Le Prince Solitaire 4 05

Chapitre Cinq : La Nomination


Durant les deux heures qui suivirent, Yama eut droit à la présentation des trente formations. Il prit des notes et fit des croquis sous l'œil acéré du général Shimada. Ce dernier avait une parfaite connaissance des formations, il n'y avait rien à redire. Toutefois la connaissance seule ne suffisait pas à faire un bon général : il fallait également de la stratégie. Hélas, l'art de la guerre était calqué sur l'art du sabre : chaque réponse était limitée, encadrée et codifiée. Les généraux annonçaient leurs mouvements comme dans un jeu d'échecs — Lucius l'avait autrefois initié à ce jeu. Cela n'avait strictement rien à voir avec la vraie guerre. Ces trente formations comprenaient les formations pour la cavalerie, l'infanterie et les archers. De ce fait, certaines formations ne variaient que de peu, si ce n'était leur nom. Yama put en relier beaucoup, ce qui les rendrait plus simples à mémoriser.


« Voilà pour la description des trente formations de l'art de la guerre, conclut Shimada tel un professeur. Sur le terrain, la difficulté est que les soldats doivent réagir immédiatement quand l'ordre est donné et ils doivent prendre rapidement position. Ils ne doivent pas réfléchir, ce doit être un réflexe. Il faut plusieurs mois de pratique intensive pour arriver à un résultat correct. Voilà pourquoi les formations sont une part importante de l'entraînement de nos troupes.

J'ai aperçu un entraînement de ce genre hier en visitant la caserne.

Ensuite, il faut un bon commandant qui sache quelle manœuvre employer et quand l'employer. Cela peut prendre des années d'étude de stratégie. »

Yama avait confiance en ses capacités de stratège. Ce n'était pas comme s'il était un novice en la matière.

« Bien entendu, reprit Shimada, vous trouverez dans la bibliothèque du palais quantité d'ouvrages dédiés à ce sujet. Oh j'oubliais, vous ne savez pas lire. »


Yama sourit devant cette piètre tentative pour l'insulter.

« Un général illettré, voilà qui n'est guère inspirant, répondit-il avec auto-dérision. Mon fils vient de débuter son apprentissage de la calligraphie, je devrais peut-être me joindre à lui.

Vous avez un enfant ?

Oui, Yatsu a treize ans.

Votre épouse se trouve-t'elle également au palais ?

La mère de Yatsu est décédée peu de temps après sa naissance, expliqua-t'il sans mentir pour autant.

Oh, je compatis à votre perte. »

Yama inclina la tête en remerciement.

« Et vous, général Shimada, vous avez des enfants ?

Deux filles. Je n'ai pas encore été béni par un fils.

Je suis sûr que vous aurez un héritier.

Merci, général Yama. »


Il y eut soudain du bruit à l'entrée de la bibliothèque : Mitsuhide arrivait, précédé de deux servants. Shimada pivota rapidement pour se mettre en position de salut, le poing gauche enroulé dans sa paume droite.

« Général Yama, général Shimada, les salua le seigneur d'une brève inclinaison de la tête.

Seigneur Mitsuhide.

Le travail avance bien ?

Le général Yama m'a montré son début de projet pour l'entraînement des recrues. Il y aura de nombreux points à améliorer.

Et le général Shimada a eu la gentillesse de m'initier aux trente formations, » répondit Yama.

Le regard du seigneur passa de l'un à l'autre.

« Voilà donc une matinée bien employée, dans ce cas. Et si nous en parlions durant le déjeuner ? Général Shimada, vous restez, bien sûr. »

Le général acquiesça tout en notant que Mitsuhide n'avait même pas demandé son accord à Yama, comme si sa présence allait de soit.


Pendant que les servants allaient chercher le repas, Mitsuhide prit connaissance du plan de Yama et eut un sourire amusé en voyant les notes que l'autre homme avait prises sur les diverses formations. Il ne savait pas lire l'écriture, cependant les schémas et la quantité de notes prouvaient à quel point Yama était dévoué à sa tâche.

« Intéressant, commenta-t'il. Et cela donnera des résultats acceptables en combien de temps ?

En moyenne six à huit mois, répondit Yama en se basant sur les Templiers. Cela dépend également du niveau de départ et des aptitudes.

En excluant les formations, nuança Shimada qui n'en démordait pas.

Vous avez raison, approuva Yama. Je dois encore les intégrer à mon plan. »


La nourriture étant prêt, les trois hommes changèrent de table pour manger.

« Général Shimada, comment se passe la préparation de la démonstration qui aura lieu dans deux jours ? s'enquit Mitsuhide.

Les commandants ont reçu leurs consignes. Ils vont sélectionner les meilleures escouades afin de vous offrir une performance digne de ce nom. »

Performance. Yama retint un sourire à ce mot qui faisait plus penser à du théâtre qu'à un entraînement militaire. Autre chose le fit réagir :

« Tu viens aussi ? » demanda-t'il à Mitsuhide.

Shimada manqua de s'étouffer devant le ton familier, bien qu'il l'ait déjà entendu lors du conseil précédent.

« Bien sûr, fit le seigneur avec un sourire. Je me dois d'encourager nos troupes à donner le meilleur d'elles-mêmes. Et puis, je comptais en profiter pour organiser ta nomination officielle. Ce sera le moment parfait. »

Yama fit une grimace à cette nouvelle.

« C'est obligé ?

Bien sûr ! Sans ça, tu n'es pas officiellement général ! »

Les Autres et leurs cérémonies compliquées... Yama soupira. Cela intrigua le général Shimada qui demanda :

« Vous ne semblez guère apprécier les cérémonies, général Yama.

J'ai déjà eu droit à ce genre de cérémonie chez les Vites. »


Il se rappela sa nomination en tant qu'Archange, la fierté qui l'avait envahi, la joie, l'honneur...

« Cela vous fait croire que c'est glorieux de diriger une armée. La réalité est toute autre, hélas.

Selon vous, il n'y aurait donc pas de gloire dans une bataille ? »

Yama eut un sourire amer.

« La gloire, ce sont les conteurs qui la rajoutent dans leurs récits après Mais pendant la bataille, vous ne songez guère à la gloire : non seulement vous n'avez pas le temps d'y songer, mais vous ne la voyez même pas. »

Shimada hocha la tête d'un air songeur.

« Je vois que vous êtes vraiment un homme d'expérience, général Yama. »

Mitsuhide les interrompit en concluant :

« Alors nous verrons après pour la gloire. Mais tu ne ne couperas pas à la cérémonie. »

Yama acquiesça, le cœur lourd.


~*~


Shimada prit congé après le repas. Il reviendrait le lendemain pour continuer à travailler avec Yama. Mitsuhide en profita pour les avertir tous les deux qu'il réunirait le conseil dans l'après-midi du lendemain afin de présenter leur ébauche de projet, de parler de la nouvelle caserne à construire — Shimada tiqua à ce moment et lança un regard circonspect et profond à Yama — ainsi que d'autres sujets liés à la guerre. Yama resta ensuite à travailler à la bibliothèque, puisque tous ses documents s'y trouvaient. Il se consacra à la simplification des trente manœuvres. Autant pour le sabre, il avait été prêt à inventer de nouveaux mouvements que là, il était enclin à réduire le nombre de manœuvres. De nouveau, il pouvait sentir dans un recoin de son esprit l'intérêt des Diables pour son travail.

« Cela vous intéresse vraiment ? marmonna-t'il.

C'est de la stratégie militaire. Ça nous rappelle quand Nous étions vivants. »

Yama roula des yeux en entendant leur ton presque joyeux. Il fit abstraction de leur présence et se replongea dans son travail.


Mitsuhide s'était installé à sa table habituelle non loin de l'entrée. Il se trouvait donc à une certaine distance de Yama. Ce dernier leva les yeux de son travail en entendant soudain des bruits de pas.

« C'est l'heure du thé, » l'informa Mitsuhide.

Le seigneur prit un air intéressé en voyant les nombreux croquis et notes.

« Que prépares-tu ? s'enquit-il avec un sourire amusé.

Un sacrilège, le prévint Yama. Je suis en train de compiler les trente formations pour en faciliter l'apprentissage. »

Cela fit rire son ami.

« J'en connais deux à qui cela ne va pas plaire, fit-il en parlant de Shimada et Wakiro.

Peu importe que ça leur plaise ou pas, répliqua Yama en haussant les épaules. Nous manquons de temps. »


Le seigneur soupira. Entre le manque de soldats et le manque de temps, la situation n'était pas encourageante.

« Mmm. Au fait, je possède un ouvrage qui devrait t'intéresser : c'est un traité sur l'apprentissage des formations qui propose une méthode inédite. Il n'a guère eu de succès, sans surprise. Je te le chercherai après. »

Yama lui rendit son regard.

« Il va me falloir un lecteur dans ce cas.

Un scribe va venir. Il faut également que tu mettes ton projet au propre pour demain après-midi, afin de le présenter au conseil. »

Le général acquiesça, conscient qu'il avait encore bien du travail devant lui.


~*~


La pause fut la bienvenue, surtout que Yama put passer du temps avec son fils. Au pavillon blanc, ils prirent le thé tous les cinq. Yatsu fut également tout joyeux de voir son père de jour. Il lui raconta toutes les choses nouvelles qu'il avait apprises en cours, du moins celles dont il se souvenait. Tetsuō l'aidait à compléter les trous, un sourire aux lèvres. Yama l'écouta d'un air attendri et se laissa ainsi distraire de ses préoccupations. Il était facile d'oublier le reste du monde, la guerre à venir, les Hikari, les Diables et tout le reste. C'était comme une bulle qui les entourait, un moment joyeux qu'on voulait voir durer éternellement.


Quand les deux garçons se retirèrent pour jouer, Yama poussa un soupir de bien-être qui lui valut un regard curieux de la part de Mitsuhide. Il sourit à son ami.

« Je comprends maintenant pourquoi tu te libères toujours pour le thé avec ta famille. C'est très agréable !

Tiens, tiens, fit Mitsuhide en lui rendant son sourire. Tu deviens sensible à la beauté d'un instant ? Finalement, ton cas n'est pas désespéré.

Je n'ai jamais dit que j'étais insensible à la beauté, rétorqua Yama. Certaines beautés m'inspirent, comme un paysage ou de la musique.

Êtes-vous poète, général Yama ? s'enquit Teshime.

Non, la poésie ne m'a jamais intéressé. Mais j'ai déjà composé des chansons, cela y ressemble.

Ah ? Je serais curieuse d'en entendre quelques-unes.

C'est dans le langage des Vites, dame Teshime.

Vous ne composez donc pas dans notre langue ? Vous la parlez fort bien, pourtant. »


À vrai dire, au départ Yama n'avait pas eu suffisamment de vocabulaire pour écrire une chanson dans la langue des Autres. Et puis, vu qu'il considérait ça comme la langue des démons, jamais il n'y aurait pensé. Cependant, même depuis son séjour chez les vampires, cela ne lui était pas venu à l'esprit.

« Mmm, cela me semble inutile, fit-il. Votre langue a déjà sa propre sonorité comparée à la langue des Vites. Elle chante toute seule, alors elle se passe fort bien d'accompagnement. »

Teshime s'éventa légèrement.

« Alors c'est peut-être pour cela que vous parlez vraiment notre langue, contrairement aux autres Vites : vous en avez saisi l'essence profonde.

Oh non, je l'ai toujours parlée ainsi. Ce fut... naturel.

Toujours ? releva Mitsuhide. Ce n'est pas quelqu'un qui te l'a apprise alors ?

Je connaissais déjà quelques mots de base, » répondit-il honnêtement.

Le seigneur et son épouse échangèrent des regards surpris.

« Comment ça se fait ? »

Yama fixa sa tasse de thé, soudain réticent à parler.

« Disons qu'il y a deux explications possibles : l'une horrible et l'autre très horrible. Dans tous les cas, ce n'est pas un sujet de conversation pour l'heure du thé. »

Le seigneur était empli de curiosité mais il respecta le désir de son ami. S'il y avait une chose que Yama appréciait grandement, c'était que les Autres ne se montraient jamais trop insistants sur les sujets personnels. Il finit son thé et s'excusa pour retourner à son travail.


~*~


Le conseil se réunit de nouveau dans la salle du pavillon principal avec un ordre du jour assez chargé. Mitsuhide préféra commencer par le plus simple, à savoir la nomination officielle de Yama qui aurait lieu le lendemain. Il leur lut ensuite le message envoyé à tous les seigneurs et généraux de l'Empire, ainsi qu'aux prêtres. Le maître des Finances enchaîna avec une estimation des équipements qu'ils pourraient acheter au vu de leurs fonds. Le premier sujet épineux fut donc lancé.

« À ce sujet, Maître Hofunō, il faut aussi compter la construction d'une nouvelle caserne, annonça Mitsuhide d'un ton qui se voulait nonchalant.

Pour quoi faire, seigneur Mitsuhide ? protesta l'homme après un moment de blanc. Les deux casernes actuelles ne sont pas à leur pleine capacité, alors elles pourront très bien accueillir les nouvelles recrues. »


Yama vola au secours de son ami.

« Les casernes ne peuvent accueillir que sept cents soldats supplémentaires. Cela ne suffira pas.

Hé bien, il sera certainement possible de recevoir encore trois ou quatre cents soldats, quitte à sacrifier un peu de confort, répliqua Hofunō sans vouloir en démordre.

Même avec ça, cela ne suffira toujours pas. »

Le maître des Finances était un homme âgé qui passait tout son temps dans les papiers plutôt qu'au soleil. Il lui lança un regard effaré.

« Général Yama, à combien de recrues vous attendez-vous donc ?

Deux à trois mille hommes, répondit-il sans hésiter.


Le général Wakiro toussota soudain, comme pour étouffer un rire. Hofunō chercha du soutien auprès de son seigneur, seulement pour constater que ce dernier approuvait cette estimation délirante.

« C'est... comment voulez-vous qu'on bâtisse une caserne en si peu de temps ? objecta-t'il en désespoir de cause.

Inutile de faire du solide, le rassura Yama. S'il n'y avait pas l'hiver, même des tentes auraient fait l'affaire.

Vous ne vous rendez pas compte. Il faut des dortoirs, des cuisines, des bains, des réserves, des écuries... Le tout pour trois mille personnes !

Disons deux mille alors, fit Yama d'un ton conciliant. Les autres recrues iront compléter les casernes déjà existantes. »

De l'avis de Hofunō, cela n'arrangeait en rien le problème !


« C'est une énorme dépense que rien ne justifie, dut-il alors se résoudre à déclarer. Je m'y oppose fermement !

Maître Hofunō, intervint Mitsuhide d'un ton doux, vous avez apparemment mal compris : la question n'est pas de savoir s'il va y avoir une caserne, mais où et comment la bâtir. »

Le maître des Finances chercha du soutien auprès de ses pairs, cependant les deux généraux avaient le visage fermé. Quant à Momoko et Kokude, ils évitèrent son regard. Hofunō ne put que baisser les bras, consterné.

« Soit, seigneur Mitsuhide. Je m'incline devant votre décision. »

Malgré ses paroles, son ton exprimait clairement sa désapprobation. Il fallut ensuite choisir un lieu. Après quelques discussions, le conseil opta pour une plaine en périphérie ouest de Hanajū. Ce n'était pas trop loin des casernes existantes — au cas où des recrues supplémentaires devaient y être logées — mais suffisamment éloigné pour ne pas empiéter sur les terrains d'entraînement. Hofunō prit note des spécifications du chantier et annonça que les premiers bâtiments devraient être prêts d'ici un mois. Les autres dortoirs seraient construits par la suite, car il était impossible de tout bâtir en si peu de temps.


« Au sujet des recrues, nous n'avons pas encore parlé de la répartition du commandement, » fit Mitsuhide.

Wakiro et Shimada échangèrent un regard entendu.

« Seigneur Mitsuhide, nous sommes d'accord pour que l'intégralité des recrues soient sous le commandement du général Yama, » annonça Wakiro.

Le seigneur fronça les sourcils, sentant le piège.

« Vous voulez confier au général Yama des hommes qui n'ont aucune expérience militaire et qu'il forme intégralement une armée ? C'est une tâche immense, objecta-t'il.

Les recrues seront variées, argua Shimada. Il y aura des Vites, des humains... voire des femmes et des enfants ! À part les humains, ce serait trop difficile de les intégrer à nos troupes sans créer des conflits. Il sera donc plus simple de les rassembler et les former ensemble sous une seule autorité. De plus, le général Yama tient à appliquer ses méthodes particulières de formation. Il aura plus de facilité à le faire avec des gens sans la moindre expérience. »


Pendant que Mitsuhide restait dubitatif, Yama s'exprima :

« Cela me convient. Mais cela ne va-t'il pas poser un problème si je me retrouve avec plus de soldats que vous ? »

À nouveau, Wakiro eut un toussotement / rire. Shimada assura que non en souriant. Mitsuhide dut alors valider leur proposition mais il était bien loin de partager l'assurance de Yama. Il aurait dû se douter que les deux généraux allaient comploter ensemble contre Yama, jaloux de sa nomination rapide et inquiets de son influence sur leur seigneur. Yama n'avait pas idée des intrigues et manigances d'une cour, et il venait ainsi de se faire piéger. Ensuite, le message d'enrôlement fut lu devant le conseil afin de le valider. Yama demanda toutefois à ce que soit rédigé un autre message spécifiquement pour les Vites.

« Je sais comment m'adresser aux miens. Laissez-moi l'écrire. »

Il se doutait que des termes comme "notre Empereur bien-aimé" ou "les Dieux qui protègent notre contrée" ne parleraient pas vraiment aux Vites de Madare. Le conseil donna son accord.


Pour le reste des nouvelles, une Horreur s'était manifestée près de Mino, un village au sud-ouest de Madare. Elle avait pu être détruite avant de faire trop de ravages.

« Nos soldats s'épuisent contre ces créatures, seigneur Mitsuhide, nota Wakiro. Les blessés sont de plus en plus nombreux.

Général Wakiro, j'ai affronté moi-même ces Horreurs et j'ai pleinement conscience de la situation. Je travaille actuellement à une solution qui, je l'espère, sera opérationnelle sous peu. Faites porter un supplément de riz et de viande au poste-frontière qui a affronté cette Horreur. Ils le méritent bien. »

Yama approuva intérieurement. Mitsuhide était vraiment soucieux de ses hommes. Par contre, il se demanda si la solution mentionnée avait un rapport avec la pierre qu'il lui avait offerte, celle qui repoussait les Horreurs. Avec tout ce qui s'était passé, il avait oublié de demandé à Mitsuhide ce qu'il en avait fait.


~*~


La réunion s'acheva. Le lendemain aurait lieu la cérémonie de nomination de Yama à laquelle tous assisteraient. Mitsuhide resta dans la salle avec Yama et il poussa un lourd soupir quand le dernier conseiller sortit.

« Pff, ces réunions sont de plus en plus mouvementées depuis que tu es là.

La guerre fait cet effet. Et encore, nous ne sommes que dans les préparatifs. »

Le seigneur acquiesça, épuisé rien que d'y penser. Il lança ensuite un regard perçant à son ami.

« Au fait, comment tu as pu te faire avoir par Shimada et Wakiro ? Je te croyais plus malin que ça. »

Yama eut un sourire.

« Bah, ils ont raison d'un côté : ce sera plus facile pour moi de travailler avec des novices. En plus, je ne suis pas sûr que les Vites auraient été bien intégrés dans les autres casernes. C'est plus de travail, c'est vrai, mais c'est mieux ainsi. Voilà pourquoi j'ai accepté. »


Mitsuhide secoua la tête, effaré devant l'insouciance de l'autre homme.

« Mais tu ne sais pas avec quoi tu vas te retrouver !

J'aviserai en conséquence. »

La tranquillité de Yama était incompréhensible pour son ami. Il prit un air résigné.

« Tu ignores jusqu'où peuvent aller les manigances de la cour, se désola-t'il.

Shimada m'en a donné un petit aperçu, le surprit-il. Ne va pas croire que je sois novice en la matière. Quand j'ai été nommé Archange, j'ai dû prendre le commandement d'une caserne où certains avaient pris leurs habitudes et voyaient ma venue d'un mauvais œil. Je me suis fait avoir au début, mais j'ai appris ensuite comment répliquer. Ce qui compte ici, c'est que nous restions soudés. S'il commence à y avoir des différends entre nous, ils s'engouffreront dans la brèche. »


Mitsuhide sourit, agréablement surpris de la perspicacité de l'autre homme.

« Ça me va très bien, approuva-t'il.

Bien. Au fait, la solution contre les Horreur dont tu as parlé, c'est bien la pierre que j'ai récupérée ?

Oui. Je l'ai confié à des artisans expérimentés qui doivent déterminer de quelle pierre il s'agit pour ensuite tenter de la reproduire.

La reproduire ?

Une seule pierre ne suffira pas pour défendre tout Madare, fit Mitsuhide avec un rire bref. Cependant si on arrive à la dupliquer, chaque poste-frontière pourrait en être équipé et s'en servir pour combattre les Horreurs. »

Mitsuhide avait eu une excellente idée. Le souci était que personne ne s'y connaissait en magie, hormis les Hikari, alors c'était compliqué. Était-ce la pierre elle-même qui avait des vertus magiques ou bien le symbole tracé dessus ? Suffirait-il de reproduire le symbole sur d'autres pierres ou bien faudrait-il des incantations ou une cérémonie spécifique ? De plus, ce n'était pas comme s'ils avaient des Horreurs sous la main pour tester les pierres ! Elles apparaissaient de façon aléatoire et en des lieux imprévisibles.


« Dans ce cas, suggéra Yama, capturons une Horreur. »

Au regard effaré de son ami, il s'expliqua :

« Selon votre technique, quand l'Horreur est empalée dans la fosse, gardons-là ainsi au lieu de l'achever. Cela donnera l'occasion de tester les pierres. Ce ne sera pas aussi efficace que si elle était en liberté, mais c'est toujours mieux que d'attendre et risquer des vies.

Je... je vais faire passer le mot alors, » céda le seigneur, quoique pas complètement convaincu.

Un autre problème était provisoirement réglé. Yama ne comptait plus le nombre de soucis qu'il avait dû gérer depuis trois jours seulement ! Et ce n'était pas encore fini.


« Mitsuhide, tu sais combien de temps il faut pour aller à Yasara à cheval ? demanda-t'il soudain.

Trois jours, je dirais.

Hmm. Et à un rythme soutenu ?

La moitié du temps. Pourquoi ?

Après la cérémonie de demain, je dois me rendre à Yasara. Il y a quelqu'un que je dois voir. »

Mitsuhide ne formula pas la question à voix haute mais elle était clairement visible sur son visage. Yama hésita à en dire plus, ce qui blessa un peu son ami.

« Tu ne veux pas m'en parler ?

C'est que... la sécurité de cette personne est en jeu.

Bon, et si je jure sur mon honneur de garder le secret ? »

Yama soupira. Toutefois quand Mitsuhide se mettait à parler d'honneur, mieux valait ne pas le vexer. Il révéla donc :

« C'est l'évêque de Madare. Le chef des prêtres Vites, si tu veux.

Il y a un évêque à Yasara ? Mais le culte a été interdit depuis des années ! C'est... »


Il allait dire illégal quand il comprit soudain la réticence de l'autre homme à lui en parler. Il inspira alors.

« D'accord, je n'ai rien dit. De toute façon, j'ai mieux à faire pour le moment que de faire la chasse aux chrétiens. Et puis, c'est un décret impérial dicté par les Hikari qui interdit cette religion, alors raison de plus pour ne pas pas le suivre !

Je vais voir l'évêque pour qu'il nous aide à mobiliser les Vites, expliqua Yama. Si je parviens à le convaincre, ce sera un allié de poids. »

Mitsuhide se tapota le menton.

« Dans ce cas, dis-lui que je serai d'accord pour le rencontrer et discuter avec lui de la reprise du culte dans Madare. Cela devrait t'aider à négocier.

Tu es sérieux ? s'étonna Yama.

D'après tout ce que tu m'as dit, ce sont les Hikari qui ont manigancé l'Invasion. Alors cela ne sert à rien d'interdire votre religion. Et puis, je sais très bien que les Vites la pratiquent en cachette, n'oublie pas que j'ai vu ton village ! Autant mettre fin à cette hypocrisie et autoriser de nouveau cette pratique.

C'est une excellente nouvelle, merci ! »

Mitsuhide fut ravi de l'enthousiasme de son ami, surtout en sachant qu'il en était à l'origine.


~*~


La nomination de Yama au rang de général de Madare eut lieu dans la caserne principale. Tous les commandants étaient présents, ainsi que les haut-officiers. Mitsuhide et sa famille se tenaient sur une estrade, de même que Yatsu dont les yeux brillaient de fierté en voyant son père accéder à un rang si important. Pour l'occasion, Yama avait revêtu une armure aux couleurs de Madare : bleu foncé avec les quatre losanges argentés du clan Uegari. À cheval, il traversa la cour de la caserne, escorté par vingt soldats d'élite. À sa vue, bien des officiers réalisèrent que la rumeur d'un général Vite était bel et bien fondée. Yama s'arrêta et descendit de cheval au pied de l'estrade, avant de mettre un genou à terre devant Mitsuhide.

« Yama du village de Misato, déclara le seigneur, à compter de ce jour, je t'élève au rang de général de l'armée de Madare. Tu te battras avec vaillance et bravoure pour défendre notre province.

Moi, Yama du village de Misato, jure fidélité et loyauté au seigneur Mitsuhide de Madare. Je me montrerai digne de la confiance que vous m'accordez. »


Mitsuhide lui présenta son sabre que Yama prit entre ses deux mains dressées au-dessus de sa tête, à l'horizontale.

« Relevez-vous, général Yama. »

Sur le côté, les généraux Shimada et Wakiro tapèrent le sol de leur sabre, bientôt imités par tous les officiers. Yama se releva et leur fit face, Mitsuhide à ses côtés.

« Tu ne peux plus reculer maintenant, le taquina Mitsuhide à voix basse.

Cela n'a jamais été mon intention, » lui assura-t'il sur le même ton.

Le seigneur de Madare eut un rire ravi.


Les manœuvres étaient prévues pour la suite des réjouissances, alors ils se déplacèrent à l'extérieur de la caserne, sur le champ d'entraînement. Deux troupes se tenaient déjà là, des armées à taille réduite. Deux tourelles en bois avaient été montées pour les deux commandants qui dirigeraient les manœuvres. Ce serait comme un duel, mais en suivant les règles de la guerre. Des bancs avaient été installés pour le public noble. Les autres soldats resteraient debout autour à observer. Le général Wakiro s'approcha de son nouveau pair et, après l'avoir salué et félicité, il lui proposa innocemment :

« Général Yama, plutôt que d'assister, que diriez-vous de diriger l'une des armées ? Je me chargerai de l'autre. »

À côté, Mitsuhide s'indigna d'un tel procédé. Le général Wakiro désirait tout bonnement humilier Yama le jour même de sa nomination.


Avant qu'il ne puisse intervenir, Yama fit :

« Ce serait avec plaisir, général Wakiro. Mais je ne connais pas les enchaînements autorisés.

Cependant, vous connaissez les formations, n'est-ce pas ?

Oui.

Alors oublions les enchaînements autorisés. Combattons hors des règles comme vous aimez tant nous le rappeler : en situation réelle, contre un ennemi qui fait fi de l'honneur.

Vous êtes sûr ?

Tout à fait.

Dans ce cas, j'accepte, général Wakiro. »

Satisfait, le général envoya un de ses officiers prévenir du changement de programme.


Mitsuhide lança un regard consterné à son ami.

« Attends, tu te souviens vraiment des trente formations ?

Oui, le général Shimada me les a présentées hier.

Et tu te souviens de toutes les trente ? Il m'a fallu des mois pour les retenir ! »

Yama ne sut que dire. Depuis toujours, il avait eu une excellente mémoire. Même Lucius l'avait félicité à ce sujet en de nombreuses occasions. Puis lui, c'était donc normal de se souvenir en détail de ce qu'il avait appris la veille, surtout qu'il avait ensuite travaillé sur les formations afin de les simplifier.







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