mon petit-frère n’arrêtent pas de me dire de passer plus de temps avec elle. C’est pénible. De quoi ils veulent qu’on parle ? Je la connais à peine !
– … Tu n’as pas vraiment cherché à la connaître, rétorqua Kenryū.
– Oh arrête ! On croirait entendre Kikuni. »
Harutō s’installa à la table basse dans la pièce principale et ouvrit une première jarre de sake.
« C’est tout de même la future mère de tes enfants.
– Je sais, c’est pour ça que j’aurais tout le temps de la connaître plus tard. Tu ne passes pas non plus tout ton temps avec ta fiancée, pas vrai ?
– Ce n’est encore qu’une enfant, ce n’est pas pareil, » soupira le jeune homme.
Harutō eut un léger rire face à sa mauvaise foi et il tapota la table devant lui pour inviter son ami à s’asseoir. Il lui servit ensuite une coupe.
« Les fiancées, les enfants, que tout cela arrive le plus tard possible ! fit-il en trinquant. Je suis jeune, je veux encore profiter de la vie ! »
Amusé, Kenryū le suivit pour trinquer.
Après avoir vidé la moitié des jarres, les deux jeunes hommes ressentaient à peine les effets de l’alcool. Il fallait dire qu’ils avaient l’habitude de boire, sans pour autant être des ivrognes. Néanmoins Kenryū se sentit poussé à dire ce qu’il avait sur le cœur.
« Harutō, mon père m’a proposé de partir inspecter les casernes à l’Ouest.
– Ah ? Vous l’avez pas déjà fait il y a cinq ans ? commenta distraitement le jeune homme.
– C’était les casernes de l’Est, rectifia Kenryū. Et ce sera différent cette fois : je serai seul.
– Tout seul ? releva Harutō en souriant.
– Je veux dire, sans mon père. Je serai entièrement responsable. »
Kenryū n’en dit pas plus car c’était inutile : les deux amis se connaissaient depuis tout petit et se comprenaient tacitement. Kenryū demandait là l’autorisation à son prince de s’absenter. Techniquement, son allégeance envers Harutō l’emportait sur ses devoirs d’héritier des Inugami. Toutefois Kenryū savait bien que son prince ne lui interdirait pas un tel voyage à moins d’une raison très importante. Et effectivement Harutō n’hésita pas à donner son accord.
« Combien de temps tu seras parti ?
– Au moins huit mois, peut-être plus. »
Harutō se figea. Même s’ils pouvaient vivre plus de cent cinquante ans, ces huit mois représentaient une longue période, surtout pour des jeunes. Harutō porta un regard troublé sur son ami. Il ne voulait pas revenir sur sa décision et l’empêcher de partir, pourtant…
Au moment où il s’était fait une raison et allait sortir une réplique mielleuse du genre ‘Ne t’en fais pas, je t’attendrai’, Kenryū reprit d’un ton très sérieux :
« Je souhaiterais donc mettre fin à notre cour. »
L’autre jeune homme lui lança un regard incrédule.
« Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? »
Kenryū inspira, rassembla son courage et se lança.
« C’est une longue période. Autant nous libérer tous les deux au cas où…
– Au cas où quoi ? l’interrompit Harutō, la mine sombre.
– Au cas où l’un de nous souhaiterait s’engager ailleurs. »
Le Premier Prince le contempla un moment en silence puis renifla de dérision.
« Tu dis ‘nous’ mais en fait tu parles pour toi.
– Non ! objecta aussitôt Kenryū. Harutō, rien ne me ferait plus plaisir que tu trouves le bonheur avec quelqu’un !
– J’ai déjà trouvé le bonheur. Avec toi. »
Kenryū baissa les yeux. Harutō sentit son cœur se serrer tandis qu’il fit d’un ton plat :
« Mais j'ai l'impression que la réciproque n’est pas vraie. »
Kenryū ne dit rien, ce qui était une confirmation en soi. Harutō eut tout à coup l’impression d’étouffer. En apparence il plissa simplement les yeux. Le Firal reprit tout à coup une coupe de sake et la vida d’un trait.
« Je suis désolé, fit-il. J’ai vraiment essayé mais mes sentiments pour toi…
– Tais-toi, » le coupa de nouveau Harutō.
Kenryū leva les yeux vers lui et son regard s’attrista.
« Tu mérites quelqu’un qui…
– Je t’ai dit de te taire, » s’écria le Premier Prince en reversant la table basse avec humeur.
Les jarres comme leurs coupes tombèrent à terre. Certaines se brisèrent, tachant les tatamis. Kenryū referma la bouche. Harutō mit du temps à contrôler sa respiration.
« Tu partiras pour l’Ouest, reprit-il ensuite d’un ton encore rageur, et nous en rediscuterons à ton retour, quand tu auras les idées plus claires. »
Le Firal fut tenté de discuter mais un regard envers son prince l’en dissuada. Il savait que les émotions de Harutō étaient très volatiles, surtout en ce qui le concernait. Il lui faudrait certainement du temps pour accepter leur rupture. Du coup Kenryū ne chercha pas à récupérer son cadeau de cour. Il avait l’impression que Harutō s’y accrocherait comme à sa propre vie.
« Il n’a pas tort sur un point, se dit-il. Ce sera mieux d’en parler à mon retour. »
L’humeur n’étant plus à la fête, les deux jeunes hommes reprirent le chemin du palais. D’un accord tacite, aucun ne mentionna leur conversation à quelqu’un d’autre. Kenryū passa plus de temps avec son père pour préparer son voyage tandis que Harutō fut contraint par sa mère de tenir compagnie à sa fiancée. Personne ne remarqua donc leur séparation, d’autant plus que le Premier Prince conserva obstinément son bijou de cheveu, le cadeau de cour qu’il portait chaque jour depuis des années. Une fois le Nouvel An passé, Kenryū partit pour inspecter les casernes de l’Ouest. Il ne revint pas avant dix mois.
Hiver 2385
Minami, qui portait désormais son nom d’adulte Kaname, résidait de nouveau à Kurojū depuis deux mois. L’Impératrice Hitomi l’avait faite venir afin de profiter de la compagnie de sa future bru. Bien entendu ce n’était pas la seule raison : bien que Kaname soit la fille d’un seigneur de province, Metsujū était considérée comme rurale par rapport à Kurojū. L’Impératrice souhaitait donc que la jeune fille s’acclimate à la Cour pour qu’elle ne soit pas trop perdue à son installation définitive. Peut-être que l’Impératrice gardait un mauvais souvenirs de ses propres débuts à la Cour et qu’elle souhaitait donc éviter cela à sa bru. L’autre raison était évidemment de renforcer les liens entre les futurs époux, ce qui était loin d’être gagné. Harutō était de mauvaise humeur depuis le départ de Kenryū, d’autant plus que le voyage semblait à chaque fois se prolonger. Même si les deux jeunes gens s’écrivaient régulièrement, ce n’était pas pareil. Du coup c’était Kikuni qui tenait le plus souvent compagnie à la jeune femme, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
« Dans un an, tu auras l’âge d’être en cour, le taquina-t’elle une fois. Je suis sûre que tu auras énormément de succès.
– Bah, je ne suis pas pressé, répondit le jeune homme en baissant les yeux.
– Pourquoi ? s’étonna sincèrement Kaname. Je croyais que c’était le moment le plus attendu des jeunes hommes. Je me souviens que mon grand-frère comptait les jours ! »
Kikuni eut un faible sourire.
« C’est un moment très attendu… pour ceux qui aiment les cerises. »
Là seulement, il osa lancer un regard timide à Kaname. La jeune femme le fixa de ses yeux azur puis détourna la tête et rougit un peu. Un long silence s’ensuivit. Kikuni ne put en supporter davantage et il se leva en s’excusant vaguement. Ce fut presque comme s’il fuyait. Restée seule avec les Servants autour qui se faisaient discrets, Kaname serra tristement ses mains l’une contre l’autre.
Une semaine plus tard, le Firal Kenryū revint au palais après dix mois d’absence. Il fut accueilli avec tous les égards qui lui étaient dus. Le voyage lui avait fait du bien : le jeune homme avait l’air plus mûr et sûr de lui. Il fit son rapport devant le Conseil, une pure formalité. Ensuite son père le félicita dans leurs appartements pour sa première mission réussie.
« Tu vas devenir un splendide général, digne de notre clan !
– Merci père, répondit Kenryū en rougissant sous le compliment.
– Allez, je ne te retiens pas plus longtemps. Une certaine personne est impatiente de te revoir, » le congédia Hakkuryū avec un clin d’œil.
Kenryū savait qu’il parlait de Harutō et il n’eut pas le cœur de le détromper. En plus il était vrai que le jeune homme voulait le voir mais ce serait loin de la soirée en amoureux que le général Hakkuryu pouvait imaginer.
Malgré cela, le jeune homme prêta un soin particulier à sa toilette avant de se rendre dans le pavillon impérial. En passant dans la cour, il vit de loin Kikuni et le seigneur Shumē discuter près d’un bassin. Sans savoir pourquoi, la scène lui fit froncer les sourcils. Cependant il avait ses propres préoccupations et il se dirigea vers les quartiers du Premier Prince. Les Servants le firent entrer sans hésiter ; après tout il était un visiteur régulier depuis des décennies. Harutō était à son bureau en train de terminer une peinture — l’un de ses nombreux talents. Il leva la tête et adressa un sourire à son ami.
« Je termine ça. Assieds-toi en attendant. »
Kenryū s’installa à la table basse et bon lui servit du thé et des douceurs. Mordillant un biscuit au sésame noir, il laissa son regard dériver sur la pièce décorée richement et avec goût. Ses yeux se posèrent soudain sur une peinture accrochée près de l’alcôve du lit qu’il n’avait encore jamais vue et il bondit.
« Harutō ! » s’écria-t’il d’un ton indigné.
L’autre jeune homme leva les yeux de son travail, l’air innocent.
« Oui ?
– C’est quoi ça ?! »
Le regard émeraude suivit la direction indiquée et un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres.
« Ah… c’était pour me tenir compagnie durant les longues nuits solitaires. »
La peinture représentait Kenryū à moitié dévêtu et au lit. Nul doute que Harutō l’avait peint et accroché aujourd’hui juste pour l’embarrasser. C’était bien son genre !
« Brûle-moi ça ! » répliqua Kenryū entre ses dents.
Le rire léger et taquin de son prince ajouta à son embarras.
« On ne brûle pas une œuvre d’art, voyons ! » le réprimanda Harutō en posant son pinceau.
Un Servant s’empressa de nettoyer le pinceau et ranger les encres pendant que le jeune homme se levait pour rejoindre son ami.
« Ne t’en fais pas, personne d’autre que moi ne l’a vue, » assura le Premier Prince avec un sourire moqueur.
Kenryū souffla et compta intérieurement jusqu’à trente. Depuis le temps, il était habitué aux taquineries de l’autre jeune homme mais cela ne voulait pas dire pour autant que cela ne l’affectait plus. Il fit la tête jusqu’à ce que Harutō ordonne à un Servant de retirer la peinture du mur.
Les deux gens prirent le thé et discutèrent de l’année écoulée. Ils s’étaient évidemment déjà tout raconté par lettre mais c’était encore plus plaisant de discuter de vive voix.
« Je suis content que tu aies autant apprécié ton voyage, fit Harutō avec un sourire sincère. Tu seras un général remarquable.
– Au service d’un Empereur exceptionnel, » renchérit le jeune homme.
Indépendamment des sentiments qu’il lui portait, Kenryū n’avait jamais douté un seul instant qu’il passerait sa vie au service de Harutō et que le règne de ce dernier serait incomparable. Avec une légère appréhension, Kenryū aborda le sujet redouté mais inévitable :
« Harutō, tu te rappelles de la conversation que nous avons eue juste avant mon départ ? »
Le concerné se raidit soudain et son visage prit un air sévère.
« Quelle conversation ? Sois plus précis, » répliqua-t’il d’un ton nonchalant.
Son attitude nerveuse démentait toutefois ses paroles. Kenryū soupira et dut donc préciser :
« Au sujet de notre relation. Es-tu prêt à en parler maintenant ? »
Il avait tout de suite noté que Harutō continuait à porter son cadeau de cour. Cela voulait donc dire que le Premier Prince n’avait pas suivi son conseil et exploré d’autres possibilités. Lui même avait eu des propositions durant son voyage cependant il s’était retenu. Tant qu’il n’aurait pas éclairci sa situation avec Harutō, il ne sentirait pas libre d’accepter d’autres cours. Il devenait donc urgent pour eux deux de mettre un terme à leur cour. Toutefois Harutō n’allait certainement pas l’entendre de cette oreille. Le Premier Prince fit effectivement une vilaine tête puis répondit entre ses dents :
« Je suppose que tu ne me laisseras pas tranquille à ce sujet ? »
Kenryū se contenta de le fixer sans rien dire, attendant sa réponse.
Harutō finit par souffler bruyamment et hocha la tête.
« Bon vas-y, qu’on en finisse. »
Un peu pris au dépourvu, Kenryū plissa le front.
« Comme je te l’ai déjà dit, je souhaiterais mettre fin à notre cour. J’éprouve une profonde affection pour toi mais ce n’est pas de l’amour. Tu mérites quelqu’un qui t’aimera autant que tu l’aimes. En dépit de mes efforts, je ne peux être cette personne. Sois sûr que cela me désole énormément mais je ne peux pas aller à l’encontre de mes sentiments. Je sais que tu trouveras la personne faite pour toi, tu le mérites. »
À chaque mot il s’attendait à ce que l’autre jeune homme explose de colère, pourtant rien ne vint. Il fut donc très surpris de parvenir au bout de son discours. Il se risqua ensuite à lever les yeux vers son prince pour jauger sa réaction : Harutō semblait plus agacé que fâché. C’était très curieux.
Au bout d’un moment, Harutō porta les mains à son chignon et défit l’ornement doré qu’il portait depuis des années. Il le posa sur la table, tout cela sous le regard stupéfait de son ami.
« Tu… vraiment ? bafouilla Kenryū.
– Quoi, ce n’est pas ce que tu m’as demandé ? répliqua sèchement l’autre homme. Ça y est, je t’ai rendu ta liberté. Va cueillir des cerises à droite à gauche, tu reviendras une fois que tu en auras assez. »
Kenryū tiqua sur les derniers mots et adressa un regard scrutateur à son ami.
« Harutō, cette fois c’est définitif, » insista-t’il.
L’autre jeune homme agita vaguement la main comme pour dire ‘c’est ça, c’est ça’. On ne pouvait guère l’en blâmer : ils avaient déjà rompu à peu près pour les mêmes raisons avant de se remettre ensemble. Harutō était donc en droit de s’imaginer que le passé allait se répéter.
« Je suis sérieux, reprit Kenryū. Tu n’as pas à m’attendre ou te priver de…
– Si je veux t’attendre, je t’attendrai, le coupa Harutō. C’est ma décision.
– Je ne voudrais pas que tu rates celui est fait pour toi ! » s’écria Kenryū, désespéré.
C’était le but de sa manœuvre alors tout cela ne servirait à rien si Harutō restait fixé sur lui ! Le Premier Prince eut un léger sourire, plus chaleureux que jusque lors.
« Merci de penser ainsi à moi, fit-il. Cependant c’est à moi et à moi seul de décider de mon cœur. Cela ne te concerne plus. »
Le cœur serré, Kenryū se dit qu’il aurait nettement préféré que son ami se mette en colère. Toutefois il ne pouvait plus insister sur le sujet car il avait déjà dit tout ce qu’il avait à dire. Pour le reste, sans doute qu’avec le temps, Harutō comprendrait que leur rupture était définitive et qu’il passerait alors à autre chose. Le Firal prit donc l’ornement doré et salua son ami. Cette discussion lui laissa un goût amer dans la bouche sans qu’il ne comprenne pourquoi.
Harutō ne fut pas le seul à ne pas prendre leur rupture au sérieux : toute la Cour constata dès le lendemain l’absence de l’ornement doré dans la coiffure du Premier Prince. Cependant les gens se dirent que les deux jeunes hommes se raccommoderaient bientôt comme ils l’avaient toujours fait. Kenryū laissa courir ces rumeurs car il savait que ce serait vain de lutter contre. Il craignait juste que Harutō ne se laisse convaincre par ces histoires et ne cherche pas de nouveau prétendant. Il se promit d’y veiller de très près.
Harutō était en promenade à cheval deux jours plus tard. D’ordinaire il était avec ces amis mais là, il souhaitait un peu de solitude. Pour cette raison aussi, les deux gardes qui l’accompagnaient étaient en retrait, de sorte qu’il pouvait presque oublier leur présence. Hélas son souhait de tranquillité ne fut pas exaucé : un carrosse l’attendait au détour du chemin et il vit sa fiancée avec des Servants.
« Dame Kaname, la salua-t’il brièvement sans même descendre de cheval.
– Votre Altesse, répondit-elle sans s’offusquer. Auriez-vous un peu de temps à m’accorder ? »
Un peu interloqué par sa demande, il fit néanmoins :
« Nous pourrons prendre le thé à mon retour.
– C’est que… je souhaiterais m’entretenir avec vous loin des oreilles de la Cour. »
Voilà qui était encore plus étrange et inconvenant. Même s’ils étaient fiancés, ils ne devaient pas se voir sans la présence d’un membre de la famille en guise de chaperon. Kaname lui avait toujours fait l’effet d’une jeune fille bien élevée, pourquoi cette requête soudaine ? Seule la curiosité poussa Harutō à accepter.
Il y avait un lac non loin de là et les deux jeunes gens s’y rendirent. Les Servants de Kaname et les gardes de Harutō attendirent à distance. Kaname marcha un moment au bord de l’eau, le Premier Prince un peu en retrait. Il la fixait avec une impatience grandissante. Avait-elle vraiment quelque chose à lui dire ou bien était-ce juste un prétexte pour passer du temps avec lui ? Agacé, il prit la parole :
« Dame Kaname, qu’y a-t’il de si important ? »
La jeune fille s’arrêta et hésita à se tourner vers lui. Il ne voyait donc que ses cheveux roses savamment coiffés.
« Alors ? » insista-t’il avec brusquerie.
Si sa mère était là, elle serait furieuse qu’il s’adresse à sa fiancée de la sorte. Harutō n’en avait cure.
Son ton servit en tout cas à secouer Kaname qui se tourna vivement vers lui et lui annonça d’un trait :
« Je souhaiterais que vous mettiez fin à nos fiançailles, votre Altesse ! »
Après ça, son courage sembla s’envoler car elle baissa les yeux et se tordit les mains. Harutō resta un moment sans réagir puis tiqua :
« Vous voulez que ce soit moi qui rompe nos fiançailles ?
– Ah oui, je…
– Mais je n’ai aucune raison de le faire, répliqua-t’il.
– Vous ne m’appréciez pas particulièrement, argua-t’elle sans reproche. Qu’importe si vous m’épousez moi ou une autre ?
– Il importe que cela offenserait votre père, le seigneur de Towa. C’est hors de question. »
Le visage de la jeune femme s’assombrit.
« C’est que... j’en aime un autre et…
– Dans ce cas, allez-le dire à votre père et rompez les fiançailles, vous. Je vous donne ma parole que je ne vous retiendrai pas. »
Kaname eut un rire bref dénué de joie.
« Jamais mon père ne renoncera à unir son clan à la lignée impériale. Il ne m’écoutera pas et m’obligera à vous épouser, quels que soient mes sentiments.
– Dans ce cas, on n’y peut rien.
– Vous… ! s’écria-t’elle avant de se retenir. Cela ne vous dérange pas d’épouser quelqu’un qui vous en voudra toute sa vie ?
– Beaucoup de mariages débutent ainsi mais les choses s’arrangent avec le temps.
– Le temps n’arrangera rien dans ce cas, bien au contraire ! »
Harutō commença à perdre patience.
« Si c’était vraiment important pour vous, fit-il sèchement, vous feriez ce qu’il faut sans chercher à vous défausser sur quelqu’un. »
Ce n’était pas une petite chose qu’elle demandait : si Harutō insultait le clan Hamenoto en rejetant cette offre de mariage après autant de temps, ce serait porter atteinte à leur honneur et cela pourrait engendrer des conflits à l’avenir. Il était hors de question de se mettre un clan à dos juste pour les caprices d’une femme.
« C’est important, insista Kaname. C’est juste que si je refuse de vous épouser, il m’en voudra et ne m’acceptera pas.
– Ah ? fit Harutō, quelque peu intrigué. De qui s’agit-il ? »
Kaname prit un air embarrassé et hésita un long moment. Elle finit par vouer d’une toute petite voix :
« Kikuni... »
Cela laissa Harutō sans voix. En même temps, il comprit soudain pas mal de choses sur l’attitude de son petit-frère.
Au bout d’un moment, il se ressaisit et demanda :
« Alors pourquoi c’est vous qui m’en parlez et pas lui ?
– C’est que… il ignore tout de mes intentions et je ne lui ai même jamais avoué mes sentiments... »
Le jeune homme se retint de jurer.
« Vous dites que vous faites tout ça sans même savoir s’il est d’accord ou pas ? S’il vous aime ou pas ?
– Votre frère vous aime énormément, jamais il ne se permettrait de convoiter votre fiancée ! Pourtant quand je suis avec lui, je sens son affection et c’est réciproque. Voilà pourquoi c’est vous qui devez rompre nos fiançailles. C’est le seul moyen pour que Kikuni s’autorise à m’aimer. »
Harutō n’avait aucune idée que les femmes pouvaient être aussi mélodramatiques. La seule femme de sa famille, c’était sa mère. Qui plus il avait grandi dans un milieu essentiellement masculin. Ses amis avaient bien des sœurs mais il ne les fréquentait pas et ne voyait des femmes que lors des cérémonies officielles, et encore il ne discutait pas vraiment avec elles. Voilà pourquoi il n’avait pas une grande connaissance de la gente féminine et à vrai dire, il ne se souciait guère de les connaître. En ce moment, Kaname lui apparaissait comme aussi écervelée qu’un jeune homme amoureux pour la première fois.
« Vous êtes stupide, » fit-il sans ménagement.
Elle en resta bouché bée un moment puis le fixa d’un air furieux, les joues rouges et gonflées. C’était la première fois qu’il la voyait se comporter autrement qu’avec douceur et élégance, et cela l’amusa.
« Pour mettre un terme à nos fiançailles, il faudrait bien que je trouve une raison, expliqua-t’il. Je vais dire quoi ? Que je suis tombé amoureux d’une autre femme ? Tout le monde sait que je suis cerise, personne n’y croira. Sinon je peux ne donner aucune raison mais dans ce cas, les rumeurs s’en chargeront. Croyez-moi, vous deviendrez la risée et la honte de tout l’Empire de l’Aube. Vous croyez vraiment que vous aurez encore une chance d’épouser mon petit-frère après ça ? »
Harutō était bien digne d’être le futur Empereur : il envisageait une situation sous tous ses angles et savait comment fonctionnait l’Empire.
« Parlez-en d’abord avec Kikuni. S’il partage vos sentiments, nous irons tous les trois voir mes parents et chercher une solution ensemble. »
Incrédule, la jeune femme redressa la tête, ses yeux azur brillants d’espoir.
« Votre Altesse ?
– Je ne sais pas ce qu’on pourra faire, la prévint-il, mais nous réfléchirons mieux ensemble. »
Les yeux de Kaname se remplirent de larmes et elle porta une main à sa bouche.
« Merci votre Altesse, merci infiniment ! »
Après l’avoir remercié plusieurs fois, elle finit enfin par partir. Harutō poussa un autre soupir, de soulagement cette fois. Ce serait difficile d’arranger la situation mais que ne ferait-il pas pour le bonheur de son petit-frère ? Un Second Prince n’avait jamais suscité beaucoup l’engouement des femmes car il n’y avait rien à gagner en l’épousant : ni enfant ni chance d’accéder au trône. Même si un mariage se faisait quand même, ce n’était que rarement un mariage d’amour. L’épouse de leur oncle en avait été un triste exemple : à la mort de ce dernier, elle était vite partie et n’était plus jamais revenue. Si Kikuni pouvait éviter de vivre une situation aussi pitoyable, Harutō en serait ravi pour lui. Quant à lui-même, peu lui importait d’épouser Kaname ou une autre, son cœur était ailleurs.
Le jeune homme rejoignit les gardes qui avaient surveillé sa monture. Il remonta en selle.
« Je vais encore me promener un peu, » leur annonça-t’il.
Ils s’inclinèrent. Harutō laissa sa monture aller au trot dans un premier temps, ses pensées vagabondant.
« Mmph, j’aimerais que quelqu’un m’aide avec Kenryū comme je le fais avec mon frère, » se dit-il un peu tristement.
Contrairement à l’impression que pouvait avoir Kenryū, Haruro s’était rendu compte depuis longtemps que le Firal n’était pas amoureux de lui. Il avait pourtant continué leur relation en espérant que ses propres sentiments suffiraient pour eux deux. Il n’aimait vraiment personne d’autre que Kenryū et ne comprenait pas pourquoi l’autre jeune homme persistait à dire que Harutō devait trouver la personne qui lui était destinée.
« Si quelqu’un m’était destiné, songea-il, je l’aurais déjà rencontré ! »
Il ne voyait pas l’intérêt d’attendre des années tout seul dans l’éventualité de cette rencontre. Il était suffisamment heureux avec Kenryū et n’en demandait pas plus.
« Sauf qu’il ne ressent pas la même chose, » se dit-il tristement.
Il savait que l’autre homme avait bien réfléchi à ses sentiments avant de prendre cette décision. Jamais Kenryū ne le ferait souffrir inutilement.
« Alors je supposer qu’il ne me reste plus qu’à… renoncer à lui, » murmura-t’il en levant la tête vers le ciel.
Ce n’était pas facile de renoncer à son premier amour. Dans tous les cas, il avait fait de son mieux, il pouvait se consoler ainsi. Il était simplement dommage que l’issue n’ait pas été plus heureuse.
« Attention ! »
Il entendit soudain ce faible murmure qui semblait venir du côté. Au même moment un renard coupa le sentier et passa juste sous les sabots de la monture de Harutō. L’animal se cabra. Pris par surprise, le jeune homme se sentit tomber en arrière. Il eut un choc à la nuque et puis… plus rien.
Printemps 2386
Il ouvrit les yeux et fut envahi par une faim dévorante. Le besoin était si fort qu’il ne laissa place à aucune pensée. Il se releva péniblement et regarda tout autour de lui, en quête de la moindre source de vie. Inconsciemment, des râles rauques s’échappaient de sa gorge. Il était dans une crevasse. Sans même réfléchir, il grimpa la paroi à main nue sans la moindre difficulté. Une fois au sommet, il se trouva dans une plaine et aperçut des bois non loin. Son instinct lui dit qu’il y trouverait ce qu’il lui faudrait.
Avec un rictus inhumain, il se dirigea vers la forêt.
Note de Karura : Voilà comment Harutō — qui a changé de nom — est devenu vampire. Ce sont bien les Dieux qui ont voulu l'avertir avant qu'il ne tombe de cheval mais Harutō n'est pas Lyrel, il ne ne peut pas communiquer en permanence avec les Dieux. Du coup il ne Les a entendus que trop tard.
Concernant les divers personnages, vous avez déjà fait la connaissance de Kaname dans la partie 1 et celle de Kenryū dans le chapitre 14 de la partie 1.
Vous remarquerez que les extra me permettent d'insérer plus de romance puisque avec Lyrel pour le moment... c'est pas gagné ! Cela viendra... un jour.
Notes du chapitre :
(1) Je précise qu'il s'agit du calendrier de l'Empire de l'Aube.
(2) Firal est la contraction de fils de Général. J’utiliserai aussi Fieur : fils de seigneur.
(3) Folie amoureuse.
(4) Ce sera expliqué plus tard mais les cerises se réfèrent à l'amour pour un autre homme. On parle de pêche quand un homme est amoureux d'une femme.
(5) C'est le nom d'enfant de Kaname.
(6) Un rêve érotique.
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