Le Prince Solitaire 3 08

Chapitre Huit : L'attaque


Il n'y eut rien à signaler durant les semaines qui suivirent. Aucune Horreur ne se manifesta. Yama continua à entraîner ses hommes, un jour sur trois uniquement. De leur côté, les villages de Kandarō et Mina, leurs alliés, ne rencontraient pas non plus de difficultés. Yama était bien conscient du mécontentement de certains des habitants de Misato. Poussés par Méthas, le chef du village qui craignait de voir son autorité sapée par leur prêtre excentrique, ils n'hésitaient pas à profiter même de la confession pour émettre leurs critiques tandis que Yama ne pouvait pas répliquer. Le prêtre ne pouvait qu'attendre et espérer que cela se tasse avec le temps.


Yatsu avait désormais les cheveux qui lui arrivaient à l'épaule et il était tout content qu'ils aient poussé si vite. Les autres garçons du village se moquaient de lui en le traitant de fillette mais il n'en avait cure. Stema, leur voisine, avait été ravie de lui montrer comment faire des tresses. Pour Yama, tout cela n'était que vanité cependant Yatsu ne suivrait pas le même chemin que lui, alors il se montrait tolérant. Toutefois, il prenait de plus en plus conscience que Yatsu ne pourrait pas rester à Misato. Le village n'était pas fait pour lui, même s'il les avait accueillis tous les deux au moment où ils en avaient le plus besoin. Ce n'était cependant pas le moment de songer à s'installer ailleurs.


~*~


L'alerte résonna au beau milieu de la nuit :

« On nous attaque ! On nous attaque ! »

Yama se leva en sursaut et saisit son sabre et son arc qui se trouvaient toujours au pied de son lit depuis des mois. Il passa par la chambre de son fils, lui aussi réveillé, et lui fit :

« Cache-toi sous le lit ! Je vais voir ce qui se passe. »

Yatsu était effrayé, cependant il obéit. Yama se rua à l'extérieur. Il regarda en direction de l'entrée du village et vit des torches à l'extérieur. Une sueur froid lui coula le long du dos : sauf ruse de la part de l'ennemi, il devait y avoir au moins deux cents hommes ! Il se mit à courir en direction de l'entrée et cria ses ordres en passant :

« Tous les volontaires prennent leurs armes et me suivent. Les autres se regroupent dans l'église. Stema, Yatsu est dans sa chambre. Va le récupérer, s'il-te-plaît. »


Il monta sur la palissade qui entourait le village — construite au moment où la guerre avait été déclarée. Il observa les troupes ennemies. La sentinelle de nuit se pressa à ses côtés.

« Ils ont débarqué d'un coup, père Yama, s'excusa l'homme. Y a pas eu d'alerte de Kandarō ou de Mina.

– Nous sommes leur cible alors. »

Les soldats se trouvaient à cinq cents mètres du village, à l'orée de la forêt. Yama put distinguer les couleurs du clan Modeno de la province voisine d'Omisū. Il se tourna vers l'homme de garde.

« Envoie un message à Kandarō : armée ennemi - aide. »

L'homme s'exécuta. Bien entendu, le temps que Kahō réagisse et les rejoigne, le combat serait déjà plus qu'entamé. Toutefois, cela ne coûtait rien d'envoyer le message.


Les portes étaient fermées pour la nuit mais elles ne tiendraient pas longtemps contre une charge. Yama se tourna vers le village et vit que les combattants volontaires s'étaient réunis. Il les évalua à cent vingt. Ils étaient presque à égalité numérique, cependant Yama ne se faisait aucune illusion sur les capacités au combat. Un soldat entraîné valait bien cinq à dix villageois, malgré les efforts de Yama pour leur apprendre les armes. Ce qui ferait peut-être la différence, c'était que les villageois allaient défendre leurs foyers et leurs familles.

« Mes frères et mes sœurs, leur fit-il, Dieu nous envoie une terrible épreuve. Notre village est la cible des soldats d'Omisū. Nous devons nous armer de courage et de force pour défendre nos familles. Prions le Seigneur ! »

Les combattants fermèrent les yeux et prièrent de toute leur âme. Yama lança également un appel suppliant au Seigneur :

«  Notre Père qui êtes aux Cieux, fit-il, accorde-nous la force de défendre les nôtres contre l'ennemi. Et si nous venions à mourir, accueille-nous au Paradis car nos actions sont justes et notre cœur pur. Gloire à toi, Seigneur ! »

Cela fut repris par les villageois qui y puisèrent du courage.


« Archers, venez sur la palissade — pas plus de quinze sinon elle va s'écrouler, ordonna ensuite Yama. Les autres, rassemblez-vous plus loin. Quand les portes céderont, laissez l'ennemi venir à vous. Frappez fort et frappez juste. Nous devons à tout prix les empêcher d'atteindre l'église qui abrite les nôtres ! »

Les hommes s'exécutèrent. Yama prit son arc à son tour puis se tourna vers l'extérieur du village. L'un des Autres en face s'avançait à cheval un drapeau bien en vue avec les deux triangles inscrits dans un carré, le symbole du clan Modeno d'Omisū. Yama était familier des symboles de chaque clan grâce à la carte de Hakurō qui comportait également ces informations.

« Ne tirez pas, fit-il. Il vient parler. »

Tel était l'usage des Autres avant d'attaquer. Le cavalier s'arrêta à vingt mètres de la palissade et les fixa d'un air méprisant.

« Misérables Vites, rendez-vous et votre mort sera rapide. Sinon vous connaîtrez d'atroces souffrances ! »


Yama retint un soupir. Il ne s'était pas attendu à une négociation, cependant il avait tout de même espéré pouvoir éviter le combat.

« Qu'est-ce que vous nous voulez ? » lança-t'il néanmoins.

Le soldat perdit un moment son sourire altier en entendant sa langue, cependant il se ressaisit et ricana.

« Juste votre mort. »

Yama secoua la tête.

« Mon père ? fit un archer à côté de lui.

– Ils ne veulent pas négocier, ils sont venus nous tuer, annonça-t'il sombrement.

– Permettez que je lui réponde alors. »

L'homme se pencha un peu et cria :

« Sales démons ! C'est vous qui allez crever ! Brûlez en Enfer ! »

Les villageois l'acclamèrent. Satisfait de lui, l'homme prit tout de même un air contrit en croisant le regard du prêtre.

« Pardonnez-moi, mon père, c'était plus fort que moi. »

Yama ne put le condamner.

« C'est bon, mon fils. Dieu ne t'en tiendra pas rigueur. »


Ce n'était pas sûr que le cavalier ait compris les propos, cependant il avait forcément compris le ton plus qu'explicite. Il cracha dans leur direction puis repartit vers ses troupes. L'assaut n'allait plus tarder. Sous peu, les soldats ennemis avancèrent à grands pas. Il y avait d'abord les fantassins à pieds, couverts par les archers. Les cavaliers attaqueraient une fois les portes enfoncées, comme le voulait le code de la guerre. Yama reconnut la manœuvre standard.

« Visez les archers à l'orée de la forêt, conseilla-t'il. Ils sont plus dangereux que l'infanterie ! »

Un peu dubitatifs, les villageois obéirent tout de même. Yama vérifia d'un regard qu'ils avaient un stock conséquent de flèches sur la palissade et au pied. Le village s'était bien préparé durant ces derniers mois, il espérait que cela surprendrait suffisamment leurs assaillants pour qu'ils aient une chance de tenir jusqu'à l'arrivée des renforts. Les soldats s'attendaient sûrement à des villageois stupides et incapables de se défendre.

« Quoique, songea-t-il avec inquiétude, ils nous ont ciblés spécifiquement. Hasard ou coïncidence ? »

Dans tous les cas, il y avait plus urgent.


Yama leva le poing et les arcs furent tendus.

« Tirez ! » ordonna-t'il en baisant la main.

Les flèches s'envolèrent dans le ciel nocturne pour retomber à la limite de la foret. Une salve leur répondit.

« Boucliers ! » cria Yama de sa voix forte.

Les archers levèrent les écus posés contre les planches de la palissade et s'en protégèrent. Étrangement, les Autres ne se servaient jamais de boucliers, ils ignoraient même que cela existait. C'était le genre de petits avantages qui pouvait jouer en leur faveur, du moins Yama l'espérait. Les volées de flèches se succédèrent et les premiers blessés apparurent dans les deux camps. Pendant ce temps, les fantassins étaient déconcertés de ne pas recevoir la moindre flèche. C'était contraire au code de la guerre et ils nageaient en pleine confusion. Ils découvrirent très vite pourquoi les archers ne se souciaient pas de leur avancée lorsqu'ils tombèrent dans des fosses cachées ornées de piques ! Le terrain autour du village était piégé. Il n'y avait que la route qui était sûre mais ça, les soldats n'avaient aucun moyen de le savoir. Yama avait fait creuser ces pièges en s'inspirant de ce qu'ils avaient fait pour les Horreurs. Cela avait également servi à occuper les hommes. Les habitants de Misato purent ainsi se réjouir de sa capacité de prévoyance.


Les fantassins ralentirent afin de prendre le temps de tester le terrain devant eux. Yama finit par désigner cinq archers pour tirer sur les plus proches. Celui qui dirigeait les troupes mit un certain temps à réagir devant ce chaos, ce qui permit aux archers de Misato de blesser et tuer bon nombre de soldats. Finalement, le commandant décida de bousculer le protocole en lançant ses cavaliers plus tôt. Les fosses et flèches arrêtèrent certains des chevaux, pas tous. Yama garda ses archers sur la palissade jusqu'au dernier moment, puis se résolut à les faire descendre pour rejoindre les autres combattants qui attendaient près des portes.

« Ils ne vont pas tarder à enfoncer les portes, leur annonça-t'il. Tenez-vous prêts ! »


Pendant que les archers avaient tiré, les autres villageois en avaient profité pour renforcer les portes, toutefois ce n'était qu'une protection dérisoire de bois et de cordes. Les soldats ennemis avaient prévu des béliers — ça malheureusement, ils connaissaient. Yama n'avait pas jugé utile de laisser des archers en place pour tirer sur les porteurs du bélier. Il savait que les portes seraient enfoncées tôt ou tard alors il voulait garder un maximum d'hommes indemnes pour la mêlée. Quant aux soldats ennemis, ils ne comprirent pas pourquoi les archers s'étaient retirés si tôt. Ils soupçonnèrent une autre ruse : leurs adversaires étaient imprévisibles et ne respectaient pas le code de la guerre. Ils étaient venus avec l'assurance d'une victoire facile contre un village de péquenauds, ils en doutaient à présent. Semer le doute dans l'esprit de son ennemi étaient un moyen efficace de l'affaiblir, Yama avait compté là-dessus.


Les portes finirent par céder et s'ouvrirent en grand. Aussitôt, Yama fit signe aux archers de tirer, atteignant encore plusieurs soldats ennemis. L'objectif était d'en tuer un maximum avant de passer au corps-à-corps qui serait désavantageux pour les villageois. Trois autres salves et les flèches furent finalement épuisées. Jetant les arcs désormais inutiles, les villageois saisirent leurs haches, lances, massues et boucliers, des armes de villageois et non de soldats. Seul Yama possédait un sabre, cadeau de Hakurō. Certains hommes avaient tiqué la première fois qu'il avait arboré cette arme typique des Autres mais ils n'avaient rien dit. L'ennemi déferla dans le village et se dispersa avec des cris de guerre. Yama et ses hommes passèrent à l'attaque en criant :

« À la gloire de Dieu ! »


Le reste fut un tourbillon de coups de sabres et autres armes. Des hommes tombèrent des deux côtés. Les cavaliers fendaient les rangs des villageois mais se heurtèrent aux boucliers avec stupeur. De son côté, Yama tuait autant et aussi vite qu'il le pouvait, ne craignant pas de se retrouver encerclé d'ennemis. La danse du sabre, comme il l'avait appelée autrefois pour se moquer, s'avérait mortelle. Malgré des années sans aucune pratique, les mouvements lui revenaient, familiers et rassurants. Hakurō aurait été fier de lui. Il gardait néanmoins un œil sur ses hommes. Les villageois commençaient à perdre du terrain, cependant l'église se trouvait à l'autre bout du village. Elle était donc en sécurité pour le moment.


Un hurlement féroce retentit soudain et tous les combattants se figèrent. Yama leva la tête vers l'église, les yeux écarquillés.

« Ce n'est pas possible... »

Tous ceux qui l'avaient accompagné précédemment reconnurent le son : une Horreur ! Cela ne pouvait vraiment pas être une coïncidence qu'une Horreur les prenne à revers la nuit où ils étaient attaqués ! Mais, mais... ces créatures fonctionnaient à l'instinct alors il y avait peut-être une possibilité de retourner ça à leur avantage.

« Je m'en charge ! cria Yama à ses hommes. Tenez bon en attendant mon retour !

– Père Yama, qu'est-ce que vous...

– J'ai un plan ! »

Il se rua en traversant le village, courant à la vitesse des vampires.


L'Horreur ne se trouvait pas à l'église comme il l'avait craint, cependant elle n'en était pas loin non plus. Elle avait renversé la palissade simplement en s'appuyant dessus... Ce n'était pas la même créature que celles qu'ils avaient combattues en compagnie de Mitsuhide : celle-ci ressemblait davantage à un taureau géant aux longues cornes pointues, au cuir épais et dont la queue se finissait en dard. Yama se posta sans crainte devant lui pour attirer son attention.

« Hep ! Viens par là, mon grand ! »

Comme il était le seul en vue, l'Horreur se concentra aussitôt sur lui et gratta le sol de son sabot fourchu. Il se rua vers lui, bien plus rapide que les Horreurs précédentes. Un peu surpris, Yama se jeta sur le côté au dernier moment. La créature fonça droit dans une maison et la démolit sans mal. Elle se tourna de nouveau vers le prêtre. Yama dut revoir sa stratégie et courut droit vers la bataille à l'entrée du village. L'Horreur le suivit de très près, ses naseaux crachant de la fumée acide. Sans la vitesse des vampires, Yama aurait été piétiné mille fois.


Du coup, il ne fonça pas tout de suite sur le lieu du combat car cela aurait entraîné plus de blessés chez les villageois que les soldats. Il bifurqua par conséquent vers la droite peu avant et se rua sur la palissade qu'il franchit d'un bond. L'Horreur le suivit et défonça la barrière sans souci dans un grand fracas. Sans perdre de temps et en évitant de son mieux les fosses, Yama conduisit la créature vers les troupes ennemies restées en réserve à l'orée de la forêt. Après tout, il n'y avait pas de raison pour que l'Horreur ne les aide pas sans le vouloir ! Ce fut avec satisfaction que Yama vit les soldats paniquer et se disperser. Il se rua parmi eux et l'Horreur fut déconcentrée et se mit à attaquer tout ce qui bougeait autour d'elle. Les archers ennemis essayèrent de lui décocher des flèches mais elles rebondirent sur le cuir épais.

« Amusez-vous bien ! » songea Yama en ressuyant la sueur qui coulait dans son cou.

Contrairement aux vrais vampires, il se fatiguait s'il courait vite pendant trop longtemps. Toutefois, cela en avait valu la peine.


Yama dégaina son sabre. Maintenant qu'il était à l'extérieur du village, autant chercher le commandant ennemi et le tuer. Selon le code de la guerre, ce dernier ne se mêlait pas au combat mais restait toujours en retrait pour jauger la situation et donner les ordres. Il était également repérable grâce à une armure plus colorée et imposante que celles des soldats. Et il avait le drapeau de sa province en éventail derrière lui. C'était ridicule mais telles étaient les coutumes des Autres. Yama n'allait pas s'en plaindre maintenant puisque c'était à son avantage ! Il repéra l'homme en question dans la zone de l'Horreur. Son cheval s'était cabré et enfui, et le commandant se relevait avec peine, hurlant à ses aides de combattre la créature afin de le protéger. Les soldats se firent massacrer un par un. Yama observa la scène sans rien faire : si l'Horreur voulait tuer le commandant, il n'allait pas lui disputer ce privilège !


Cependant il plissa le front en voyant le commandant saisir une pierre autour de son cou et la brandir avec désespoir vers l'Horreur qui s'approchait.

« Recule, je te l'ordonne ! » s'écria-t'il.

Et l'Horreur... recula en piaffant. Abasourdi, Yama faillit ne pas voir un soldat se ruer vers lui pour le tuer.

« Attention ! » firent les ombres qui avaient gardé le silence pendant des années.

Yama pivota au dernier moment et le sabre entailla légèrement son bras. Il brandit son sabre et l'enfonça dans la poitrine de son assaillant. Puis il se tourna vivement vers le commandant qui n'en croyait pas sa bonne fortune.

« Ah ah ! Je suis intouchable ! Et maintenant, retourne attaquer ce village, c'est un ordre ! »


L'Horreur tapa du sabot devant lui et l'homme poussa un cri aigu d'affolement. Il brandit de plus belle la pierre devant lui tout en priant ses ancêtres de le protéger. L'Horreur finit par se tourner vers le village et se cabra. Cela ne l'empêcha pas de charger des soldats sur son passage mais aussi invraisemblable que cela pouvait paraître, il semblait qu'elle avait obéi au commandant. Bien que Yama soit inquiet pour le village, cette pierre était des plus intrigantes. Il se rua vers le commandant qui se retrouvait isolé pour le coup et il le saisit par la gorge sans que l'autre n'ait pu réagir.

« Qu'est-ce que tu viens de faire ? » demanda-t'il d'un ton sinistre.

Le commandant était pratiquement soulevé de terre et il avait du mal à respirer.

« Qui... es-tu ? bafouilla-t'il.

Tu commandes aux Horreurs, comment ?

Je... Les Hikari m'ont donné ça. Je n'étais pas sûr que cela fonctionne.

Ce sont donc les Hikari qui t'ont dit de nous attaquer ? Pourquoi ?

Argh... Ils ne me l'ont pas dit ! Je t'en supplie, épargne-moi et je te donnerai de l'or ! »


Pour toute réponse, Yama serra plus fort et lui broya la nuque. Le corps devint mou et quand il le lâcha, il s'affala par terre dans un bruit flasque. Yama récupéra la pierre en tirant sur la cordelette qui était au cou du commandant. La pierre ne semblait avoir rien de particulier au premier abord : c'était un galet lisse percé vers le bord. Un symbole était gravé dessus et un résidu rouge se trouvait au fond des sillons. Yama ne sentit rien de particulier en portant la pierre. Il se risqua même à interroger les ombres puisqu'elles avaient repris la parole :

« Vous savez ce que c'est ?

– … Non, Nous ne sentons rien, » répondirent les Diables.

Yama renifla devant leur inutilité. S'il n'avait pas vu de ses propres yeux le commandant faire obéir l'Horreur, il aurait considéré que cette pierre était inutile. Mais du coup, c'était une excellente trouvaille. Autre fait inquiétant, c'était les Hikari qui avaient ordonné d'attaquer Misato. Pourquoi donc ?


Yama n'avait guère le loisir de se poser des questions. Il restait encore des soldats ennemis devant et dans le village, sans parler de l'Horreur qui faisait des blessés dans les deux camps. Il noua la cordelette autour de son cou et se précipita vers le village, sabre en main, tuant tous ceux qu'il croisait. Chassés par la créature, la majeure partie de la troupe venue d'Omisū s'était réfugiée dans le village, ironiquement. Yama se trouvait séparé des siens qui se défendaient toujours vaillamment. Heureusement que le combat ne s'était pas propagé trop loin ; l'église était toujours épargnée, ainsi que tous ceux qui y avaient trouvé refuge. Yama se trouva soudain à portée de l'Horreur. C'était le moment de tester la pierre qu'il avait prise au commandant.


Lorsque la créature se rua vers lui, il brandit la pierre sans bouger. L'Horreur s'approcha, voulut charger mais elle recula soudain. Elle secoua la tête en piaffant, confuse et désorientée. Yama réalisa alors que l'Horreur ne pouvait pas attaquer le porteur de la pierre, voilà qui était déjà une bonne chose. Il fallait maintenant s'assurer de son autre propriété.

« Quitte ce village, ordonna Yama. C'est un ordre ! »

Il tenta de reproduire la façon de parler du commandant. L'Horreur gratta le sol de son sabot, voulut de nouveau l'attaquer sans y parvenir. Yama fit un pas en avant, ce qui contraignit la créature à reculer d'un pas.

« Pars ! Va-t'en ! »

Les ordres ne paraissaient pas très efficaces, cependant Yama pouvait au moins contenir les déplacements de l'Horreur. S'il parvenait à la pousser en dehors du village...


Malheureusement, les soldats ennemis l'avaient remarqué et ils se ruèrent vers lui. Yama dut quitter l'Horreur des yeux pour se défendre et cette dernière en profita pour se ruer plus à l'intérieur du village, là où il y avait le plus de monde.

« Merde ! songea Yama. La pierre ne fait donc pas obéir ! »

Dans ce cas, il était temps de se débarrasser de l'Horreur qui était devenue une menace au lieu d'un avantage. Le prêtre terrassa donc ses opposants et chercha à rejoindre l'Horreur, tout en réfléchissant à un moyen de l'éliminer. Une idée naquit dans son esprit. Il bifurqua et se dirigea vers la réserve du village. Il entra et prit deux petits tonneaux d'huile pour les lampes. Il ressortit avec et courut vers l'Horreur qui s'en prenait à un groupe de villageois et de soldats ennemis. Yama passa près d'elle et fracassa le premier tonneau sur son flanc gauche. Il se mit ensuite en face d'elle et jeta le second tonneau dans sa gueule.


D'un puissant coup de mâchoires, l'Horreur brisa le tonneau. Toutefois l'huile se répandit dans sa gueule et sa gorge. La créature secoua la tête, n'appréciant pas du tout cette sensation. Yama fit ensuite appel à son pouvoir du feu pour enflammer l'huile sur et dans la créature. Il intensifia même les flammes au cas où. L'Horreur devint folle et bondit dans tous les sens en mugissant. Elle défonça des murs, écrasa des gens et enflamma tout sur son passage. Yama jura entre ses dents : l'Horreur résistait au feu mieux que prévu !

« Père Yama, fit soudain un villageois derrière lui, qu'avez-vous fait ?

– Vous tenez le coup ? » demanda-t'il plutôt.

L'air hagard de l'autre homme était éloquent.

« Nous nous battrons jusqu'au bout, déclara-t'il néanmoins en serrant plus fort sa lance avec des mains couvertes de sang.

– Dieu vous garde, approuva Yama. Il n'y en a plus pour très longtemps. »


Il partit ensuite à la poursuite de l'Horreur qui avait laissé des départs d'incendie sur son passage. Yama les éteignit d'une pensée pour que cela ne s'aggrave pas. L'Horreur s'arrêta près de la palissade, à quelques dizaines de mètres de l'entrée du village. Elle se roula par terre, certainement épuisée et rongée par les flammes. Des soldats essayèrent bien de la tuer avec leurs sabres mais la peau était encore solide, bien que craquelée par endroits. Yama s'arrêta un peu plus loin et se concentra : les flammes reprirent de plus belle, cette fois en un brasier infernal. Un mugissement terrible retentit dans la nuit agitée puis se tut. Yama relâcha alors son emprise sur le feu et tituba. Il s'adossa contre un mur pour reprendre son souffle, les jambes flageolantes. C'était la première fois qu'il ressentait un tel était d'épuisement.


Il n'eut cependant pas le temps de se reposer plus car des soldats venaient déjà vers lui, leurs sabres levés. Yama raffermit sa prise sur son arme et se battit de son mieux. Cependant il perdit l'équilibre à un moment et tomba à terre. Ses adversaires voulurent en profiter pour l'achever alors il n'eut pas d'autre choix que d'invoquer de nouveau les flammes contre eux. Les soldats reculèrent en hurlant, portant diverses brûlures.

« Un Hikari ! » s'écrièrent-ils il s'éloignant le plus possible.

Ils croisèrent alors des villageois qui les achevèrent. Yama se releva avec difficulté et croisa des regards effarés. Plusieurs personnes l'avaient vu manier le feu cette nuit. Dieu savait ce qu'ils devaient penser de lui, cependant l'heure était grave et il y avait plus important à faire.


Yama balaya du regard les lieux et poussa un soupir de soulagement en constatant qu'il ne restait que très peu de soldats, une quinzaine tout au plus. C'était tant mieux car il n'avait plus la force de combattre. Il entendit soudain des cris de panique :

« Des soldats à la réserve ! Ils vont tout brûler ! »

Yama se redressa aussitôt, repoussant sa fatigue dans un coin de son esprit. Si les ennemis mettaient le feu à la réserve qui contenait entre autre des tonneaux d'huile, tout le village flamberait en un instant. Se voyant vaincus, les soldats d'Omisū voulaient certainement venger ainsi leur honneur en emportant tout le village avec eux. Le prêtre se dirigea vers la réserve à faible allure. Il n'était pas le seul : d'autres villageois s'interposaient déjà mais les soldats n'avaient plus rien à perdre.

« Arrêtez-les ! Empêchez-les, ils vont... »


Il était trop tard : au moment où Yama parvint enfin en vue de la réserve, celle-ci s'enflamma d'un coup, menaçant d'engouffrer tous les présents dans un brasier mortel. Il n'eut qu'un instant pour réagir et n'hésita pas. Il atteignit son noyau le plus profond, un océan de calme et d'inertie, la partie de lui qui lui permettait de manipuler le feu, et il le projeta contre le brasier. Les flammes résistèrent, désireuses de se déchaîner, mais ce fut l'inertie qui l'emporta. Le feu fut circonscrit en une immense colonne qui s'éleva vers le ciel, inoffensive pour le village. L'énergie de Yama sembla prendre le même chemin et quitta tout son corps. Il resta debout, figé, le sang battant à ses tempes et couvrant tous les sons. Il vit sans vraiment voir les villageois se tourner vers lui avec révérence ou frayeur. Certains s'adressèrent à lui cependant les sons ne lui parvinrent pas. Il n'entendait que sa propre respiration, irrégulière et saccadée. Il prit une inspiration puis sentit le monde tourner autour de lui. Il s'effondra.


~*~


Kahō arriva enfin en vue de Misato avec ses hommes. Dès qu'ils avaient reçu le message d'appel au secours, les combattants de Kandarō s'étaient préparés le plus vite possible. Ils avaient couru dans la nuit au travers de la forêt.

« Des ennemis, songea Kahō. Comment ont-ils pu atteindre Misato sans passer par nous d'abord ? »

Kandarō était plus proche de la frontière. Même si Kahō remerciait les Dieux que son village ait été épargné, il ne pouvait s'empêcher d'en chercher la raison. Ils aperçurent soudain une colonne de feu dans le ciel et s'arrêtèrent, paniqués. Kahō écarquilla les yeux un moment puis pressa ses hommes de reprendre la route en allant plus vite.


La vue laissa les Autres sans voix : le village avait l'air d'avoir subi un véritable désastre. Des corps jonchaient le devant, certains dans les fosses piégées. Des chevaux erraient sans leurs cavaliers. Les portes du village avaient été défoncées et ce qu'ils voyaient de l'intérieur était déjà impressionnant. Kahō sentit son cœur battre plus vite d'inquiétude. L'ancien soldat en lui reconnut là les traces d'une terrible bataille. Qu'allaient-ils découvrir comme atrocités à l'intérieur du village ? Y aurait-il des survivants au moins ? Kahō fut vite soulagé sur ce point car il vit des villageois de Misato leur faire de grands signes de main sur ce qui restait de la palissade. Kahō fit avancer ses hommes sur la route, sachant qu'elle n'était pas piégée.


Dans le village, le nombre de corps était encore plus effarant. Kahō et ses hommes virent tout cela avec consternation. Il y avait des soldats morts et ils reconnurent les couleurs d'Omisū. Cela ne faisait qu'augmenter le mystère sur ce qui s'était passé. Un des combattants de Misato s'avança vers lui, l'air terriblement las.

« Merci d'être venus, l'accueillit-il d'un ton sincère.

– C'est... c'est fini ? s'étonna Kahō.

– Nous achevons encore quelques soldats mais oui, c'est fini.

– Nous allons vous aider, et aussi avec les blessés. »

Le villageois hocha la tête, reconnaissant. Kahō lança donc des ordres à ses hommes puis se tourna de nouveau vers le Vite :

« Où est Yama ? »

L'autre homme prit un air figé et Kahō craignit le pire.

« Le père Yama... il... il est là-bas. »


Kahō se précipita sans attendre dans la direction indiquée et vit un attroupement. Sa gorge se serra et il pressa encore plus le pas. Ses pires craintes se confirmèrent en voyant Yama à terre, le visage pâle et couvert de sang. Il bouscula les villageois qui restaient figés et il s'agenouilla devant le prêtre.

« Non, ce n'est pas possible ! » gémit-il.

Il posa deux doigts sur la nuque de l'homme à terre et tressaillit.

« Il est vivant ! s'écria-t'il à l'intention des villageois. Il est encore en vie ! »

Toutefois la nouvelle ne provoqua pas la vague de joie espérée. Kahō prit un air perplexe.

« Il est vivant, reprit-il, mais il a besoin de soins. Aidez-moi à le transporter. »


Les villageois se regardèrent entre eux puis s'éloignèrent. Abasourdi, Kahō en perdit ses mots. Il se releva et courut après l'un d'eux. Il le saisit par l'épaule pour le retourner brusquement.

« Qu'est-ce qui se passe ? Votre prêtre a besoin de vous ! Vous n'allez pas le laisser mourir quand même ? »

L'homme avait une lueur hésitante dans le regard ainsi qu'une ombre de honte.

« Il... il n'est pas normal ! s'écria-t'il. On l'a vu commander au feu et à l'Horreur !

– Une Horreur ? s'étonna Kahō. Vous avez dû aussi affronter une Horreur ?! Où est-elle ?

– Le p... Il l'a tuée avec ses flammes diaboliques ! Il n'est pas humain, c'est un démon ! »

Le visage de Kahō se durcit en reconnaissant l'insulte pour les siens. Toutefois, au vu de ce que ces gens venaient de subir, il ne releva pas. Il relâcha le Vite et appela les siens. Si les villageois refusaient d'aider leur prêtre, Kahō s'en occuperait, lui. Quoi qu'il se soit passé, il tirerait cette histoire au clair.






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