Le Prince Solitaire 4 22

Chapitre Vingt-deux : La Fin (2)


Les Hikari avaient compris depuis longtemps que le prince bâtard — l'Ombre de la Mort, comme ils l'appelaient — causerait leur fin. Mais jamais ils n'auraient renoncé à leur plan de dominer l'Empire de l'Aube, et ils étaient suffisamment arrogants pour se croire capables de déjouer le destin. Alors quand Kinohime tomba enceinte de l'Empereur malgré toutes ses précautions, elle tenta toutes les herbes, décoctions, coups au ventre et autres méthodes inimaginables pour avorter, mais rien n'y fit. Le prince bâtard semblait fermement décidé à venir au monde. Alors les Hikari prévirent de le tuer à la naissance.


Comme Kinohime avait retardé l'annonce de sa grossesse, espérant se débarrasser avant de ce fœtus non désiré, il restait encore officiellement trois mois avant le terme. Elle en profita donc pour se rendre à Shirojū, le fief de son clan, afin d'y accoucher en grand secret. Quand le bébé vint au monde, un Hikari fut désigné pour le tuer. Mais les Dieux réagirent aussitôt et déchiquetèrent l'impudent. Le seigneur Shumē et les aînés du clan cherchèrent alors un moyen d'arriver à leurs fins. Ils avaient déjà envoyé de nombreux enfants chez les Vites, que ce soient leurs bâtards, des magiciens potentiels ou même la progéniture de certains de leurs opposants — des parents endeuillés causaient nettement moins de problèmes.


Mais dans le cas de ce bébé, il fallait être bien sûr de sa mort. L'idée d'un sacrifice occulte leur vint alors. Ce ne fut ensuite pas bien dur de trouver des Vites avides de pouvoir. Le portail à créer coûta la vie à trente d'entre eux, mais la mission ne pouvait pas échouer. Ils ne furent pas surpris de ne pas voir revenir le Hikari chargé de la mission, car les Dieux avaient certainement dû se venger sur lui après coup. Alors pendant des années, les Hikari avaient cru que le prince bâtard était bel et bien mort. Ils mirent donc en place la suite de leur plan : éliminer le Premier Prince en manipulant le seigneur des Vites — c'était ainsi qu'ils voyaient le Pape. Quand l'Invasion échoua à cause d'un Vite, Shumē sentit que quelque chose clochait. Les devins du clan consultèrent de nouveau les étoiles, et l'Ombre de la Mort les menaçait toujours, plus puissante que jamais.


Il fallut encore quelques années pour avoir plus de précision sur les prédictions. La timide province de Madare allait jouer un rôle important, alors les Hikari s'attelèrent à tuer son seigneur en avance. Non seulement le plan échoua, mais le Hikari envoyé à Madare pour superviser les choses avait perdu la vie. Madare se rebella ensuite contre eux, clamant leur traîtrise dans tout l'Empire de l'Aube et dénonçant avec beaucoup de précision leur implication dans l'Invasion. Le doute ne fut alors plus possible : le prince bâtard était en vie ! Cependant, pourquoi ne se déclarait-il pas ouvertement pour dénoncer leurs mensonges ? Et ce n'était encore qu'un enfant, alors qui le manipulait ?


Des espions furent alors envoyés pour jauger la situation. Shumē passa des jours à ruminer les informations des rapports qu'il reçut. Le seigneur de Madare avait à ses côtés un général Vite, qui avait été même prêtre, et qui élevait pourtant un enfant humain. Shumē avait d'abord eu des doutes quant à l'identité de cet enfant humain, mais il obtint la confirmation qu'il ne s'agissait pas du prince bâtard. Le mystère était donc toujours aussi complet, jusqu'à la bataille entre l'Armée Impériale et celle de Madare. Les Hikari qui avaient survécu en fuyant le champ de bataille rapportèrent des faits plus que troublants : le Vite savait manipuler le feu et les ombres, et il était épaulé par les prêtres !

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Shumē avait alors compris la terrible vérité. Il s'était souvenu que le Pape, son pion, avait une fois remercié son ange de lui avoir apporté le dernier Archange, qui détenait le pouvoir du feu. Comme le feu provenait de la lumière, Shumē avait cru à l'époque qu'il s'agissait d'un autre de leurs bâtards, tout comme cet Archange de la Lumière. Peu lui importait que le Pape manipule ces déchets. À présent, en faisant le lien entre la date où était apparu cet Archange et la mort présumée du prince bâtard, il ne pouvait qu'aboutir à une terrible conclusion. D'une façon ou d'une autre, l'âme du prince bâtard était entrée dans le corps d'un Vite, comme un vampire — les Hikari s'étaient également intéressés à la création de vampires pour se constituer des guerriers redoutables, un projet qui était encore en cours d'étude. Quant au corps... puisque les prêtres soutenaient ce Vite, cela voulait dire qu'ils étaient au courant, donc le corps se trouvait forcément à Myūjin, le seul endroit au monde dont les Hikari ne pouvaient s'approcher à cause de la trop grande concentration de ténèbres. Peu importait, Shumē se jura de tout faire pour exterminer pour de bon ce bâtard et détruire Madare.


Quelque part, si les Hikari ne s'étaient pas engagés contre Madare, les choses auraient-elles suivi le même cours ? Face au prince bâtard, Shumē commit une ultime erreur : il ouvrit un portail vers Shirojū pour s'enfuir mais grâce à cela, l'Ombre de la Mort le suivit dans le fief des Hikari. Si Shumē avait sacrifié sa vie et était mort à Kurojū, jamais Yama n'aurait pu se rendre aussi vite à Shirojū et y commencer son œuvre de destruction. Une fois encore, les efforts des Hikari s'étaient retournés contre eux. C'était comme si en voulant éviter leur fin, ils n'avaient fait que la provoquer. Telle était l'ironie cinglante du destin.


~*~


Tuer. Tuer. Tuer encore. Yama ne voyait même plus les visages des hommes, femmes et enfants qu'il massacrait. Le sang dégoulinait du sabre mais aussi de sa blessure — cela lui était indifférent. Les Hikari allaient jusqu'à jeter leurs enfants sur lui afin de gagner du temps pour s'enfuir — cela lui était indifférent. Les tentatives de créer des portails se soldèrent par des échecs car une ombre immense avait envahi le palais de Shirojū, bloquant toute magie de lumière. En conséquences, ses forces se vidaient rapidement — cela lui était indifférent.


Marchant sur les cadavres, parmi les flammes déclenchées par des lanternes renversées dans la confusion, une seule chose lui importait : tuer les Hikari jusqu'au dernier. Aucun ne devait en réchapper. Shumē avait été le premier à mourir : juste à la sortie du portail, il s'était retourné et s'était rendu compte que Yama l'avait suivi. Un rictus de terreur déformait à présent sa tête décapitée à tout jamais.


« Mourez tous ! Mourez tous ! » s'écrièrent les Diables en se réjouissant furieusement.

Quand Yama titubait à cause de l'hémorragie et de la fatigue mentale, ils le soutenaient et l'encourageaient à poursuivre son devoir macabre.

« Il en reste encore, allez ! Sinon, tout aura été en vain ! »

Et machinalement, il les écoutait et reprenait son œuvre de mort.


Yama finit par tomber à genou au milieu d'un couloir, entouré par le sang, la mort, les ombres et les flammes. Il commença à retrouver sa lucidité et poussa un faible gémissement angoissé.

« Je... Ils sont morts ? s'enquit-il.

Oui, fils, tous les Hikari de Shirojū sont morts. Tu as bien agi, Nous sommes fiers de toi. »

Comme c'était pathétique : les paroles des Diables lui mettaient du baume au cœur. Il leva la tête vers le ciel et un pauvre sourire orna ses lèvres.

« C'est fini... enfin. »

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Son existence inutile prenait fin. Il n'aurait plus jamais à chercher sa place en ce monde, à expier pour des crimes commis et non commis, et à payer pour le simple fait d'exister. Il se sentit subitement plus léger, comme aspiré doucement par le haut. Il quitta le corps qu'il avait usurpé et s'envola vers le ciel, vers la lumière qui brillait là-haut et l'appelait doucement. Il allait enfin connaître la paix et le repos, et peut-être même que... qu'il retrouverait ses amis défunts : Lucius, Marius, Gaïus, les Loups...


Une secousse ébranla son âme et son ascension s'arrêta. Stupéfait, il ouvrit les yeux et les baissa. Il vit les ombres qui s'agrippaient à ses jambes pour le retenir.

« Ton heure n'est pas encore venue, firent les Diables.

Qu'est-ce que vous racontez ?! s'écria-t'il avec indignation. Bien sûr que si ! Je dois mourir, je veux mourir ! Lâchez-moi, je ne vous suivrai pas ! »

Pour toute réponse, les ombres serrèrent plus fort et remontèrent le long de son torse. Paniqué, il voulut faire appel à ses flammes mais son état d'esprit ne lui permit que de produire quelques flammèches ridicules. Il se débattit alors, toutefois les ombres continuèrent à gagner du terrain inexorablement. Elles grimpèrent le long de son torse, ses bras, son cou... et puis sa tête.


~*~


Maître Korūdo, précepteur impérial d'histoire, fut fort surpris de voir l'Impératrice faire irruption dans la salle d'études où le Premier Prince écoutait les leçons en compagnie de plusieurs jeunes de son âge.

« Chiharu ! s'écria Kaname d'un ton soulagé dès qu'elle le vit.

Mère ?! répondit-il en se levant et en écarquillant les yeux. Mais-mais... vous êtes revenue ? »

Pour toute réponse, elle courut le rejoindre et le serra fort dans ses bras, au mépris de toutes les convenances.

« Tu es sain et sauf, » murmura-t'elle en lui caressant la joue, les larmes aux yeux.

Cela inquiéta grandement le jeune adolescent.

« Mère, que se passe-t'il ? »


Pour toute réponse, Kaname recula et regarda autour d'elle, parcourant la dizaine de jeunes élèves du regard. Elle posa ensuite les yeux sur le précepteur et exigea de savoir :

« Y a-t'il des Hikari ici ?

Euh, je...

Répondez !

Hé bien, ils sont partis précipitamment il y a peu de temps...

Ils avaient l'air effrayé, compléta Chiharu. Tout va bien ? Il s'est passé quelque chose de grave ? »

Kaname ne lui répondit pas de nouveau. Elle prit la main de son fils et l'entraîna dans le couloir, ignorant les protestations de maître Korūdo.


Ils n'avaient pas été bien loin qu'ils croisèrent une troupe de dix gardes au détour d'un couloir. Après un moment d'hébétude, ces derniers réagirent vivement.

« Votre Majesté, fit leur chef. Nous avons ordre de vous arrêter. Veuillez nous suivre sans faire d'histoires ! »

Chiharu poussa un cri d'indignation. Kaname se plaça devant lui pour le protéger, bien qu'il soit presque aussi grand qu'elle à présent.

« De qui vient cet ordre ? s'enquit-elle avec dignité.

De... hum, du seigneur Shumē. Si vous reveniez au palais, nous avions pour ordre de vous amener à lui. »

Un sourire sarcastique étira les lèvres de la femme.

« Shumē s'est enfui. Le règne des Hikari est terminé. Où va votre loyauté à présent ? »

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Les gardes se lancèrent des regards interloqués, croyant qu'elle était devenue folle. Après tout, elle avait déjà proféré des absurdités par le passé, juste après le massacre de son clan.

« Votre Majesté, veuillez vous éloigner de son Altesse et...

Que faites-vous là ? » tonna soudain une voix derrière eux.

Les gardes se retournèrent et, à la vue de l'Empereur, ils s'inclinèrent très bas.

« V-Votre Majesté, fit le chef des gardes en balbutiant, nous av-avons eu l'ordre d-de...

Je n'ai donné aucun ordre, » le coupa Tegami.

Le garde en fut confus. Depuis des années, c'était le seigneur Shumē qui dirigeait la garde. Cela allait de soi pour tout le monde, cependant le garde n'oserait certainement pas dire ça à l'Empereur, pas s'il tenait à sa tête !


« Il faut fouiller le palais pour capturer le moindre Hikari restant, intervint Kaname. Ah, qu'on envoie également des messagers à l'Armée Impériale : la bataille est annulée, les Hikari ne sont plus. Le seigneur Mitsuhide doit également en être averti. »

Aucun soldat ne bougea, jusqu'à ce que Tegami lance rudement :

« Hé bien, vous n'avez pas entendu votre Impératrice ?! Exécution ! »

Seulement là, les gardes se redressèrent et s'éparpillèrent pour obéir, bien que complètement abasourdis. Tegami s'avança lentement vers Kaname. Il lança un regard à son fils, puis se tourna vers son épouse, son visage prenant un air incertain.

« Que... que s'est-il passé dans la salle du trône ? C'était... c'était vraiment mon... ? »

Kaname acquiesça.

« C'est une longue histoire. Je t'expliquerai tout plus tard en privé. Pour l'instant... »


Elle lui tendit les bras et il la rejoignit pour l'enlacer sans hésiter. Chiharu fut gêné par cette démonstration publique, mais il était également ravi de voir ses parents se réconcilier enfin, même s'il n'avait jamais vraiment tous les événements sous-jacents. L'Empereur s'écarta soudain et fixa le mur, terrorisé.

« Tegami, tu... »

Il ne l'entendit pas. Plus forte que tout autre bruit, plus impérieuse, il put entendre la voix des Dieux pour la première fois depuis trente ans. Et les Dieux lui dirent :

« Si tu veux retrouver ton fils, viens à Myūjin ! »

Effaré, il tituba et la présence des Dieux disparut aussi vite qu'elle était apparue.


Inquiets, Kaname et Chiharu se portèrent à ses côtés pour le soutenir. Il avait encore les yeux dans le vague.

« Myūjin, murmura-t'il faiblement. Je dois me rendre à Myūjin. »

Une lueur s'illumina dans les yeux de Kaname et elle retint une exclamation.

« Alors vas-y tout de suite ! »

Si les Dieux pouvaient accomplir ce dernier miracle, alors les Hikari auraient perdu pour de bon et tout redeviendrait normal.







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